Aeronautical Fonts: concept de continuité et design de composants textuels adaptés aux contextes critiques

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Psychologie de la forme et loi de continuité

La psychologie de la forme, ou Gestalt théorie proposée au début du XXe siècle, notamment par Christian von Ehrenfels, s’intéresse aux processus de la perception comme à un tout — la « forme » — correspondant à un ensemble structuré de parties ou détails visuels. Elle propose cinq lois de la Gestalt pour une perception organisée de ces structures. La première et principale ou loi de la bonne forme est définie comme : « un ensemble de parties informe (comme des groupements aléatoires de points) tend à être perçu d’abord (auto-matiquement) comme une forme, cette forme se veut simple, symétrique, stable, en somme une bonne forme » [Koffka 1935].
Loi de continuité : Le système de perception visuelle humaine vise à isoler et reconnaître les objets/formes de la scène visuelle, mais surtout cherche les relations entre ces objets. La continuité intervient lorsque la vision suit un tracé continu (ligne) mais éga-lement un ensemble d’objets visuels séparés formant visuellement un alignement ou une trajectoire. Sur l’image ci-contre, d’un logotype réalisé pour l’Association des Hôtels du Canada8, une trajectoire visuelle est créée graphiquement par le dessin particulier de la barre centrale courbée du « H », renforcée par le vide doublant cette barre coupant les deux fûts verticaux de la lettre, et terminée visuellement par le dessin de la feuille dont la tige et l’orientation poursuivent la trajectoire. Cette configuration graphique très précise produit un effet visuel de mouvement de la feuille sur la trajectoire. Les lignes visuelles pourtant statiques de cette illustration possèdent ainsi une énergie cinétique (et donc directionnelle) potentielle qui est mise en mouve-ment visuel par le dessin et la relation particulière d’organisation des formes. Cette loi de continuité fonctionne aussi avec des trajectoires visuelles basées sur la couleur des objets visuels, par exemple un dégradé ou une progression plus fine d’une ou plusieurs dimensions de la couleur (teinte, saturation, lu-minosité).
Les autres lois de la théorie Gestalt permettent de penser ou d’agir sur les relations entre formes : lois de la proximité, loi de similitude, loi du destin commun caractérisant comme un tout perceptuel un ensemble de parties en mouvement avec des trajectoires homogènes, ou la loi de familiarité (décrivant notre propension à préférer/chercher la reconnaissance de formes familières). Les designers utilisent fréquemment ces lois visuelles pour composer leurs formes, imposer le sens de lecture ou donner du sens. Nous y reviendrons dans le chapitre suivant 1.2.3.
Cette continuité de perception de formes concerne également la lecture des représentations mettant en œuvre des structures d’alignement, par exemple l’utilisation d’un modèle de composition par grille ou de la perspective. Plus largement, cette continuité perceptuelle sera implémentée par la création de similarités dans les propriétés des objets graphiques, par exemple avec l’utili-sation de matériaux (texture), de lumières ou de styles graphiques cohérents.

Continuité perceptuelle : une image mentale partielle de l’environnement

Dans son livre Visual Thinking, Colin Ware [Ware 2008] pointe le paradoxe de notre perception du monde. Malgré notre sensation du maintien d’une image précise, complète et continue, constamment renouvelée de notre envi-ronnement, notre perception visuelle est reconstruite, simpliste et limitée aux besoins de nos demandes cognitives (incluant des mécanismes de protection – alarmes visuelles). Nous voyons seulement ce que nous demandons à voir du monde, dans notre champ perceptif (limité à nos capacités et focus sensoriels de l’instant), dans notre champ d’attention (limité à nos attentes perceptives), dans notre champ de pensée (limité à nos capacités de compréhension/action). Nous maintenons – mémorisons une image mentale égocentrée, continue et globale (champ perceptif et profondeur de champ), reconstruite à partir de séquences (frames) d’informations perceptives. Ces « images » perceptives sont acquises par une succession de fixations visuelles d’une zone de l’espace, positionnées à l’aide de sauts oculaires et pilotées par une suite de requêtes visuelles qui ont pour objectif de répondre à une demande cognitive. Les images mentales résultantes sont construites à partir d’une reconnaissance et identification des éléments visuels présents (plans, substances, objets, formes, matériaux, archétypes…) et d’une interprétation de la scène.
Il s’agit d’un mécanisme de vigilance, avec une continuité d’attention et d’accès perceptuel, sémantique et d’usage à l’environnement. Cette vigilance intègre en « tâche de fond » non consciente, une surveillance dans cet environnement d’informations non requises pour la tâche en cours, comme la détection péri-phérique de motifs perceptuels connus ou pressentis comme des signaux de danger (l’apparition d’un obstacle, la chute d’un objet, un son qui se rapproche ou une odeur particulière). La vigilance concerne aussi la capacité à filtrer une donnée pertinente d’un percept complexe, comme la reconnaissance vi-suelle d’une silhouette familière ou sonore, telle la mention de notre nom dans un environnement très bruité.
¬ Les risques de la continuité perceptuelle
Néanmoins, ce mécanisme perceptif dirigé par la « demande cognitive » pré-sente d’importantes limitations. En effet, l’information non surveillée ou non « requise » ou insuffisamment saillante risque d’être totalement non perçue, par exemple de l’opérateur d’un système de supervision. De plus, ce double mécanisme de continuité perceptuelle et de maintien d’une image mentale « en continuité » peut augmenter les risques d’erreur. Dans le processus d’activité, l’information attendue peut être perçue de façon erronée ou déformée, de par une trop forte attente perceptive issue de l’image mentale de la situation ou de l’état d’un système, notamment en situation de forte charge cognitive. Par exemple, l’alarme sonore et visuelle forte qui sera non perçue dans le cockpit par des pilotes en forte charge cognitive ou avec un fort niveau de stress qui réduit leurs capacités cognitives et produit un état de tunnellisation mentale. À l’inverse, dans le contrôle aérien, les risques d’incidents sont connus pour être importants en période de faible charge de trafic ou juste après une forte charge. Non seulement la vigilance diminue, et donc la fréquence de rafraî-chissement de l’information, mais le contrôleur fait davantage confiance à sa propre image mentale du trafic et à son évolution attendue qu’à l’image temps réel du radar. La perception tardive d’une position non prévue, et potentiel-lement dangereuse, le déstabilisera et rendra son intervention très difficile.
Plus généralement, pendant la lecture d’un texte, l’anticipation visuelle opé-rée en vision périphérique sur les mots suivants, et produisant une prévision de lecture, peut augmenter les risques de confusion et de fausse identification lors de la lecture fovéale précise de ces caractères.
¬ Cécité au changement
Enfin, la nature, la taille optique (angle visuel), le niveau de contraste et de saillance, la progressivité, la temporalité… du changement visuel ont un im-pact sur la perception des modifications de l’environnement ou des données. Un changement lent et progressif, sans rupture visible, et présentant donc une forte « continuité » perceptuelle peut rendre ce changement non percep-tible, « invisible » pour l’observateur. La notion de cécité au changement décrit ce phénomène, soit d’une habituation perceptuelle à l’évolution du contexte (à l’image de cette allégorie de la grenouille placée dans un récipient d’eau chauffée progressivement), et d’autant plus forte que ce changement n’est pas attendu cognitivement. Mais aussi d’une représentation mentale partielle de l’information. Ainsi, une modification de valeurs textuelles sur l’interface, opérée par le système avec une simple permutation d’affichage et sans anima-tion, peut être totalement imperceptible. Ainsi, lors d’un projet européen de contrôle aérien9, l’ajout d’animations avait permis aux concepteurs de détecter une permutation incessante, non voulue et non perçue de l’ordre d’affichage de blocs d’informations textuelles. La similitude de composition du bloc, avec pour l’architecture graphique de l’interface utilisateur des systèmes complexes des champs présentant pourtant des données de vol différentes, et la simple permutation d’ordonnancement sur des positions discrètes produisaient une trop forte similitude visuelle.
Cette cécité potentielle au changement et à la modification de l’information visuelle dans notre environnement de travail est à corréler avec des travaux récents en psychologie de la perception qui suggèrent une forte « volatilité » des représentations visuelles. Ainsi Becker met en évidence que notre capa-cité de stockage et de maintien de l’information semble très limitée, « pauvre et volatile », contribuant au risque de ne pas détecter les changements et plus particulièrement dans l’information récemment traitée [Becker 2002].

Contraste et Harmonie, principes de continuité dans les Arts graphiques

Dans les arts graphiques ou arts plastiques comme en architecture, des prin-cipes clefs de la création, Contraste et Harmonie d’une part, Forme et Espace d’autre part, permettent de questionner le concept de continuité.

Continuité dans les représentations graphiques

¬ Sémiologie graphique : caractériser les représentations graphiques
Pour la communauté IHM, les travaux du cartographe Jacques Bertin sur la sémiologie graphique [Bertin 1967] [Bertin 1975] ont été fondamentaux pour notre compréhension de l’usage des variables visuelles dans les représenta-tions graphiques 2D. Bertin, à partir d’un large corpus d’exemples graphiques comme des diagrammes, plans ou cartes, a produit un travail de caractérisa-tion des variables visuelles constitutives de la perception. Il a identifié sept variables visuelles qui caractérisent les marques (objet visuel). Ces variables sont planaires : position en [x, y], et rétiniennes : la taille, la forme, la valeur (correspondant à la luminosité), l’orientation, la couleur (correspondant à l’axe de teinte), le grain (ou densité de trame). Une propriété de « longueur » définit l’expressivité de ces variables : c’est-à-dire le nombre de valeurs pos-sibles pour permettre une sélection visuelle pré-attentive. Bertin a également caractérisé ces variables selon leur dimension Nominale, Ordonnée ou Quanti-tative, ou leur adéquation à présenter des données. Proposant les implications de cette caractérisation pour le design des représentations graphiques 2D, il a identifié trois niveaux de lecture : 1) la discrimination visuelle des marques ;
2) la perception des patterns et régularités ; 3) une compréhension de la re-présentation comme un tout, permettant d’analyser l’information émergente.
Même si ces travaux sont volontairement limités par Bertin à une approche monosémique, avec peu de notions d’interactions graphiques, et sans prise en compte des aspects sémantiques, ils nous permettent d’identifier les pro-priétés utilisables pour construire de la continuité ou de la discontinuité graphique. Notamment le caractère et la longueur d’expressivité de ces va-riables visuelles qui permettent de choisir la classe adaptée au besoin.
¬ Arts : des théories, règles et techniques au service de la continuité graphique
Les artistes plasticiens et designers graphiques mettent en œuvre très fi-nement les propriétés visuelles. Celles caractérisées par Bertin, mais aussi d’autres dimensions picturales plus diverses ou plus précises, par exemple pour penser la couleur selon ses trois dimensions de teinte, saturation et lu-minosité, ou à partir des sept contrastes et interactions de la couleur [Itten 1961]. Ces dimensions peuvent aussi être spécifiques à l’usage de techniques, supports ou médiums particuliers. Surtout, l’approche en totalité des créateurs plasticiens, passe sans cesse du détail au global, du tout aux éléments plas-tiques. Ils ne cherchent pas à spécifier-isoler des marques visuelles simples, définitives et non ambiguës, mais plutôt à mettre fortement en interaction, par une action cumulative à l’aide de « touches » répétées, les dimensions plas-tiques multiples des éléments picturaux ; mêlant d’une même intentionnalité, matière, lumière, couleur, rythme et forme, pour construire des structures de relation entre éléments visuels dans l’espace de composition et de sens. Ici, la sémiologie graphique devient multidimensionnelle, le discours multisémique et le matériau graphique toujours relié et au service des dimensions émotion-nelles et du message porté par l’œuvre picturale.
Figure 4 : Vénus avec joueur de luth et Cupidon, Titien 1565-70 (à gauche),
l’Aubade, peinture de Pablo Picasso, 1942 (à droite)
La Figure 4 à droite est la reproduction d’une peinture réalisée par Pablo Picasso en 1942 : l’Aubade (La sérénade ; Nu couché et musicienne assise). Élaborée très longuement par un ensemble de dessins préparatoires, l’œuvre offre au spectateur un discours plastique volontairement paradoxal. La toile est inspirée du tableau de Titien Vénus avec joueur de luth et Cupidon (cf. Figure 4 à gauche) qui présente une vision classique du sujet avec un dessin aux courbes douces liant graphiquement les personnages et très adapté au discours de l’aubade.
La version de Picasso, au titre trompeur, présente une forme picturale très différente du discours visuel et de la forte harmonie picturale du tableau de Titien. Picasso met en scène graphiquement sa représentation avec une composition (horizontal vs vertical), et des espaces chromatiques (bleu vs jaune) en forte opposition entre les deux personnages, un éclairage violent entre le sombre du fond (celui d’une cellule) et la solarisation des corps, une géométrie anguleuse des formes par exemple du lit (comme un instrument de torture) et du fond venant heurter un corps boursouflé, désarticulé et portant des cicatrices de la femme allongée… Tous ces éléments graphiques, objets et structures plastiques, concourent à produire de fortes discontinuités percep-tuelles. Ces discontinuités sont mises en œuvre par l’artiste pour exprimer visuellement l’horreur du contexte de l’époque (1942) et présenter au specta-teur la véritable intention de Picasso : un discours pictural sur la guerre, la prison et la torture. En Histoire de l’Art, l’analyse d’œuvre (ou méthodologie du commentaire d’œuvre) utilise cette technique de description et d’analyse formelle et stylistique, en lien avec l’étude du contexte, pour problématiser et interpréter l’intentionnalité de l’artiste.
Ces dimensions plastiques, utilisées par les artistes, sont acquises par l’étude des théories et au travers de l’expérientiel d’une pratique répétée. Elles sont employées et mises en scène dans les représentations, comme autant de moyens pour créer et hiérarchiser des jeux de ruptures et de rythmes gra-phiques : des discontinuités visuelles ou contrastes ; ou à l’opposé, pour créer des régularités graphiques, des alignements, des proportions ou des rapports particuliers et esthétiques entre des objets visuellement séparés, pour organi-ser l’œuvre en structures graphiques et permettre une continuité de lecture : des continuités visuelles ou harmonies.
Ces concepts centraux de contraste et d’harmonie, qui renvoient de façon sy-métrique aux concepts de discontinuité et de continuité, ont fait l’objet au travers de l’histoire de l’art, de nombreuses contributions, traités, théories, règles ou techniques. Certaines sont issues de découvertes scientifiques comme l’harmonie des couleurs basée sur les travaux de Newton (1671) concernant la décomposition de la lumière et la première formalisation du cercle chroma-tique [Itten 1961].

Contraste et Harmonie : un double principe clef des Arts et de la création plastique

Dans les arts plastiques, l’artiste met en œuvre un double principe fondateur de l’expression artistique et esthétique : contraste et harmonie.
Le principe de Contraste fonde l’expression visuelle : hors contraste, pas de perception. Donner à voir c’est contraster ! L’artiste dessine ou fait émerger des formes par un jeu subtil de tracés, de surfaces ou de plans qui sont autant de ruptures visuelles. Ruptures de luminosité ou de couleur, de forme ou de matière, de composition et de rythme, de sens et d’impression… Autant de discontinuités graphiques et formelles, précisément organisées entre elles et avec le substrat. La composition de ces contrastes par l’artiste permet de faire émerger la forme (percevoir, discriminer, identifier), mais surtout de grouper, de dissocier, de relier, de confronter, de hiérarchiser, les éléments visuels en objets de sens et de structurer la représentation et le discours de l’œuvre, même abstraite, en constante référence avec les règles de notre perception visuelle du monde physique. Par exemple, l’utilisation de la saturation pour exprimer la distance au spectateur ou des couleurs chaudes et froides pour distinguer la matérialité d’un objet visuel.
Le principe d’Harmonie, complémentaire de celui de contraste, permet d’orga-niser une lecture « globale », continue et esthétique, de ces différentes formes et ruptures visuelles. Si le contraste permet la discrimination visuelle de cha-cun des éléments graphiques, l’harmonie crée un modèle structurant pour la perception de l’œuvre tout entière. Elle règle à la fois le système de relation plastique et spatiale entre composants de la scène visuelle, favorisant les ré-gularités graphiques de la composition, et permet le parcours et la lecture de l’œuvre. En ce sens, l’harmonie est un matériau explicite de la continuité perceptuelle et de lecture dans la représentation visuelle.
La Figure 5 présente une peinture de l’artiste américain Edward Hopper, un exemple de parfaite maîtrise de l’harmonie picturale. Cette harmonie s’appuie sur une composition géométrique carrée et une harmonie de quatre couleurs complémentaires légèrement désaturées et rabattues vers le blanc. Elle pro-duit une impression unique de cohérence visuelle et d’équilibre picturale ; une sensation de continuité spatiale et temporelle : l’expression d’un lieu « réel » (crédible), accessible à nos sens, où chaque chose est à sa place et est reliée aux autres éléments et à l’espace de cette chambre ; elle nous présente un moment, « parcourable » et « durable » d’une histoire appropriable. S’exprime ici une forte sensation de sérénité et d’humanité.
Le principe d’harmonie s’attache à produire cet équilibre et complétude per-ceptuelle des différents contrastes. Même si cet équilibre est souvent basé sur la notion de dominante (la mise en saillance d’une valeur particulière dans l’harmonie) qui permet de caractériser l’impression résultante, d’adapter le propos plastique à l’histoire racontée et à l’émotion recherchée. L’harmonie vise — ou passe par — une satisfaction physiologique de la réception visuelle : c’est-à-dire qu’elle cherche à « contenter » le sens perceptif (organe et sen-sation) du spectateur. Par exemple, l’harmonie de couleur peut être définie comme la recherche d’un équilibre spectral des couleurs utilisées, et plus précisément comme un ensemble de couleurs dont la sommation visuelle pro-duirait un gris [Itten 1961], qui « active » et met à contribution de façon égale les différentes cellules photoréceptrices (cônes et bâtonnets) de l’œil.
L’harmonie des couleurs est l’une des théories de l’art les plus formalisées. Newton, Goethe, Chevreul, Munsell… ont progressivement construit notre compréhension des mécanismes de l’harmonie colorée, principalement basée sur la notion de couleurs complémentaires du cercle chromatique. Des travaux récents comme ceux de Lyons et Moretti [Lyons 2004] [Lyons 2005] ou [Tabard 2009] ont intégré ces apports au domaine de l’interaction homme-machine. Ils ont proposé une formalisation des harmonies colorées de l’interface basée sur l’usage de molécules ou de structures harmoniques possiblement complexes. Ces molécules positionnées géométriquement dans le cercle chromatique par des systèmes normalisés de la couleur10, permettent des interactions de transformations continues et la création d’harmonies de couleurs dans les interfaces numériques.

Continuité visuelle, continuité de sens

« Gourmet ». Le designer graphique a mis en œuvre de façon explicite des propriétés de la perception visuelle humaine pour garantir la transmission du message souhaité de la campagne publicitaire. Ici, il a appuyé son propos sur le principe Gestalt de continuité [Koffka 1935]. L’image présentée, avec cette continuité de forme, affirme et « prouve » au lecteur que le pâté pour chat « Gourmet » qu’il va acheter est bien constitué d’une tranche naturelle de chair découpée directement au « cœur » du poisson frais. L’usage des couleurs (harmonie complémentaire bleu-orangé) et le fond aérien bleuté renforcent la sensation de légèreté, de fraîcheur de la composition naturelle du produit. L’intérêt de ces techniques visuelles est qu’elles permettent d’exprimer très fortement des sens ou des mobiles d’achat qui ne sont pas toujours dicibles de façon explicite. Par exemple, de jouer sur des sentiments de culpabilité, de jalousie, de luxure… Le mécanisme visuel mis en jeu étant perçu, même inconsciemment, et utilisé par la cognition et dans l’action « impulsive » de l’acte d’achat.
« Montée et descente », 1960, ou comment agir sur la représentation pour suggérer une continuité spatiale ou temporelle (à droite) utilise une déformation géométrique de la grille perspective, en spirale, pour représenter une continuité paradoxale de la scène et inclure le spectateur à l’œuvre exposée. Le dessin peut être parcouru, de façon continue, pour passer du spectateur au bateau représenté sur l’estampe exposée, remonter d’élé-ment en élément sur le port puis sur la ville jusqu’à l’observateur « miroir »
à la fenêtre au-dessus des toits, pour redescendre le long de la galerie d’ex-position pour suivre la succession d’estampes jusqu’au spectateur initial, vu ici au travers des fenêtres et intégré dans le monde continu du tableau. Dans la gravure de droite, « Montée et descente » (la ronde des prisonniers) de 1960, un simple déplacement des repères de la perspective conique, appelée sur-perspective, permet de représenter des prisonniers effectuant une ronde sans fin, et montant ou descendant de façon continue les marches d’un esca-lier infini.
Dans ces deux œuvres, l’artiste n’imite pas le monde, mais rend lisible un sens paradoxal. Précurseur du courant surréaliste, il joue sur l’usage de représen-tations essentiellement figuratives et réalistes, mais transforme cette réalité par une compréhension des mécanismes de la perception visuelle, à l’aide de techniques géométriques de projection. Dans ces deux exemples, c’est la conti-nuité de parcours visuel de l’espace et des formes représentées — comme le regard remonte la file des prisonniers le long de l’escalier pour revenir encore et toujours à son point de départ — qui construit l’image mentale paradoxale et une sensation de continuité infinie, impossible dans le monde physique.

Composition graphique et continuité de lecture

Figure 8 : « Whaam » peinture de Roy Lichenstein (1963) inspirée de vignettes d’une bande dessinée, illustre la construction graphique d’une continuité temporelle dans une image statique (composition annotée par nos soins).
Whaam est une œuvre de l’artiste américain Roy Lichtenstein, l’une des plus célèbres du mouvement Pop Art. Inspirée d’une bande dessinée de 1962 de la re-vue All-American Comics (cf. Figure 8). Cette peinture illustre un des principes de la composition graphique utilisant les continuités visuelles pour permettre-forcer la lecture temporelle d’une image statique. Dans ce tableau, les couleurs (par exemple le jaune des zones de saillance de l’information), les contrastes, la composition (perspective, convergence des lignes) et les rythmes graphiques…
imposent le sens et l’ordre de lecture de l’image. Ce parcours visuel est dirigé vers la zone de saillance (en jaune) de la bulle textuelle située en haut et au quart gauche de l’image, où est formulée l’intention de tirer du pilote (1) ; de pour l’architecture graphique de l’interface utilisateur des systèmes complexes ce point, le spectateur est amené à descendre verticalement (comme une suite du texte) sur le cockpit et sur l’avion dont les lignes de fuite exagérées de la perspective (2) conduisent le regard sur la trace fumante (surlignée de jaune) du départ de la roquette ; en suivant cette ligne visuelle, il aboutit au point de saillance visuel constitué par l’avion ennemi au centre de l’explosion (3) (cerclée de jaune) ; explosion qui se développe et le conduit jusqu’au rendu graphique (graphème) du son de l’explosion WHAAM (4) (texte en jaune). En Art et arts graphiques, ces techniques de composition sont largement forma-lisées, enseignées et utilisées depuis de nombreux siècles, pour permettre au designer de construire plastiquement le discours de sens de la représentation et spécifier le parcours visuel de l’image par le spectateur.
En IHM, des travaux récents comme [Conversy 2011], proposent de décrire de façon formelle ce mécanisme de codage graphique (par exemple à l’aide de la sémiologie graphique) d’un processus continu de lecture ou scanning des informations visuelles.

Motion design et continuité temporelle

Détecter et interpréter le mouvement est l’une des capacités les plus impor-tantes de notre système de perception visuelle. Pour la vision, l’identification séquentielle de percepts visuellement similaires à des positions différentes, est perçue comme le mouvement d’un objet unique. Des artefacts visuels, même distants, se déplaçant de façon homogène sont perçus comme formant une entité unique (principe de la Gestalt). À l’inverse, une permutation rapide entre deux objets visuellement proches ou sémantiquement identiques peut ne pas être perçue par les utilisateurs (voir 1.2.2.3 – cécité au changement).

Représentation visuelle statique et perception continue du temps

Figure 9 : Expression visuelle du temps : Le radeau de la Méduse, peinture de Théodore Géricault, 1819 (à gauche), Cheval au galop, 1872, chronophotographie réalisée par Eadweard Muybridge (au centre), Trafalgar et Météorite, peinture de Samuel Alken, 1806 (à droite)
Dans l’histoire de l’art et des représentations visuelles, la représentation graphique du temps est restée très longtemps (et par obligation) statique. Il s’agissait pour les artistes de suggérer sur une image figée des événements qui se déroulaient dans le temps ou des situations dynamiques mettant en scène des êtres vivants en action (par exemple des scènes de bataille), ou des contextes en mouvement (par exemple une tempête). La Figure 9 présente trois représentations visuelles du temps.
À gauche, la peinture de Théodore Géricault le radeau de la Méduse, réalisée entre 1818 et 1819, illustre une scène de naufrage. La composition du tableau et le travail pictural restituent de façon statique un grand nombre d’informa-tions temporelles qui seront perçues par le spectateur de l’œuvre. Sont à la fois lisibles, le déroulement temporel de l’événement : le long temps (13 jours) passé à dériver et l’extrême lassitude des naufragés, le moment où le radeau semble sur le point de sombrer dans une mer agitée, les cadavres (en bas à gauche) pour lesquels le temps s’est arrêté, l’instant précis où un survivant au centre aperçoit le bateau qui va les secourir, et enfin au tiers droit en haut du tableau est figuré l’espoir d’avenir (et le temps futur du sauvetage) avec la représentation d’un homme jeune agitant une étoffe pour appeler les secours. D’autre part, les techniques picturales utilisées (composition, touches, lu-mière, couleurs…) participent à l’expression de cette rythmique du temps, de la fluidité des éléments (mer et nuages) aux mouvements des survivants et du groupe humain tendu en pyramide vers l’espoir du sauvetage, ou a contrario à l’immobilité (temps arrêté) des cadavres. Tous ces codages graphiques qui utilisent des effets de continuités et de discontinuités visuelles dans l’espace caractérisent des dimensions et propriétés de continuité temporelle.
La Figure 9 au centre présente une chronophotographie réalisée par Muybridge en 1872, qui permet, pour la première fois, de décomposer le mouvement du cheval au galop. Cette décomposition du mouvement n’avait pas été décou-verte auparavant par les peintres ou les observateurs.
Sur cette même figure à droite, une peinture de Samuel Alken, peintre anglais de la fin XVIIIe – début XIXe siècle, représente une course de chevaux. Dans cette œuvre, pourtant postérieure à la chronophotographie de Muybridge, le peintre n’a pas choisi de représenter le galop des chevaux en s’inspirant des images « réelles » enregistrées par Muybridge. Il a préféré peindre une posi-tion morphologiquement impossible, avec les quatre membres des chevaux en extension, qui représente mieux visuellement la dynamique et la temporali-té de la course qu’aucune des images de séquence de la chronophotographie [Gombrich 2001]. Il faut noter ici l’intérêt de la caricature, du « faux plus vrai que le vrai », dans les représentations ou le design graphique, notamment pour les animations de séquences.

Image animée et animations graphiques

La Figure 10 présente une séquence simple d’animation, réalisée par Artie. com sous la forme d’un fichier GIF animé avec 42 images internes. Le dessin pour l’architecture graphique de l’interface utilisateur des systèmes complexes des images du démarrage et de l’arrêt a été volontairement caricaturé, imi-tant les images symboliques des comics : avertissement visuel annonçant le mouvement, soulèvement exagéré du démarrage, disparition hors champ du véhicule à gauche et réapparition par la droite, enfin déformation en forme d’écrasement au freinage avant l’arrêt. À noter la forme des roues renfor-çant la dynamique des mouvements. La séquence se termine sur une position proche de la position initiale, ce qui permet de rejouer en boucle la séquence. Ici aussi, comme sur l’exemple du tableau de Samuel Alken, la simplification et l’exagération sont plus importantes que le réalisme. Contrairement aux images statiques suggérant la continuité temporelle, la représentation ani-mée est dans sa forme et perceptuellement continue. La dimension rythmique de l’animation permet de contrôler et d’exprimer des formes de continuité et de discontinuité temporelles dans la séquence. Comme le principe de slow in slow out d’accélération au démarrage et de décélération en fin d’animation. Dans les techniques d’animation, ces principes comme les douze principes d’animation du dessin animé [Frank 1997] s’inspirent des lois de la physique et de la perception visuelle pour permettre de créer des animations plus « ré-alistes ».
¬ Animations graphiques dans les IHM
Les animations graphiques sont très présentes dans les IHM. Elles sont une partie constitutive de la représentation, permettant d’exprimer la nature et le comportement de composants, par exemple de signifier à l’utilisateur l’interaction possible. Dans DigiStrips [Mertz 2000] [CENA 2001], elles constituaient l’un des quatre concepts d’une interface naturelle (écran tactile, gestes, design graphique, animations). Elles étaient notamment utilisées pour déplacer naturellement et de façon synchrone les strips du tableau pendant des interactions gestuelles continues (changement du geste possible au cours de l’interaction) ; augmenter visuellement les feedforwards et le feedback des actions ; et renforcer la conscience mutuelle des actions entre contrôleurs.
Figure 11 : Animations graphiques dans DigiStrips : animation synchrone d’un même objet entre deux écrans (à gauche), feedback animé d’une sélection de clearance avec un nouveau niveau de vol (à droite).
Par exemple l’animation de fin de sélection d’une valeur de niveau (cf. Figure 11 à droite) était accompagnée par une transition visuelle de l’objet réifié (valeur de menu sélectionnée) vers la zone de destination sur le strip. L’animation se terminait par un effet de rayure animée de l’ancienne valeur, accompagné du déplacement vertical des informations déjà saisies, et le remplacement avec une mise en saillance par la nouvelle valeur. DigiStrips permettait des ani-mations synchrones entre systèmes et processus d’affichage séparés comme l’animation d’objets situés « entre » deux écrans (cf. Figure 11 à gauche).

Motion Graphics Design

La Figure 12 présente une séquence de motion design, créée par le desi-gner Christopher Lee. Le Motion Graphic Design ou Motion Design est une séquence animée d’éléments graphiques, images, graphismes 2D ou 3D, typo-graphies, souvent synchronisés avec une bande-son. La différence essentielle avec l’animation réside dans le caractère dynamique du motion design, dont l’effet graphique est par exemple dynamiquement généré en fonction de l’ac-tion de l’utilisateur ou par un moteur aléatoire de génération de forme. Le motion design est aujourd’hui largement utilisé pour les écrans, la télévision par exemple pour les génériques, les bandeaux de titrages ou d’ajout d’infor-mations dynamiques comme pour le sport, les jeux télévisés, ou encore pour augmenter l’image vidéo avec des éléments virtuels ou des effets, à l’exemple de l’ajout d’effets 2D sur les images 3D des jeux vidéo. Il est de plus en plus présent dans les spots publicitaires, sur le WEB, pour la réalisation des écrans d’accueil ou pour les sites d’e-commerce. Il est déjà utilisé pour les menus ou pour des effets système sur les dispositifs mobiles.
La technique du Motion Design s’est généralisée ces dernières années avec l’avènement de logiciels dédiés de « compositing » comme After Effects d’Adobe. Contrairement à l’animation des composants logiciels, After Effects est basé sur un traitement logiciel orienté image, comme PhotoShop, avec un système d’empilement de calques animables sur le temps et des formes graphiques libres qui lui permettent de s’affranchir des limites de structures d’objets plus géométriques et hiérarchisés et de leurs espaces contraints de transformation.
En IHM, des travaux s’inspirant du motion design, comme [Lee 2002] [Lee 2006] ont proposé des techniques et des usages des formes cinétiques, no-tamment typographiques, pour leur capacité à diriger l’attention visuelle, enrichir l’information ou transmettre des émotions.

Formes et espaces : Principes de continuité en Architecture et Urbanisme

Dispositif spatial et continuité d’accès des espaces architecturaux

L’architecture d’Art ou de Bâtiment, c’est la construction d’un ensemble de structures ou édifices, organisant l’espace en dispositif spatial pour répondre à des usages (habitat). Ce dispositif spatial organise l’espace physique in-terne et externe (« entourement ») en espace architectural, matérialisant des limites : tracés, discontinuités, élévations, englobements, mais surtout articu-lant des relations de passage, ouvertures et circulations. En créant ces limites et passages, l’architecte compose des discontinuités et continuités d’accès (de déplacement au sens médium-substances de Gibson) perceptuels et physiques aux espaces fonctionnels de la structure spatiale.
Figure 13 : Continuité d’accès : dessin de Ching illustrant le principe de l’accès perceptif en fonction du niveau d’élévation (à gauche), continuité des espaces et ouvertures vers l’extérieur, Concrete Shell Villa (Japon) cabinet d’architecte ARTechnic (à droite)
La Figure 13 présente deux illustrations de ce principe de continuité d’accès perceptuel et physique aux espaces (ouvertures, circulation) et de continui-té de l’espace architectural à l’entourement. Le dessin à gauche, extrait du livre d’introduction aux éléments architecturaux de Francis Ching « Archi-tecture: Form, Space & Order » [Ching 2007], présente l’impact de la création d’élévations sur l’accès visuel et sur la continuité des espaces. Le plan « bas » d’élévation de la vue (1) maintient un accès total et symétrique, perceptuel et de déplacement, pour l’ensemble des personnes présentes ; le plan en « ter-rasse », d’élévation moyenne (2) n’autorise plus la circulation et contraint fortement l’accès perceptuel, le plan d’élévation « haute » correspondant à la hauteur d’un étage (3) est asymétrique, n’autorisant l’accès visuel que pour la position balcon. L’image à droite est une photo prise de l’intérieur d’une architecture d’habitat contemporaine, Concrete shell villa, située près de Na-gano au Japon, et créée par le cabinet d’architecte ARTechnic. Le dispositif spatial est conçu à partir de formes courbes rappelant les coquillages. Cette coque de béton forme une enveloppe continue qui s’enroule du sol au plafond et sur elle-même, protégeant des espaces intérieurs continus avec un parquet qui se prolonge en terrasses extérieures. La construction très largement ou-verte sur l’extérieur s’intègre à la forêt qui l’entoure. Cette double continuité du projet architectural, qui vise à la fois à garantir l’accès aux espaces pour les habitants, et à adapter/intégrer la forme architecturale à l’environnement (culturel, social, topographique, climatique…) est représentative des principes de design de l’architecture contemporaine.

Harmonie de composition et continuité d’usage des espaces architecturaux

L’architecture conçoit l’habitat à partir de son usage humain. Elle utilise des modèles biomécaniques et morphométriques, pour standardiser un ensemble de métriques et normes de construction de l’habitat favorisant l’accessibilité, l’activité et la circulation des hommes au sein des édifices.
Cette conception fonctionnaliste de l’architecture issue du Bauhaus permet de mettre en œuvre un système global de proportions pour penser et instru-menter l’harmonie. Le Corbusier conçoit ainsi en 1943 un système de mesures harmoniques en accord avec la stature humaine [Le Corbusier 1943]. Il définit une grille de mesures et de proportions le Modulor (cf. Figure 14), s’appuyant sur la notion de « Nombre d’Or ». Cette grille est très largement utilisée en architecture. Elle donnera naissance à la notion de gabarits de composition utilisés par les designers graphiques (PAO, édition, Web, IHM).
Figure 14 : Le modulor, un système de mesure harmonique pour l’architecture conçu par Le Corbusier (1943), métriques humaines basées sur le nombre d’or (à gauche), application aux formes architecturales (à droite).
Le modulor est un modèle harmonique qui présente un exemple de mise en œuvre du principe de continuité. La conception basée sur l’usage du nombre d’or expose une récurrence multi-échelle des unités de mesure (cf. Figure 14 à gauche), à l’image des fractales (voir 1.2.1.2.). Plus important, la Figure 14 à droite présente l’usage de ce système harmonique pour la conception d’habitat normalisé. Cette normalisation par exemple de la dimension des éléments architecturaux permet aux habitants d’utiliser de façon continue les espaces qui sont adaptés à leur morphologie et à leurs occupations posturales de l’espace.

Continuité modèle-programme : du modèle formel à la construction de l’édifice

Figure 15 : Deux modèles formels architecturaux : plan d’un étage de bureau de la « Tour bleue » de Charleroi par l’architecte Jean Nouvel (à gauche), projet Coral Reef de l’architecte Vincent Callebaut (à droite)
La Figure 15 présente deux modèles formels de projets architecturaux. L’image de gauche est un plan des étages de bureaux de la future Tour bleue, de l’hôtel de police de Charleroi (Belgique). Le plan est un élément central de la conception architecturale permettant une représentation très précise, di-rectrice de la construction, du modèle conceptuel formel de l’architecture. Ce plan montre comment une pensée globale de la forme (gestalt), ici basée sur une double courbe plane (ovoïde externe et cercle interne), modélise la conti-nuité architecturale et définit la géométrie des composants internes (bureaux, circulations) dans le but d’offrir un support à l’activité. La Figure 15 à droite est une illustration de principe du projet Coral Reef de construction d’un vil-lage vert en Haïti, conçu par l’architecte belge Vincent Callebaut. Ce modèle formel s’inspire de la forme organique d’un récif corallien pour composer des cellules d’habitat le long de deux trajectoires curvilignes. Cette composition de nombreuses formes régulières parallélépipédiques est basée sur leur mise en relation à des trajectoires linéaires de type « datum » [Ching 2007].

Continuité de représentation des espaces urbains

L’urbaniste et architecte Kevin Lynch a été l’un des premiers chercheurs à s’intéresser à la perception de l’espace urbain et à analyser les représentations mentales des villes en termes d’images avec des critères tels que la lisibilité, l’orientation ou la mémorisation [Lynch 60]. Il crée le concept d’« imagibilité » des formes urbaines, ou leur capacité à faciliter la création d’images mentales partagées. Une forte imagibilité permet à l’utilisateur (habitant) de percevoir la ville comme une structure fortement continue, comme « un enchaînement d’objets distinctifs entretenant des relations claires ». Pour Lynch, la forme physique de la ville permet la production d’une image à travers cinq types d’éléments fondamentaux : les voies ou paths (rues, trottoirs, sentiers, lignes de transport) qui structurent la géométrie de l’espace et l’organisation du mouvement, les limites ou edges (rives, tranchées, murs) qui forment des rup-tures et organisent des sous-espaces urbains, les nœuds ou nodes (jonctions de voies ou de modes de transport, certaines places), les points de repères ou landmarks (bâtiment remarquable ou monument, élément géologique ou végétal) et les quartiers ou districts, zones formées ou identifiées par des caractéristiques internes propres, typologie architecturale, caractéristiques sociales, spécialisations fonctionnelles, et permettant la sensation d’entrer, d’être ou de sortir d’un espace « homogène ».

Table des matières

1. INTRODUCTION 
Continuité : émergence d’un concept au service de l’architecture graphique des interfaces humain-système
1.1. Définitions
1.2. Principes, concepts ou propriétés de continuité : emprunts à différents champs disciplinaires
1.2.1. Concept de continuité en Mathématiques et en physique
1.2.1.1. Mathématiques : fonctions continues
1.2.1.2. Physique : discontinuité de la matière et de l’énergie ?
1.2.2. Concepts de continuité en psychologie
1.2.2.1. Continuité de perception, d’action et de déplacement : une approche écologique
1.2.2.2. Psychologie de la forme et loi de continuité
1.2.2.3. Continuité perceptuelle : une image mentale partielle de l’environnement
1.2.3. Contraste et Harmonie, principes de continuité dans les Arts graphiques
1.2.3.1. Continuité dans les représentations graphiques
1.2.3.2. Contraste et Harmonie : un double principe clef des Arts et de la création plastique
1.2.3.3. Continuité visuelle, continuité de sens
1.2.3.4. Composition graphique et continuité de lecture
1.2.4. Motion design et continuité temporelle
1.2.4.1. Représentation visuelle statique et perception continue du temps
1.2.4.2. Image animée et animations graphiques
1.2.4.3. Motion Graphics Design
1.2.5. Formes et espaces : Principes de continuité en Architecture et Urbanisme
1.2.5.1. Dispositif spatial et continuité d’accès des espaces architecturaux
1.2.5.2. Harmonie de composition et continuité d’usage des espaces architecturaux
1.2.5.3. Continuité modèle-programme : du modèle formel à la construction de l’édifice
1.2.5.4. Continuité de représentation des espaces urbains
1.2.5.5. Continuité forme-contexte de l’architecture adaptative
1.2.6. Synthèse et principes de continuité et de discontinuité
1.3. Continuité et discontinuité dans les systèmes interactifs : élaboration d’un concept
1.3.1. Questionnements
1.3.2. Définition d’une problématique de recherche
1.3.2.1. Une problématique pour l’interaction homme-machine
1.3.2.2. Un processus de recherche
1.3.2.3. Des apports attendus
1.4. Trois explorations du concept de continuité pour les systèmes interactifs
1.4.1. Exploration 1 : élaborer un système de formes favorisant la lisibilité comme matériau graphique pour l’interface
1.4.2. Exploration 2 : penser la cohérence et la continuité des espaces interactifs mixtes entre physique et numérique
1.4.3. Exploration 3 : promouvoir le concept de continuité pour revisiter l’architecture graphique de l’interface des systèmes interactifs complexes
2. DEUXIEME PARTIE  Aeronautical Fonts: concept de continuité et design de composants textuels adaptés aux contextes critiques
2.1. Contexte industriel et de recherche
2.1.1. Contexte du projet et objectifs industriels
2.1.2. Contexte de recherche et implication
2.2. Analyse initiale
2.2.1. Analyse des besoins et de l’existant technique
2.2.1.1. Analyse de l’activité et des besoins
2.2.1.1.1. Cockpit : activités multiples et interfaces complexes
2.2.1.1.2. Observation de l’activité des équipages commerciaux
2.2.1.1.3. Un contexte d’usage et des besoins très spécifiques
2.2.1.1.4. Identification des besoins pour le design typographique
2.2.1.2. Analyse technique de l’existant
2.2.1.2.1. Interfaces du cockpit et types de représentation
2.2.1.2.2. Architecture des plans d’affichage du cockpit
2.2.1.2.3. Fontes CDS : gabarit, forme des lettres et discrimination visuelle
2.2.2. États de l’art lisibilité
2.2.2.1. Traitement perceptif de l’information visuelle textuelle affichée sur écran
2.2.2.1.1. Saccades et fixations oculaires
2.2.2.1.2. Processus de lecture et identification des caractères
2.2.2.1.3. Perception visuelle et fréquences spatiales
2.2.2.2. Principes et moyens typographiques de la lisibilité
2.2.2.2.1. Primitives typographiques : structurer la lisibilité de la lettre
2.2.2.2.2. Régularités typographiques : garantir la continuité de lecture
2.2.2.2.3. Corrections optiques
2.2.2.2.4. Invariants typographiques : ajuster les propriétés graphiques
2.2.2.2.5. Lisibilité des typographies numériques
2.2.3. Des exigences aux principes de design
2.2.3.1. Exigences
2.2.3.2. principes de design
2.2.3.3. Une phase de conception basée sur l’expérimentation
2.3. TypoAero : conception typographique et mise en oeuvre du principe de continuité
2.3.1. Exploration des solutions
2.3.1.1. Anatomie comparée de polices de caractères lisibles
2.3.1.2. Augmenter la discrimination en vision basse fréquences
2.3.1.2.1. Améliorer la prédiction en vision périphérique
2.3.1.2.2. Effets visuels de l’application d’un flou gaussien
2.3.1.3. Discontinuité graphique : un concept de design pour garantir la lecture en contexte dégradé
2.3.1.3.1. Un besoin graphique de discontinuité visuelle
2.3.1.3.2. Le principe de l’utilisation d’incises pour discriminer la forme
2.3.1.3.3. Augmenter la discontinuité des rendus visuels
2.3.1.4. Organiser la régularité typographique pour favoriser la continuité
de lecture
2.3.1.4.1. Moyens typographiques de la continuité : orientation d’outil et régularité de tracé
2.3.1.4.2. Structure visuelle continue : définition des alignements
2.3.2. Premières créations typographiques d’une fonte TypoAero
2.3.2.1. Études typographiques : principes de forme et style
2.3.2.2. Mise en forme vectorielle
2.3.2.3. Premier prototype logiciel
2.3.2.4. Réalisation des glyphes de test
2.3.3. Un processus de design centré expérimentation
2.3.3.1. Expérimentation 1 : évaluer la lisibilité-discrimination
2.3.3.1.1. Dispositif et protocole expérimental
2.3.3.1.2. Résultats expérimentaux
2.3.3.2. Matrices de confusion : mesurer la discontinuité
2.3.3.2.1. Réalisation des matrices de confusion
2.3.3.2.2. Analyse des distributions et métriques de confusion
2.3.3.2.3. Augmenter la discontinuité : enseignements pour itérer le design
2.3.3.3. Expérimentation 2 : espace continu de paramétrage des propriétés
2.3.3.3.1. Protocole expérimental
2.3.3.3.2. Résultats expérimentaux
2.3.3.4. Identifier des valeurs continues de paramétrage
2.3.3.5. Expérimentation 3 : évaluer la continuité et le confort de lecture
2.3.3.5.1. Méthodologie et protocoles
2.3.3.5.2. Résultats des tests de comparaison par paires
2.3.3.5.3. Résultats qualitatifs des interviews et questionnaire
2.4. De TypoAero à AI-B612 : production d’un composant logiciel pour l’industrie aéronautique
2.4.1. Développement et validation
2.4.2. Livraison : une famille de 8 fontes numériques
2.4.2.1. Fontes AI-B612 à espacement proportionnel
2.4.2.2. Fontes AI-B612 monospace
2.4.2.3. Jeux de caractères
2.5. Conclusion et perspectives
2.5.1. Travail réalisé
2.5.1.1. Objectifs industriels et valorisation
2.5.1.2. Résultats de recherche
2.5.1.2.1. Conception typographique pour l’IHM
2.5.1.2.2. Apports du concept de continuité
2.5.1.3. Perspectives
3. TROISIEME PARTIE  Strip’TIC : explorer la continuité des espaces interactifs entre mondes physique et numérique.
3.1. De l’architecture hybride à l’interaction tangible : continuité de l’espace physique et numérique
3.1.1. Continuité architecturale et urbaine
3.1.1.1. Espaces à perception continue
3.1.1.2. Espaces à perception fragmentée
3.1.1.3. Espaces architecturaux sensibles et continuité physique-virtuel
3.1.2. Continuité des espaces interactifs entre mondes physique et numérique
3.2. Un espace interactif tangible basé sur le strip papier
3.2.1. Contexte de recherche
3.2.2. Contexte d’activité : contrôle aérien d’approche et stripping
3.2.2.1. Le contrôle aérien en France
3.2.2.2. Évolution des interfaces contrôleurs : strips papier, électroniques ou stripless
3.2.2.2.1. Du strip papier au « stripless »
3.2.2.2.2. Premiers strips papier augmentés : Caméléon
3.2.2.2.3. Strips électroniques : De DigiStrips à SmartStrips
3.2.2.2.4. DigiStrips : Continuité gestuelle, spatiale et visuelle
3.2.2.2.5. ASTER : transition continue entre vue « radar » et vue « tableau »
3.2.2.2.6. MAMMI : travail coopératif et continuité temporelle
3.2.3. Strip’TIC : une plateforme d’interaction mixte pour l’ATC
3.2.3.1. Description du dispositif interactif de Strip’TIC
3.2.3.2. Observations des contrôleurs aériens et ateliers participatifs
3.2.3.2.1. Séances d’observations des contrôleurs en contexte opérationnel
3.2.3.3. Ateliers participatifs
3.3. Cohérence et continuité de l’espace interactif entre physique et numérique
3.3.1. Cohérence de l’interaction et continuité entre surfaces
3.3.1.1. Un espace continu d’interaction multi-surfaces
3.3.1.2. Exemple 1 : cohérence de l’interaction entre surfaces et filtrage de vols
3.3.1.3. Exemple 2 : continuité objet-substrat et extension du strip
3.3.2. Continuité physique-numérique de l’interface : un Window Manager tangible
3.3.2.1. Un concept de Window Manager Tangible ?
3.3.2.1.1. les fonctions du Window Manager
3.3.2.1.2. Étendre le concept de Window Manager au tangible
3.3.2.2. Fenêtres numériques en papier et gestion des vues
3.3.2.3. Gestion des événements et transformation des coordonnées des objets physiques
3.3.2.4. Rendu graphique sur l’interface physique et continuité « plastique » de l’interface
3.3.3. Interactions continues entre physique et numérique
3.3.3.1. Exemple 3 : continuité d’usage entre strip papier et strip virtuel
3.3.3.2. Exemple 4 : calcul tangible des heures de sortie de stacks
3.4. Continuité perceptuelle et cognitive, continuité temporelle et programmation de l’action
3.4.1. Continuité perceptuelle des composants de représentations : substrat et impressions physiques et lumineuses du strip
3.4.1.1. Une impression mixte multicouches
3.4.1.2. Continuité visuelle et dimensions perceptuelles des matériaux et des impressions
3.4.1.2.1. Continuité perceptive
3.4.1.2.2. Modalités de mélange optique réel-virtuel
3.4.1.2.3. Dimensions perceptuelles des matériaux et des impressions
3.4.2. Continuité de l’activité : encodage et programmation de l’action
3.4.2.1. Encodage temporel de l’espace de travail
3.4.2.2. Programmation de l’action
3.4.2.3. Exemple 5 : timer de turbulence de sillage
3.4.3. Continuité physique-numérique et capacités d’externalisations cognitives
3.4.3.1. Externalisation des fonctions cognitives
3.4.3.2. Continuité physique-numérique : la « révolution cognitive »
3.4.3.3. Discontinuité entre externalisations cognitives : des alarmes implicites
3.4.3.4. Exemple 6 : utilisation de strips virtuels isolés
3.5. Continuité interactive entre surface et espace
3.5.1. Continuité interactive entre contact de surface et espace 3D
3.5.2. Continuité physique-numérique par l’interaction gestuelle
3.6. Conclusion et perspectives
3.6.1. Travail réalisé
3.6.1.1. Identification des aspects collectifs et personnels de la recherche
3.6.1.2. Synthèse et apports au concept de continuité
3.6.2. Perspectives
4. QUATRIEME PARTIE  Continuous GUI : apports du concept de continuité pour architecturer l’interface graphique utilisateur des systèmes complexes.
4.1. Architecture graphique des interfaces : des choix impactant la continuité visuelle et d’usage ?
4.1.1. Principes graphiques de l’interface utilisateur
4.1.1.1. Vitalité du paradigme WIMP
4.1.1.2. Principe de séparation et cloisonnement des activités
4.1.2. GUI, des problèmes de continuités
4.1.2.1. Segmentations graphiques et problèmes de continuité
4.1.2.2. Hétérogénéité spatiale et de représentation et problèmes de continuité graphique
4.1.2.3. Opacité des structures et problèmes de continuité interactive
4.2. État de l’art : apports pour un concept de continuité
4.2.1. Apports de travaux IHM que nous associons au concept de continuité
4.2.1.1. Continuité architecturale et plasticité de l’espace interactif
4.2.1.1.1. 2D+ : nouvelles géométries pour l’interface graphique
4.2.1.1.2. Composition de structures graphiques interactives
4.2.1.2. Par-delà la segmentation logicielle : construire de la continuité d’usage
4.2.1.2.1. Association de fenêtres et connexions entre applications
4.2.1.2.2. Mécanismes de navigation et continuités d’interaction et d’usage
4.2.1.2.3. Annotations libres ou « dissolution des fenêtres »
4.2.1.2.4. Repenser l’espace
4.2.1.3. Continuités des visualisations et des représentations
4.2.1.3.1. Techniques de visualisations et représentations continues
4.2.1.3.2. Continuités graphiques et interactives et transitions visuelles
4.2.1.3.3. Continuité visuelle et lecture des informations
4.2.1.3.4. Continuité d’accès visuel aux contenus et continuité de représentation des informations temporelles
4.2.1.3.5. Abstraction, adaptation, variations visuelles
4.2.2. Apports externes à l’IHM : interroger la continuité perceptuelle et structurelle des formes et des espaces
4.2.2.1. Espace et formes, heurts et obstacles
4.2.2.2. Limites et passages dans les espaces architecturaux
4.2.2.3. Forme et déformation des objets architecturaux
4.3. Continuous GUI : définition d’une problématique
4.3.1. Expression de besoins pour la continuité
4.3.1.1. Systèmes interactifs critiques et interfaces complexes du cockpit
4.3.1.1.1. Évolution des interfaces du cockpit
4.3.1.1.2. Nouveaux concepts IHM, nouveaux besoins graphiques
4.3.1.2. Systèmes grand public : surface d’affichage restreinte et activités complexes
4.3.1.2.1. Diversité des dispositifs, complexité graphique et limitations de l’affichage
4.3.1.2.2. Recueil de besoins : gestion de l’affichage en contexte multi-applications
4.3.1.2.3. Observations des utilisateurs
4.3.1.3. Configuration graphique des interfaces par les utilisateurs
4.3.1.3.1. Interfaces du cockpit : un système d’affichage verrouillé
4.3.1.3.2. Interfaces grands-publics : une personnalisation limitée
4.3.2. Continuous GUI: ouvrir l’espace perceptuel et d’interaction de l’interface graphique
4.3.2.1. Explorer la conception d’espaces interactifs continus
4.3.2.2. Principes pour un Design de la continuité dans les GUI
4.3.2.3. Augmenter l’adaptativité graphique pour les utilisateurs et pour les concepteurs
4.4. Exploration de design de la continuité pour les GUI
4.4.1. Idéations
4.4.1.1. Ateliers habitats interactifs, phase 2
4.4.1.2. Roughs d’exploration du concept de continuité
4.4.1.2.1. Surface continue d’interaction pour le cockpit
4.4.1.2.2. Interface graphique multi-plans
4.4.1.2.3. Generalized scrolling view spaces
4.4.1.2.4. Crossing Digital Places
4.4.1.2.5. Crossing windows boundaries
4.4.1.2.6. Porous Graphical Structures
4.5. Implémenter la continuité dans les interfaces graphiques
4.5.1.1. Espace graphique et interactif continu pour le cockpit
Scénario 1 : « creative fly deck »
4.5.1.2. Représentation adaptative pour une interface multi drones
4.5.1.3. « Rapprocher » l’objet pour garantir l’accès
Scénario 2 : « Embedded keyboard »
4.5.1.4. Augmenter les limites pour favoriser l’accès aux ressources
Scénario 3 : « Augmented Boundaries »
4.5.1.5. Construire des passages par-delà les frontières applicatives
Scénario 4 : « Windows Transitions »
Maquettage non fonctionnel
Prototypage fonctionnel : première itération
Prototypage fonctionnel : deuxième itération
4.6. Conclusion et perspectives
4.6.1. Rappel des objectifs
4.6.2. Travail réalisé et apports au concept de continuité
4.6.2.1. Analyse initiale
4.6.2.2. Synthèse des explorations de design
4.6.3. Perspectives
CONCLUSION GÉNÉRALE 
Bibliographie générale 
Glossaire aéronautique
Glossaire typographique

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