Archives et représentations du monde

Archives et représentations du monde

Dans ce dernier chapitre, après avoir montré quelles sont les contraintes rencontrées par les producteurs du journal télévisé et comment celles-ci se retranscrivent dans les reportages présentés aux téléspectateurs, nous voudrions dépasser le cadre du dispositif de création de ce programme et interroger le recyclage des images d’archives dans les journaux télévisés du point de vue du téléspectateur, et donc, l’inscription et le sens de ce phénomène dans notre société. Dans une démarche pragmatique, nous souhaitons nous interroger sur la manière dont le téléspectateur construit du sens en visionnant une séquence d’images d’archives dans un reportage. Mettre en question cette construction nous amène à prendre en compte plusieurs aspects. Le téléspectateur a-t-il conscience de regarder un recyclage d’images ? Autrement dit, comment un recyclage d’images devient-il une citation ? Ensuite, que le recyclage soit explicité ou non, de quelle façon le téléspectateur l’interprète-t-il ? De la question de l’interprétation des images recyclées, découlent celles de sa correspondance avec nos représentations du monde et de son influence sur celles-ci. Pourquoi une séquence d’images peut-elle en remplacer une autre et que pouvons-nous en déduire sur la création de nos répertoires visuels ? Pour finir, nous souhaitons élargir notre réflexion et confronter nos conclusions à l’ensemble des images diffusées dans les journaux télévisés. Ce qui, dans une optique proche des Cultural Studies, nous conduira à proposer des pistes afin de saisir comment les publics utilisent et se réapproprient le journal télévisé. Point de vue qui nous amènera à appréhender les journaux télévisés sous l’angle de leur rôle de lien social et comme source d’inspiration de conversations « neutres » lors de nos relations inter-individuelles.

Avant d’étudier à proprement parler les « effets » possibles du recyclage d’archives, dans la construction de la représentation du monde du téléspectateur, voyons d’abord la première question dont résultent toutes les autres, celle de l’ampleur du phénomène. Est-il nouveau et comment évolue-t-il ? Déterminer son importance actuelle et son évolution probable nous entraînera à mieux comprendre ses liens avec la sphère sociale. Un quart des reportages du Six’ du mois d’octobre 2002 ont utilisé le recyclage d’images d’archives. Mais qu’en est-il de la durée effective de ces dernières dans une édition ? Afin de nous représenter leur volume horaire dans un journal télévisé, nous extrêmes357, nous obtenons une moyenne d’une minute et six secondes. Soit entre 10 et 15% de la durée totale des reportages de l’édition. C’est-à-dire que le Six’, d’une durée comprise entre dix et onze minutes, recyclera le plus souvent entre une et une minute trente d’archives. Le Six’ est une édition « tout images ». Elle est donc soumise à des nécessités de mise en images que les éditions « incarnées » ne rencontrent pas. Nous avons suivi la même méthode pour étudier la même première semaine d’octobre du journal de 20h00 de France 2358. La fourchette du temps effectif de recyclage d’archives se situe aussi entre 10 et 15% de la durée totale d’une édition : pendant ses trente minutes, le journal de 20h00 de France 2 recycle, en moyenne, entre trois et cinq minutes d’archives.

La place prise par le recyclage des images d’archives dans les journaux semble donc comparable entre les principaux journaux télévisés français actuels. Mais ce phénomène, observé au début du vingt-et-unième siècle, est-il inédit et quelle peut en être son évolution ? Étudier l’évolution du recyclage des images d’archives à travers les journaux télévisés français amènerait à devoir reconsidérer un nouveau corpus. Cependant, sans avoir à recourir à ce dernier, nous pouvons postuler que le recyclage des archives demeure un phénomène aussi ancien que le montage. Afin nous doter tout de même d’un point de comparaison historique, nous avons étudié, ce que nous propose le site web grand public de l’INA : « le journal de notre naissance », qui, dans notre cas, correspond à l‘édition du journal de 20h00 de TF1 du 23 mai 1977. Cette édition, présentée par Roger Gicquel, a pour titre principal la grève générale en France prévue pour le lendemain. Pour traiter ce sujet, le journal de TF1 nous montre deux reportages : le premier concerne les secteurs touchés par la grève (1 minute 45 secondes), le second, en deux parties, s’intéresse à la représentation syndicale dans les entreprises (57 secondes). Nous entendons des interviews des représentants syndicaux et du Premier Ministre de l’époque, Raymond Barre (2 minutes 15 secondes). Le premier sujet est donc une annonce de grève et de ses répercussions pour les usagers.

 

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