Caractérisation des jeux comme offre de médiation dans un musée 

Conception par le jeu et patrons de conception

La première solution est décrite par [Anderson et al., 2010]. L’idée est de concevoir le jeu sérieux d’abord comme un jeu et d’y intégrer un contenu informatif [Albarez and Djaouti, 2010]. Concevoir un jeu est une activité actuellement essentiellement empirique [Marne, 2014], [Schell, 2010]. Afin de faciliter le processus, certains concepteurs utilisent des patrons de conception qui référencent des problèmes ou les questions récurrents qui se posent lors de la conception et proposent des solutions ou des réponses génériques. Ils indiquent aussi les liens ou les antinomies éventuels entre deux patrons. La plus importante recherche sur les patrons de conception pour la création de jeux a été réalisée par [Björk and Holopainen, 2005].
Des recherches sont entreprises pour déterminer des patrons spécifiques aux jeux sérieux.
Ainsi, certains chercheurs établissent des correspondances entre patrons de conception de jeu et fonctions d’apprentissage afin de référencer ceux qui possédent du potentiels éducatifs [Kelle and al., 2011b]. D’autres analysent directement les jeux sérieux pour y mettre en lumière des problèmes spécifiques et rédiger les patrons de conception correspondants ([Huynh-Kim-Bang et al., 2010]).

Conception par l’activité sérieuse et motivation

La seconde solution est la « gamification » [Alvarez and Djaouti, 2010]. Elle consiste à ajouter des éléments de jeux à une activité non ludique. Ils créent l’engagement du joueur et transforment une activité sérieuse en moment ludique. [Deterding et al., 2011] [Yohannis et al., 2014]. L’engagement est la capacité d’une activité à captiver et motiver le joueur [Liu et al., 2011]. D’après Olivier Mauco, concepteur de jeux et sociologue, le jeu vidéo possède cette propriété car il intègre dans un tout, un système d’évaluation, des objectifs et une narration qui contribuent à renforcer la motivation [Mauco, 2012a]. La motivation apparaît donc comme un élément central des jeux en général et de la gamification en particulier, car elle peut être mise en œuvre dans le cadre d’une politique d’accompagnement d’un changement de comportement [Deterding et al., 2011] [Liu et al., 2011] [Gutafsson et al., 2009] [Thorn et al., 2012].

Efficacité des jeux sérieux et adaptation

Si l’on en croit la synthèse réalisée par Damien Djaouti [Djaouti, 2016], les jeux sérieux présentent un fort potentiel éducatif. Ils sont sources de motivation pour l’apprenant par les retours réguliers et entretenus sur ses actions. Sa construction sur le principe d’essaierreur encourage le joueur à formuler des hypothèses et à les tester, jusqu’à trouver une solution, sans crainte d’être ridiculisé par les autres joueurs pour ses erreurs. Chacun avance à son rythme, les plus rapides ne sont pas freinés par les plus lents. Lorsque les jeux encouragent un travail collectif au sein de l’environnement virtuel, cette collaboration se transfère également dans l’univers réel. Mais quelle est l’efficacité réelle de ces jeux ?
Celle de la gamification ne semble exister que sur le court terme. En effet, les mécaniques de jeu appelées PLB, pour Point-Leaderboard-Badge développent l’attitude du « scoring », c’est à dire la pratique du score pour le score, qui ne suffisent pas à engager le joueur [Liu et al., 2011]. L’étude de [Thom et al., 2012] montre qu’un comportement est acquis tant que les récompenses existent mais qu’il disparaît lorsque cette motivation n’est plus là. Seuls les joueurs qui ont un intérêt dans ce système de valeurs s’impliqueront réellement dans l’activité gamifiée. Lors de l’arrêt de la gamification, ce sont les seuls qui continueront à maintenir le comportement nouvellement acquis [Liu et al., 2011] [Thorn et al., 2012], les autres reviendront à leur façon de faire antérieure [Thorn et al., 2012]. Pour Liu et al., une raison de cet échec est qu’une gamification n’est pas un vrai jeu. Elle ne contient que quelques mécaniques : points, badges, et tableaux d’honneur qui ne suffisent pas et apportent peu de nouveauté au cours du jeu [Liu et al., 2011]. D’après ces auteurs, il serait nécessaire d’ajouter d’autres éléments de jeu pour provoquer l’amusement, comme un avatar bien dessiné, du contenu, du flow, une interface utilisateur et un modèle d’interaction [Liu et al., 2011].

Aspects techniques

D’un point de vue technique, nous devions résoudre le problème de l’indisponibilité de réseau global dans le musée. Le bâtiment dans lequel se trouve le Musée des arts et métiers est un bâtiment classé aux Monuments historiques. Il n’est donc pas possible d’y faire des travaux dans le but d’une expérimentation. L’installation d’un système WiFi s’est donc révélée problématique et nous ne disposions d’aucune carte SIM pour nos téléphones Nokia 6131 à lecteur NFC . La géolocalisation à l’intérieur du bâtiment ne pouvait s’effectuer que par des puces NFC apposées sur des bornes, installées à proximité des objets mis en valeur par le jeu.
Les solutions de géolocalisation indoor sur étagère qui existent aujourd’hui, n’existaient pas en 2009. Par ailleurs, il n’était pas possible de télécharger du contenu sur les téléphones. C’est pourquoi, chaque terminal possédait les contenus et les médias nécessaires, ainsi que le moteurde jeu et son état.
Celui-ci était utile pour guider le joueur vers les cartes virtuelles qui lui manquaient.
Grâce à l’état du jeu, le joueur obtenait des indices sur la localisation de ses cartes manquantes. Pour que le joueur dispose de ces informations sans réseau global, Michel Simatic a défini une mémoire répartie partagée (ou DM pour Distributed Memory, cf Figure 8), dont la mise à jour reposait sur le réseau constitué par les terminaux de lectures des différents joueurs et les puces NFCs associées aux objets [Simatic, 2012].

Description de la mémoire partagée

Le principe en était le suivant : il existait une mémoire répartie partagée entre les terminaux et les puces NFC. Cette mémoire était constituée d’enregistrements. Chaque enregistrement représentait le contenu d’une étiquette NFC. Il contenait un identifiant de carte virtuelle (DMmi[j] ou DMri[j]) et un vecteur d’horloge (VCmi[j] ou VCri[j]) qui matérialisait une date logique dans l’évolution de l’application.

Analyse du jeu

PSM est un jeu pervasif car il mêle le monde réel du joueur au monde virtuel des objets personnalisés. Chaque œuvre avait été imaginée avec un caractère spécifique. Celui-ci transparaissait dans les commentaires qu’effectuaient la carte le représentant, lorsqu’elle changeait d’emplacement : borne ou téléphone. Autrement dit, à chaque lecture et écriture NFC, le monde virtuel du jeu s’invitait dans le monde réel. PSM est un jeu émergeant. Selon Jesper Juul, tous les jeux peuvent s’exprimer selon une combinaison de deux types élémentaires : les jeux émergeants et les jeux de progression [Juul, 2005]. Un jeu émergeant possède « des règles pour fournir plusieurs variations », autrement dit, le joueur combine un nombre réduit de règles pour définir ses stratégies de jeu [Juul, 2005]. Le jeu d’échec est un jeu « émergeant ». PSM n’offre que quatre règles : « échanger avec une borne », « échanger avec un autre joueur », « répondre aux quiz », « lire les focus ». C’est l’association de ces règles simples, et notamment les trois premières, qui autorise la progression du jeu. C’est pourquoi nous pouvons dire que PSM est un jeu émergeant. Si nous nous intéressons aux graphes des missions, ou graphes des gameplay , qu’il propose, nous pouvons associer cette émergence à l’aspect cyclique du graphe où toutes les missions sont en relation entre elles, à l’exception du focus (cf Figure 10). Le joueur de PSM a la possibilité de construire ses tactiques, c’est à dire de construire son graphe de missions, en fonction de celles qui sont autorisées. Cette possibilité est assurée par les relationsbidirectionnelles reliant la plupart des missions du jeu 2 à 2.

Architecture technique

Le second jeu du projet PLUG étant plus complexe, il nécessita une architecture en conséquence. Les équipes devaient pouvoir se localiser grâce aux puces NFC mais également explorer dans des conditions décentes les multiples documents aux nombreux formats nécessaires pour répondre aux énigmes. Le téléphone Nokia 6131 NFC ne possédait pas un tel écran ni la taille mémoire nécessaire pour stocker les différents médias. Les iPhone permettaient cette consultation, possédaient une connectivité possible en 3G ou WiFi mais pas de lecteur NFC. Aucun téléphone ou smartphone, à l’époque, ne possédait les deux fonctionnalités simultanément. C’est pourquoi, les joueurs disposèrent des deux terminaux.
Travaillant en équipe, cela ne causa pas de problème et les rôles s’attribuèrent tous naturellement entre les différents équipiers. D’autre part, un réseau ZigBee fut conçu et installé dans le musée afin de pouvoir transmettre les données de l’accéléromètre et de l’électrocardiogramme (ECG) à la logique de jeu centrale [Topol et al., 2015].
L’architecture de l’application était une architecture client/serveur. La partie cliente, appelée aussi logique cliente ou « front end » dans les solutions du marché, était installée sur l’iPhone et gérait l’interface avec le joueur : apparition des énigmes, réception des réponses, affichage des documents demandés par les joueurs. La partie serveur, ou logique de jeu serveur ou « back end » dans les solutions du marché, était implantée au sein de l’intergiciel uGasp (ubiquitous GAming Services Platform). uGASP est un intergiciel orienté service (SOA, Service Oriented Architecture), conçu par Romain Pellerin lors de sa thèse [Pellerin, 2009]. Les identifiants des puces NFC lues via le téléphone Nokia 6131 NFC, les réponses auxénigmes, les paramètres utiles pour l’adaptabilité gérés par l’iPhone étaient communiqués en 3G via le protocole spécifique orienté objet, Moods, par les terminaux clients à uGasp. En plus de la logique de jeu, uGasp intègre des services de réseau, de gestion de session, de terminaux, de remontée des informations en provenance des capteurs (géolocalisation, données biophysiques) ainsi que des services systèmes [Gressier-Soudan et al, 2011]. Par ailleurs, il était capable de gérer la traçabilité des joueurs, notamment à des fins d’adaptabilité en effectuant le lien avec un moteur d’adaptabilité. Ces différents services étaient des composants, implémentés indépendamment de la logique de jeu [Gressier-Soudan, 2011] (cf Figure 19).
L’utilisation de nombreux terminaux aurait pu être déroutant pour les joueurs. Cependant, pour maintenir la cohérence du scénario et l’immersion des joueurs, chaque terminal fut intégré au sein de l’histoire. L’iPhone fut présenté comme le cartable électronique, contenant les différents sujets de l’examen d’entrée mais également les documents, livres qui permettaient d’y répondre et les feuilles de soumission des résultats. Quelques retours d’expérience ont montré que ce travail d’intégration des éléments du jeu dans l’univers du jeu a permis leur acceptation par les joueurs [Damala, 2010].

Présentation du projet

La logique transmédia du projet est répartie sur trois temps : l’avant, pendant et l’après la visite. La plupart des logiques transmedia actuelles s’articulent autour du scénario ou des personnages du scénario [Jenkins, 2008]. Dans le cadre de CULTE, elle souhaitait s’articuler autour des gratifications (points, récompenses, matériaux) acquises par les joueurs [Astic and Gressier-Soudan, 2015]. Les gratifications gagnées dans un jeu avaient un sens et une utilité dans les autres modules de la logique transmédia, qui avait été pensés sous forme de jeu également. Au moment où j’ai quitté le projet, seul le jeu in situ, c’est à dire pendant la visite, était réalisé. Il ne m’est donc pas possible de présenter la logique transmédia dans son entier. Je présenterai ici l’état du projet au moment de la dernière revue de l’Agence Nationale de la Recherche au 24 novembre 2015 qui peut être considéré comme un point stable de son développement.
L’approche de médiation définie par le MQB-JC était « d’éveiller le sens critique du visiteur, de le sensibiliser à l’altérité et à la diversité du génie créatif humain pour lutter contre les stéréotypes et toute forme de racisme » [Chenu, 2015]. Pour ce faire, l’approche scénaristique choisie par le consortium, parmi d’autres proposées par la scénariste Lucie Poirot, était un voyage initiatique à travers un dialogue avec les œuvres et une approche sensorielle des collections [Poirot, 2015]. Emmanuel Guardiola proposa plusieurs modèles de jeu (quête, gendarme et voleur, superposition d’un instrument de visite sur le plateau des collections) [Guardiola, 2015]. Celui qui semblait le plus proche de cette approche scénaristique fut la « visite-métaphore », car elle permettait une plus grande interaction avec les œuvres [Chenu, 2015] et une médiation plus facile à intégrer. Le jeu était donc un mélange d’une déambulation interactive sur le plateau des collections et d’un jeu de progression scandé par niveaux.
Concrètement, le but du jeu était de dialoguer avec le maximum d’œuvres possibles et faire preuve de clairvoyance, curiosité et sociabilité, pour pouvoir appartenir à une communauté particulière et avoir alors accès à des fonctionnalités spécifiques. Des auras sonores se déclenchaient lorsque le visiteur s’approchait suffisamment des œuvres qui acceptaient le dialogue. Ces auras intriguaient et le visiteur se guidait vers l’œuvre, grâce à un plan du musée qui lui permettait de se localiser, lui, et les objets qui s’adressaient à lui (cf Figure 27). Dans le cadre de ce projet, c’est la technologie eBeacon qui permettait la localisation indoor des visiteurs.

Table des matières
Remerciements
Résumé 
Résumé en anglais 
Table des matières
Liste des tableaux 
Liste des figures 
Liste des annexes 
Liste des annexes
Introduction : Propositions pour une médiation ludique pour les musées du XXIème siècle 
Partie 1 : Caractérisation des jeux comme offre de médiation dans un musée 
1 Définition et caractérisation du domaine de recherche
1.1 Les jeux sérieux
1.1.1 Conception par le jeu et patrons de conception
1.1.2 Conception par l’activité sérieuse et motivation
1.1.3 Conception par les environnements d’apprentissage
1.1.4 Efficacité des jeux sérieux et adaptation
1.1.5 Conclusions
1.2 Les jeux pervasifs
1.3 Les jeux transmédia
1.4 Conclusions
2 Analyse de jeux et d’applications de médiation pervasives et transmédias
2.1 Les jeux pervasifs de médiation dans un musée : le projet PLUG
2.1.1 Le jeu « Plug, les secrets du musée » (PSM)
2.1.2 Le jeu « Plug, Université Paris Nuit » (PUPN)
2.1.3 Conclusions
2.2 Des applications de médiation pervasive ou transmédia: les projets ARtSENSE,CULTE et Cartel
2.2.1 Le projet européen ARtSENSE
2.2.2 Le projet ANR CULTE
2.2.3 Le projet Cartel
2.2.4 Conclusions
3 Conclusions et problématique de thèse
3.1 Amener les visiteurs à d’intéresser aux objets
3.2 Equilibrer le jeu
3.3 Un jeu réutilisable
3.4 Une architecture souple et extensible
3.5 Bilan
3.6 Problématique de thèse
Partie 2 : Vers un jeu de visite équilibré 
1 Définir l’expérience du visiteur-joueur
1.1 La dimension ludique
1.1.1 Le profil du joueur
1.1.2 L’expérience de jeu
1.1.3 L’expérience des jeux mobiles et pervasifs
1.1.4 Conclusions
1.2 La dimension non ludique
1.2.1 Le profil du visiteur
1.2.2 L’expérience de visite
1.2.3 Conclusions
1.3 Définition et formalisation de l’expérience du visiteur-joueur
1.4 Conclusions
2 Modélisation d’un jeu de visite équilibrable
2.1 Choix et présentation de la méthode
2.2 Etude de l’architecture logicielle d’un jeu de visite
2.2.1 Etude préliminaire
2.2.2 La capture des besoins fonctionnels
2.2.3 La capture des besoins non fonctionnels
2.2.4 Regroupement en catégories
2.2.5 Développement du modèle statique
2.2.6 Les études de cas dynamiques
2.2.7 L’architecture logicielle
2.2.8 Conclusions
3 Conclusions
Conclusion
1. Conclusion
1.1 Un jeu de visite pervasif, transmédia et multi-expériences
1.2 Un équilibrage dynamique en fonction de l’expérience vécue
1.3 Les limites
2 Compléments et perspectives
Résumé 
Résumé en anglais 

projet fin d'etude

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