De la conception d’une plateforme de télétravail virtualisée et unifiée

Au début des années 2000, le développement des technologies de l’information et de la communication mobiles (TIC mobiles) a bouleversé le quotidien et surtout la mobilité des individus. Les technologies de l’information et de la communication correspondent généralement aux techniques utilisées dans le traitement et la transmission des informations, principalement de l’informatique, de l’Internet et des télécommunications. Les TIC mobiles quant à elles, regroupent un certains nombre de caractéristiques supplémentaires associées à leur caractère mobile et justifiant leur appellation. Elles ont la particularité d’être portatives et sans fil et d’offrir une connectivité permanente (« always on ») et un ensemble de produits et services personnalisés aux salariés et aux entreprises (Basole, 2004). Les individus font connaissance avec le cyberespace et les phénomènes de co-présence : il est dès lors possible d’être joignable de presque n’importe où et n’importe quand.

Le développement et la diffusion des TIC mobiles ont entrainé des évolutions dans les pratiques de mobilité. Pour autant, le concept du « anytime, anywhere » pressenti à l’arrivée de ces technologies semble avoir laissé la place à un autre genre de réalité. Plusieurs facteurs auraient contribué à modifier les prévisions de développement des pratiques de mobilité des salariés équipés de TIC mobiles : certains auteurs évoquent notamment les questions de sécurité des données et du coût que représente le déploiement des TIC mobiles en entreprise (Deans, 2002).

L’enjeu de cette plateforme, dans ses fonctionnalités innovantes, s’inscrit dans une problématique plus générale portant sur la question de la place des technologies d’information et de communication (TIC) dans les activités de travail réalisées « à distance » de son collectif de travail. Le travail à distance « équipé » renvoie à différentes configurations d’activité (Breton, 1996 ; Boboc, Dhaleine et Mallard, 2007) et concerne essentiellement les questions de sécurité des données (en ce que les salariés sont souvent restreints dans l’usage des données internes à l’entreprise en dehors des locaux de celle-ci) et d’interopérabilité des systèmes (en ce que les logiciels disponibles en dehors des locaux de l’entreprise ne permettent pas la continuité de l’information).

Cette problématique générale soulève deux questionnements analysés dans ce travail de thèse :

– Saisir la diversité des configurations de travail à distance (de l’équipement du salarié et des fonctionnalités associées).
– Comprendre les modes d’appropriation et limites d’une des technologies au cœur de la plateforme en développement : la communication unifiée.

Notre travail de recherche s’inscrit dans la perspective de l’action située (Suchman, 1987) où les modes d’appropriation d’une technologie ne sont pas constitués a priori par les individus. L’enjeu est de décrire finement les raisonnements pratiques des professionnels confrontés à la gestion compliquée de l’information « en situation » de travail à distance. Dans les situations de télétravail (et plus généralement de travail à distance « équipé » de TIC), les compétences des travailleurs ne reposent pas sur des savoir-faire « intérieurs » que les professionnels auraient a priori « dans leur tête», mais sur un environnement matériel et un contexte précis. De fait, nous cherchons à observer les technologies en pratique.

La perspective sociomatérielle se situe dans la suite des travaux de Giddens (1984). Dans les années 80, Giddens propose de dépasser la dualité individu/structure pour s’orienter vers un dualisme où aucun élément ne dominerait l’autre mais où chacun représenterait les deux faces d’une même totalité sociétale, dans une perspective dialectique. Cette vision repose elle-même sur les premiers travaux en sociotechnique (Emery, 1959) se fondant sur la représentation systémique de l’organisation, incluant les structures, les personnes, le support technologique et les tâches.

En 1992, Orlikowski définit la flexibilité interprétative de la technologie comme le «degré auquel les utilisateurs d’une technologie sont engagés physiquement et/ou socialement dans la constitution de celle-ci sur la phase de développement ou d’usage » (Orlikowski, 1992 : 409 traduit par Guiderdoni-Jourdain, 2009) décrivant alors la technologie comme une construction physique et à la fois une construction sociale. Ainsi l’auteur considère la technologie comme un « environnement énacté » dont la construction et l’usage sont conditionnés par les structures de l’organisation. En 2000, Orlikowski propose d’appréhender les interactions entre les individus et la technologie et les changements éventuels que cela produit par l’ « enactement », c’està-dire par la « mise-en-pratique » de la technologie. Chaque forme d’enactment peut être comprise à travers l’analyse des facilités (ou moyens matériels), des normes et des schèmes d’interprétation qui transforment le contenu et la nature des relations sociales récurrentes des individus. Suivant cette idée, Orlikowski (2007) développe la perspective sociomatérielle. Selon cette perspective, la matérialité de la technologie, autrement dit ses caractéristiques techniques et physiques, est indispensable à la compréhension des évolutions des pratiques et des interactions (Orlikowski et Scott, 2008). Elle considère tout autant les propriétés matérielles de la technologie que les circonstances dans lesquelles ont émergé les usages et les pratiques (Geffroy et al. 2011). Ainsi Orlikowski (2007) décrit la sociomatérialité comme une imbrication (entanglement) du social et de matériel. L’idée est que cette imbrication ne privilégie ni les humains ni la technologie dans un sens unilatéral ou même à travers une forme de lien de réciprocité : le social et le matériel doivent être considérés comme inextricablement liés. En outre, les non-humains (la technologie et ses caractéristiques matérielles) ne sont pas de simples intermédiaires d’interactions qui ne seraient que strictement humaines en ce qu’ils modifient les relations, médiatent les situations (Hennion et Latour, 1993) et sont des acteurs, ou plutôt des actants (Latour, 2006) qui, à la façon de Cooren (2006), « font une différence » dans dynamiques organisationnelles. La sociomatérialité exige donc de considérer des « actants » afin d’étudier des modalités de l’imbrication ou de l’ « entanglement » du social et du matériel.

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
I – REFLEXIONS THEORIQUES : ETAT DE L’ART DE LA LITTERATURE
INTRODUCTION A LA PREMIERE PARTIE
1. LE PARAGIDME SOCIO-ORGANISATIONNEL
2. LE PARADIGME TECHNOLOGIQUE
3. LE PARADIGME DU TRAVAIL A DISTANCE
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
II – REALITES EMERGENTES ET PARADOXES CONTEMPORAINS
INTRODUCTION A LA PARTIE 2 : PROBLEMATIQUE ET STRATEGIE DE RECHERCHE
4. LA METHODOLOGIE DE RECHERCHE ET LES DISPOSITIFS TECHNOLOGIQUES ETUDIES
5. RESULTATS : DES REALITES EMERGENTES ET PARADOXALES
6. DISCUSSION DES REALITES EMERGENTES ET PARADOXALES
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE : QUELQUES RECOMMANDATIONS
CONCLUSION GENERALE

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