Développement d’une lentille de Laue pour l’astrophysique nucléaire

Développement d’une lentille de Laue pour l’astrophysique nucléaire

L’astrophysique nucléaire 

Le rayonnement γ au sein du spectre électromagnétique

 Le rayonnement γ tient une place bien particulière au sein du spectre électromagnétique. On attribut sa d´´couverte tardive à Paul Villard au début du XXe siècle (Villard, 1900). Il représente l’extrémité ouverte du spectre, avec les ondes électromagnétiques d’énergies supérieures à environ 100 keV. Le domaine γ, déjà exploré, est également singulier par son étendue qui couvre environ 9 ordres de grandeurs en longueur d’onde, soit autant que les ondes radio, micro-onde et infrarouge réunis (Fig. 1.1). L’astrophysique γ est généralement divisé en trois domaines distincts. Les deux premiers, les γ de basse énergie et de haute énergie s’étendent respectivement de 100 keV à 50 MeV et de 50 MeV à 100 GeV. Ils ne sont observables que depuis l’espace à cause de l’opacité de l’atmosphère à ces énergies. Le troisième domaine, celui des très hautes énergies, est constitué des photons de plus 100 GeV. Ces derniers peuvent ˆetre détectés à partir du sol en observant le rayonnement Cherenkov produit lors de l’interaction de ces photons avec l’atmosphère (Jelley, 1981). Seul le premier domaine, les photons γ de basse énergie, nous intéressera dans cette thèse et plus particulièrement les énergies comprises entre 100 keV et 10 MeV contenant les transitions nucléaires (Cameron, 1957). 

 Brève histoire de l’astronomie gamma 

Une soixantaine d’années se sont écoulées entre la découverte des rayonnements γ par Paul Villard en 1900 et la première observation astrophysique. Deux raisons principales peuvent expliquer ce délai : – Tout d’abord, l’atmosphère étant opaque aux rayons γ, il était nécessaire de s’élever au dessus de celle-ci (entre 35 et 40 km minimum) pour détecter les photons avant leurs diffusions. Pour cela, il est possible d’utiliser des ballons stratosphériques. Cependant, les temps de vol limité à quelques heures ne permettent pas de réaliser les longues poses (parfois des jours), rendues nécessaires par le faible flux des sources. Ainsi, l’astrophysique γ a due attendre l’avènement de l’ère spatiale, après la seconde guerre mondiale et le développement des fusées V2, pour démarrer. – Ensuite, le rayonnement cosmique engendrait un important bruit de fond instrumental, aveuglant les détecteurs, et rendant difficile la détection d’un signal significatif. Associé au faible flux des sources observées, l’important bruit de fond retardait donc davantage la première observation de rayonnements γ extraterrestre. Malgré ces difficultés, en 1948 les instruments embarqués sur des fusées V2 permirent d’estimer le flux de rayons γ cosmique. Celui-ci s’est révélé plus de trois ordres de grandeurs inférieur au flux total de rayons cosmiques, composé principalement de protons et de noyaux atomiques (Perlow and Kissinger, 1951). C’est finalement en 1958, au dessus de Cuba, qu’un ballon stratosphérique profita d’une éruption solaire pour détecter le premier signal significatif d’un rayonnement γ (Peterson and Winckler, 1958). Dans les années 60 et 70, l’avènement des observatoires en orbite terrestre a permis de développer l’astrophysique γ avec plusieurs découvertes majeures. En 1967, le satellite militaire Vela 4 a ainsi découvert, par hasard, le premier sursaut γ (Klebesadel et al, 1973). Seulement un an plus tard, le satellite Orbiting Solar Observatory 3 (OSO 3) détecte pour la première fois un rayonnement d’énergie supérieure à 100 MeV dans le plan de la galaxie (Kraushaar et al, 1972). En 1972 son descendant, OSO 7 fit la première observation d’une raie γ nucléaire dans le spectre solaire (Chupp et al, 1973). En 1970, la raie d’annihilation e −e + à 511 keV fut observée pour la première fois, en provenance du centre galactique au cours d’un vol ballon (Johnson et al, 1972). La nature de la raie, mesurée à 473 ± 30 keV, resta encore incertaine jusqu’à la confirmation par un deuxième vol ballon en 1971 (Johnson and Haymes, 1973) puis un troisième en 1977 grâce à un détecteur de germanium à haute résolution spectrale (Leventhal et al, 1978). Les avancés technologiques dans le domaine de la spectroscopie fine permirent aux satellites HEAO-3 et SMM de découvrir respectivement, en 1979 la raie de l’ 26Al à 1809 keV dans la galaxie (Mahoney et al, 1984) et en 1981 la raie du 56Co à 847 keV dans la supernova SN-1987a (Matz et al, 1988). En 1984, SMM subit une panne qui obligea la navette Challenger à venir le réparer en orbite. Ce sauvetage permit au satellite de poursuivre sa mission jusqu’à sa rentrée dans l’atmosphère en 1989. Durant les années 90, une nouvelle génération de satellites a permis de faire entrer l’astrophysique γ dans une nouvelle ère et d’en faire un domaine à part entière de l’astrophysique. L’instrument fran¸cais SIGMA, à bord du satellite russe GRANAT, réussi à faire de l’imagerie fine dans les γ basse énergie grâce à son masque codé. Il identifia 30 sources dans la galaxie, parmi lesquelles on trouve des novae X (Goldwurm et al, 1992) et des candidats trou noirs (Grebenev et al, 1993). Durant la mˆeme période, l’observatoire américain Compton Gamma-Ray Observatory (CGRO) embarqua quatre instruments (BATSE, OSSE, Comptel et EGRET) dédiés à l’observation dans la bande 30 keV-30 GeV. Cette mission découvrit, entre autres, la distribution isotrope des sursauts γ (Meegan et al, 1992) avec l’instrument BATSE, Figure 1.2 – Première carte de l’26Al dans la Voie Lactée par Comptel à bord de CGRO (Kn¨odlseder, 1997). et réalisa la première carte du ciel de l’26Al (Fig. 1.2) avec Comptel (Kn¨odlseder, 1997). En 2002, l’observatoire européen INTEGRAL fut lancé avec à son bord les instruments SPI et IBIS, munis de masques codés et capables d’étudier les sources γ dans la bande 15 keV-10 MeV. Cet observatoire, encore en service, a permis en autres de réaliser en 2008 la carte complète de l’antimatière dans la Voie Lactée, mettant en évidence une asymétrie (Fig. 1.3) comparable à la distribution des binaires X de faibles masses (Weidenspointner et al, 2008). 1.2 Principaux thèmes scientifiques dans le MeV. Les principaux objectifs scientifiques présentés dans les paragraphes suivants sont issus de la proposition de mission, nommée DUAL, soumise à l’ESA en décembre 2010. Elle répond à l’appel d’offre M3 (mission de classe moyenne) du programme Cosmic Vision. Ces objectifs, non exhaustifs, correspondent à des interrogations de la communauté scientifique, dans le domaine du MeV et auxquelles une lentille de Laue pourrait apporter des réponses. 

 Physique des éruptions solaires 

Il y a une cinquantaine d’années, c’est une forte éruption solaire qui a permis de détecter pour la première fois un rayonnement γ extraterrestre (Peterson and Winckler, 1958). Pourtant, les propriétés physiques de ce phénomène restent en partie méconnues. Les grandes éruptions sont le théâtre d’une multitude d’émissions γ. Les raies proviennent à la fois de désexcitations nucléaires, de captures neutroniques et d’annihilations de positrons, avec un continuum issu du bremsstrahlung d’électrons  Figure 1.3 – Carte de l’émission de la raie d’annihilation e+ – e− à 511 keV dans la Voie Lactée, vue par SPI sur INTEGRAL (d’après Weidenspointner et al (2008)). accélérés. Cette émission intense véhicule de nombreuses informations sur la composition, l’énergie et la distribution des particules chargées, ainsi que sur les propriétés des boucles magnétiques (Murphy et al, 2007). Durant de grandes éruptions, le bombardement de l’atmosphère solaire par des ions lourds accélérés peut aussi produire des radio-isotopes, émettant des raies de décroissance plusieurs jours après l’éruption. L’observation de ces raies permettrait de mieux comprendre le mécanisme d’accélération et la composition des ions lourds dans les éruptions solaires (Tatischeff et al, 2006). Ramaty and Mandzhavidze (2000) proposèrent également d’utiliser la décroissance retardée des radio-isotopes, dont le 56Co, créés par le bombardement d’ions accélérés, pour étudier les phénomènes de brassage et de transport dans l’atmosphère solaire.

 Physique de l’explosion de supernovae de type Ia 

Les supernovae de type Ia (SN-Ia) ont longtemps été considérées comme homogènes et résultant de l’explosion d’une naine blanche C-O accrétant de la matière d’une étoile compagnon. Cette apparente homogénéité a incité à leur utilisation comme chandelles standards. Elles furent alors couramment utilisées en cosmologie pour déterminer des distances extragalactiques. Toutefois, en 1991, les observations de SN 1991bg (Filippenko et al, 1992) et SN 1991T (Phillips et al, 1992) ont remis en cause cette homogénéité, et mis en évidence notre incompréhension de ces objets. La nature et la diversité des progéniteurs et la relation empirique entre leur courbe de lumière et leur luminosité restent encore à éclaircir. Actuellement, les principaux modèles de SN-Ia peuvent ˆetre séparés en deux classes générales. La première est constituée de l’explosion du centre d’une naine blanche de type C/O, proche de la masse de Chandrasekhar. La seconde est formée par la détonation d’une couche d’hélium autour d’une naine blanche de plus faible masse (Sub-Chandrasekhar) (Pinto et al, 2001). L’explosion selon ce dernier modèle produit une plus grande quantité de rayonnement issus de la chaîne de décroissance 56Ni → 56Co → 56Fe. L’observation des principales raies à 847 keV et 158 keV permettrait alors de différencier sans ambigu¨ıté les différents modèles de SN-Ia (Pinto et al, 2001). Le temps nécessaire, après l’explosion, pour obtenir la luminosité maximale des raies de décroissance dépend également du modèle de SN-Ia. Ainsi l’étude minutieuse des courbes de lumières à 158 keV et 847 keV constitue un autre test des mécanismes d’explosion (Fig. 1.4 à gauche). L’étude de ces raies reste pour l’instant impossible à cause du manque de sensibilité des détecteurs dans le domaine du MeV, qui ne permettent la détection des SN-Ia que dans un rayon d’environ 8 Mpc. L’observation d’une SN-Ia par an nécessiterait une sensibilité suffisante pour les détecter dans un rayon d’environ 20 Mpc (Fig. 1.4 à droite) 

Antimatière dans la galaxie 

La rencontre d’un électron et d’un positron, de masse égale et de charge opposée, provoque leur annihilation et l’émission, d’une raie à 511 keV, ou d’un continuum de positronium (les mécanismes d’émission sont présentés §1.3.4). Les premières cartes du ciel de cette émission furent établies par CGRO/OSSE (Purcell et al, 1997) puis, plus récemment, par INTEGRAL/SPI (Kn¨odlseder et al, 2005). Cette dernière carte a montré une forte concentration dans le bulbe galactique, mais également une asymétrie le long du disque, privilégiant faiblement les longitudes négatives (Fig.1.3). Malgré cette avancée spectaculaire, les sources de positrons ainsi que leurs zones d’annihilation restent encore mystérieuses. L’émission semble diffuse et aucune source n’a encore pu ˆetre localisée, tandis que le flux au delà du disque central (< 50◦ ) n’a pas encore été cartographié. ` Plusieurs candidats coexistent pour expliquer l’émission de positrons dans la galaxie. La corrélation entre l’asymétrie de l’émission à 511 keV et la distribution des binaires X de faibles masses (LMXB) laisserait penser que celles-ci sont en partie responsables de cette émission (Weidenspointner et al, 2008). Une partie de la production de positron pourrait également provenir de la décroissance β + de radioisotopes, produit par des étoiles massives et répandus dans le milieu interstellaire (Kalemci et al, 2006). Parmi les autres hypothèses avancées, la forte émission à 511 keV dans le centre galactique suggère une possible connexion avec la matière noire, dont une forte concentration est attendue au mˆeme endroit (Boehm et al, 2004) (Hooper and Goodenough, 2010). Une cartographie plus fine des régions d’émission à 511 keV permettrait de clarifier la situation et de mieux comprendre l’origine de l’antimatière dans la Voie Lactée. L’énergie cinétique des positrons et électrons lorsqu’ils s’annihilent conduit à un élargissement de la raie. Une spectroscopie plus fine de cet élargissement permet également de remonter aux conditions physiques du plasma émetteur (Jean et al, 2006). 

Rayonnement cosmique de basse énergie

 Le rayonnement cosmique de basse énergie joue un rˆole primordial dans la chimie et la dynamique du milieu interstellaire en ionisant et en chauffant les nuages moléculaires. L’importante quantité de H+ 3 , récemment observée dans les nuages diffus interstellaires, ne peut ˆetre maintenue que par un fort taux d’ionisation de l’hydrogène moléculaire H2. Ce taux semble ainsi un ordre de grandeur supérieur à celui prédit par le taux ”standard” de rayonnement cosmique (Indriolo et al, 2009). Les collisions du rayonnement cosmique avec le milieu interstellaire sont supposées produire des raies γ provenant des désexcitations nucléaires, dont l’énergie est comprise entre 0.1 et 10 MeV, ainsi que les éléments légers Li, Be et B. L’observation de ces raies, et plus particulièrement celles du 56Fe à 847 keV, de l’16O à 6,1 MeV, et du 12C à 4,4 MeV, permettrait de déterminer la composition et la distribution de taille des grains de poussière dans le milieu interstellaire de la galaxie (Tatischeff and Kiener, 2004). Le rayonnement cosmique de basse énergie n’est pas directement détectable dans l’environnement proche de la Terre, sous l’influence du soleil. L’observation de son interaction avec le milieu interstellaire permettrait également de connaître sa distribution et sa composition dans la Voie Lactée.

Table des matières

Remerciements
1 Introduction scientifique et technique
1.1 L’astrophysique nucléaire
1.1.1 Le rayonnement γ au sein du spectre électromagnétique
1.1.2 Brève histoire de l’astronomie gamma
1.2 Principaux thèmes scientifiques dans le MeV
1.2.1 Physique des éruptions solaires
1.2.2 Physique de l’explosion de supernovae de type Ia .
1.2.3 Antimatière dans la galaxie
1.2.4 Rayonnement cosmique de basse énergie
1.2.5 Etoiles à neutron isolées
1.2.6 Sursauts gamma
1.2.7 Radioactivité galactique
1.2.8 Novae
1.2.9 Noyaux actifs de galaxies
1.3 Principes d’émission des raies gamma
1.3.1 Désexcitation nucléaire
1.3.2 Désintégration de radionucléides .
1.3.3 Capture neutronique
1.3.4 Raie d’annihilation
1.3.5 Raie cyclotron
1.3.6 Emission de continuum
1.4 Les instruments d’observation existants
1.4.1 Principes de détection des rayonnements γ
1.4.2 Télescope à modulation d’ouverture
1.4.3 Télescope Compton
1.4.4 Limitations des télescopes existants
1.5 Principe de fonctionnement d’une lentille de Laue .
1.5.1 Géométrie de la lentille
1.5.2 Bref historique du développement de la lentille de Laue
2 Diffraction dans les cristaux
2.1 Notions utiles de cristallographie
2.1.1 Définition d’un cristal
2.1.2 Réseau cristallin
2.1.3 Plans réticulaires
2.2 Diffraction dans un cristal idéal
2.2.1 Partie géométrique de la diffraction
2.2.2 Diffusion par un électron et par un atome
2.2.3 Diffraction par une maille cristalline
2.2.4 Théorie cinématique
2.2.5 Théorie dynamique
2.3 Diffraction dans un cristal mosa¨ıque
2.3.1 Distribution angulaire des cristallites
2.3.2 Réflectivité d’un cristal mosa¨ıque
2.3.3 Courbe de diffraction
2.4 Diffraction dans un cristal courbe
2.4.1 Techniques de courbure
2.4.2 Intensité diffractée par les cristaux courbes
3 Etude comparative des matériaux diffractant
3.1 Modèle de diffraction
3.2 Présélection des matériaux
3.3 Résultats de modélisation des matériaux mono-élément
3.3.1 Réflectivité
3.3.2 Contraintes de Poids
3.3.3 Propriétés mécaniques
3.3.4 Bilan
3.4 Matériaux binaires
3.4.1 Réflectivités
3.4.2 Contrainte de poids et de tenue mécanique
3.4.3 Bilan
3.5 Cas des cristaux quasi-parfaits
3.5.1 Mosaicité ≪ artificielle ≫
3.5.2 Cristaux à plans courbes
3.6 Conclusion
4 Croissance et mesure de performance des cristaux
4.1 Spécifications recherchées
4.1.1 Section
4.1.2 Epaisseur
4.1.3 Mosa¨ıcité
4.2 Production des cristaux
4.2.1 Croissance Bridgman
4.2.2 Croissance Czochralski
4.2.3 Découpe par életro-érosion
4.3 Instruments de mesure
4.3.1 Principe de mesure
4.3.2 ILL GAMS-5
4.3.3 ESRF ID-15-A
4.4 Etude ESA de faisabilité des cristaux de cuivre mosa¨ıques et SiGe courbes
4.5 Cristaux de cuivre et SiGe pour le module prototype
4.6 Cristaux d’or et d’argent
4.7 Cristal mosa¨ıque de plomb
4.8 Cristal mosa¨ıque d’arséniure de gallium
4.9 Cristal mosa¨ıque de rhodium
4. Cristaux de platine et iridium
4. Courbure mécanique d’un cristal de germanium
4. Conclusion
5 Développement d’un prototype de lentille de Laue
5.1 Objectifs du prototype
5.2 Conception du support
5.3 Sélection des cristaux
5.4 Principe d’orientation des cristaux
5.4.1 Mesures des angles d’asymétrie des cristaux
5.4.2 Usinage des plots du module
5.4.3 Collage des cristaux sur le module
5.5 Contrˆole du module – Orientation et mosa¨ıcité
5.5.1 Principe de mesure
5.5.2 Protocole expérimental
5.5.3 Contrˆole après collage
5.5.4 Contrˆole après vibration
5.5.5 Contrˆole après cyclage thermique
5.6 Conclusion
6 Capacité en imagerie de la lentille de Laue
Conclusions et perpectives

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