Effet de la concentration volumique en phase dispersée

Caractérisation des matériaux

Les mesures sur les différents aspects des phénomènes liés à la thixotropie de ces fluides sont réalisées dans l’hypothèse que le matériau reste homogène pendant le temps expérimental nécessaire. Dans ce contexte nous avons été amenés à réaliser différentes mesures. En particulier nous avons étudié l’homogénéité du matériau modèle par des mesures de densités locales réalisées par RMN. Puis nous avons réalisé des essais de visualisation de la structure des matériaux sous microscope à contraste de phase dans le cadre d’expériences de type écrasement entre deux plaques ou « squeeze flow ». 5.1 Hétérogénéité du matériau L’hypothèse de base de la rhéométrie est que le matériau étudié est homogène. Si ce n’est pas le cas, les résultats sont alors erronés dans la mesure où, lors d’un cisaillement de Couette par exemple, les couches successives de matériau en mouvement ne sont pas de mêmes compositions. Dans le cas précis de la localisation de l’écoulement dans un entrefer large, l’hétérogénéité du matériau peut remettre en cause la mesure et toute l’interprétation qui en découle. Ici par le biais d’une technique RMN présentée au chapitre 2, nous allons dans un premier temps essayer de mesurer des différences de concentrations induites par un cisaillement appliqué au fluide. 5.1.1 Mesures de concentrations locales Pour réaliser ces mesures nous avons besoin d’un contraste suffisant entre les temps de relaxation de la phase continue (huile) et de la phase dispersée (eau). La quantité de signal mesurée étant proportionnelle à la quantité d’eau ou d’huile dans la zone de mesure, et compte tenu des temps de relaxations propres des deux fluides purs, le rapport signal sur bruit devient satisfaisant dans le cas des émulsions concentrées au-delà de 50%. En dessous de cette valeur, la différence entre les temps de relaxation des deux phases est trop faible pour permettre une mesure correcte. Nous avons donc choisi ici de commencer notre étude sur l’émulsion concentrée à 70% en phase dispersée (saumure), cette dernière présentant la meilleure différence entre les deux temps de relaxation. Suivant la technique de mesure décrite en détail dans le second chapitre, nous réalisons une expérience qui consiste dans un premier temps à homogénéiser le matériau sous un fort cisaillement en utilisant le Silverson L4RT (6000 tr/min pendant 5 min), puis, nous introduisons le fluide dans l’IRM. Nous mesurons alors un profil de densité de référence pour l’eau et l’huile qui nous permettra de mesurer par comparaison si nous avons des hétérogénéités de concentration dans notre cellule Caractérisation des matériaux 122 de Couette. Le matériau est ensuite réhomogénéisé dans les mêmes conditions que précédemment avant d’être réinséré dans l’IRM. Nous calculons les différences de concentrations (φ (R)) par comparaison avec les profils de références des deux phases qui correspondent alors à la formulation du fluide étudié selon l’équation suivante: ( ) ( ) ( ) ref i i if i S R R S R φ = φ Où pour l’espèce i, Si(R) est le signal mesuré, Siref(R) est le signal de référence et φif est la concentration de la phase i d’après la formulation. Ici, nous appliquons une vitesse de rotation de 15 tr/min pendant 1h, puis nous arrêtons l’écoulement et nous mesurons de nouveaux les profils de densités. La figure 51-1 fait apparaître une hétérogénéité du matériau après 1h de cisaillement. En effet les profil de concentration de l’eau et de l’huile montre respectivement une augmentation de 6% au maximum et une diminution de 5.5% au maximum. Les deux profils sont donc tout à fait corrélés. On retrouve bien également une concentration moyenne dans les deux cas correspondant à la mesure de référence. De plus nous pouvons voir que le profil de vitesse est localisé dans l’entrefer. La partie hétérogène du matériau correspond alors précisément à la partie en écoulement du matériau. Nous confirmons cela en réalisant une expérience identique à une vitesse de rotation de 50tr/min (Figure 51-2). Il est cependant important de remarquer ici que la concentration en eau et en huile varie proche du cylindre interne en rotation (sur environ 5.5 mm). Ceci est tout à fait inhabituel puisque théoriquement les éléments de masse volumique supérieure migrent vers les faibles cisaillements, ou pour le cas des émulsions diluées vers le centre de l’entrefer (voir chapitre 1). On remarquera également que l’interface liquide/solide est le siège d’une inversion de concentrations. Ces observations nous amènent donc à conclure sur l’existence d’hétérogénéités induites par le cisaillement de notre fluide pendant une heure. Celles-ci sont complètement corrélées avec l’existence de la localisation du cisaillement dans l’entrefer. Il n’est cependant pas établi si nous avons à faire à des phénomènes migratoires (« inverse ») ou à une infiltration du fluide interstitiel (huile) dans le matériau arrêté qui se comporterait alors comme un matériau poreux. Dans le but de valider nos expériences rhéologiques, nous sommes amenés à étudier la cinétique d’apparition de ce phénomène et sa complète corrélation avec la localisation de l’écoulement dans l’entrefer, ou encore si l’inclusion des particules d’argile organophile a une influence sur l’apparition de ces hétérogénéités de concentration, enfin, puisque nous avons étudié une émulsion très concentrée où la phase dispersée est proche de l’empilement maximum (74%), quel est l’effet de la concentration en gouttelettes de saumure sur les différences de concentration induites par le cisaillement.

Cinétique

Les premiers résultats ont montré l’existence d’hétérogénéités dans l’entrefer de la cellule de Couette après un cisaillement long. Nous allons maintenant étudier ce phénomène en fonction du temps. Nous avons vu dans les chapitres précédents que l’écoulement de ces émulsions thixotropes était marqué par une forte localisation du cisaillement dans l’entrefer. La première mesure de concentration après une heure de cisaillement a montré que cette localisation était 124 corrélée spatialement avec l’apparition des hétérogénéités dans l’entrefer. Pour aller plus loin, nous allons étudier plus précisément ce phénomène (corrélation du cisaillement et hétérogénéité du matériau) en regardant également son évolution temporelle puisque comme vu dans les chapitres précédents, les émulsions thixotropes font apparaître une localisation progressive du cisaillement dans l’entrefer. Nous travaillons ici toujours avec le même fluide. Nous réalisons une expérience longue (5h) pendant laquelle nous mesurons pour une vitesse de rotation de 15 tr/min les profils de vitesses et les profils de concentrations sous cisaillement. Nous pouvons voir sur la figure 51-3 la cinétique d’apparition des hétérogénéités induites par le cisaillement. Dans une première phase durant 13min, le fluide reste homogène dans l’entrefer alors que les profils de vitesse se localisent progressivement. Puis, le phénomène s’amorce et est à ce moment là complètement corrélé avec la localisation quasi définitive du cisaillement dans l’entrefer comme nous pouvons le voir ici. En effet, ce n’est qu’une fois l’interface liquide/solide stabilisée dans l’entrefer que les différences de concentrations apparaissent. On remarquera également que le profil de vitesse varie peu entre 12min et 5h alors que la concentration en eau et en huile dans la partie du matériau en écoulement varie entre 3 et 12%. La partie à l’arrêt est peu ou pas modifiée par les différences de concentrations, tout se passe au niveau de l’interface liquide / solide. Au bout des 5h d’expériences, les concentrations en phases dispersées atteintes dans la partie cisaillée sont supérieures à 80%, on parlera alors de mousses bi-liquides, où chaque goutte est déformée par ces voisines et recouverte d’une fine couche de phase continue. 

Influence de l’argile 

Nous réalisons maintenant des mesures de densités servant de références pour l’émulsion 70/30 sans argile puis nous appliquons un cisaillement durant 1h en imposant une vitesse de rotation de 0.5 tr/min. Les profils de densité de la figure 51-4 ne montrent pas d’hétérogénéité de concentration pour l’émulsion sans argile alors que nous avons vu précédemment que l’émulsion chargée, thixotrope, montrait de fortes hétérogénéités de concentrations dans les mêmes conditions expérimentales. Nous avons alors voulu vérifier si la migration n’était pas induite pour de forts taux de cisaillement. En effet, à ces concentrations élevées, les gouttelettes de l’émulsion sont en contact et déformées. Nous pouvons supposer qu’en absence d’argile aux interfaces eau/huile, les gouttes mêmes petites peuvent glisser les unes sur les autres dans le cas des faibles vitesses. Pour les hautes vitesses, nous devrions retrouver une migration théorique vers les faibles gradients de vitesse due aux forces centrifuges induites et à la masse volumique supérieure de la saumure, donc des gouttes. Pour vérifier cela, nous réalisons la même expérience que précédemment mais à une vitesse de rotation de 100 tr/min. Les résultats montrent encore une fois que ce matériau reste homogène dans tout l’entrefer sous un fort cisaillement pendant 1h (Figure 51-4 b.)

Effet de la concentration volumique en phase dispersée

 Nous regardons maintenant l’effet de la fraction volumique en gouttelettes sur l’apparition d’hétérogénéités sous cisaillement dans l’entrefer de la géométrie de Couette. Nous commençons par étudier une émulsion inverse concentrée à 60% toujours avec 3% d’argile organophile dans le volume de phase continue Les profils de concentrations en huile et en eau sur la figure 51-5 montrent l’existence d’hétérogénéités de concentration dans l’entrefer pour une émulsion ayant 60% de gouttelettes dans le volume total. En effet, après 45 min. d’écoulement nous mesurons une augmentation d’environ 4% de la concentration en eau près du cylindre interne. Cette augmentation n’est cependant pas répercutée sur la concentration en huile puisque cette dernière ne diminue que de 2% au maximum. Malgré l’aspect qualitatif de ces mesures, nous montrons ici l’existence d’une hétérogénéité de concentration pour les plus forts gradients de vitesse comme pour l’émulsion chargée à 70%. Le profil de vitesse du régime permanent indique encore une fois ici que la localisation du cisaillement dans l’entrefer entraîne la création d’hétérogénéités dans le matériau.  Pour φ = 50% (Figure 51-6), les profils de concentrations mesurés après 45 min d’écoulement font apparaître de fortes hétérogénéités. En effet, nous pouvons voir une croissance de la concentration en eau près du cylindre interne, comme pour les autres concentrations, mais également une diminution de la concentration en eau dans la zone à l’arrêt d’après le profil de vitesse associé à ces mesures. Le profil de concentration de l’huile suit les tendances inverses. A la position correspondante à la localisation finale du profil de vitesse, nous notons une équité entre les deux profils de concentrations.

Discussion 

Nous avons vu que des hétérogénéités apparaissaient au sein de l’entrefer de notre géométrie Couette. Cependant, ces hétérogénéités apparaissent uniquement après la localisation finale du cisaillement dans l’entrefer. Le point le plus important ici est donc que le matériau reste homogène pendant la phase d’écoulement précédent le régime permanent, ce qui valide notre étude rhéologique. On peut revenir sur les observations réalisées par Hollingsworth et. al. [47] sur des émulsions diluées. Ces observations présentaient des effets migratoires vers la paroi du cylindre en rotation. Ici, nous pouvons confirmer ce résultat mais pour des émulsions concentrées. L’origine physique de cette différence de concentrations n’est cependant pas très claire. Ici nous sommes dans le cas d’une émulsion inverse où la différence de densité ne peut expliquer ce phénomène. On n’est donc pas dans le cas ou les effets inertiels induisent la migration. Il semble que l’hétérogénéité du gradient de vitesse dans la zone en écoulement soit responsable de ce phénomène. Un phénomène difficile à mesurer apparaît après un long cisaillement. Il peut être décrit comme une démixtion du matériau dans la zone d’écoulement après la localisation finale de l’interface liquide / solide. En effet, après plusieurs heures de cisaillement les différentes 128 phases semblent se séparer. L’origine physique de cette séparation de phase n’est pas claire, cependant, nous pouvons avancer que lorsque la concentration en gouttes augmente proche du cylindre interne ces dernières sont en contact les unes avec les autres ce qui peut provoquer la coalescence des gouttes et donc déstabiliser l’émulsion

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