EFFETS DE L’INSTRUMENTATION PARTICIPATIVE SUR LES MODES DE GESTION LOCALE

Télécharger le fichier original (Mémoire de fin d’études)

Gouvernance environnementale et participation

L’essor de la notion de gouvernance environnementale s’explique par la prise de conscience élargie des interdépendances économiques et écologiques concernant certains problèmes environnementaux (érosion de la biodiversité, changement climatique, etc.) au travers d’évènements comme la conférence de Stockholm en 1972 ou le rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement publié en 1987 (A. Debourdeau 2008). L’auteur explique que l’approche dominante de l’institutionnalisme étend alors l’environnement au statut de « bien commun » et justifie ainsi sa conception de la gouvernance environnementale « sans gouvernement » impliquant la mise en œuvre de dispositifs institutionnalisés de coordination entre acteurs indépendants. De nouvelles formes de gouvernementalité doivent ainsi être pensées prenant en considération la pluralité des acteurs et des processus de coordination afin de construire des accords autour des questions environnementales. Mais pour l’auteur, la crainte des écologistes et de la société civile de voir remplacer des normes étatiques par des normes de marchés a conduit à l’émergence d’un nouveau discours, la modernisation écologique, faisant écho à la notion de développement durable apparue en 1987. « L’approche libérale-institutionnelle a ainsi profondément marqué l’appréhension tant économique que politique de la gouvernance environnementale, prenant appui sur l’idée d’une compatibilité, inhérente à la notion de développement durable, entre préoccupation environnementale et notion de développement » (A. Debourdeau 2008). La gouvernance environnementale va reposer alors sur des approches économiques fondées sur le marché et la citoyenneté et se caractériser par de nouvelles modalités de gouvernement comprenant les incitations économiques (écotaxes, écolabels), les accords volontaires (modèles collaboratifs de gestion environnementale), les contrats (gestion par les communautés concernées), etc. (A. Debourdeau 2008, R. Barbier et C. Larrue 2011). L’utilisation d’expressions telles que la « co-décision », la « co-production », la « co-gestion » va se propager faisant de la participation une dimension inhérente de la gouvernance environnementale et transformant l’action publique en matière de gestion environnementale. Ces nouveaux principes et mécanismes sont entérinés lors de grands Sommets tels que celui de Rio en 1992 et celui des Amériques pour le développement durable en 1996. Mais il faudra attendre les conventions internationales relatives à l’environnement (biodiversité, climat, désertification, Aarhus)11 pour qu’ils prennent un pouvoir normatif. Toutefois selon G. Monédiaire (2013), la mise en œuvre effective des procédures de participation reste aux mains des décideurs.
Dans le cadre de la thèse, nous retiendrons la définition de D. Salles et P. Leroy (2013) pour désigner la gouvernance environnementale, à savoir « un processus de négociation et de décision à visée normative qui cherchant à s’inscrire dans les transformations du contexte général d’action collective, favorise des interactions négociées entre une pluralité d’acteurs (autorités publiques, groupes organisés, acteurs du marché, société civile) concernés par la régulation d’un problème commun ». La gestion des ANP mexicaines rassemble en effet dans les arènes de négociation des acteurs tels que les gouvernements, les scientifiques, les ONG, les communautés, les secteurs privés agricole et forestier ainsi que les citoyens. Les structures de gouvernance environnementale apparaissent à de multiples niveaux : les normes et mécanismes de régulation sont reliés dans une architecture institutionnelle complexe entre niveaux global, régional, national et local (J. Balsiger et B. Debarbieux 2011). Un défi majeur de la recherche est la prise en compte des dynamiques transversales dans l’espace et le temps afin de mettre en œuvre des mécanismes de gouvernance adaptés (F. Berkes et C. Folke 1998, D. Armitage 2008, F. Berkes 2009, E. Mwangi et A. Wardell 2012, H. Nagendra 2012). Dans les différents domaines de la recherche environnementale (changements globaux, gestion des ressources naturelles, services environnementaux, etc.), l’importance de prendre en compte les différentes échelles, et par extension les modalités de gouvernance qui englobent plusieurs niveaux est largement soulignée (E. Mwangi et A. Wardell 2012). La gouvernance des forêts, par leur complexité et les interactions multiples qu’elles présentent avec les systèmes sociaux, se caractérise également par une dimension multiniveaux, elle concerne non seulement les états-nations mais aussi la politique internationale (B. Arts et M. Buizer 2009). Le terme de ‘gouvernance mondiale des forêts’ est désormais utilisé. Par extension, la notion de ‘bonne gouvernance des forêts’ est préconisée, notamment par la FAO, et est caractérisée par une série de critères normatifs comme la responsabilité, la transparence ou encore la participation.
Cette dernière, au travers de la ‘gestion forestière participative’ est devenue une « icône » de la gouvernance des forêts (B. Arts 2014). L’idée centrale est que la gestion locale des forêts, menées exclusivement par les communautés ou conjointement avec l’organisme étatique en charge, est plus efficace en termes de conservation et de durabilité qu’une gestion centralisée au niveau de l’Etat (G. Borrini-Feyerabend, M. Pimbert et al. 2007, S. Charnley et M.R. Poe 2007). En pratique, les approches ‘participative’ recouvre une multitude d’usages et d’implication des populations locales. Les champs d’action ‘participatifs’ d’appui à la gestion des forêts sont multipliés et comprennent, par exemple, le développement de comités locaux de gestion, l’élaboration de plan de développement local, la promotion de méthodes d’enquêtes participatives, de consultation populaire, de gestion des conflits, ou de valorisation des savoirs écologiques traditionnels. D’autres modes de gouvernance des forêts ont également été développés comme la décentralisation, la certification de terres ou de produits ou encore les paiements pour services environnementaux (B. Arts 2014). Plusieurs théories (choix publics, nouvel institutionnalisme, sciences économiques néoclassiques, action collective, théorie de la démocratie, etc.) avancent en effet que la décentralisation peut améliorer l’équité et l’efficacité de la gestion des ressources naturelles. La certification est devenue également un courant dominant et implique un mécanisme de marché garantissant aux consommateurs et aux producteurs à la fois la durabilité de la gestion forestière dont sont issus les produits ainsi que leur légalité. Enfin les paiements pour services environnementaux sont présentés comme des instruments incitatifs reposant sur « le principe d’une transaction volontaire entre bénéficiaires et pourvoyeurs d’un service environnemental, lorsque des conditions préalablement fixées sont respectées » et sont en passe de devenir un instrument privilégié de conservation des forêts (R. Pirard et R. Billé 2011).

L’institutionnalisation de la participation dans les politiques environnementales mexicaines

La notion de participation est apparue dans la Constitution des États-Unis mexicains en 1983 où il est mentionné que « la planification sera démocratique par le biais de la participation de divers acteurs sectoriels sociaux ce qui permettra de recueillir les aspirations et demandes de la société […] » (article 26). Plus récemment, elle est visible dans les stratégies nationales : « garantir que les Mexicains aient des réelles opportunités d’exercer pleinement leurs droits citoyens et de participer activement dans la vie politique, culturelle, économique et sociale de leurs communautés et du pays » et « assurer la durabilité environnementale au moyen de la participation responsable des Mexicains dans la protection, la préservation et l’exploitation rationnelle de la richesse naturelle du pays […] » (Plan Nacional de Desarollo 2007-2012)12.
Dans la législation environnementale, le renforcement de la participation est fortement corrélé à l’intervention de la coopération internationale, la participation étant devenue une condition de l’aide au développement. Depuis 1992, la loi environnementale reconnait ainsi le droit à la participation citoyenne, la responsabilité des institutions gouvernementales de la promouvoir et la faciliter ainsi que le rôle central de la participation dans la protection et l’exploitation durable des ressources naturelles pour garantir un développement économique et social équitable. Entre 1996 et 2001, la loi environnementale a ensuite évolué pour renforcer les dispositions précédemment citées et y ajouter la dénonciation citoyenne, le droit d’accès à l’information environnementale et l’obligation pour les agents publics de répondre aux sollicitations de demandes d’information. De nouveaux mécanismes promouvant la participation ont également été décrits dans la loi environnementale et dans les règlements et documents de planification qui en découlent. Les mécanismes de participation citoyenne dans cette loi prennent deux formes : les organes et les instruments. Les organes sont des groupes composés de membres de l’administration publique, de la recherche, d’organisations sociales, d’entreprises. Ils ont pour fonctions le conseil, le suivi et l’évaluation des politiques environnementales, l’émission d’opinions et d’observations (article 159). Ces organes sont donc strictement consultatifs, sans aucun pouvoir de décision. Les instruments sont définis comme des démarches et procédures qui peuvent être initiées seulement dans certaines circonstances décrites par la loi.
Depuis 2008, il existe une stratégie nationale pour la participation citoyenne dans le secteur environnemental. Elle a été rédigée par l’unité de coordination de la participation sociale et de la transparence du Secrétariat de l’environnement. Cependant dans les faits, le contexte démocratique et politique (conflits violents, répressions meurtrières de l’Etat, etc.) rend difficile l’application sereine de la participation. Selon Mollard (2009), bien que les crises environnementales au Mexique touchent tous les domaines, ce sont des programmes techniques et des réformes économiques et institutionnelles, répondant aux doctrines internationales, qui sont privilégiés plutôt que des « solutions de gouvernance ».

La participation dans la gestion des aires naturelles protégées

L’IUCN définit une aire protégée comme « un espace géographique clairement défini, reconnu, consacré, géré, par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d’assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associés » (N. Dudley et S. Stolton 2008). Les ANP représentent les outils majeurs des politiques de conservation de la nature et des ressources naturelles. Mais comme tout espace représentant un enjeu d’aménagement du territoire, ils sont porteurs de conflits. La multifonctionnalité de ces territoires contribue en effet à accroitre les demandes sociales et à alimenter les conflits d’usage. Pour cette raison, ils sont parfois décrits comme des objets socio-écologiques complexes.

Des modèles de gestion et de gouvernance axés désormais autour de la participation

Les courants de pensées « préservationnistes » et « conservationnistes », apparus aux États-Unis au XIXe reposent respectivement sur une éthique biocentrée et une approche anthropocentrée. Ils structurent encore les politiques de conservation à l’œuvre de nos jours. La naissance de la conservation remonte au moment de la révolution industrielle et au début de l’ère coloniale et se développe en opposition aux approches dites « ressourcistes » (E. Rodary, C. Castellanet et al. 2003). Le deuxième mouvement, dit « préservationniste », incarné par John Muir, repose sur une vision esthétique et sauvage de la nature (wilderness) où l’homme représente une menace. Toute activité, et par extension, toute vie humaine (à part quelques privilégiés), doivent être exclues. Cette pensée se concrétise au travers des modèles de gestion (Encadré 2) dits « excluant » comme le « parc national » pour le plus connu et répand jusque dans les années 70 des espaces « mis sous cloche » un peu partout dans le monde (S. Héritier 2011). Le troisième mouvement, « conservationniste », préconisé par Gifford Pinchot, prône quant à lui une vision utilitariste de la nature et s’oriente vers une gestion « raisonnée » (wise use) des ressources naturelles. Les modèles de gestion associés sont dit « intégrés » ou « participatifs » et se formalisent dans les catégories types « aires de gestion des habitats ou des espèces » ou « aires protégées de ressources naturelles ». L’UNESCO a même développé un label « Réserve de Biosphère » pour désigner ces espaces qui « réconcilient la conservation de la biodiversité et son utilisation durable » qui s’impose depuis les années 8013. Selon S. Depraz (2008), le changement progressif des politiques de conservation et de gestion des espaces protégés illustre le glissement d’un paradigme radical à un paradigme intégrateur.
Les modèles intégrés vont ainsi peu à peu être préférés au modèle excluant. Dans les années 1970, la dégradation continue de l’environnement et les conflits croissants dans les aires protégées contraignent de nombreux défenseurs des parcs à reconnaitre le coût social de ces espaces imposés aux populations locales (J. Igoe 2004, cité dans T.M. Hayes 2006). Depuis la conférence de Rio, les aires protégées ont désormais un rôle social et économique en plus de leur rôle écologique ou politique (ex. des Aires Protégées Transfrontalières en Afrique). Elles revêtent d’enjeux à la fois scientifiques, géopolitiques et environnementaux souvent contradictoires. Leur gestion doit répondre à de nouvelles normes : s’inscrire dans une logique de planification, d’efficience et d’évaluation (F. Leverington, K. Lemos Costa et al. 2010). L’évolution des modalités de financement et l’utilisation d’instruments économiques, financiers, fiscaux pour favoriser la conservation de la biodiversité vont introduire de nouvelles normes dans la gestion des ANP. Le modèle centralisé ‘top-down’ est reconsidéré et de nouvelles formes de gouvernance sont promues.
L’UICN considère quatre formes de gouvernance des ANP (G. Borrini-Feyerabend, N. Dudley et al. 2013) : (i) la gouvernance par le gouvernement ; (ii) la gouvernance partagée ;
(iii) la gouvernance privée ; et (iv) la gouvernance par les communautés locales. Parmi la gouvernance partagée, trois types de gestion sont discernés (N. Dudley 2008) :
 co-management ou co-gestion : ce modèle recourt à des mécanismes institutionnels complexes et des processus pour partager l’autorité de la gestion et la responsabilité parmi une pluralité d’entités gouvernementales et acteurs non-gouvernementaux
 joint management ou gestion concertée : plusieurs acteurs siègent dans une entité de gestion avec l’autorité de prise de décision et de responsabilité. Les décisions peuvent ou non faire l’objet d’un consensus. Dans tous les cas, une fois les décisions prises, leur mise en œuvre est déléguée à une entité reconnue ou à des individus.
 collaborative management ou gestion collaborative : dans ce modèle, l’autorité de la prise de décision et de la responsabilité reste aux mains d’une agence gouvernementale mais celle-ci est tenue, par la loi ou la politique, d’informer ou de consulter les autres parties prenantes. La participation peut être renforcée en assignant aux parties prenantes la responsabilité de développer des propositions techniques de régulation et de gestion qui devront être ultimement soumises à l’autorité de prise de décision pour approbation.
Il existe en réalité une grande confusion autour du terme de « gestion » et selon les auteurs, les définitions de cogestion, gestion collaborative ou concertée recouvrent différentes formes de gouvernance (voir par exemple F. Berkes et M. Kislalioglu Berkes 2009). En dépit des tentatives de désignation internationale, chaque pays adapte à ses conditions légales et sociales ces concepts qui finissent par ne plus désigner les mêmes réalités (S. Héritier 2008, S. Héritier 2011, S. Héritier 2011 ). Ce terme peut en effet signifier quatre actions différentes en anglais (P. Lavigne-Delville et P. Hochet 2005):
 le fait de définir des règles (governance)
 le fait d’organiser leur mise en œuvre (management)
 le fait de les mettre en œuvre (operating)
 le fait d’en garantir la mise en œuvre (enforcement)
En espagnol, il existe une distinction entre ‘gestion’ (governance) et ‘manejo’ (management). Mais le terme ‘manejo’ est souvent utilisé abusivement dans la littérature puisqu’il inclut aussi la notion de gouvernance.
A l’image des grandes institutions financières internationales, la notion de ‘bonne gouvernance’ s’est vue appropriée par le monde de la conservation. Son acceptation par l’UICN, repose sur six concepts clés (G. Borrini-Feyerabend, N. Dudley et al. 2013) : la participation, l’innovation, le respect, le partage des bénéfices, le consentement libre, informé et préalable, et les principes de gouvernance (Encadré 1). Cette ‘bonne gouvernance’ serait ainsi garante de la viabilité à long terme des ANP et de l’augmentation de la connectivité écologique. Le principe d’une gestion locale, entre gestion participative et gestion décentralisée, s’est ainsi imposé avec l’ambition de garantir une meilleure prise en compte des réalités locales et une plus grande efficacité. Ce principe se reflète par l’annonce, au Congrès Mondial des Parcs de 2003, d’un « nouveau paradigme » pour les ANP, centré davantage sur les bénéfices des populations locales et la réduction de la pauvreté ainsi que sur la mise en avant des interactions homme-nature (H. Locke et P. Dearden 2005). Ce « nouveau paradigme » s’est matérialisé au travers de la création de deux nouvelles catégories, les paysages protégés ou les aires protégées avec utilisation durable des ressources naturelles (catégories V et VI, Encadré 2).
La vision des ANP et le rôle de la participation dans les processus de décisions ont ainsi considérablement évolué au niveau international ces trente dernières années (A. Phillips 2003). Les différentes catégories proposées par l’UICN sont représentatives de ces changements. Ces transformations sont également observables au Mexique.
Encadré 1. Les six concepts clés de la ‘bonne gouvernance’ de l’UICN (source : Borrini-Feyerabend, Dudley et al. 2013)
– « la participation : Garantir la participation pleine et efficace des détenteurs de droits et des parties prenantes (peuples autochtones, communautés locales et acteurs concernés par les droits coutumiers et par des considérations d’équité des genres et d’équité sociale) dans : la révision des pratiques nationales de conservation appropriées ; la planification et la prise de décisions vis-à-vis de sites spécifiques ; l’élaboration des politiques nationales ; ainsi que dans l’identification des connaissances, des ressources et des institutions pertinentes.
– l’innovation : Ouvrir la voie à de nouveaux types de gouvernance pour que des aires protégées soient reconnues légalement, gérées efficacement et favorisées par des mécanismes politiques, financiers, institutionnels et communautaires.
– le respect : Assurer la considération et le respect des droits, des besoins de base et des capacités de conserver ainsi que les contributions à la conservation des communautés qui vivent à l’intérieur et en périphérie des aires protégées, et plus spécifiquement garantir le respect des savoirs locaux, et des pratiques et institutions des peuples autochtones et des communautés locales.
– le partage des bénéfices : S’assurer que des mécanismes sont en place pour évaluer les coûts économiques et socio-culturels, les bénéfices et les impacts issus de l’établissement et de la gestion d’aires protégées, afin de les répartir équitablement, en particulier à l’endroit des peuples autochtones et des communautés locales.
– le consentement libre, informé et préalable : S’assurer du consentement libre, informé et préalable des communautés autochtones avant de les réinstaller ou de modifier leur accès aux ressources naturelles suite à l’établissement ou à la gestion d’aires protégées, selon la législation nationale et les obligations internationales applicables.
– les principes de gouvernance : Suivre les principes généraux de « bonne gouvernance » à chaque prise de décision concernant les aires protégées, parmi lesquels : le respect des droits et de l’état de droit ; la promotion de l’établissement de dialogues constructifs et d’un accès équitable à l’information ; la responsabilité dans la prise de décision ; et l’existence d’institutions et de procédures pour une juste résolution des conflits. »

Les dispositifs légaux de participation dans les ANP mexicaines

Plusieurs périodes émergent dans la création des aires protégées du Mexique suivant le rythme international de la conservation puis de la participation avec toutefois des particularités spécifiques à la trajectoire politique mexicaine (D. Dumoulin Kervran 2009). Les premiers espaces protégés furent créés à partir de 1876 mais c’est véritablement entre 1930 et 1940 que la volonté de conservation (qui n’était alors pas dotée d’une vision exclusive) se traduit par 36 nouveaux parcs nationaux (habités, comme 85% des parcs en Amérique Latine) (D. Dumoulin Kervran 2009). Il faudra attendre ensuite 1978 pour observer à nouveau une politique de création d’aires protégées, cette fois-ci portée par le paradigme intégrateur, avec la création des Réserves de Biosphère (RB) ainsi que des Aires de protection de la faune et de la flore (APFF). Au total, le Mexique comprend 177 ANP couvrant environ 13% de son territoire. La figure juridique la plus représentée est le parc national (66) mais en termes de superficie protégée, ce sont les RB qui dominent (la moitié de la superficie totale protégée contre 1% pour les parcs nationaux)14. Les APFF représentent la troisième forme de gestion la plus importante : elles sont 39 qui couvrent 26% de la superficie totale protégée. Un nouveau statut est actuellement en cours d’expérimentation, basé sur le modèle français des parcs naturels régionaux. Ce projet pilote fait l’objet d’un accord entre le Mexique et la France dont le but est de renforcer la politique de gestion durable de la biodiversité au Mexique. Le système de classification au Mexique possède ses propres particularités même s’il s’inspire des catégories de l’UICN (Encadré 2). Par exemple, les réserves de biosphère sont considérées comme une catégorie de gestion. Des 41 existantes, 37 sont reconnues par le programme Man and Biosphere de l’Unesco. Par ailleurs, le système mexicain reconnait les ANP au niveau fédéral, au niveau des Etats et des municipalités ainsi que des aires destinées volontairement à la conservation, privées ou communautaires.
La politique de conservation au Mexique est portée par l’Institut National d’Ecologie et du Changement Climatique (INECC) qui est en charge de la formulation et de la conduite de la politique environnementale nationale et depuis 1994, de la gestion des ANP. La Commission nationale de conservation des ANP (CONANP) est en charge quant à elle, de leur administration depuis 2001. L’INECC et la CONANP sont des organes déconcentrés du Secrétariat de l’Environnement (cf figure). La politique de conservation mexicaine est centrée sur l’amplification de la superficie protégée et le développement d’activités productives contribuant à la réduction de la pauvreté et à la génération d’emplois pour les communautés vivant dans les ANP ou leurs zones d’influences (CONANP 2013). Les nouvelles stratégies de recherche s’orientent vers l’augmentation de la participation de la société et de nouveaux schémas de gestion, d’administration et de financement des ANP.
La politique de conservation s’est renforcée à partir des années 1990 entrainant la mise en place de nouveaux outils, instruments et dispositifs légaux censés promouvoir la participation des différentes parties prenantes. Une nouvelle instance de participation au niveau national a ainsi été créée en 1996 en tant qu’organe consultatif du Secrétariat de l’environnement: le Conseil national des ANP. Son rôle est de promouvoir la participation sociale dans la conservation, la protection, l’exploitation et le développement durable des ANP. Il a pour fonction également l’évaluation des politiques d’établissement, de gestion et de surveillance des espaces protégés. Dans cet organe, sont représentés la communauté écologiste de Mexico, des organisations de conservation, sociales et privées, les communautés indigènes et agricoles. Par ailleurs depuis les réformes de la loi environnementale en 1996, la participation s’établit comme une obligation dans toutes les étapes de la création et de la gestion d’une ANP. Au niveau de la création, la participation est promue au travers de dispositifs tels que des ateliers, des réunions, des sessions de travail auprès des différentes catégories d’acteurs, afin de « générer un processus de consensus, sensibiliser la population et ajuster en fonction des nécessités des habitants et ainsi éviter les conflits » (DOF 1988). En ce qui concerne les plans de gestion, la participation est prévue au travers des conseils consultatifs techniques qui doivent définir les responsabilités de chacun et construire des accords et compromis. Le Fonds Mexicain pour la Conservation de la Nature, financé en partie par le Fonds pour l’environnement mondial (GEF), a rédigé un guide pour l’établissement de ces conseils consultatifs et insiste sur le fait qu’en aucun cas, comme leur nom l’indique, ces conseils ne sont des organes de prise de décision. La loi incite seulement à prendre en compte leurs opinions et leurs intérêts pour optimiser les « chances de succès et de soutien ». Enfin les plans de gestion supposent « un haut degré de participation » dans leur élaboration (I. Villalobos 2000).
Ainsi, la loi environnementale semble avoir institué une hybridation entre les formes ancienne et nouvelle de gouvernance, avec l’autorité de gestion historique et le nouveau conseil consultatif, en maintenant toutefois le pouvoir de décision dans les mains de l’Etat. Cependant, le fait que les modalités de la participation ne soient à aucun moment détaillées, interroge sur le rapport entre son affichage légal et sa pratique sur le terrain.

Les formes et les limites de la participation

La participation est un concept à l’histoire ancienne. Selon M. Bresson (2014) sa relative permanence s’explique par une volonté jamais ou peu réalisée au sein des démocraties à savoir, le partage du pouvoir et la place du peuple dans les décisions politiques. Mais « si le champ de la participation a connu une réelle extension, elle ne renvoie toutefois pas à un concept juridique autonome mais recouvre au contraire des modalités extrêmement différenciées d’association à la décision. Cette hétérogénéité des procédures, aux modalités et aux effets distincts, rend difficile la définition et l’identification d’un principe de participation » (F. Jamay 2010). Les pratiques qui peuvent y être associées sont donc très variables et s’échelonnent des formes d’auto-mobilisation en lien avec la contestation de certaines décisions jusqu’à l’intégration formelle des parties prenantes dans les processus de prise de décision (R. Barbier et C. Larrue 2011). Afin de clarifier et organiser ces différentes interprétations et méthodes associées, plusieurs typologies ont été proposées.
M.S. Reed (2008) identifie quatre grandes typologies qui reposent sur les critères suivants : la première est basée sur les degrés d’engagement des parties prenantes qui découle des célèbres travaux d’Arnstein (1969) (d’une forme passive de dissémination de l’information à une forme active d’engagement des parties prenantes) ; la seconde sur la direction du flux de communication entre les parties (communication ou consultation) ; la troisième, sur le caractère démocratique ou instrumental de l’exercice participatif (focus sur les processus ou sur les résultats); et la dernière, sur la nature des objectifs opérationnels (développement, information, co-apprentissage ou co-gestion). R. Barbier et C. Larrue (2011) relèvent quant à eux trois grands ensembles : les finalités assignées à la participation, les attributs procéduraux, les productions et effets opérationnels (auxquels peuvent être ajoutés des attributs de contexte). D’autres typologies existent basées par exemple sur l’origine de l’initiative de la démarche participative (dynamique descendante et/ou ascendante), la pérennité des dispositifs participatifs (ponctuels ou pérennes), le mode de sélection des participants (représentatifs, associés, volontaires, etc.) (R. Barbier et C. Larrue 2011).
Devant le foisonnement des instruments et dispositifs de participation, la qualité et les effets de ces processus se posent aussi. Concernant la qualité, quatre critères, bien que toujours en discussion dans le monde académique, semblent émerger (A. Vergne 2013): l’inclusion (qui participe ?), la pertinence (à quoi sert la participation ?), la délibération (comme se déroule le processus aboutissant à la prise de décision ?) et l’équité (comment sont traités les participants ?). Les effets des processus participatifs sont également importants puisqu’ils permettent de justifier l’existence même des pratiques participatives (J. Font 2013). Si pour certains les effets ne seraient qu’une valeur ajoutée, pour d’autres en revanche, la participation doit s’accompagner de résultats positifs, notamment sur les acteurs impliqués et leurs interrelations ainsi que sur les politiques en discussion. Or, l’observation depuis 40 ans des processus participatifs montrent que, dans la majorité des cas, les effets attendus se produisent rarement (Rui, 2010 cité dans L. Blondiaux et J.-M. Fourniau 2011). Dans le champ de l’environnement, les effets et finalités des outils participatifs semblent également questionnables en terme de « plus-value environnementale » (R. Barbier et C. Larrue 2011). Cependant, L. Blondiaux et J.-M. Fourniau (2011) dans leur numéro spécial sur les recherches sur la participation, soutiennent que « la participation peut être un analyseur fécond des phénomènes sociaux et politiques plus larges qui la rendent possible et la contraignent ». La participation peut constituer ainsi une voie d’entrée pour analyser les logiques de sa mise en œuvre, ses effets attendus et impensés.
L’évolution progressive des pratiques de participation l’a fait progressivement passer d’un outil de gouvernement à un moyen de gouvernance, doté de dispositifs d’instruments spécifiques, permettant des degrés d’appropriation variés par les parties en présence (individus, groupes, associations, organisations, institutions) dans lesquelles continuent de s’exprimer les tensions, les concurrences et les rapports de force sociaux, politiques et économiques. Malgré une première vague d’optimisme, il est toutefois désormais reconnu que la participation n’est pas une panacée pour répondre aux problématiques de la conservation. Elle peut également être accompagnée d’effets non désirés. La manière dont la participation est légiférée et implémentée varie souvent considérablement. Cependant, les arènes participatives laissent entrevoir l’émergence de nouvelles initiatives et des alliances parfois inattendues entre des acteurs jusqu’alors distants. Autant d’éléments qui méritaient d’être explorés dans le cadre de ce travail de recherche consacré à un espace protégé en transition quant à son mode de gouvernance.

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1. DES CONCEPTS A LA PRATIQUE
1 L’INJONCTION PARTICIPATIVE DANS LA GESTION DE L’ENVIRONNEMENT
2 LA QUESTION PARTICIPATIVE AU PRISME DU TERRAIN : AMBITION DE RECHERCHE ET
REFORMULATION
3 A LA CROISEE DES DISCIPLINES ET DES THEORIES : CADRE ET METHODOLOGIE DE RECHERCHE
CHAPITRE 2 : LA FORET DES CONVOITISES. CENT ANS DE POLITIQUES SOCIALES, LIBERALES ET ENVIRONNEMENTALES DANS LES PARCS NATIONAUX DU MEXIQUE (1910-2013)
1 CONTINUITES ET RUPTURES DES POLITIQUES PUBLIQUES MEXICAINES
2 LE MILLEFEUILLE DES POLITIQUES DE CONTROLE
3 LE TEMPS DES RECONFIGURATIONS : REFLEXIONS INTERNATIONALES ET SOLUTIONS LOCALES
4 CONCLUSION
CHAPITRE 3 : EFFETS DE L’INSTRUMENTATION PARTICIPATIVE SUR LES MODES DE GESTION LOCALE
1 LES INSTITUTIONS COMMUNAUTAIRES ISSUES DU SYSTEME AGRAIRE MEXICAIN
2 EFFETS DES INSTRUMENTS DE GESTION PARTICIPATIVE SUR LES SYSTEMES DE GOUVERNANCE LOCALE
3 RELATIONS ENTRE LES INSTRUMENTS DE GESTION PARTICIPATIVE ET LES SITUATIONS D’ACTION
4 EFFETS DES INSTRUMENTS PARTICIPATIFS SUR LES SYSTEMES DE GOUVERNANCE COMMUNAUTAIRE ET LA CONSERVATION DES FORETS
CHAPITRE 4 : LES EFFETS DE LA PARTICIPATION SUR LA GOUVERNANCE DU NEVADO DE TOLUCA
1 LA RECLASSIFICATION DE L’ESPACE PROTEGE : UNE PARTICIPATION INSTRUMENTALISEE
2 LES EFFETS DE L’INSTRUMENTATION PARTICIPATIVE DE L’ACTION PUBLIQUE
3 L’ANALYSE DE LA GOUVERNANCE DU NEVADO DE TOLUCA: CADRE ANALYTIQUE VS CADRE NORMATIF
CHAPITRE 5 : SYNTHESE GENERALE
1 LA GOUVERNANCE ENVIRONNEMENTALE, PAR-DELA LES FRONTIERES DISCIPLINAIRES
2 LES POLITIQUES DE CONSERVATION AU TRAVERS DE LEURS INSTRUMENTS
3 DISCUSSION
BIBLIOGRAPHIE
LISTE, LEXIQUE ET TABLES
LISTE DES SIGLES ET ACRONYMES
LEXIQUE DES TERMES HISPANOPHONES UTILISES
TABLE DES FIGURES
TABLE DES TABLEAUX
TABLES DES GRAPHIQUES
TABLES DES ENCADRES
TABLE DES CARTES
TABLE DES MATIERES
ANNEXES

Télécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *