Effets d’un gradient de lumiere sur la croissance en hauteur

Les conifères qui croissent dans le sous-bois développent souvent une cime bien différente de celle observée en pleine lumière. En effet, plusieurs chercheurs ont montré des différences morphologiques importantes au niveau de la cime (Kohyama 1980; Leiffers et Stads 1994; O’Connel et Kelty 1994) et des aiguilles (Aussenac 1973; Leverenz 1987a,b; Abram et Kubiske 1990; Lieffers et al. 1993; Galinski 1994; Gilmore et al. 1995). Ces caractères phénotypiques reflètent les stratégies d’allocation des carbones en fonction des ressources lumineuses disponibles (Givnish 1988; Sprugel 1989; Waring 1991; Ford 1992; Margolis et al. 1994).

En sous-bois, la croissance en hauteur des . conifères est souvent très faible (Kohyama 1980; Carter et Klinka 1992; Klinka et al. 1992). On observe plutôt une allocation préférentielle pour la croissance des branches latérales au détriment de l’accroissement en hauteur (Ghent 1956; Kohyama 1980; Oliver et Larson 1990). L’élagage des branches inférieures est fréquent sur le tronc. Les branches portent des aiguilles caractérisées par un parenchyme chlorophyllien mince possédant peu de stomates (Aussenac 1973; Tucker et Emmigham 1977; Abrams et Kubiske 1990). Leur petite masse par unité de surface (g/mm²) reflète la faible capacité photosynthétique de ces aiguilles (Leverenz 1987b). La distribution et l’orientation des aiguilles sur les branches dépendent du degré d’éclairement spécifique de la branche et de la direction de la source lumineuse (Leverenz et Hinckley 1990; Galinski 1994). Le regroupement des aiguilles sur les branches supérieures maximise la photosynthèse nette par unité de branche (Carter et Smith 1985; Leverenz et Hinckley 1990; Jordan et Smith 1993) et permet une assimilation économique du C02 en maintenant le maximum d’aiguilles en direction du soleil pour un minimum de branches sur le tronc (Sprugel et al. 1991 ). La croissance à l’ombre favorise donc le développement d’une cime en parapluie (Kohyama 1980) reflétant ainsi la stratégie de capture de l’énergie lumineuse tout en minimisant l’ombrage entre les branches (Kohyama 1980; Sprugel et al. 1991 ).

La formation d’une trouée au niveau de la strate arborescente permet l’augmentation de la quantité et l’amélioration de la qualité de la lumière atteignant la régénération de sous-bois (Canham et al. 1990; Engler 1993). Cette augmentation élève le taux de photosynthèse nette du feuillage (Leverenz et Hinckley 1987; Leiffers et al. 1994) et stimule la croissance en hauteur. En général, la croissance en hauteur augmente d’une façon exponentielle avec la proportion de lumière émise au dessus de la forêt jusqu’à un maximum de 25- 30% de lumière (Logan 1965; Carter et Klinka 1992; Klinka et al. 1992). La croissance en hauteur atteint son maximum aux environs 30%, tandis que la biomasse foliaire continue d’augmenter en proportion avec le quantité de lumière (Logan 1965; Leiffers et Statd 1994). Cette augmentation de la biomasse foliaire s’observe par une production accrue de branches nodales au verticille et d’aiguilles de masse spécifique plus élevée. Certains conifères produisent également des branches internodales. La cime augmente donc sa capacité d’interception de lumière sans allouer davantage à la croissance en hauteur (Lavigne 1991). Selon Lavigne (1991), les gains photosynthétiques sont nettement supérieurs aux besoins d’entretien et les surplus de carbones réalisés seraient alloués de préférence dans les autres partie de la plante. La croissance en pleine lumière développe une cime bien élancée vers le haut fortement dominée par la croissance apicale en hauteur. Un feuillage plus dense soutient en énergie la croissance en hauteur alors que le patron d’architecture de l’arbre distribue ce feuillage d’une façon à maximiser la capture de la lumière (Kuuluvainen et Pukkala 1989; Margolis et al. 1994). Même en pleine lumière, les conifères très tolérants à l’ombre montrent une allocation toujours plus importante pour la capture de la  lumière par rapport à l’accroissement en hauteur (Woodward 1994).

Ainsi, les grandes différences morphologiques existantes entre la croissance à l’ombre et la croissance en pleine lumière laissent présager un gradient de morphologie de la cime en fonction des conditions d’éclairement. Ce gradient serait probablement contrôlé d’une façon hiérarchique par la croissance en hauteur (Oliver et Larson 1990; Kohyama 1991 ). En effet, plusieurs auteurs ont montré avec évidence que la quantité de lumière reçue à la flèche terminale stimule la croissance en hauteur des conifères tolérants à l’ombre (Logan 1965; Carter et Klinka 1992; Klinka et al. 1992). Donc, il nous semble que la quantité de lumière reçue à la flèche terminale devrait être corrélée d’une façon significative avec l’accroissement en hauteur ainsi qu’avec un certain nombre de caractères morphologiques de la cime.

Au sud de la forêt boréale, le sapin baumier (Ab i es balsamea (L.) Mill.) est un conifère très tolérant à l’ombre (Frank 1990). Son cycle de vie semble bien adapté aux perturbations du couvert arborescent (Fye et Thomas 1963; Frank 1990; Osawa 1994) En sous-bois, sa régénération développe la plupart du temps une cime en forme de parapluie très différente de celle observée en pleine lumière. La formation de trouées stimule la croissance en hauteur de la régénération préétablie du sapin baumier (Hatcher 1964; Ghent 1958, Pominville 1993). Le démarrage de la croissance en hauteur va entraîner des changements importants dans la morphologie de la cime (Ghent 1958). Ces changements phénotypiques sont bien connus mais actuellement nous ne savons pas comment le sapin modifie in situ sa croissance en hauteur et la morphologie de la cime en proportion avec le degré d’ouverture dans la strate arborescente. Ainsi, l’objectif général de cette recherche était de quantifier la croissance et la morphologie générale de la cime de jeunes sapins baumiers régénérés naturellement, en fonction d’un gradient naturel de lumière.

En sous-bois, la distribution spatio-temporelle de la lumière est très hétérogène. Les saisons, la latitude, la topographie et l’heure de la journée changent, à chaque instant, l’angle d’incidence des rayons solaires pénétrant la forêt. De plus, le couvert arborescent intercepte et modifie, selon ses propriétés (densité et composition floristique, etc.), la lumière jusqu’au parterre forestier (Chazdon et Field 1987; Turnbull et Yates 1993; Engler 1993; Baldocchi et Collineau 1994). Ainsi durant une journée ensoleillée, la lumière atteignant le parterre forestier sera composée d’un mélange hétérogène et dynamique de rayonnements directs, diffus, réfléchis et réfractés par l’environnement (Chazdon 1988; Smith et al. 1989; Engler 1993). La lumière du sous-bois sera dominée par les longueurs d’ondes vertes (Engler 1993). Par contre, en journée nuageuse, les nuages agissent comme un diffuseur et la lumière pénètre dans la forêt sous tous les angles à la fois. Une lumière diffuse et enrichie de bleues règne en sous-bois (Engler 1993). Un microsite forestier a toujours un patron d’irradiation journalier spécifique caractérisé par des variations spatiales et temporelles de la qualité et de la quantité de lumière (Anderson 1964; Chazdon 1988; Smith et al. 1992; Engler 1993; Baldocchi et Collineau 1994). La lumière est donc difficile à caractériser en sous-bois (Reifsnyder et al. 1971; Pearcy 1991; Baldocchi et Colllineau 1994).

Malgré les variations spatio-temporelles de la lumière en sous-bois, plusieurs chercheurs ont montré pour les conifères qu’une estimation du pourcentage moyen de lumière photosynthétique (400-700 nanomètres) est généralement suffisant pour expliquer plusieurs variations phénotypiques (Carter et Klinka 1992; Klinka et al. 1992; O’Connel et Kelty 1994). Cette proportion est généralement estimée par des lectures ponctuelles enregistrées d’une façon continue durant une journée ensoleillé, ou une journée nuageuse ou en combinant les deux estimations (Salminen et al. 1983; Tang et al. 1992; Messier et Puttonon 1995). Toutefois, ces modes d’estimation nécessitent plusieurs heures d’enregistrement, des conditions météorologiques idéales et l’installation de plusieurs senseurs (Pearcy 1991; Baldocchi et Collineau 1994). L’analyse informatisée de photographies hémisphériques est une alternative intéressante. Elle permet d’estimer la proportion de lumière totale, directe et/ou diffuse, pour différentes périodes de la journée et de l’année (Anderson 1964a; Chazdon et Field 1987; Canham et al. 1990; Rich et al. 1993). Cette technique nécessite toutefois une programmation complexe et s’avère très coûteuse (Pearcy 1991 ). En 1995, Messier et Puttonen ont suggéré une technique rapide d’estimation du %PAR basée sur la faible variation spatio-temporelle de la lumière régnant en sousbois durant une journée complètement nuage~se. D’après leur étude, la proportion relative moyenne journalière de lumière, reçue à chaque minute sur un microsite, ne varie pas d’une façon significative durant une journée complètement nuageuse (Messier et Puttonen 1995). De plus, la proportion de lumière estimée à un microsite par des lectures continues durant une journée entièrement nuageuse est à peu près équivalente à la proportion estimée durant une journée complètement ensoleillée (Vézina et Boulter 1966; Anderson 1970; Plamondon et Grandtner 1975; Tang et al 1992; Messier et Puttonen 1995). Messier et Puttonen {1995) ont donc suggéré qu’une lecture ponctuelle faite en  journée complètement nuageuse serait suffisante pour estimer la proportion moyenne journalière de lumière reçue à un microsite. Nous avons donc testé cette technique pour estimer la proportion moyenne journalière de lumière reçue à la flèche terminale de chaque sapin échantillonné.

Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
ARTICLE 1. A SIMPLE AND EFFICIENT METHOD TO ESTIMA TE MICROSITE LIGHT AVAILABILITY UNDER A FORESTCANOPY
1.1.1 Abstract (résumé)
1.2 Introduction
1.3 Methods
1.4 Results and Discussion
ARTICLE Il. EFFECTS D’UN GRADIENT DE LUMIERE SUR LA CROISSANCE EN HAUTEUR ET LA MORPHOLOGIE DE LA CIME DU SAPIN BAUMIER RÉGÉNÉRÉ NATURELLEMENT
2.1.1 Résumé (Abstract)
2.2 Introduction
2.3 Description du site
2.4 Méthodologie
2.4.1 Choix des sapins
2.4.2 Environnement lumineux des sapins
2.4.3 Croissance et morphologie de la cime
2.4.4 Anlayses statistiques
2.5 RÉSULTATS ET DISCUSSION
2.5.1 Croissance totale
2.5.2 Morphologie de la cime
2.5.3 Production de branches nodales et internodales
2.5.4 Feuillage
2.6 CONCLUSION
CONCLUSION GÉNÉRALE

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