Etude des altérations microbiennes affectant les ossements archéologiques

Etude des altérations microbiennes affectant les ossements archéologiques

Le système osseux 

Les os : caractéristiques générales Les os sont formés de l’assemblage de plusieurs tissus : le tissu osseux, le périoste, le cartilage et la moelle osseuse (Baronne, 1999 ; Ruzon et al., 2005). Par sa structure composite et son hétérogénéité, le système osseux est multifonctionnel. A Fonctions du système osseux : Structurés par la combinaison de plusieurs tissus, les os sont durs et rigides, ce qui permet à la charpente osseuse de soutenir les tissus mous, de protéger les organes internes et de permettre le mouvement. Cette fonction mécanique est produite par les muscles qui prennent attache sur les os grâce aux tendons et agissent sur eux comme sur des leviers. Le tissu osseux a également une fonction homéostasique par sa capacité de réserve de substances minérales qui peuvent être puisées ou déposées par le sang pour maintenir une composition constante. De plus, les os, par le biais de la moelle osseuse, élaborent les cellules sanguines : c’est le processus d’hématopoïèse (Baronne, 1999, Tortora et al., 2007). B Types morphologiques des os : Dans la littérature, trois types d’os sont principalement distingués: les os longs, plats et courts (Baronne, 1999 ; Guay, 2005). – Les os longs situés les membres, dont une des dimensions est plus grande que les autres, sont constitués d’un corps (ou diaphyse) et de deux extrémités (ou épiphyses). Les os allongés comme les clavicules et les côtes (ou os arqués) peuvent être inclus dans cette classe. – Les os plats, minces et larges, se caractérisent par l’équivalence de deux des dimensions, longueur et largeur. Ils se rencontrent dans les ceintures, scapulaires et pelviennes, la face et le crâne. – Les os courts se distinguent par des dimensions (largeur, longueur et épaisseur) à peu près égales. Ces os se retrouvent dans les extrémités des membres (carpes, tarses, doigts) et la colonne vertébrale. Enfin, certains os dans l’organisme sont inconstants. Il s’agit des os suturaux, sésamoïdes et surnuméraires.

Composante structurale des os

La structure des os peut s’étudier à différentes échelles. 9 A Architecture du tissu osseux : L’os au niveau macroscopique : Un os long adulte est constitué d’une diaphyse et de deux épiphyses. La diaphyse se caractérise par une structure osseuse compacte nommée os cortical. Elle est parcourue en son centre d’une cavité remplie de moelle. Les épiphyses sont constituées d’os spongieux appelé aussi os trabéculaire. Les autres os (plats, courts et longs), quant à eux, sont seulement composés d’une mince couche d’os cortical sous laquelle prend place le tissu spongieux (cf. Fig. 1) Figure 1 : L’os et ses différentes composantes (Sasso, 2008). La formation du tissu osseux : Deux types principaux de tissus osseux sont reconnus : le tissu osseux primaire et le tissu osseux secondaire. Le tissu osseux primaire, se formant au début des étapes de l’ossification, est dépourvu de structure particulière. En effet, sa principale fonction est de servir de réserve minérale pour l’édification de l’os secondaire qui le remplacera rapidement. Le tissu osseux secondaire, qui retiendra par la suite toute notre attention, est ainsi constitué d’un assemblage de lamelles osseuses. L’os lamellaire le plus caractéristique est l’os cortical (Baronne, 1999). L’os cortical au niveau microscopique : L’os cortical est constitué de plusieurs couches osseuses structurées différemment. De la partie externe à la partie la plus interne sont retrouvés : le périoste, membrane fibreuse recouvrant la majorité de l’os, la zone intra-corticale qui constitue la zone médiane de l’os et l’endoste, enveloppe interne de l’os cortical (An & Martin, 2003) (cf. Fig. 2). Ces différentes couches osseuses sont caractérisées par des systèmes lamellaires distincts : Sous le périoste, de larges lamelles d’os périostal, ou lamelles externes, sont disposées concentriquement et parallèlement à la surface externe de l’os. Située au plus près de la cavité 10 médullaire se trouve la couche de lamelles internes, constituées de lamelles concentriques et irrégulières, fabriquée par la moelle. Entre ces deux couches précédentes se trouve le système de Havers (cf. Fig. 3). Figure 2 : L’os cortical et sa structure (BZ2011-05). Le système de Havers est composé d’unités microscopiques cylindroïdes, ou ostéons (cf. Fig. 3) jointes les unes aux autres de façon à peu près parallèle. Chaque ostéon est constitué d’un canal central, ou canal de Havers, de section plus ou moins ovoïde (30 à 40 µm de diamètre) et de lamelles osseuses. Les canaux de Havers sont occupés par des fibres nerveuses et capillaires et sont reliés entre eux par d’étroits canaux perforants, appelés canaux de Volkmann. Autour du canal central, la matrice osseuse est disposée en lamelles concentriques, entre lesquelles des petites cavités, ou lacunes, s’observent. Ces dernières contiennent des ostéocytes, anciens ostéoblastocytes à l’origine de l’ostéification. Les ostéocytes s’irradient en prolongements cytoplasmiques au niveau des canalicules leur permettant de s’unir aux lacunes voisines. Les ostéons sont délimités à leur périphérie par une fine couche, appelée cément, fortement minéralisée et dépourvue de collagène. Cette dernière marque la limite atteinte par l’ostéon lors de son édification. Enfin, entre les ostéons, des lamelles interstitielles subsistent ; elles correspondent aux vestiges d’ostéons plus anciens détruits par l’ossification secondaire (Baronne, 1999 ; Olszta et al., 2007) (cf. Fig. 4). L’existence d’un os lamellaire peut être une indication de l’âge de l’individu. Le compte des ostéons, plus particulièrement, pourrait permettre une estimation de l’âge chez les adultes les plus jeunes (Jackes et al., 2001). 11 Figure 3 : Représentation de la structure d’un os long (Baronne, 1986). Figure 4 : Photographie MEB (échantillon moderne témoin, 200 µm) ; figuration des canaux de Havers, lamelles osseuses, lacunes ostéocytaires et ligne de cément ; ostéons interstitiels entre les ostéons. L’os trabéculaire au niveau microscopique : L’os trabéculaire est constitué d’ostéons courts, dilatés et irréguliers dont les cavités centrales sont plus ou moins communicantes. Les lamelles d’ostéons adjacents s’unissent pour former les trabécules osseuses (Baronne, 1999). Les processus diagénétiques se répercutent fortement sur la structure histologique comme nous le verrons dans les chapitres suivants. L’histologie a également d’autres intérêts notamment dans la distinction des espèces animales ou déterminer si le fragment squelettique est d’origine humaine ou animale (Hillier et al., 2007). 12 B Matrice extracellulaire osseuse : La matrice extracellulaire de l’os est composée d’une phase organique (20-30% du poids sec de l’os) et d’une phase minérale (60-70% du poids sec de l’os) intimement liées. L’os contient un troisième constituant : l’eau à hauteur de 10% du poids d’un os (Reiche, 2002 ; Olszta et al., 2007). La phase organique: La phase organique confère à l’os son élasticité. Elle est constituée à 90% de collagène de type I et de divers protéines non-collagéniques (glycoprotéines, protéoclycanes, etc .), lipides, enzymes, carbohydrates et hormones (Plate, 1994 ; Pate, 1998 ; An & Martin, 2003). Le collagène de type I est une protéine constituée de trois chaines polypeptidiques : deux chaines α1 et une chaîne α2 qui s’organisent en une triple hélice (tropocollagène). L’association de plusieurs molécules, de façon parallèle, formera des fibrilles et l’assemblage de ces dernières des fibres. (Collins et al., 1995 ; Olszta et al., 2007 ; Lebon, 2008 ; Nehlich & Richards, 2009 ; Fratzl, 2008). Les fibres s’organisent parallèlement pour former les lamelles osseuses (cf. Fig. 5). Figure 5 : Figuration de la structuration des molécules de collagène au sein des fibres (Fratzl, 2008), où (a) représente les différents niveaux d’insertion de la molécule de collagène et où (b) et (c) illustrent les interactions entre fibrille et molécules. La phase minérale : La phase minérale permet à l’os d’être rigide. Elle est composée de phosphate de calcium plus ou moins carbonaté et appartient à la famille des apatites (Trueman & Martill, 2002). Elle dérive par substitution de l’apatite phosphocalcique (Ca10(PO4)6(OH)2) qui porte aussi le nom d’hydroxyapatite (HAP). Cette dernière se présente sous forme de cristaux qui ont la particularité d’être extrêmement petits (50 nm x 25 nm x 2,5 nm) (Weiner et Traub in Lebon, 2008). 13 La phase minérale a la caractéristique d’être mal cristallisée (Person et al., 1995) et de contenir de nombreuses impuretés qui peuvent se substituer aux groupements Ca2+, PO4 3- ou OH- (Na+ , K+ , Mg2+ , HPO4 2- , Sr2+, Ba2+, Pb2+, etc.) (Reiche et al., 2002). La molécule d’hydroxyapatite peut évoluer en stabilité lorsque les carbonates se substituent aux groupements phosphates et/ou aux groupements hydroxyles. Les carbonates, lorsque leur concentration est importante, agissent en diminuant la taille et en modifiant la forme des cristaux (Legeros, 1981 in Lebon, 2008). Liens phases organique/minérale : Les phases minérale et organique sont intimement associées. La première renforce et protège la seconde. Des cristaux d’hydroxyapatite de formes irrégulières se déposent dans les espaces formés par le réseau des molécules de collagène. Les cristaux croissent préférentiellement dans le sens de la longueur des molécules de collagène et leurs faces sont approximativement parallèles entre elles (cf. Fig. 6 et 7) (Olszta et al., 2007 ; Lebon, 2008). Figure 6 : Illustration de l’organisation du système de Havers à différentes échelles (Katz et al., 2006).  Figure 7 : Illustration de l’organisation des fibrilles de collagène et leur minéralisation progressive (Olszta et al., 2007). Chaque tube représente une molécule de tropocollagène, les mesures associées sont les distances inter-moléculaires.  Le terme « taphonomie » a été créé et défini par le paléontologue russe Efremov en 1940. Il provient des mots grecs taphos (enfouissement) et nomos (lois). Il s’agit de l’étude des restes animaux qui résultent du passage biosphère/lithosphère. Ainsi, la taphonomie se concentre sur l’histoire post-mortem (pré-enfouissement ou biostratinomie, enfouissement, et post-enfouissement ou diagenèse) des vestiges (Lyman, 1984). Ces trois étapes qui constituent l’histoire taphonomique sont distinctes par leurs agents, processus et par conséquent par les traces retrouvées à la surface des vestiges. Ainsi, la taphonomie est une donnée importante puisqu’elle affecte et donc biaise l’état et la fréquence des vestiges. Son étude et sa compréhension permettent non seulement une meilleure compréhension des contextes archéologiques et paléontologiques, mais permet aussi d’évaluer le potentiel des vestiges, dont les altérations pourraient interférer avec des analyses postérieures sur les biomolécules, les compositions élémentaires et isotopiques (Lyman, 1984). L’ensemble des processus taphonomiques peuvent se synthétiser en trois dimensions : l’objet, l’espace et l’aspect transformation. Tout d’abord, la dimension objet est constituée de trois catégories : les vestiges sont ajoutés, enlevés d’un assemblage ou maintenus en position (addition, soustraction, maintien). La dimension spatiale, quant à elle, inclut le mouvement ou la staticité des vestiges. Enfin, la dimension transformation, implique que l’objet soit modifié (fragmenté, chauffé, etc.) ou conservé dans son intégrité (Lyman, 1984). Dans ce travail de master, nous nous sommes essentiellement concentrés sur cette dimension transformation.

Biostratinomie et enfouissement

A La biostratinomie : La carcasse ou les tissus squelettiques initiaux subissent de nombreuses transformations avant l’enfouissement. Plusieurs grandes catégories se dégagent : la squelettisation, qui consiste en la disparition des tissus mous par l’action d’animaux tels que les carnivores, les insectes, les microorganismes, la désarticulation, la dispersion (fluviatile, anthropique, animale), l’accumulation, les actions anthropiques (fracturations, broyage, chauffages, traces de boucheries, traces technologiques, etc.), les actions naturelles (abrasion, intempérisation, minéralisation, dissolution, coloration, etc.) et animales (rongements, griffages, fracturations, piétinements, digestion, etc.) (Lyman, 1984 ; Andrews & Cook, 1985 ; Denys, 2002 ; Fernandez-Jalvo et al., 2002). 16 B L’enfouissement : Deux étapes majeures sont distinguées : la déposition et la sédimentation. Les os, par divers processus, se retrouvent parfois enfouis de plus en plus profondément, et subissent ainsi l’accroissement du poids de la couverture sédimentaire. Ainsi, selon le degré d’altération diagénétique des vestiges, les ossements seront plus ou moins sensibles aux pressions physiques s’exerçant. Ces pressions entraîneront de multiples déformations et fracturations. D’autres phénomènes influent également sur la préservation des vestiges comme l’action des racines et des animaux, ou encore la perméabilité et la nature chimique des sédiments. Les processus de sédimentation modifient la distribution spatiale des vestiges par des dispersions verticales et/ou horizontales plus ou moins prononcées (Lyman, 1984 ; Fernandez-Jalvo et al., 2002). Ces deux étapes de l’histoire taphonomique ne doivent pas être négligées car l’altération des surfaces externes peut se répercuter au niveau de la structure osseuse sous la forme de traces et de modifications de la composition chimique des ossements, et donc influencer les transformations postenfouissement. II Diagenèse : Le terme « diagenèse », défini initialement en géologie, correspond aux processus menant à la transformation des dépôts sédimentaires (Foucault et al., 1988 ; Lyman, 1984). Appliquée aux vestiges osseux, la diagenèse implique l’ensemble des phénomènes physico-chimiques et biologiques qui peuvent affecter le tissu osseux au niveau structural et chimique (Reiche, 2000). Les processus diagénétiques sont régis par un certain nombre de facteurs intrinsèques, liés aux propriétés du matériau (taille du spécimen, porosité, structure moléculaire et chimique), et extrinsèques liés aux propriétés du milieu (pH du milieu sédimentaire, régimes hydriques et de température, activité microbienne, etc.) (Lyman, 1984, Sasso, 2008). Les transformations osseuses causées par les microorganismes seront plus longuement évoquées dans la partie suivante. Les phases minérales et organiques de l’os seront plus ou moins affectées par les divers processus diagénétiques.

Table des matières

PARTIE I : LE SYSTEME OSSEUX ET ALTERATIONS
Chapitre 1 : Le système osseux
I Les os : caractéristiques générales
A Fonctions du système osseux
B Types morphologiques des os
II Composante structurale des os
A Architecture du tissu osseux
B Matrice extracellulaire osseuse
Chapitre 2 : Processus d’altération taphonomique
I Biostratinomie et enfouissement
A La biostratinomie
B L’enfouissement
II Diagenèse
A Altération de la phase minérale
B Altération de la phase organique
Chapitre 3 : Microorganismes et altérations de la micro-structure de l’os
I Altérations biochimiques
A Facteurs environnementaux et biologiques
B Premières altérations subies par un corps
C Dégradation du tissu osseux
II Caractérisation des attaques microbiennes
A Les altérations d’origine fongique
B Les altérations d’origine bactérienne
C Expérimentations dans la littérature
PARTIE II MATERIEL ET METHODES
Chapitre 1 : Présentation du référentiel moderne
I Corrosion du sol
A Immersion des ossements dans des solutions à pH différents
B Enfouissement des ossements dans des sols de nature différente
II Altérations microbiennes en milieu contrôlé
A Mise en culture
B Enfouissement prolongé (2 ans) dans un sol forestier
C Expérimentation d’ensemencements bactériens par le LRMH
Chapitre 2 : Présentation des sites archéologiques et des vestiges osseux associés
I Le site de Song Terus (Java, Indonésie)
A Présentation du site
B Présentation des échantillons
II Le site de Bize-Tournal (Fance)
A Présentation du site
B Présentation des échantillons
Chapitre 3 : Présentation des méthodes
I Traitement des échantillons avant analyses
II Microscopie électronique à balayage (MEB)
A Principes de cette méthode
B Description de l’histologie osseuse
III Spectrométrie (PIXE)
A Principes de cette méthode
B Applications
PARTIE III : RESULTATS
Chapitre 1 : Le référentiel moderne
I Le référentiel moderne expérimental
A Corrosion de surface
B Porosités et fissurations
C Altérations microbiennes
D Différences d’altérations
II Expérimentation d’ensemencements bactériens par le LRMH
Chapitre 2 : Le site de Song Terus
I Histologie osseuse
A Les ossements de la zone M8
B Les ossements de la zone M10
C Conclusion
II Analyses élémentaires (PIXE)
A Concentrations en éléments
B Comparaison MEB/PIXE
Chapitre 3 : Le site de Bize-Tournal
I Histologie osseuse
A Les ossements du niveau G
B Les ossements du niveau H
C Conclusion
II Analyses élémentaires
A Concentration en éléments
B Comparaisons MEB/PIXE
Chapitre 4 : Synthèse sur les modifications des ossements lors de la diagenèse
Conclusion et perspectives
Liste des illustrations
Liste des tableaux

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