Étude du transport turbulent dans les plasmas du tokamak Tore Supra

Étude du transport turbulent dans les plasmas du tokamak Tore Supra

Généralités sur les tokamaks 

La fusion nucléaire comme réponse à de nouveaux besoins en énergie 

Les développements industriels et démographiques des sociétés humaines ont été accompagnés de besoins énergétiques croissant depuis plusieurs décennies. À plusieurs milliards d’individus sur Terre, il a été nécessaire de définir une politique énergétique afin de garantir l’approvisionnement et d’anticiper les conséquences de la consommation. À l’échelle de nations ou de regroupements de nations, les organisations politiques diversifient les sources d’énergie et recherchent le délicat équilibre entre celles-ci. Le concept de bouquet énergétique est né, cherchant à optimiser l’offre en tenant compte, par exemple, de la rareté et de la localisation des ressources, des contraintes et du coût de leur exploitation, de l’impact environnemental à différentes échelles de temps et d’espace, de l’opinion publique ainsi que de la qualité des relations internationales entre producteurs et consommateurs. Ainsi, les choix sont réalisés selon des facteurs techniques et humains. Le sol terrestre est un gisement considérable de matériaux utiles à la production d’énergie, mais certaines ressources sont consommées beaucoup plus rapidement que leur temps caractéristique de renouvellement, s’il peut être défini. On qualifie ces énergies de non renouvelables. On y compte les sources d’énergie majoritaires, de type fossile : pétrole, charbon, gaz naturel, gaz de schiste ou non fossile : uranium, thorium, etc., nécessaires à la fission nucléaire. Des efforts relativement récents cherchent à augmenter la part de la consommation énergétique liée aux énergies renouvelables, telles l’éolien, l’hydroélectrique, la biomasse, la géothermie, le solaire photovoltaïque et thermique, etc. Aucune solution universelle n’existe à ce jour : les énergies fossiles sont mises en cause pour leur contribution à la pollution atmosphérique et à l’effet de serre. Le gaz naturel, relativement prometteur, est mal réparti sur la planète et pose des problèmes géopolitiques. Dans le cas du gaz de schiste, les méthodes actuelles d’extraction du soussol sont contestées. La fission nucléaire résout en apparence les inconvénients des énergies fossiles  Nombre de nucléons dans le noyau Energie de liaison moyenne par nucléon (MeV) FIGURE 1.1 – Énergie de liaison au sein de noyaux conventionnels, montrant la possibilité de récupérer de l’énergie par fusion de noyaux légers, tel l’hydrogène, et fission de noyaux lourds, tel l’uranium (crédits Wikimédia, CC-BY-SA 3.0). mais son exploitation, dangereuse, demande beaucoup de rigueur, tandis que le traitement des déchets de la filière pose des défis encore non résolus. Les énergies renouvelables sont séduisantes mais sont difficiles à mettre en œuvre à l’échelle de la demande mondiale. Dans ce contexte, la recherche pour la production d’énergie à partir de fusion nucléaire prend tout son sens. Cette technique promet une production d’énergie à grande échelle tout en estompant fortement les difficultés associées à la fission (risques de défaillance et défi du traitement des déchets). Par ailleurs, les combustibles sont accessibles en grandes quantités sur Terre.

 Principes de la fusion nucléaire 

La fusion nucléaire consiste à faire fusionner deux noyaux atomiques pour former un élément plus lourd. De façon simplifiée, lors de la fusion de deux noyaux, deux forces sont en compétition : la force électrostatique, répulsive et à longue portée, et l’interaction forte, attractive et à plus courte portée. Le bilan d’énergie lié à la réunion des noyaux change avec la masse de ceux-ci (cf. figure 1.1). Pour les espèces les plus légères (de l’hydrogène au fer), un excédent d’énergie apparaît, sous forme d’énergie cinétique des produits de réaction ou de rayonnement. La réaction dégage une grande quantité d’énergie par nucléon, ce qui en fait une des sources d’énergie les plus concentrées. Pour les espèces les plus lourdes, le bilan énergétique est négatif. Pour cette raison, les projets de fusion nucléaire se concentrent sur les éléments légers tels l’hydrogène et ses isotopes, alors que la fission nucléaire n’est opérée que sur des éléments lourds. La réaction de fusion nucléaire la plus accessible est celle de la fusion entre le deutérium (D) et le tritium (T), isotopes de l’hydrogène formés d’un proton et de respectivement un et deux neutrons, comme illustré en figure 1.2. Le deutérium est présent dans les océans dans des quantités dépassant largement les besoins humains. Le tritium, plus rare, est obtenu à partir de lithium, élément assez 6 n + 14.1 MeV 2 H 3 H He + 3.5 MeV 4 FIGURE 1.2 – Bilan énergétique d’une réaction de fusion entre des noyaux de deutérium et de tritrium. courant sur Terre. La réaction D-T libère une énergie de 17.6 MeV 1 : 2 1D+ 3 1 T →4 2 He (3.5 MeV) +1 0 n(14.1 MeV). D’autre part, la réaction D-T a une relativement grande section efficace de collision (taille de la cible qu’une des particules doit atteindre pour réagir avec l’autre), dépassant σ ≈ 10−28 m 2 à une température optimale proche de T ≈ 100 keV, à laquelle toutes les particules sont ionisées et où le milieu est à l’état de plasma. Cette température optimale résulte d’un équilibre entre la présence de la barrière de potentiel, éliminant les trop faibles températures, et la faible probabilité de collision efficace des particules de vitesse élevée, éliminant les trop fortes températures. Le calcul des conditions optimales inclut le fait que des réactions peuvent avoir lieu à des énergies d’impact inférieures à la barrière électrostatique, par un effet quantique de type tunnel, augmentant les possibilités de réaliser la fusion sur Terre. La fusion existe déjà dans la nature, par exemple au cœur du Soleil. De façon générale, les étoiles trouvent leur énergie dans la fusion thermonucléaire des protons qu’elles contiennent en leur cœur. L’ambition des programmes de recherche en fusion est de produire une réaction analogue sur Terre. Le principal obstacle à la réalisation de la fusion sur Terre est la barrière d’énergie électrostatique qu’il est nécessaire de franchir. Concrètement, cela signifie qu’il faut communiquer suffisamment d’énergie aux noyaux pour obtenir des réactions de fusion. Lors des impacts trop faibles, le choc entre noyaux est de type élastique, au bilan neutre en énergie. Dans le cœur du Soleil, le confinement est assuré par la gravité et les réactions de fusion ont lieu grâce à la très haute densité du milieu, environ cent cinquante fois plus grande que celle de l’eau sur Terre, associée à une température très élevée, de l’ordre de quinze millions de degrés. Sur Terre, l’Homme a d’abord pu produire de telles réactions de façon explosive et incontrôlée, à des fins militaires, en concevant la bombe H. La réalisation de la fusion à des fins domestiques est toujours à l’état de développement. Un des grands défis liés à la réalisation de cette réaction est le besoin de porter le cœur du plasma à une température extrême (plusieurs dizaines de millions de degrés) tout en évitant de faire fondre l’enceinte, avec un plasma suffisamment froid au bord. Un critère, dit de Lawson, permet d’exprimer que la puissance dégagée par les réactions de fusion (Pf usion) est supérieure à la puissance de chauffage qui a dû être consommée 1. L’unité d’énergie électron-Volt, notée eV, est utilisée par la suite pour quantifier la température, avec 1 eV = 11605 K = 11332°C. De façon conventionnelle en physique de plasmas, on sous-entend la présence de la constante de Boltzmann kB dans les formules analytiques, si bien que les termes de température ont une dimension d’énergie. 7 pour porter le plasma à une température suffisante (Pchau f f age). Ce critère montre que le produit entre la densité n, la température T et le temps de confinement τE doit être suffisamment élevé. Le temps de confinement désigne le temps caractéristique de refroidissement du plasma. Pour des températures typiques de 10 à 20 keV, ce critère s’exprime par : nT τE > 1021 m −3 keV s En définissant le facteur d’amplification Q = Pf usion/Pchau f f age, le critère de Lawson correspond à Q > 1. Lorsque Q = 1, on parle de break even. Lorsque les réactions de fusion maintiennent le plasma à une température suffisamment élevée pour entretenir les conditions nécessaires sans l’aide d’un chauffage extérieur, soit Q = ∞, on parle alors d’ignition. Il n’est cependant pas nécessaire d’atteindre l’ignition et l’objectif d’une installation industrielle du futur est d’avoir Q  1. Par exemple, le projet ITER est conçu pour opérer avec Q ∼ 10. Les installations actuelles permettent d’atteindre Q . 1. Par exemple, en 1997, la machine Joint European Torus, en Grande-Bretagne, a pu produire pendant quelques instants 16 MW de puissance de fusion en plus des 24 MW de chauffage, soit Q = 0.66. On note que de la puissance dégagée par les réactions de fusion, seule celle contenue dans les particules alpha (environ 20 %) est capable de chauffer le plasma. Les neutrons sortent de la zone de confinement sans interagir avec le plasma et leur énergie servira, à terme, à la production d’énergie électrique. Parmi les plusieurs voies explorées, deux méthodes font l’objet de développements soutenus : la fusion par confinement inertiel, caractérisé par un n élevé mais un τE court, et la fusion par confinement magnétique, caractérisé par un τE plus long mais un n plus faible. La fusion par confinement inertiel consiste, dans sa version la plus classique, à irradier une cible de combustible par une impulsion laser de très haute puissance. La cible, s’écrasant sur elle-même, fusionne et produit de l’énergie. Plusieurs installations dans le monde développent cette technique, comme le National Ignition Facility (Livermore, Californie, États-Unis) et le Laser Mégajoule (Le Barp, France), et stimulent le domaine de recherche sur les interactions entre laser et plasma. Certains résultats sont encourageants mais plusieurs défis technologiques restent aujourd’hui sans réponse. Par exemple, comment irradier plusieurs cibles à la suite alors que les dispositifs laser ont besoin de longuement refroidir pour être précis ? Comment produire des capsules de combustible aussi symétriques que possible pour bien imploser, à un prix suffisamment faible pour que le procédé soit viable économiquement ?

Table des matières

1 Contexte – transport dans un plasma de tokamak et mode géodésique acoustique
1.1 Généralités sur les tokamaks
1.1.1 La fusion nucléaire comme réponse à de nouveaux besoins en énergie
1.1.2 Principes de la fusion nucléaire
1.1.3 Technique de confinement magnétique
1.1.4 Équilibre d’un plasma de tokamak
1.1.5 Écoulements
1.2 Transport
1.2.1 Transport néoclassique
1.2.2 Transport turbulent
1.3 Mode Géodésique Acoustique – contexte théorique et expérimental
1.3.1 Observation et identification du GAM
1.3.2 Prédiction théorique de la fréquence GAM
1.3.3 Excitation du GAM et interaction de celui-ci avec les flots zonaux et la turbulence
1.3.4 Amortissement linéaire du GAM
1.3.5 Structure radiale du GAM
2 Mesure par réflectométrie Doppler
2.1 La réflectométrie Doppler
2.1.1 Principe
2.1.2 Principes de la diffusion collective
2.1.3 Système électronique à détection hétérodyne
2.1.5 Propagation du faisceau dans un plasma non turbulent .
2.1.6 Pilotage
2.1.7 Localisation de la mesure et tracé de rayon
2.1.8 Forme des spectres en fréquence
2.2 Mesure du profil radial de la densité électronique
2.2.1 Détermination de la densité par interférométrie
2.2.2 Détermination de la densité par réflectométrie
2.2.3 Traitement et assemblage des mesures de densité
3 Asymétrie poloïdale de la vitesse perpendiculaire des fluctuations de densité
3.1 Comparaison de la vitesse perpendiculaire des fluctuations à deux angles poloïdaux
3.1.1 Sélection des décharges pour cette étude
3.1.2 Mesures de V⊥
3.2 L’asymétrie de V⊥ est-elle liée à une asymétrie du potentiel électrostatique ?
3.2.1 Reformulation des résultats en unités de champ électrique parallèle
3.2.2 Effets de courants sur le champ électrique parallèle
3.2.3 Étude de l’équilibre parallèle des forces
3.2.4 Symétrie poloïdale du champ électrique radial dans une simulation GYSELA avec ripple
3.2.5 Conclusion
3.3 L’asymétrie de V⊥ est-elle liée au comportement des fluctuations ?
3.3.1 Des conséquences de l’orientation des fluctuations
3.3.2 Détection de fluctuations de vitesses de phase différentes
3.3.3 Conclusion
4 Détection et caractérisation du mode géodésique acoustique dans les signaux d’expérience et de simulation.
Application à un cas expérimental
4.1 Détermination de l’évolution temporelle de la vitesse perpendiculaire des fluctuations de densité dans
l’expérience
4.1.1 Stratégie d’analyse
4.1.2 Présentation de l’analyse par classification en signaux multiples
4.1.3 Implémentation de l’analyse par classification en signaux multiples
4.1.4 Cas de signaux contenant également des variations de basse fréquence
4.2 Caractérisation de la dynamique des oscillations de vitesse perpendiculaire
4.2.1 Stratégie d’analyse
4.2.2 Transformée de Hilbert-Huang
4.2.3 Applications de la transformée de Hilbert-Huang
4.3 Étude des propriétés du GAM lors d’un changement de point de contact du plasma
4.3.1 Contexte d’étude : couplage des flots dans la SOL et le plasma de bord
4.3.2 Modification de l’intensité des GAMs
5 Comparaison des propriétés du mode géodésique acoustique entre expériences sur Tore Supra et une simulation gyrocinétique
5.1 Observation expérimentale des GAMs
5.1.1 Cadre de l’étude : scan adimensionel de la collisionalité dans Tore Supra
5.1.2 Identification du GAM
5.1.3 Détermination des profils de fréquence GAM dans l’expérience
5.1.4 Présence de paliers dans le profil de fréquence GAM
5.2 Observation du GAM dans une simulation GYSELA du cas haute collisionalité
5.2.1 Description de la simulation avec le code GYSELA
5.2.2 Paramètres plasma et protocole de normalisation des grandeurs de GYSELA
5.2.3 Mesures du profil de fréquence GAM
5.2.4 Identification du GAM et répartition de son énergie selon les modes poloïdaux
5.3 Discussion du désaccord entre expérience et prédiction théorique
5.3.1 Variance entre les prédictions théoriques
5.3.2 Effets géométriques
5.3.3 Effets des impuretés
5.3.4 Effets du nombre d’onde radial du GAM, kr, lié à la propagation du mode
5.3.5 Effet de l’anisotropie en pression
5.3.6 Autres effets dont la contribution est faible
5.3.7 Synthèse
5.4 Propagation du GAM dans la simulation
5.4.1 Propagation de groupe
5.4.2 Synchronisation radiale de la phase du GAM
5.4.3 Discussion
5.5 Étude de l’intensité moyenne et de l’instationarité du GAM
5.5.1 Mesures expérimentales de l’intensité moyenne du GAM
5.5.2 Estimations de la source turbulente et de l’amortissement
5.5.3 Observations de l’intensité moyenne en simulation
5.5.4 Variations temporelles de l’intensité GAM
5.5.5 Temps d’autocorrélation des bouffées GAM
5.5.6 Signification du temps de bouffée GAM observé

projet fin d'etude

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