Expressions des grands changements paléoclimatiques au Cénozoïque

Expressions des grands changements paléoclimatiques au Cénozoïque

Les Méthodes géochimiques

Les isotopes stables de l’oxygène

 Le rapport isotopique de l’oxygène est utilisé depuis près d’un siècle pour reconstruire les variations de température au cours des temps géologiques (Urey, 1948 ; Epstein et al., 1951). Ce rapport isotopique peut être utilisé aussi bien sur du matériel biogène phosphaté comme des dents de poissons et de mammifères marins (Pucéat et al., 2007 ; Dera et al., 2009) que carbonaté comme les foraminifères (benthiques et planctoniques), les mollusques (bivalves, gastéropodes, céphalopodes), les brachiopodes, les bryozoaires et les coraux pour reconstruire les températures des eaux profondes (BWTs) ou de surface (SSTs). Il peut également être utilisé pour reconstruire les températures atmosphériques (MATs) à partir de spéléothèmes, paléosols, dents et os de mammifères terrestres ou gastéropodes d’eaux douces. 

Principe de thermodépendance 

Ce marqueur géochimique se base sur le fractionnement thermodynamique qui apparait entre les isotopes de l’oxygène : (16O (99,757 %), 17O (0,038 %) et 18O (0,205 %)) lors de la précipitation d’un carbonate (nous restons focalisés ici sur l’application aux carbonates dans ce travail). La composition isotopique en oxygène d’un carbonate est exprimée par le rapport entre l’isotope le plus lourd (18O) et l’isotope le plus léger et abondant (16O) par rapport à un standard international VPDB (Vienna PeeDee Belemnite, exprimé en ‰). 𝛿 18𝑂(‰) = [ ( 𝑂 18 16𝑂 )𝑒𝑐ℎ ( 18𝑂 16𝑂 ) 𝑠𝑡𝑑 − 1] ∗ 1000 Au cours des dernières années, plusieurs équations de thermodépendance ont été proposées dans la littérature liant le δ 18O du carbonate à la température de l’eau dans laquelle il a précipité (Figure III.4). Ces équations sont basées soit à partir de la calcite inorganique produite en laboratoire (Kim et O’Neil 1997 ; Watkins et al., 2014), soit à partir d’organismes à test ou coquille carbonatés (calcitique / aragonitique) comme les foraminifères benthiques et planctoniques (Shakleton, 1974 ; Erez et Luz, 1983 ; Bemis et al., 1998), les mollusques (Anderson et Arthur, 1983 ; Grossman et Ku, 1986 ; Kobashi et Grossman, 2003) ou les coraux (Weber et Woodhead, 1970 ; Juillet-Leclerc et Schmidt, 2001). Cependant, les équations proposées pour chacun de ces biocarbonates sont utilisables uniquement sur la famille ou l’espèce en question. Par exemple, il existe même plusieurs équations de thermodépendance Chapitre III : Matériels et Méthodes 119 réalisées sur plusieurs espèces de coccolithophoridés. En effet, ces micro-organismes peuvent induire des effets vitaux pouvant impacter le rapport isotopique de l’oxygène (différence entre le δ18O d’un biocarbonate et d’un carbonate de synthèse précipité dans les mêmes conditions physico-chimiques). Ainsi, pour une température donnée, il est possible d’obtenir un fractionnement de l’ordre de 5 ‰ pour deux espèces différentes de coccolithophoridés (Dudley et al., 1986). Hormis les coccolithophoridés d’autres espèces comme les coraux peuvent précipiter en déséquilibre isotopique sous l’influence d’effets cinétiques et/ou métaboliques (McConnaughey, 1989a, 1989b)

La plupart des mollusques et plus spécifiquement des bivalves ne montrent pas d’effets vitaux prononcés pouvant produire un déséquilibre isotopique pour l’oxygène car il peut y en avoir pour le carbone) (Wefer et Berger, 1991 ; Lee et Carpentier, 2001), bien que des effets vitaux aient été mis en évidence sur certaines espèces de rudistes (Steuber, 1999). Il est ainsi largement considéré que les bivalves secrètent, sauf exception, leur coquille proche de Chapitre III : Matériels et Méthodes 120 l’équilibre avec l’eau de mer (Epstein et al., 1953 ; Krantz et al., 1987 ; Surge et al., 2001 ; Elliot et al., 2003). Pour cette étude nous utiliserons l’équation de thermodépendance proposée par Anderson et Arthur (1983) pour les bivalves calcitiques (Équation 1) : 𝑇(°𝐶) = 16 − 4.14 ∗ (δ 18𝑂𝑐 − δ 18𝑂𝑠𝑤) + 0.13 ∗ (δ 18𝑂𝑐 − δ 18𝑂𝑠𝑤) 2 Eq. 1 et l’équation de Kobashi et Grossmann (2003) pour les bivalves aragonitiques (Équation 2): 𝑇(°𝐶) = 20.6 − 4.34 ∗ (δ 18𝑂𝑎 − δ 18𝑂𝑠𝑤) Eq. 2

Le δ18O de l’eau de mer

 La composition isotopique d’un biocarbonate dépend donc de la température mais aussi du δ18O de l’eau de mer (δ18Osw) dans laquelle l’organisme a précipité sa coquille. Cependant, dans le cas des reconstitutions de températures marines passées, il peut être difficile de déterminer avec exactitude le δ18Osw dans laquelle le foraminifère ou encore le mollusque a précipité sa coquille. Le δ18Osw exprimé en ‰ par rapport au standard SMOW (Standard Mean Ocean Water) pour l’océan ouvert varie actuellement à la surface du globe entre -3 et 2 ‰ mais aussi au cours des temps géologiques (Figure III.5). Figure III.5 : Représentation de la variation en δ18O de l’eau de mer (‰ SMOW) actuelle à la surface du globe (d’après LeGrande et Schmidt, 2006). La valeur moyenne du δ18O de l’océan dans son ensemble pour une période donnée dépend principalement du volume de glace continentale permanente accumulée au niveau des pôles (calottes polaires). L’effet des glaciations continentales sur la composition isotopique des océans dérive directement du fractionnement isotopique dans le cycle météorologique. Les précipitations aux hautes latitudes sont significativement appauvries en 18O par rapport aux eaux océaniques. Par conséquent, quand les glaciers continentaux se développent et grossissent, le 16O est préférentiellement retiré de l’eau de mer et le δ18O augmente dans les océans résiduels ; la réciproque est également valable quand les calottes polaires fondent. Lors de la dernière période chaude sans glace dite de « greenhouse » le δ18Osw global était proche de -1 ‰ (Kennett et Shackleton, 1975) et à contrario lors de la dernière période froide actuelle dite de « icehouse », le δ18Osw est plus élevé avec des valeurs proches de 0 ‰ (Figure III.6A). 

Table des matières

Remerciements
Liste des Figures
Liste des Tableaux
Introduction générale
Références.
Chapitre I : État de l’Art
I.1. Les grands changements climatiques de l’Éocène au Miocène moyen 26
I.1.1. Évolution des températures océaniques profondes
I.1.2. Évolution des températures marines de surface
I.1.2.1. Évolution des SSTs aux hautes latitudes de l’hémisphère Nord
I.1.2.2. Description des SSTs aux basses latitudes
I.1.2.3. Description des SSTs aux hautes latitudes Sud
I.1.3. Évolution des températures de l’air en milieu continental
I.1.3.1. Description des MATs en hémisphère Nord
I.1.3.2. Description des MATs en hémisphère Sud
I.2. L’origine des changements climatiques associés à la Transition Éocène-Oligocène
et au Miocène moyen
I.2.1. Variation du cycle du carbone : pCO2 atmosphérique
I.2.2. Paléogéographie : Changement de circulation océanique
I.2.2.1. Ouverture des passages de Drake et de Tasmanie : Mise en place du courant ACC
I.2.2.2. Fermeture de la Téthys
Chapitre II : Contextes géologiques des Séries Etudiées
II. Les affleurements Éocène-Oligocène
II.1.1. L’Ile de Wight (Angleterre)
II.1.1.1. Le Colwell Bay Member
II.1.1.2. Le Gurnard Bay Member
II.1.2. La Floride (États-Unis)
II.1.2.1. La Upper Ocala Limestone (Éocène supérieur)
II.1.2.2. La Formation Bumpnose (Transition Éocène-Oligocène
II.1.2.3. La Marianna Limestone (Oligocène)
II.2. Les affleurements Miocène
II.2.1. Les bassins Liguro et Rhodano provençaux
II.2.1.1. Carry-Le-Rouet .
II.2.1.2. Castillon-du-Gard
II.2.2. La Floride (États-Unis) : La Formation de Chipola
II.2.3. Les séries miocènes du Bassin Aquitain
Références
Chapitre III : Matériels et Méthodes
III.1. Matériels d’étude
III.1.1. Les bivalves
III.1.1.1. La famille des Ostreidae
III.1.1.2. La famille des Pectinidae
III.1.1.3. La famille des Glycymerididae
III.1.1.4. La famille des Veneridae
III.1.2. Utilisation des bivalves pour les reconstitutions paléoclimatiques et
paléoenvironnementales
III.1.2.1. Les marqueurs paleoenvironnementaux isotopiques
III.1.2.2. Les marqueurs paleoenvironnementaux élémentaires
III.1.3. État de préservation
III.1.3.1. La microscopie à cathodoluminescence
III.1.3.2. La diffraction des rayons X
III.1.3.3. Préservation du signal Δ47
III.2. Les Méthodes géochimiques
III.2.1. Les isotopes stables de l’oxygène
III.2.1.1. Principe de thermodépendance
III.2.1.2. Le δ18O de l’eau de mer
III.2.1.3. La salinité
III.2.1.4. Méthode analytique
III.2.2 Les « clumped isotopes ».
III.2.2.1. Principe de thermodépendance
III.2.2.2. Méthode analytique
III.2.2.3. Traitement des données « brutes » de Δ47
III.2.2.4. Incertitudes sur les valeurs de Δ47
III.2.3 Les isotopes stables du strontium
III.2.3.1. Double emploi du rapport isotopique 87Sr/86Sr
III.2.3.2. Protocole de purification du strontium
III.2.3.3. Mesures isotopiques
Références
Chapitre IV : Expression des changements climatiques et
paléoenvironnementaux à la Transition Éocène-Oligocène
dans les domaines côtiers de l’Océan Atlantique Nord
IV.1. Résumé étendu
IV.2. Article 2: Paleotemperatures and paleosalinities evolution across Eocene –
Oligocene Transition in brackish environments on Isle of Wight (UK) deduced from
geochemical measurements on bivalves shells
IV.2.1. Abstract
IV.2.2. Introduction
IV.2.3. Geological setting
IV.2.3.1. Colwell Bay outcrops
IV.2.3.2. Gurnard Bay outcrops
IV.2.4. Materials and geochemical methods
IV.2.4.1. Preservation of studied material
IV.2.4.2. Oxygen isotope analyses
IV.2.4.3. Clumped-isotope analyses
IV.2.4.4. Strontium isotope analyses
IV.2.5. Results
IV.2.5.1. Bivalve oxygen isotope composition
IV.2.5.2. Clumped isotope analyses
IV.2.5.3. Strontium isotope analyses
IV.2.6. Discussion
IV.2.6.1. Intra-shell variability of oyster oxygen isotope composition
IV.2.6.2. Seawater δ18O and salinities variations in coastal environment
IV.2.6.3. Shallow seawater temperature evolution across Eocene-Oligocene Transition 179
IV.2.7. Conclusion
Supplementary Materials
References
IV.3. Comparaison du signal paléoclimatique et paléoenvironnementale à la Transition
Éocène-Oligocène de part et d’autre de l’Océan Atlantique en domaine côtier 197
IV.3.1. Description des résultats géochimiques des bivalves des carrières de Floride 199
IV.3.1.1. Résultats des mesures de δ 18O
IV.3.1.2. Résultats des mesures de Δ47
IV.3.1.3. Résultats des mesures de 87Sr/86Sr
IV.3.2. Discussion
IV.3.2.1. Évolution des températures marines peu profondes au cours de la Transition
Éocène-Oligocène
IV.3.2.2. Expression de la salinité et du cycle hydrologique local autour de la Transition
Éocène-Oligocène en Floride
IV.3.3. Conclusion
IV.4. Conclusion
Références
Chapitre V : Expression des changements climatiques Miocène
(MMCO et MMCT) en domaine côtier entre la Mer
Méditerranée et l’Océan Atlantique Nord
V.1. Résumé étendu
V.2. Article 1 publié dans la revue Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology:
Seawater paleotemperature and paleosalinity evolution in neritic environments of the
Mediterranean margin: Insights from isotope analysis of bivalve shells 3
V.2.1. Résumé étendu Article 1
V.2.2. Article 1 publié dans la revue Palaeogeography, Palaeoclimatology,
Palaeoecology
V.3. Comparaison de l’expression du MMCO et MMCT en Mer semi-fermée (Mer
Méditerranée) avec son expression dans l’océan ouvert (Océan Atlantique Nord)
V.3.1. Abstract
V.3.2. Introduction
V.3.3. Geological Setting
V.3.3.1. Willacoochee Quarry (Southern Georgia, USA)
V.3.3.2. Aquitaine Basin (South West of France)
V.3.4. Materials and geochemical methods
V.3.4.1. Materials preservation
V.3.4.2. Clumped isotope and oxygen isotopes analyses
V.3.4.3. Strontium isotope analyses
V.3.5. Results
V.3.5.1. Bivalve clumped isotopes and oxygen isotope composition
V.3.5.2. Strontium isotope analyses
V.3.6. Discussion
V.3.6.1. Temperature variations inferred from clumped isotope in the open North Atlantic
Ocean during the Miocene
V.3.6.2. Salinities and strontium isotopes evolution during the Miocene between a semiclosed Sea and an Open Ocean
V.3.6.3. Comparison of the sea surface temperature evolution in the Northern hemisphere
during the Miocene according to the thermodependent marker used
V.3.7. Conclusions
References
V.4. Conclusion
Chapitre VI : Comparaison modèles – données à la Transition
Éocène-Oligocène et au Miocène moyen
VI.1. Les domaines côtiers : zone de transition entre le domaine continental et le domaine marin
VI.1.1. Comparaison des données de SSTs et des températures côtières
VI.1.2. Comparaison des données de MAT et des températures côtières
VI.2. Comparaison de ces nouvelles données de températures côtières avec les sorties
de modèles numériques pour l’EOT et le Miocène
VI.2.1. Comparaison modèles-données des températures à la Transition Éocène Oligocène
VI.2.2. Comparaison modèles-données des températures au Miocène
VI.2.2.1. Impact de la diminution de la pCO2 sur le climat Miocène
VI.2.2.2. Impact de la fermeture du passage Est-Téthysien sur le climat Miocène
VI.2.3. Conclusion
Références
Chapitre VII : Synthèse et perspectives
VII.1. Synthèse des principaux résultats
VII.1.1. Utilisation des bivalves pour la reconstitution des températures de l’eau de mer
VII.1.2. Utilisation des bivalves pour la reconstruction du δ18O de l’eau de mer et du volume de glace lors des grandes glaciations
VII.1.3. Les isotopes du strontium : marqueur géochimique pour retracer les variations de salinité ?
VII.2. Perspectives de recherche
VII.2.1. Développement de la technique laser pour les mesures de Δ47 : Accès à la saisonnalité
VII.2.2. Utilisation de la cathodoluminescence comme indicateur d’environnements côtiers
VII.2.3. Expression de la Transition Éocène-Oligocène en domaine côtier dans l’hémisphère Sud : Cas de la Patagonie et de la Nouvelle-Zélande
VII.2.4. Application de ce nouveau couplage en domaine continental : Étude des environnements lacustres et rivières
Références

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