Vie et contraintes de l’imprimeur, l’entreprise familiale des Petits

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Activités économiques et culturelles à Grenoble

En termes d’activité commerciale et culturelle, la ville n’est pas totalement dépouillée par sa puissante voisine lyonnaise et fait preuve d’un certain dynamisme dans divers domaines. Outre la fameuse production gantière grenobloise, ancienne et renommée, d’autres commerces s’installent et prospèrent en parallèle de cette économie. Parmi ces commerçants on trouve entre autres divers chaudronniers, miroitiers, cordonniers49 et drapiers qui composent la palette de métiers actifs au sein de la cité dauphinoise. Plus globalement la population marchande à Grenoble représentait entre 6% et 10% de la population totale, ce qui reste relativement faible, mais non négligeable50. Les activités artisanales sont aussi représentées par la plupart des industries textiles, ou bien encore les métiers du bâtiment. Dans la ville, la plupart des métiers artisanaux sont regroupés dans un quartier spécifique et mis à l’écart du quartier des parlementaires, jugés nocifs au développement de l’activité culturelle par les élites de la ville.
On trouve également une activité culturelle et intellectuelle bien présente, loin de l’image de ville pauvre et dénuée d’activité que l’on pouvait véhiculer sur Grenoble à l’époque. En effet, d’une part, l’enseignement est confié aux ordres religieux qui dispensent une éducation, même basique, à toutes les catégories de la population, afin que même les plus pauvres sachent lire et écrire. D’autre part, des cours de médecine et de chirurgie sont également dispensés à Grenoble dans des écoles spécialisées et réputées dans la région.
Pour le divertissement, le théâtre et l’opéra sont également présents en ville et l’on y joue les dernières pièces à la mode (Monsigny, Voltaire, etc.) et surtout, toutes les tranches de la société y sont acceptées, sans discrimination, le prix des entrées étant suffisamment bas pour permettre au plus grand nombre d’y assister. Le monde du livre n’est pas non plus en reste. Au XVIIIème siècle, par exemple, les cabinets de lecture se développent en ville, dont l’un des plus connus est celui de l’imprimeur Joseph Cuchet et, avec la création et l’ouverture de la bibliothèque de Grenoble ces deux éléments contribuent à diffuser la lecture dans la commune.
La création de la Société littéraire à la fin du XVIIIème siècle contribue à attirer davantage de lecteurs et écrivains dans la ville tels que Rousseau et, comme pour le reste des provinces, la mode littéraire étant encore à l’époque très similaire à celle de Paris, à Grenoble comme ailleurs, élites et roturiers adoptaient les lectures de la Cour par mimétisme, avec le décalage propre à l’éloignement de la capitale, phénomène qui prend cependant fin dans la seconde partie du XVIIIème siècle. La circulation et la distribution des derniers ouvrages et lectures se fait par l’intermédiaire des imprimeurs-libraires de la ville qui constituaient donc les principaux biais d’influence culturelle entre la capitale et Grenoble. Enfin, la ville a accueilli en son sein quelques auteurs célèbres comme Nicolas Chorier ou Stendhal, même si ce dernier détestait profondément la cité qui l’avait vu naître. Il n’y a d’ailleurs jamais fait publier d’ouvrage et ne manque pas de critiquer la ville dans ses ouvrages. Pour le reste des écrits produits à Grenoble, il s’agit en majorité d’auteurs locaux et relativement peu connus au-delà des frontières du Dauphiné qui écrivent des récits sur la région ou qui produisent les généalogies des familles grenobloises et dauphinoises célèbres.

L’introduction de l’imprimerie en Dauphiné

L’arrivée des métiers de l’imprimerie et de la librairie en Dauphiné est relativement rapide. C’est en effet dès 1478 à Vienne que la première presse est installée. Grenoble est la seconde ville à bénéficier de l’imprimerie en 1490, suivie enfin par Valence en 150351. Cependant, malgré cette diffusion plutôt prompte, les imprimeurs ne parviennent pas à se stabiliser véritablement dans les trois cités avant le milieu du XVIème siècle pour Valence et le début du XVIIème pour Grenoble et Vienne. En effet, la majorité des ateliers installés étaient alors en concurrence directe avec Lyon et ne faisaient, pour la plupart d’entre eux, que de la sous-traitance pour cette dernière, comme ce fut le cas pour les imprimeries viennoises par exemple. C’est finalement grâce à l’augmentation de la demande universitaire en premier lieu, puis du nombre de lecteurs, qui offrirent enfin l’occasion aux imprimeurs dauphinois de se développer dans les trois cités, s’accaparant le monopole de l’activité sur la région, malgré quelques tentatives éphémères d’installation dans d’autres villes comme Romans vers 165052.
Les nouvelles politiques royales de concentration de surveillance et de censure instaurées dans le courant du XVIIème siècle n’eurent qu’un impact très limité sur la répartition des imprimeurs-libraires en Dauphiné. Après 1704, Grenoble, Valence et Vienne furent d’ailleurs confortées et confirmées dans leur privilège exclusif et il en fut ainsi tout le long du XVIIIème. Globalement, à l’échelle du royaume, ces lois ne changèrent que très peu la géographie de l’imprimerie, entraînant simplement une concentration accrue des ateliers.

Le monde du livre à Grenoble au XVIIème siècle

Etat du corps des libraires et imprimeurs à Grenoble

Si, dans les villes dauphinoises voisines, on ne comptait qu’un seul atelier, possédé dans les deux cas par une seule et même famille sur l’ensemble du XVIIIème siècle, Grenoble en revanche possédait un nombre d’imprimeries bien plus élevé. En effet, entre 1620 et 1657 leur nombre fluctua entre 2 et 4, nombre qui continua d’augmenter jusqu’à compter 10 maîtres imprimeurs différents opérant en même temps entre 1670 et 168353. Suite à un nouvel arrêt de 1686 qui limite le privilège de l’imprimerie aux seuls détenteurs de la maîtrise de la profession, leur nombre tombe à 6 au tout début du XVIIIème siècle. Enfin, la loi de 1704 réduisit encore leur nombre à 4, chiffre maintenu tout au long du XVIIIème siècle.
Certains de ces imprimeurs ne sont que de passage ou voient leur affaire disparaître par manque d’ouvrage ou encore à leur mort. Tous les imprimeurs indépendants se voient de toute façon supprimer le droit d’imprimer librement avec ledit arrêt de 1686. C’est le cas par exemple de Laurent Gilibert, imprimeur-graveur entre 1670 et 1686, dont l’entreprise à Grenoble disparaît en même temps que lui à son décès en 1686, malgré une descendance nombreuse, dont deux filles mariées à d’autres imprimeurs de la ville (Jean Verdier et François Champ) et un fils, Jean, qui s’installe comme imprimeur mais dans la ville de Valence54. En revanche, certains d’entre eux, au contraire, parviennent à s’établir durablement comme maîtres imprimeurs de la ville et à instaurer des dynasties reconnues qui ont marqué l’histoire de l’édition et de l’impression grenobloise, comme ce fut le cas des familles Verdier et Giroud par exemple55.
La communauté des imprimeurs-libraires grenoblois reste cependant assez modeste. En comparaison, à la même époque, Rouen qui est la troisième ville d’imprimerie de France au début du XVIIIe siècle, possède une communauté bien plus importante. En effet, au début du siècle, on dénombre environ 28 ateliers d’imprimerie à Rouen contre 6 à Grenoble et à la fin du XVIIIe siècle, Rouen en conserve encore une dizaine pour seulement 4 dans la capitale du Dauphiné56. Cette coupe drastique dans le nombre d’ateliers actifs est la conséquence directe de la volonté du pouvoir royal de contrôler l’imprimerie française plus fermement.
Cependant, un tel écart entre les deux cités n’a finalement rien de particulièrement surprenant. En effet, on constate que la plupart des autres villes provinciales équivalentes à Grenoble ont à peu près le même nombre d’ateliers typographiques durant cette période, soit entre 3 et 5 ateliers, au maximum.
Par exemple, à Strasbourg on dénombre 8 ateliers en 1701 et 5 en 1777, quant à Besançon, on passe de 5 à 4 imprimeries pour les mêmes dates57. Aussi, hormis les villes de Paris, Lyon et Rouen, qui sont les cités qui profitent le plus des nouvelles législations, la grande majorité des villes françaises peuvent difficilement compter plus d’une dizaine d’imprimeries au XVIIIe siècle, pour les mieux pourvues d’entre elles. Outre la communauté d’imprimeurs, on dénote également à Grenoble la présence de libraires et colporteurs installés en ville et qui tiennent une place relativement importante comme Lemaire (1778-1799), Pierre Francoz (1777-1780), ou François Brette (1773-1789)58.

Les familles d’imprimeurs majeures de Grenoble

Au sein de la communauté des imprimeurs, tous n’étaient pas égaux et tous n’ont pas marqué l’histoire de la même manière. La concurrence était rude entre les différents ateliers, aussi bien entre les imprimeurs grenoblois qu’avec les presses lyonnaises. Cette compétition devient d’autant plus importante avec les différents édits promulgués entre les XVIIème et XVIIIème siècles qui restreignent de plus en plus le nombre d’imprimeurs en ville et donc, l’accession à la Maîtrise d’imprimerie. Malgré ces contraintes, certaines familles d’imprimeurs parviennent à se démarquer du reste de leurs pairs, érigeant des dynasties prospères, s’instaurant comme imprimeurs de la ville de Grenoble et du roi, et à asseoir un quasi-monopole sur l’imprimerie grenobloise.
Si la plupart de ces grandes dynasties ont déjà été le sujet de nombres de travaux, en refaire une rapide description est nécessaire afin d’achever de poser le cadre au sein duquel évolue la famille Petit.
La première famille d’imprimeurs à avoir marqué l’histoire de la capitale du Dauphiné est la famille Verdier. Ils sont les tout premiers à s’installer de manière stable comme imprimeurs en ville et à obtenir le titre d’imprimeurs du Roi et du Parlement, et Guillaume Verdier, son fondateur, est considéré comme le père de l’imprimerie à Grenoble59. L’entreprise des Verdiers domine tout le XVIIème siècle et fait partie de celles qui auront le plus marqué le milieu de l’impression grenobloise. Cependant, la famille perd son privilège avec l’arrêt du 18 mars 168960 au profit de la famille Giroud et perd peu à peu de son prestige. La dynastie s’éteint finalement en 1710 avec Jean Verdier.
Presque naturellement, ce sont les Girouds, la seconde dynastie majeure d’imprimeurs, qui prennent la place laissée vacante par les Verdiers. Alexandre Giroud, modeste relieur-libraire d’abord, parvient à prendre la succession de Jean Verdier comme imprimeur du Parlement de Grenoble et du Roi en 1689. Dès lors, il produit principalement des actes officiels de façon très prolifique et sa dynastie parvient à se maintenir jusqu’au début du XIXème siècle et voit se succéder à sa tête aussi bien des hommes que des femmes, que sont les veuves de Gaspard Giroud entre 1738 et 1745 et d’André Giroud entre 1767 et 178361 et qui, malgré leur statut, tiennent une place très importante dans l’histoire de leur famille. Finalement, la famille Giroud parvient à établir la dynastie d’imprimeurs la plus longue et la plus productive de Grenoble et reste la principale référence lorsque l’on parle de l’imprimerie grenobloise sous l’Ancien Régime.
La dernière des grandes familles influentes de l’imprimerie grenobloise est la famille Faure. Si leur installation à Grenoble remonte à 1628 avec Pierre Faure, simple libraire, il faut cependant attendre 1677 et le mariage de Claude Faure avec Marie Galle, fille d’André Galle pour que la famille acquière le titre d’imprimeur en reprenant celui du beau-père62 à sa mort. Les publications de Pierre Faure étant inconnues, c’est donc bien Claude qui est le premier des Faure à marquer l’histoire de l’imprimerie et de la librairie à Grenoble dans le début du XVIIIème siècle. Son fils, André Faure prend sa succession 1691 et entre 1722 à 1729, il décide de s’associer avec son frère Pierre avant de reprendre ses activités seul jusqu’en 1753. Son fils André II reprend l’affaire familiale jusqu’en 1781, date à laquelle la famille cesse d’exercer le métier.
Si d’autres familles ont su se faire connaître, comme ce fut le cas des familles Nicolas, Cuchet ou Fremont, leur influence n’a jamais pu égaler celle de ces trois grandes dynasties grenobloises qui ont successivement dominé le milieu de la presse à Grenoble.
Cependant, comme évoqué précédemment, à partir de 1704, l’imprimerie et le commerce du livre à Grenoble connaissent un bouleversement majeur puisque, suite à la volonté de Colbert, l’un des principaux ministres de Louis XIV, de réduire le nombre d’ateliers typographiques en France afin de pouvoir mieux contrôler les impressions, le nombre d’imprimeurs en ville est donc réduit à quatre. Dans tout le royaume, ce sont donc les intendants qui sont chargés de faire un état des lieux des imprimeries, afin de déterminer quels sont les imprimeurs qui peuvent s’établir ou bien conserver leur activité dans une ville, notamment en fonction de leur maîtrise, leur investissement et les œuvres produites, critères qui furent fatals à la famille Verdier.
À Grenoble, c’est l’intendant Fontanieu qui se charge de cet inventaire et qui décide de maintenir trois familles selon l’arrêt du 21 juillet de la même année63, pour un total de quatre imprimeurs officiels que sont donc Pierre et André Faure, Philippine Chagnard, la veuve de Gaspard Giroud, et enfin Mathieu Petit, succédant à son père, Jacques Petit. Cependant, cet arrêt n’est que peu respecté dans un premier temps puisqu’entre 1700 et 1710 on compte encore sept imprimeurs officiants dans la ville en même temps. Il faut attendre la deuxième moitié du XVIIIème siècle pour que la loi soit enfin appliquée à la lettre puisqu’on ne compte alors plus que quatre imprimeurs-libraires actifs64.

Travail et lieux de vie de l’imprimeur à Grenoble

Impression et mise en page : Un modèle bien établi

Jusqu’à la première moitié du XVIIIème siècle, il n’y a pas véritablement de norme concernant la fabrication et l’utilisation des caractères pour l’impression des textes. Les imprimeurs pouvaient employer les modèles qu’ils désiraient sans vraiment d’inconvénient. En revanche, il pouvait arriver que certains types d’origines différentes soient impossibles à utiliser conjointement du fait de l’écart entre les hauteurs typographiques des caractères, si bien que le pouvoir dut intervenir en 172365 en tentant de réguler les normes concernant la fabrication de ces derniers. Enfin, en 1737, Pierre-Simon Fournier publie une « Table des proportions relatives qu’il faut observer, puis un manuel typographique en deux tomes en 1764 et 176666.
En revanche, du côté de la mise en page, certains modèles semblent se mettre en place et s’affirmer. En effet, c’est l’apparition du « blanc ». Entre le XVème et le XVIIIème siècle, c’est l’abandon des pages noircies d’écritures compactes et denses, alors que ces dernières s’aèrent peu à peu dès le milieu du XVIème siècle67.
L’alinéa fait son apparition, séparant d’un espace différents paragraphes courts et concis et se diffuse d’abord au travers des lettres patentes du Roi jusque dans les provinces les plus éloignées de Paris. Les rééditions de textes anciens se font elles aussi sur un modèle similaire, moins plein que les originaux, dès le début du XVIIème siècle. Avec l’allègement des pages arrivent aussi des caractères plus légers et plus étendus que ceux utilisés précédemment68. Les caractères utilisés alors sont volontairement plus jolis et ont aussi un but décoratif, remplaçant peu à peu le Garamond en faveur du Grandjean ou du Didot. Avec eux, les textes gagnent encore en clarté au risque de perdre en lisibilité.
Ce phénomène s’observe également au travers de nos sources, avec de larges marges blanches encadrant des pages de garde et des textes décorés et aérés. Les titres sont gros et prennent une bonne partie de la page, souvent encadrés de gravures. Cependant, ce qui marque le plus, ce sont les similitudes entre des modèles de la seconde moitié du XVIIème siècle et d’autres de la fin du XVIIIème. En effet, entre un ouvrage tiré en 1675 à Grenoble par François Provençal et un autre imprimé et 1785 par Charles Giroud à Avignon69, les similitudes sont frappantes, que ce soit au niveau de la mise en page, de l’organisation ou des caractères utilisés, démontrant bien de l’adoption par les ateliers d’impression d’un modèle préétabli qui se maintient au moins jusqu’à la fin du XVIIIème siècle.

Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE I – Les Petit, origine et instauration d’une famille d’imprimeurs à Grenoble
– Chapitre I – Grenoble et l’imprimerie à la fin du XVIIème siècle
– Chapitre II – Jacques Petit, itinéraire familial et professionnel
PARTIE II – Vie et contraintes de l’imprimeur, l’entreprise familiale des Petits
– Chapitre I – De Jacques à Mathieu Petit, la confirmation d’une dynastie
– Chapitre II – Mathieu et Pierre-Antoine Petit, la correspondance au centre du réseau familial et professionnel
PARTIE III – Famille, succession et héritage : L’avenir de la dynastie Petit
– Chapitre I – Succession et héritage de la famille Petit
– Chapitre II – Quelle postérité pour la famille Petit
CONCLUSION
SOURCES
BIBLIOGRAPHIE

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