Françoise Sagan (France) (1935-2004)

“Un certain sourire” (1956)

Roman

Dominique, qui est jeune, mène une vie indolente entre des études en droit en Sorbonne, qu’elle poursuit sans intérêt véritable, et l’amour que lui porte Bertrand, lui aussi étudiant. Elle s’ennuie : «Il me fallait quelqu’un ou quelque chose. Je me disais cela en allumant ma cigarette, presque à voix haute : quelqu’un ou quelque chose et cela me paraissait mélodramatique.» Or elle rencontre Luc, l’oncle de Bertrand. Elle reconnaît aussitôt en ce charmant quadragénaire et séduisant bourgeois marié quelqu’un de son espèce. Elle est prise d’une envie toute nouvelle, celle d’aimer sans penser aux conséquences, sans se soucier du temps que cela durera, de vivre au présent, sincère mais non passionnée. Elle constate : «J’étais jeune, un homme me plaisait, un autre m’aimait. J’avais à résoudre un de ces stupides petits conflits de jeune fille ; je prenais de l’importance. Il y avait même un homme marié, une autre femme, tout un petit jeu de quatuor qui s’engageait dans un printemps parisien. Je me faisais de tout cela une belle équation sèche, cynique à souhait.» Françoise, la parfaite épouse de Luc, qui a pris Dominique sous son aile, semble aveugle mais souffre en silence, tandis que Bertrand s’indigne et rompt. Ni l’un ni l’autre n’ont pu comprendre ce que peut avoir de singulier ce «jeu dangereux entre deux personnes qui se plaisent vraiment et qui peuvent entrevoir I’une par I’autre une faille, même provisoire à leur solitude». Solitude que Dominique retrouve sans surprise, alors même qu’elle peut continuer de voir Luc ; elle sait que cette promesse qu’ils ont été l’un pour l’autre ne pourra jamais être tenue, sans que ni l’un ni I’un ni I’autre puissent se le reprocher. «Le bonheur est une chose plane, sans repères. […] Peut-être le bonheur, chez les gens comme moi, n’est-il qu’une espèce d’absence, absence d’ennuis, absence confiante. À présent je connaissais bien cette absence, de même que parfois, en rencontrant le regard de Luc, l’impression que tout était bien, enfin. Il supportait le monde à ma place. Il me regardait en souriant. Je savais pourquoi il souriait et j’avais aussi envie de sourire. […] Je me surpris dans la glace et je me vis sourire. Je ne m’empêchai pas de sourire, je ne pouvais pas. À nouveau, je le savais, j’étais seule. J’eus envie de me dire ce mot à moi-même. Seule. Seule. Mais enfin, quoi? J’étais une femme qui avait aimé un homme. C’était une histoire simple ; il n’y avait pas de quoi faire des grimaces.»

Commentaire

Avec une facilité étonnante, Françoise Sagan décrit un amour initiatique et novateur ainsi qu’une jeunesse bercée au whisky, à la cigarette et aux voitures, ce qui était une description de sa propre légende. On a souvent comparé ce deuxième roman au premier, ‘’Bonjour tristesse’’. Certes, il existe beaucoup de points communs entre eux : on retrouve la même désinvolture et la même légèreté : «Rien ne paraît désespérément souhaitable que l’imprudence». Mais sont plus sérieuses les interrogations sur l’amour et la façon dont on peut le vivre, sans emportement ni démesure. Il est analysé avec une maîtrise remarquable et une grande sobriété d’expression, étant considéré comme un moyen d’échapper à l’ennui et à la solitude pour mieux y revenir, retrouver cette solitude inéluctable qui est au cœur de la narratrice, qu’elle supporte d’abord comme une épreuve familière («Un vide qui tenait au sentiment que ma vie ne me rejoignait pas») et que sa passion éclaire pour la rendre plus douloureuse («J’avais été bien étonnée, bien admirative de mon amour […] J’avais oublié qu’il ne représentait rien, sinon pour moi l’occasion de souffrir»).Du côté du style, on retrouva ce qu’on commença à appeler une «petite musique», faite de phrases courtes, de formules fines et justes, de touches d’humour. En 1958, le roman fut adapté au cinéma par Jean Negulesco, avec Christine Carrère, Rossano Brazzi, Joan Fontaine.
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En 1956, Françoise Sagan revint aux États-Unis, y écrivit une série d’articles pour le magazine ‘’Elle’’ qui ont été réunis dans :
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‘’Bonjour New York’’(1956)

Plus qu’une carte postale, c’est un tableau furtif de la ville : «C’est une ville de plein air, coupée au cordeau, venteuse et saine, où s’allongent deux fleuves étincelants : l’Hudson et l’East River.» et pas seulement un éloge : «Il est assez agréable de parler d’une ville comme d’un être, et comme à un être de lui reprocher ses défauts.»
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Le 21 juin 1956, pour fêter son vingt et unième anniversaire, elle loua l’Esquinade à Saint-Tropez où elle et ses convives vidèrent cinquante bouteilles de champagne. Comme elle avait atteint sa majorité, elle put franchir le cercle magique d’un casino, celui de Cannes. Elle allait ensuite fréquenter aussi ceux de Monte-Carlo et de Deauville, devenir passionnée par le jeu.
Cette année-là, elle écrivit avec Alexandre Astruc :
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‘’La plaie et le couteau’’ (1956)

Scénario

Anna a rencontré Bruno, qu’elle a trouvé séduisant. Ils se sont aimés et, cet intense moment de bonheur passé, des larmes coulent sur le visage de la jeune femme. Pourquoi? Qui est-elle? Que ressent-elle, épanouie et bouleversée à la fois?… Mariée depuis cinq ans à un brillant entrepreneur, Éric, avec qui ses relations se sont usées, elle porte en elle l’irrépressible besoin de se sentir libre, d’exister par son propre travail, ses propres initiatives. Son mari lui a concédé la direction d’une galerie d’art, qu’il a achetée pour qu’elle soit occupée, ne perdant cependant jamais une occasion de lui rappeler qu’elle dépend matériellement de lui : «Tu as des droits, tant que tu n’en abuses pas.» Insatisfaite auprès de lui qu’elle n’a pourtant jamais trompé, au milieu de mondanités obligées et d’un travail réduit à un passe-temps, elle a donc rencontré Bruno… Il est directeur artistique d’une maison de disques. Il est libre, semble la comprendre, la pousse à quitter Éric. Ce dernier, surpris, choqué même, tente une ultime démarche auprès d’elle pour la retenir. Mais elle est bien décidée. Pourtant, Bruno ne tarde pas à la traiter en objet, exigeant d’elle une attitude de soumission qu’elle refuse. Éric, obligé de se rendre à l’évidence qu’il a perdu Anna, lui offre la galerie en cadeau de rupture. Touchée par son geste, elle le rejoint à l’aéroport, où il part avec une autre femme. Dans un accès d’orgueil, alors qu’elle prend conscience que tout lui échappe, elle rompt brutalement avec Bruno qui l’a suivie. «Tu n’es pas assez fort pour moi», lui hurle-t-elle dans le bruit des réacteurs de l’avion en partance alors que déjà l’enveloppe la solitude.

Commentaire

En 1960, Alexandre Astruc tourna le film sous le titre ‘’La proie pour l’ombre’’, avec Annie Girardot, Daniel Gélin, Christian Marquand. En 1956, Françoise Sagan écrivit pour Mouloudji les chansons ‘’Les jours perdus’’, ‘’Ciel et terre’’, ‘’Va vivre ta vie’’, qui reçurent des musiques de Michel Magne.
En 1957 seulement, elle, qui aimait beaucoup ses parents, cessa d’habiter chez eux.
Le 13 avril 1957, conduisant son Aston Martin, où se trouvaient aussi Bernard Frank et Voldemar Lestienne, elle en perdit le contrôle à 160 km/h. La voiture fit plusieurs tonneaux avant de se retourner, ce qui faillit lui coûter la vie tandis que les autres étaient indemnes. Il fallut aux secours plus d’une demi-heure pour la désincarcérer. Elle était dans le coma. À l’hôpital de Honfleur, on constata des fractures du crâne, du bassin, du thorax. Son frère prit la décision de la faire transférer à Paris. Quand elle reprit connaissance, pour calmer ses douleurs, les médecins lui administrèrent quotidiennement un dérivé de la morphine, le palfium 875. Comme elle connut trois mois d’immobilisation, à ce régime, elle devint une droguée. Ne supportant pas l’idée d’être dépendante, elle entra alors dans la clinique du docteur Morrel, à Garches, afin de s’y désintoxiquer. Au cours de ce séjour, elle tint son journal, qu’elle allait publier sept ans plus tard sous le titre de ‘’Toxique’’.
Dans une interview accordée à Madeleine Chapsal, elle déclara alors : «Les épreuves n’apportent rien parce qu’elles sont rarement suffisantes pour tarir ces deux tendances profondes que sont un certain appétit du bonheur et un certain abandon au malheur. Cet équilibre, ou ce déséquilibre, chez une personne, varie peu.»
Dans ’’L’express’’ du 13 septembre 1957, François Mauriac écrivit à son sujet : «Elle fait tenir dans les mots les plus simples le tout d’une jeune vie. Et il est vrai que ce tout n’est rien, et que ce rien, c’est pourtant la jeunesse, la sienne, celle de tant d’autres, en fait de tous ceux qui ne se donnent pas.» Et ce chrétien voulut absolument que son oeuvre manifeste un appel à la spiritualité : «L’âme, quoi ! […] Les personnages de F. Sagan ne croient pas qu’ils en aient une. Elle est vivante en eux pourtant, liée à cette chair périssable, qui a déjà commencé à se corrompre, et moi je l’entends crier, Adieu Tristesse, Bonjour Tristesse».

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