Geneviève de Séréville au cinéma avant Guitry

Geneviève de Séréville au cinéma avant Guitry

 

Entre son élection à Cinémonde (13.1.1938) et son premier film avec Guitry (1.12.1938), il s’écoula très peu de temps et ses deux rôles offerts par Cinémonde ne furent pas tellement convaincants.

 

 4.3.1 L’Etrange Monsieur Victor (Grémillon, 1937)

 

 En 1937, Geneviève de Séréville annonce son « départ pour Berlin » où elle jouera avec Raimu. Victor (Raimu) patron d’un aimable bazar toulonnais est également le chef d’une bande de malfrats. Il tue un de ses complices mais son voisin le cordonnier (Pierre Blanchar), mal marié à Adrienne (Viviane Romance) est condamné à sa place. Sept ans plus tard, le cordonnier s’évade et Victor l’accueille dans son foyer mais son épouse (Madeleine Renaud) tombe amoureuse de lui et Victor est arrêté. En fait, elle ne rencontrera jamais Raimu sur le plateau et devra se contenter d’avoir pour partenaire éclair Viviane Romance, très brillante au demeurant, qu’on voit, dans un café, se débattre avec un encombrant bateau à voile pour enfants. Impatiente, elle appelle la serveuse du café et Geneviève accourt à toute vitesse. Son texte tient en une ligne unique : « Oui, oui ! J’arrive ». Pour être juste, on l’aperçoit une seconde fois, immobile et muette, parmi les spectateurs qui assistent à une bagarre dans ce même café. Ses débuts furent extrêmement modestes, on le voit, et son nom ne figure même pas au générique. Elle tourne le film en Allemagne pour l’UFA et les rues de Toulon sont habilement reconstituées dans les studios de Babelsberg par des décorateurs allemands.

Ma sœur de lait (Boyer, 1938) 

Dans son second film : Ma sœur de lait, elle s’appelle Françoise mais n’apparait qu’à la dix-septième place, au générique. Cinémonde n’a vraiment fait aucun effort pour dénicher et propulser une future vedette. Une artiste de music-hall (Henri Garat) a une sœur de lait qui doit venir passer quelques jours à Paris. Conformément aux conventions de l’époque, elle est naturellement stupide et en surpoids puisqu’elle est campagnarde. Une autre jeune fille, mince et fine, elle, (Meg Lemonnier), est amoureuse de l’artiste. Elle se fait passer pour la vilaine sœur de lait et l’artiste tombe amoureux d’elle. On ne sait pas vraiment ce que fait Geneviève de Séréville dans cette galère. Elle tourne à nouveau le film à Babelsberg et signale fièrement ses départs pour l’Allemagne à Guitry qui l’attend.

Geneviève de Séréville chanteuse du cinéma de Guitry 

La « Biche » 

Remontons les Champs- Elysées (1938) Les Perles de la couronne a été un gros succès. Désormais Guitry n’est plus seulement le dramaturge de l’avant et de l’après-guerre de 1914, il est devenu un auteur de films à succès. Grisé par ce succès, il va tourner dans la foulée un second film « historique ». Il aime Dumas qui écrivait dans son Histoire de la maison de Savoie : « Il me paraissait permis de violer l’histoire pourvu qu’on lui fit un enfant283 ». Sacha a déjà évoqué, dans son théâtre, Pasteur, Béranger, Mozart, Franz Hals, Cambronne et Talleyrand, entre autres. 283 Alexandre DUMAS, Emmanuel-Philibert, 1852 édité par La Fontaine de Siloe en 2000. 271 La Biche Une de ses pièces s’intitule Histoires de France (1929) et une autre Mariette ou Comment on écrit l’histoire(1929) dans laquelle il raconte les infidélités de l’ancienne maitresse de Napoléon III (Yvonne Printemps). Ces infidlités sont en fait historiques car, devenue très âgée, elle refait le passé à sa façon et Sacha adopte tout à fait sa profession de foi. Il écrit : « Si quelque chose s’est passé Dans le passé Ne cherchons pas à le savoi Et s’il te plait de supposer Des tas de choses, Eh bien, amuse-toi, suppose, Mais ne cherche pas à savoir Si c’est bien vrai284 » Pour la seconde fois au cinéma, Sacha raconte longuement l’histoire de la France, du grand siècle à nos jours. Déguisé en instituteur excentrique et autoritaire aimé de ses élèves, il évoque également, en filigrane, sa vie sentimentale. A l’époque il est toujours marié à Jacqueline Delubac mais il a une liaison avec Geneviève si bien qu’elles apparaissent ensemble pour la première et dernière fois, dès le début du film. On les voit, l’une après l’autre, mais jamais ensemble. Ce couple virtuel nous est d’ailleurs annoncé, dès le début, par la présentation, à la parade, des deux sœurs siamoises d’un cirque. L’une est anglaise (Or Geneviève vient de passer trois ans en Grande Bretagne) et l’autre française (Or Jacqueline est la parisienne typique des magazines et de la scène). Par la suite, Jacqueline, sera tireuse de cartes (Sacha dit 284 Sacha GUITRY, Mariette ou Comment on écrit l’histoire, La Petite Illustration, 18 5. 1929, p.19. 272 « pythonisse ») et Geneviève pensionnaire du Pré aux cerfs, c’est-à-dire d’une maison de prostitution élégante, réservée au seul Louis XV. Une de fois de plus, Sacha réunit ses amours anciennes et nouvelles, comme il le fit pour Charlotte et Yvonne dans Jean de la Fontaine ou pour Yvonne et Jacqueline, dans Bonne chance. L’une représente le passé, c’est Jacqueline. Elle symbolise la mort, obsession de Guitry, qui pense sans doute ici à la Carmen de Bizet, et ses cartes révèlent à Louis XV qu’il mourra bientôt, peu de temps après le décès de son ami Chauvelin. Elle échange avec le roi, un baiser très discret. Mais, pour Guitry, Jacqueline c’est le passé, la mort des sentiments amoureux. Geneviève, elle, symbolise la vie, l’amour, la sexualité explicite et la chanson. La tunique sombre de Jacqueline contraste avec la froufroutante robe à paniers très claire de Geneviève. Deux scènes sont entièrement consacrées à Geneviève. Dans la première, le roi qui a 54 ans (ce qui est, en gros, l’âge de Sacha) s’ennuie avec Madame de Pompadour qu’il n’aime plus, comme Sacha n’aime plus Jacqueline. Mais soudain son attention est attirée par des cailloux lancés de l’extérieur sur la porte vitrée. Conscient de l’affront qu’il fait à Madame de Pompadour en cessant d’être triste sans qu’elle soit la cause de cette embellie, il se dirige vers la porte, tire le rideau et découvre une jeune fille audacieuse, cachée derrière une immense statue immaculée de Léda qui est assise et de profil. Un cygne tend son bec phallique vers les lèvres de la statue immaculée et le sexe de l’oiseau est nettement placé sur celui de Léda. Geneviève qui se cache derrière la statue, est vêtue d’une robe à paniers ornée de deux rangées de brandebourgs. Elle porte un insolent chapeau en forme de pagode qui est orné de fleurs et de fruits. En fronçant lentement les sourcils, Louis XV fait comprendre à Madame de Pompadour qu’elle devrait le laisser seul, ce qu’elle fait. Il ouvre alors la porte, sort sur son balcon, s’appuie sur la balustrade blanche et Geneviève vient vers lui, souriante. Elle est ensuite vue de profil, un peu en dessous de lui et elle s’appuie également sur la balustrade. Ils échangent des propos très crus mais très enrubannés. Le parallèle évident entre leur dialogue et les amours concrètes du Cygne et de Léda ajoute encore à la tension sexuelle. Sacha commence par l’accuser de lui avoir fait un « cygne » en lui jetant des pierres, ce qui est évidemment ambigu. « On m’a dit qu’une place de 273 biche était vacante » dit la Biche, comme une jeune fille à la recherche d’un emploi. Le Parc-aux-cerfs est un bordel de luxe où elle, La Biche-Geneviève, est ravie d’entrer car c’est comme « un paradis qui serait sur terre », langage de fantasme masculin s’il en fut qui rappelle le vert paradis peuplé de vierges offert à certains terroristes imaginatifs. On est toujours chez les Zoaques. En revanche, on pourrait se réjouir que cette jeune fille émancipée parle avec tant d’aisance de sa sexualité comme le souhaitait Léon Blum. Mais les regards gourmands de Guitry nous gênent car ce que dit la Biche n’est pas le fait d’une jeune fille libérée. C’est une gracieuse marionnette à laquelle un écrivain homme prête le langage viril issu de ses fantasmes. Ce n’est pas du tout une héroïne de Jacqueline Audry découvrant la sexualité. Elle est parfaitement explicite et exprime son désir de connaître de fréquents orgasmes, comme ses camarades qui sont « tuées », c’est-à-dire savamment « honorées » par leur partenaire. Comme les femmes des Zoaques (1906), elle semble apprécier sa future condition de prostituée de luxe et Sacha lui rappelle que sa « petite mort » lui donnera « la « vie » grâce au salaire qu’elle touchera. Derrière ces rubans et ces froufrous, se dessine un univers sordide, manipulé par les hommes et subi par des innocentes comme La Biche. A la fin du dialogue, il la hisse noblement jusqu’à lui et l’embrasse. On frôle la pédophilie. Dans une seconde séquence, elle chante admirablement le texte qu’elle reprendra au Théâtre, dans Le Bien-aimé, deux ans plus tard. L’allusion à son goût pour l’automne – elle qui symbolise le printemps avec la guirlande de fleurs qui orne son corsage – est bien trop évidente pour être soulignée. 

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