Intégration d’électrodes dans les canaux microfluidiques

Depuis une trentaine d’années la microfluidique est un champ disciplinaire très actif qui est devenu incontournable aussi bien dans le monde des microtechnologies que dans celui des sciences analytiques et des biotechnologies. Les objectifs sont de comprendre, manipuler et exploiter des écoulements de fluides dans des systèmes de dimensions microscopiques caractérisés par des rapports surface sur volume élevés. L’enjeu, à terme, est de pouvoir réaliser des laboratoires sur puces (lab-on-a chip) ou des microsystèmes d’analyse totale (µTAS), c’est-à-dire des dispositifs permettant de regrouper toutes les fonctions d’un laboratoire de chimie analytique classique (réactions chimiques, séparation, détection, etc…) sur une puce de quelques centimètres de dimension. Ainsi, les analyses pourront être effectuées sur le terrain, dans des temps réduits et en ne nécessitant que de tous petits volumes d’échantillon.

Par ailleurs, l’électrochimie permet de mettre en œuvre des méthodes de détection fiables, faciles à employer et peu onéreuses. Le courant mesuré dans le cas d’une détection ampérométrique est proportionnel à la concentration de l’espèce électroactive. Il est ainsi possible d’analyser des échantillons de très petits volumes correspondant à de faibles quantités de produit. L’avènement dans les années 1980 des ultramicroélectrodes (électrodes dont les dimensions caractéristiques sont de l’ordre du micromètre voire inférieures) a permis ainsi d’atteindre des performances inégalées allant jusqu’à l’échelle du picolitre. En effet, il découle de la très faible taille de ces objets des propriétés électrochimiques essentielles telles que la réduction de la chute ohmique, la réduction de la constante de temps de la cellule électrochimique ou encore l’augmentation de la sensibilité des mesures suite à l’établissement d’un flux de diffusion localement convergent.

L’emploi d’ultramicroélectrodes en microfluidique ouvre alors de véritables perspectives, ne serait-ce que sur le plan des performances analytiques. Outre leur facilité d’intégration dans des canaux microfluidiques, la miniaturisation possible de l’ensemble des composants constituant la chaine de mesure (composants du potentiostat ou du galvanostat associé) devrait également permettre la portabilité des dispositifs et rendre incontournable l’utilisation de techniques électroanalytiques dans ce domaine. De son côté, la microfluidique offre un choix de techniques basées sur des procédés hydrodynamiques, chimiques, électriques, optiques, acoustiques ou encore magnétiques. Elle dispose également d’outils permettant la miniaturisation de beaucoup de techniques analytiques existantes. Le couplage de la microfluidique et de l’électrochimie devrait donc répondre aux besoins actuels de développer des outils innovants permettant de mener rapidement de nombreuses analyses, de paralléliser les mesures, d’améliorer leur sensibilité, le tout pour des microsystèmes entièrement autonomes.

La mise au point de tels microsystèmes et de leurs différentes fonctions constitue un réel défi et un domaine de recherche pluridisciplinaire particulièrement actif. Cependant, en comparaison, peu d’études ont porté jusqu’à présent sur les potentialités qui pourraient résulter du couplage entre la microfluidique et l’électrochimie. Un des enjeux actuels consiste à comprendre et à contrôler précisément les processus mis en œuvre au voisinage d’électrodes placées sur les parois de microcanaux. La problématique résulte du fait qu’une réaction électrochimique est, par nature, une réaction d’interface alors que les processus à initier ou à détecter dans les microcanaux s’établissent quant à eux dans les trois dimensions de l’espace sous écoulement hydrodynamique. Hormis le transfert d’électron à l’interface, le transport de masse par diffusion-convection s’avère alors déterminant, comme par exemple pour la génération localisée d’espèces chimiques ou encore pour l’implémentation à l’intérieur de microcanaux d’une détection électrochimique performante. Il est donc important de contrôler le transport de masse et d’établir les conditions opératoires optimales selon les applications envisagées. Les processus mis en œuvre ainsi que la réponse des électrodes dépendent de nombreux paramètres, principalement de la géométrie ou de la configuration des dispositifs et des conditions d’écoulement imposées localement. Dans ce contexte, des études ont été menées précédemment au laboratoire, à la fois sur les plans théoriques et expérimentaux, afin de caractériser les différents modes de fonctionnement d’électrodes, qu’elles soient isolées, couplées ou disposées en réseau, en régimes stationnaire et dynamique. Les résultats de ces travaux, comme la plupart de ceux reportés dans la littérature, ont cependant été obtenus pour des microcanaux rectangulaires présentant des rapports d’aspect hauteur sur largeur extrêmement faibles (autrement dit pour des canaux de très grande largeur). Ceci s’explique aisément car ces configurations permettent dans un premier temps de faciliter la résolution des problèmes en ne considérant que des écoulements simples dont le profil de vitesse reste en première approximation bidimensionnel.

Ce travail s’inscrit donc dans le cadre d’une démarche visant à approfondir l’étude du transport de masse au voisinage de microélectrodes dans le cas d’écoulements plus complexes (imposés par la géométrie des canaux ou leur rapport d’aspect) et dans des conditions d’emploi jusqu’à lors inexplorées. Les électrodes se présenteront sous forme de microbandes et le microcanal sera alimenté en continu par une solution contenant une ou plusieurs espèces électroactives. La méthodologie employée au cours de cette étude sera d’effectuer des simulations numériques afin de dégager des lois comportementales, dont certaines seront illustrées expérimentalement. Elle consistera aussi à proposer conjointement des concepts innovants pour le développement de fonctions au sein de dispositifs microfluidiques.

La détection d’espèces électroactives à l’intérieur d’un canal a fait l’objet de nombreux travaux mettant en jeu la taille du canal, celle des électrodes qui y sont insérées (allant du centimètre au micromètre) ainsi que la vitesse d’écoulement de la solution. L’étude du transport de masse au voisinage de ces électrodes nécessite en effet un développement théorique important basé sur la résolution des équations de transport suivant les géométries considérées. Cette étude peut être réalisée à l’état stationnaire [1-10] ou bien en régime dynamique [11-50] afin de mesurer par exemple une vitesse d’écoulement, une concentration locale ou bien pour suivre des cinétiques de réactions. L’enjeu essentiel est, compte tenu des limitations de l’électrochimie, d’optimiser la résolution spatiale et temporelle de la réponse des électrodes dans ces conditions.

Le système qui comprend un microcanal et une ou plusieurs électrodes peut être décrit suivant un modèle à trois dimensions (3D). Cependant, pour des configurations géométriques particulières du canal et/ou des électrodes, des approximations sont généralement effectuées afin de réduire le système à un modèle à deux dimensions (2D). Ainsi, de nombreuses études se sont basées sur des simulations numériques effectuées suivant un modèle 2D, en négligeant la largeur du canal, ce qui peut engendrer des limitations suivant le type d’application envisagé.

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE 1 : TRANSPORT DE MASSE AU VOISINAGE D’ELECTRODES INSEREES DANS UN MICROCANAL : ETAT DE L’ART
1 ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE
1.2 Approche théorique du transport de masse à deux dimensions
1.2.1 Modèle 2D
Profil de vitesse
Equation de transport de masse
Méthodes de résolution
Régime de Levich et régime de couche mince
1.2.2 Travaux antérieurs
Groupe de K. Aoki
Groupe de R.G. Compton
Travaux du laboratoire
1.3 Approche théorique du transport de masse à trois dimensions
1.3.1 Etude de la diffusion transverse
1.3.2 Travaux du groupe de A. C. Fisher
2 REGIMES DE FONCTIONNEMENT POUR DES MICROBANDES DANS UN
MODELE A DEUX DIMENSIONS
2.1 Grandeurs adimensionnées et mise en équation
2.2 Régimes de diffusion-convection
2.3 Caractéristiques des profils de concentration générés en aval de l’Ġlectrode
2.4 Propagation de fronts de concentration
3 BILAN
CHAPITRE 2 : ELECTRODES SONDES DE CONCENTRATION A HAUTE RESOLUTION TEMPORELLE
1 CONCEPT DE SONDE DE CONCENTRATION
1.1 Applications potentielles
1.2 Principe
2 APPROCHE THEORIQUE
2.1 Modélisation
2.1.1 Méthode de génération du front de concentration
2.1.3 Critère de comparaison
2.2 Conditions de fonctionnement
2.2.1 Conditions optimales
2.2.2 EĐaƌts à l’idéalité
2.3 Illustrations théoriques
3 VALIDATION EXPERIMENTALE
3.1 Principe des expériences
3.2 Conditions opératoires
3.3 Détection de fronts de concentration
3.4 Détection de pics de concentration
4 CONCLUSION
CONCLUSION GENERALE

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