Intérêts d’une réflexion portant sur la dimension sociale de l’accessibilité en Géographie

Intérêts d’une réflexion portant sur la dimension sociale de l’accessibilité en Géographie

« (…) Actuellement, les projets justifiés par des objectifs de désenclavement territorial et donc d’équité spatiale trouve un terreau plus favorable à leur concrétisation. Il est cependant utopique de vouloir fournir une accessibilité comparable à l’ensemble des communes françaises. Toute démarche en ce sens se heurterait, en amont, à des problémes méthodologiques inhérents aux critéres à retenir et, en aval, à des contraintes financières considérables. C’est pourquoi, dans une démarche privilégiant l’équité spatiale, il est nécessaire d’introduire une certaine dose d’efficacité économique par l’intermédiaire de la quantité de population desservie et des dynamiques démographique » (Chapelon, 2007, p. 2). Parce qu’elle englobe des enjeux de sociétés (économie, politique, culture.) la question de la dimension sociale de l’accessibilité doit être débattue. Ce débat n’est pas nouveau, comme nous avons pu le constater dans le chapitre précédent ; en effet, nombre de chercheurs se sont déjà penchés sur la question, en mettant en avant la relation pouvant exister entre accessibilité et exclusion sociale. Or, la majorité de ces études ont été menées dans les espaces urbains ou périurbains des grandes métropoles européennes et/ou américaines. Il s’avère pourtant que les zones les plus touchées par la mauvaise accessibilité sont généralement les zones rurales, l’arrière-pays, les espaces en creux, car souvent faiblement desservis par des infrastructures de transports terrestres (ferroviaires et/ou routières) pourtant nécessaires à leur survie. C’est la raison pour laquelle nous nous proposons de ne pas restreindre une telle réflexion aux seules zones urbaines, mais de l’étendre également aux zones rurales, car nous pensons que l’accessibilité ne devrait pas être réservée aux seules grandes agglomérations et que les acteurs du développement urbain doivent être conscients de cet état de fait. Aussi, afin de mieux mesurer les intérêts d’une réflexion mettant en corrélation accessibilité et exclusion sociale, il nous a semblé pertinent de formuler dans un premier temps quelques hypothèses.

Quelle méthode pour l’appréhension de la dimension sociale de l’accessibilité en Géographie ? 

Différentes phases de construction d’une méthode peuvent être distinguées. Dans une première phase, nous avons procédé à un débroussaillage des indicateurs les plus pertinents. À partir de ces indicateurs, la seconde phase s’est attachée à construire une typologie des populations exclues. C’est une recherche exploratoire qui est ici proposée. Aussi, la méthode exposée dans ce dernier chapitre ne doit pas être considérée comme déjà cristallisée. Avec le temps, certains paramètres devront être modifiés et améliorés afin de mettre en place une méthode suffisamment solide pour être transposable à la fois dans un espace transfrontalier et dans un espace non transfrontalier. 

Mise en place des indicateurs pour l’évaluation de l’exclusion sociale dans l’espace transfrontalier franco-italien

 C’est certainement l’une des phases les plus délicates car c’est sur la base de ces indicateurs que nous allons pouvoir identifier les populations, ainsi que les territoires les plus exposés à l’exclusion. Cinq indicateurs sont proposés dans les lignes suivantes. Le premier indicateur est le réseau de transport car on considère au préalable qu’un réseau de transport est un système de transformation d’une structure spatiale et que l’accessibilité des territoires et des personnes est une forme évidente de l’impact des réseaux de transport sur le système de transformation spatiale. Le second indicateur est l’accès aux bassins d’emplois et/ou bassins économiques situés sur la bande littorale. Derrière cet indicateur, est sous-entendue la théorie selon laquelle la tel-00569939, version 1 – 25 Feb 2011 242 difficulté d’accéder aux zones économiques est la cause principale de l’exclusion sociale. Cette idée n’est pas nouvelle. Elle prend sa source dans les travaux d’Amartya Sen sur la famine qui a frappé le Bengal en 1943. Des travaux qui ont amené le scientifique à proposer la théorie suivante : faminies are not caused by lack of food but by lack of access to food (Sen, 1981),. De la même manière, en 2007, dans une étude portant sur l’exclusion sociale à Londres s’inspirant des travaux d’Amartya Sen, Preston et Rajé postulent que : Social exclusion is not due to a lack of social opportunities but lack of access to thoses opportunities (Preston et Rajé, 2007). Ainsi, l’accessibilité se positionne comme un des indicateurs majeurs pour l’analyse de l’exclusion sociale. Le troisième indicateur est la catégorie socioprofessionnelle. Cet indicateur est intéressant car il permet de montrer quelles sont les catégories socioprofessionnelles les plus touchées par l’exclusion sociale d’une part, et d’autre part, comment elles se répartissent dans l’espace en fonction des isochrones de l’accessibilité. Le quatrième indicateur est le revenu des ménages. Cet indicateur laisse supposer que le revenu peut déterminer le choix de localisation de la résidence principale. À titre d’exemple, un ménage avec des revenus supérieurs à la moyenne, pourra se permettre d’habiter dans un territoire considéré comme difficilement accessible, car il aura toujours la possibilité d’emprunter sa voiture sans se soucier du prix du carburant. En revanche, un ménage avec des revenus moyens, fortement dépendant des transports en commun, aura un choix plus limité. Soit il habite dans une zone bien desservie et travaille à proximité de son domicile, soit il s’éloigne de cette zone accessible et s’écarte dans ce cas des opportunités économiques et/ou culturelles qu’il trouverait dans les centres urbains. Le cinquième indicateur est le prix du foncier. La question qu’il faut se poser en analysant cet indicateur est de savoir dans quelle mesure le niveau d’accessibilité peut-il déterminer le prix du logement, et par conséquent influencer le choix d’une personne à s’établir dans un quartier plus que dans un autre. Dans le contexte azuréen, il est fortement prévisible que ce choix soit fortement influencé par le prix des loyers pratiqués, le prix des ventes de maisons, le prix des terrains encore disponibles et la superficie des appartements/maisons recherchés par les ménages. Cet indicateur devra aussi mettre en évidence l’écart entre les prix des loyers pratiqués sur les communes du littoral et ceux pratiqués au niveau des communes de l’arrière-pays. De même, il serait intéressant de mesurer l’écart entre la surface moyenne par pièces des logements des communes littorales, et celle des communes du moyen et/ou de l’arrière-pays. 

Mise en place d’une typologie de l’exclusion sociale sur la base de l’accessibilité ?

L’absence d’accessibilité n’est pas automatiquement cause d’exclusion sociale. On peut être accessible et socialement exclu, et inversement inaccessible et socialement inclus. C’est pour cette raison que nous distinguons deux catégories d’exclusions sociales : l’exclusion souhaitée (par exemple un ménage qui décide d’aller s’installer dans l’arrièrepays, zone difficilement accessible à tout point de vue, en s’éloignant du littoral azuréen afin de bénéficier d’une plus grande qualité de vie) et l’exclusion subie (un ménage obligé de s’installer dans le même arrière-pays car le prix des logements au m² y est plus abordable comparé au prix qui se négocie sur le littoral et à la superficie des logements plus grande). À ce stade préliminaire de la réflexion, nous entrevoyons quatre typologies d’exclusions sociales en zone transfrontalière franco-italienne. Tout d’abord, une conceptualisation des zones accessibles ou moins accessibles à partir du réseau de transport montre que les zones les plus accessibles restent les zones urbaines, plus précisément la métropole azuréenne au sud, et la région de Cuneo au nord de l’aire d’étude. Les zones les moins accessibles demeurent les espaces ruraux (cf. figure 3.3.). Mais la réalité est beaucoup plus complexe. Pour saisir cette complexité, il est nécessaire de configurer la typologie actuelle en place de l’exclusion et/ou de l’inclusion sociale en zone transfrontalière francoitalienne sur la base de l’accessibilité à partir des autoroutes par exemple. Ainsi, nous pouvons distinguer 4 grandes typologies. Il convient de le rappeler, ces typologies ainsi que leurs caractéristiques sont basées sur les indicateurs précédemment énoncés et sur la connaissance du fonctionnement actuel de l’espace transfrontalier. L’intérêt d’une typologie est qu’elle va permettre de mettre en évidence les facteurs qui pèsent sur l’exclusion sociale et d’agir en conséquence (Preston et Rajé, 2007). tel-00569939, version 1 – 25 Feb 2011 244 – Typologie 1 : haute accessibilité des territoires, haute accessibilité des populations, forte mobilité, inclusion sociale importante. Cette première typologie rassemble les territoires qui se situent dans les isochrones les plus accessibles, c’est-à-dire les territoires les plus proches des infrastructures de transport. Au regard de cette typologie, plus on est accessible, plus on bénéficie d’une grande mobilité (c’est-à-dire aucune contrainte pour se déplacer dans l’espace géographique, et donc une facilité à atteindre les biens et services souhaités quels que soient le moyen de transport et le moment de la journée choisis) et par voie de conséquence, plus on est socialement inclus (cette inclusion sociale fait référence à la facilité d’accès aux opportunités socio-économiques et/ou socioculturelles quelle que soit leur localisation dans l’aire d’étude). – Typologie 2 : haute accessibilité des territoires, haute accessibilité des populations, Faible mobilité, inclusion sociale importante. Cette seconde typologie montre que des populations peuvent se situer dans les isochrones les plus accessibles et sans pourtant bénéficier d’une mobilité importante, soit parce que leurs moyens financiers et/ou matériels (posséder une voiture particulière par exemple) sont limités, ou encore parce qu’ils trouvent les biens et services dont ils ont besoin à proximité de leur domicile et de leur lieu de travail et ne ressentent donc pas le besoin de se déplacer très souvent. Aussi, malgré sa faible mobilité, cette catégorie de population est considérée comme socialement incluse. – Typologie 3 : faible accessibilité des territoires, faible accessibilité des populations, faible mobilité, exclusion sociale subie. Dans la troisième typologie, sont regroupés les territoires exclus des isochrones les plus accessibles, ainsi que les populations associées à ces territoires. Des populations considérées comme peu mobiles car contraintes par leur situation géographique (l’arrière-pays par exemple) et financière (car disposant de peu de moyens pour emprunter avec fréquence, soit les transports en commun, soit leur voiture individuelle) à rester dans leur quartier/commune d’origine. Cette catégorie de population est socialement exclue parce qu’écartée des opportunités socio-économiques qu’offrent les zones les mieux desservies par les infrastructures de transport. C’est ce que l’on appelle l’exclusion sociale subie. – Typologie 4 : faible accessibilité des territoires, faible accessibilité des populations, grande mobilité, exclusion sociale souhaitée. Dans cette dernière typologie, on s’intéresse à un autre type d’exclusion sociale, celle qui est souhaitée. Pourquoi exclusion sociale souhaitée ? Parce que les populations concernées par cette quatrième typologie choisissent de s’établir dans des zones éloignées des infrastructures de transport, et donc les moins accessibles, pour une raison principale : celle de la recherche d’une qualité de vie (environnement naturel, paysages exceptionnels), une volonté de s’éloigner à tout prix de la pollution sous toutes ses formes (sonore, tel-00569939, version 1 – 25 Feb 2011 245 atmosphérique, etc.) des villes du littoral à la recherche d’un environnement de qualité (air pur de la montagne, espaces verts, loisirs spécifiques à la montagne). Contrairement aux individus appartenant à la typologie précédente, ces derniers ont les moyens financiers et matériels de se déplacer comme ils le souhaitent et d’effectuer au moyen d’un véhicule particulier adapté à l’environnement physique des lieux (véhicule de type 4X4 par exemple) leurs allées et venues d’un point à un autre dans l’arrière-pays ou (pour rejoindre leur lieu de travail notamment) entre arrière-pays et zone littorale. Ainsi, cette population est classée comme bénéficiant d’une très forte mobilité malgré la très faible accessibilité des lieux.

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