La catégorie notionnelle du temps et son expression dans les langues

La catégorie notionnelle du temps et son expression dans les langues

Les études concernant le temps et son expression dans les langues sont nombreuses. Il serait hors propos d’en faire ici un historique. Nous nous contenterons de citer quelques travaux importants sur le sujet, qui nous le rappelons, est fondamentalement lié au thème de notre travail, i.e. la modalité.

Repérage de l’événement dans le temps

Les événements (état, procès, processus…) se produisent dans le temps et sont donc susceptibles d’un repérage. Pour comprendre correctement un énoncé, il faut être capable d’identifier le moment où l’événement (E) décrit s’est produit et comprendre s’il s’est déroulé avant, après, en même temps que d’autres événements décrits dans le discours qui serviront de points temporels de référence ® En partant du modèle de Reichenbach, nous nous attacherons à définir les relations nécessaires au repérage temporel d’un événement. Ceci nous amènera à aborder les notions de temps relatif et de temps absolu souvent utilisées par les linguistes pour nommer différents types de repérage temporel.

Le modèle de Reichenbach

Le modèle de Reichenbach (1947) est un travail de référence lorsque l’on parle du temps (Harder (1994 : 61), Louis de Saussure (1998 : 43), Cinque (1999 : 81), Laca (2002 : 5-8), etc.). Reichenbach part du principe que le temps grammatical exprime tout d’abord une temporalité calculée en termes d’antériorité, de simultanéité ou de postériorité entre le moment de l’énonciation (S) ou « time of (S)peech » et le moment de l’événement (E) ou « time of (E)vent ». Mais, comme cela ne suffit pas à expliquer toutes les nuances que l’on trouve dans les systèmes verbaux de certaines langues où il y a plus de trois temps (i.e. le français), Reichenbach postule l’existence d’un autre paramètre à prendre en considération, qu’il note moment de référence (R) ou « Reference time »8. Cela lui permet par exemple, d’expliquer le paradigme du « Plus-que-parfait » en français pour lequel le procès est décrit comme ayant eu lieu antérieurement à un moment de référence donné (par le contexte), moment lui-même antérieur au moment de l’énonciation. En positionnant l’événement (E), le moment de référence (R) et le moment de l’énonciation (S) les uns par rapport aux autres sur la ligne du temps, il construit un sytème temporel à neuf temps fondamentaux supposés universels. Nous ne nous attarderons pas davantage sur ce modèle temporel relativement critiqué — cf. Comrie (1981b), Vikner (1985), Louis de Saussure (1998) — nous retiendrons seulement qu’un système à trois ‘points temporels’ peut s’avérer utile pour représenter et définir d’autres notions, comme la distinction entre temps ‘absolu’ et temps ‘relatif’, comme la notion aspectuelle de « concomitance », i.e. une certaine relation entre l’événement décrit et le moment de l’énonciation (S) ou le moment de référence (R). 

Temps « relatif » et temps « absolu »

Du modèle de Reichenbach, il est possible de dériver la distinction entre temps « relatif » et temps « absolu » Cette distinction, que l’on retrouve chez de nombreux auteurs comme Comrie (1976)9, Givón (1984 : 273-74), Chung & Timberlake (1985 : 203)10, Comrie (1985 : 36, 56, 122)11 Cohen (1989 : 15), Hengelved (1989 : 136), Frawley (1992 : 340), Bhat (1999 : 14), etc., parfois avec d’autres noms (cf. Smith 1991)12, a trait à la relation d’ordre établie entre (E) le moment de l’événement, (R) le moment de référence et (S) le moment d’énonciation (Frawley, 1992 : 340)13. Cette relation d’ordre va générer deux types de situations : (1) Le moment de référence (R) coïncide avec le moment de l’énonciation (S) et l’événement (E) est situé par rapport à R/S — on parle alors de temps absolu. (2) Le moment de référence (R) précède (ou suit) le moment de l’énonciation (S) et l’événement (E) est situé par rapport à ce (R) ≠ (S) — on parle ici de temps relatif14. La distinction entre ces deux relations temporelles est importante, les langues n’exprimant pas ces deux types de relation de la même manière. La Langue des Signes Française (LSF) en est un bon exemple. La présence de ces deux ‘temps’ est superbement illustrée par l’utilisation de deux espaces de ‘signage’ différents (axe sagittal vs. axe horizontal), respectivement pour l’expression temporelle absolue vs. relative d’un événement15. Placer (signer) un événement sur l’axe sagittal indiquera sa référence au moment d’énonciation. Ainsi, en LSF le signe [AUJOURD’HUI] est situé très près du corps, tandis que les signes indiquant le futur comme [DEMAIN], [PLUS TARD], ou la marque du futur proche [V A] « sont tous effectués avec un mouvement rectiligne vers l’avant du corps du locuteur. Ceux qui indiquent le passé […] s’effectuent au contraire vers l’arrière du corps du locuteur16 » (Cuxac, 2000 : 263). Par contre, le locuteur (ou le signeur) qui situe un événement sur une ligne horizontale devant lui (axe horizontal) l’inscrit dans une chronologie d’événements — qu’il aura pris soin de préciser dans son discours. 

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