Le repérage des adverbes figés de phrase

Le repérage des adverbes figés de phrase

Introduction Lors d‟un premier recensement (cf. II, 1.1), nous avons retenu indifféremment des adverbes figés, des adverbes libres, des compléments prépositionnels figés de phrases simples figées à verbe support1 et des compléments prépositionnels figés de phrases simples figées. Dans ce chapitre, nous nous efforcerons de cerner les limites entre ces quatre types de compléments formellement identiques, mais syntaxiquement différents. Une fois terminée la distinction des adverbes figés de phrase des compléments prépositionnels figés syntaxiquement différents (cf. III, 1), nous nous intéressons à étudier leur introduction dans la phrase simple (cf. III, 3), tout en explicitant les relations qu‟ils entretiennent avec les différents constituants de la phrase ou avec la phrase entière, où ils apparaissent (cf. III, 2). Comme M. Gross le signale déjà (1990a : 106), « le succès d‟une telle entreprise est crucial pour la théorie du lexique-grammaire étant donné que toute unité lexico-sémantique est une phrase élémentaire (ou simple) ». Cette observation est évidente pour les verbes, inséparables de leurs arguments (sujet et complément(s)), et dans une certaine mesure pour les adjectifs, qui sont le plus souvent supportés par le verbe support είκαη/être, ce qui les rend équivalents à des verbes. Aussi, est-il indispensable que les entrées lexicales adverbiales, autre catégorie productive, puissent également être décrites comme des phrases élémentaires. Ainsi, à l‟aide des critères de distinction mis au point dans ce chapitre, les compléments prépositionnels figés de phrases simples figées (cf. III, 1.2.) seront représentés dans les tables du lexique-grammaire des phrases figées en fonction des verbes associés. De même, les compléments prépositionnels figés de phrases simples figées à verbe support είκαη/être (cf. III, 1.3.) figureront dans des tables à partir du verbe support, tandis que les adverbes figés de phrase feront l‟objet de tables particulières, dans lesquelles le prédicat (surtout verbal) est pratiquement variable (cf. IV, 2.2.1). 

Distinction entre adverbes figés et adverbes libres

Nous venons de différencier les adverbes figés des adverbes libres en fonction de critères généraux et formels dans le chapitre I, 2.1.-2.3.3. L‟analyse effectuée a mis en évidence qu‟il n‟est pas toujours facile de définir les limites entre ces deux catégories généralement opposées. Parmi les adverbes libres nous avons distingué : – les adverbes réguliers en (-α+-ά+-σο+-ώο)/-ment ; – les adverbes syntaxiquement dérivés ; – les adverbes productifs. 1 Z. S. Harris (1964) introduit la notion de verbe support (Vsup) pour désigner des verbes qui ne sont pas porteurs de sens (verbes pleins) et qui ne sélectionnent pas les actants nominaux de la phrase ; par contre, ils peuvent être supports de nominalisations. La nominalisation est la relation qui unit deux phrases dont l‟une est une construction verbale ou adjectivale et l‟autre une construction à Vsup, où la fonction prédicative est portée par un substantif, souvent N1, et ses éventuels compléments. Le repérage des adverbes figés de phrase 152 Dans la suite, nous allons passer en revue différents schèmes adverbiaux et nous allons montrer qu‟ils peuvent être générés sur la base de mécanismes syntaxiques réguliers susceptibles de former des moules productifs. Nous pouvons donc parler à leur propos de structures libres (G. Gross 1996b : 117), même s‟il y a pour chacun d‟eux des restrictions lexicales ; nous ne les considérons pas alors comme figés.

Formation régulière d’adverbes

Le sous-ensemble des adverbes simples2 en (-α+-ά+-σο+-ώο)/-ment présente l‟avantage, d‟une part, d‟être numériquement important (12.008 items lexicaux) et, d‟autre part, d‟être morphologiquement homogène3 . Contrairement aux grammaires traditionnelles, qui traitent l‟ensemble de ces formes de façon identique (M. Triantaphyllidis 2000 : 380-381), nous allons montrer qu‟il y en a au moins deux grandes catégories, à savoir les adverbes simples de manière, notés Adj-α, et les adverbes simples figés, qui figurent dans la table GPADV du lexique-grammaire (cf. IV, 3.1). En général, les Adj-α s‟analysent, dans leur quasi-totalité, en une base adjectivale4 ou participiale au nominatif, neutre, pluriel, suivie des suffixes (-α+-ά+-σο+-ώο)/-ment5 , selon un processus de dérivation productif6 . Seules quelques formes adverbiales ont pour base : – un nom composé7 , comme : ρέξηα (E+θαη) πόδηα/mains (E+et) pieds (N Conjc N) → ρε(η)ξνπόδαξα/de (manière+façon) serrée, étroitement (Adj-α) – une interjection complexe, comme : Ωρ αδεξθέ!/Ah frère-Vms! (Interj) → σραδεξθηθ(ά+ώο)/de (manière+façon) dilatoire et lâche (Adj-α) A noter que les Adj-α répondent à la question en πώο;/comment ? (cf. I, 1.3.1.) : (1) Ζ Ρέα γειά δηαθξηηηθά La Réa-Nfs rie discrètement (Réa rie discrètement) (1i) – (Πώο+*Πόηε+*Πνύ+*Πόζν) γειά ε Ρέα; (– (Comment+*Quand+*Où+*Combien) Réa rit-elle ?) et se pronominalisent en έηζη/ainsi, qui joue le rôle de substitut déictique8 pour tout complément désignant la manière au sens stricte9 (cf. I, 1.3.2.) : 2 Cf. II, 4.2.1. 3 Nous excluons de cette catégorie les adverbes simples figés en (-α+-ά+-σο+-ώο)/-ment, qui font partie de la classe GPADV (cf. IV, 3.1). 4 Selon M. Triantaphyllidis (2000 : 380-381), les Adj-α peuvent également dériver des adjectifs déverbaux, comme par exemple : θακαξώλσ/être fier (V) → θακαξσηόο/fier (V-a) → θακαξσηά/fièrement (Adj-α). 5 L‟origine et les problèmes liés aux suffixes (-α+-ά+-σο+-ώο)/-ment sont examinés en détail dans II, 2.5.3. 6 Cf. aussi II, 1.1. 7 Selon C. Clairis ; G. Babiniotis (1996 : 97-98), il s‟agit d‟un « nom composé par coordination ». 8 En ce qui concerne le français, G. Gross (1996b : 107) en parle plutôt de substitut anaphorique. 153 (1ii) Ζ Ρέα γειά έηζη (Réa rie ainsi) M. Gross (1990a : 143) souligne que les adverbes de manière « ne sont exceptionnels qu‟en ce qu‟ils subissent cette règle de suffixation » ; ils sont, donc, considérés comme des mots construits. Z. S. Harris (1976 : 198-200) propose d‟analyser les suffixes des adverbes simples de manière comme des formes réduites de substantifs abstraits, en l‟occurrence ici du substantif ηξόπνο/(manière+façon). Ainsi, pour ce qui est du grec moderne, la relation paraphrastique sur laquelle se base principalement l‟analyse des Adj-α est la suivante (cf. A. Balibar-Mrabti 1980) : N0 V Adj-α = N0 V κε Adj ηξόπν-Ams 10 =: (N0 V Adj-ment = N0 V de (manière+façon) Adj) (1) Ζ Ρέα γειά (δηαθξηηηθά+κε δηαθξηηηθό ηξόπν) La Réa-Nfs rie (discrètement+avec discrète (manière+façon)-Ams) (Réa rie (discrètement+de (manière+façon) discrète)) Dans cet exemple, les manières ou façons d‟être et de faire sont qualifiables par de nombreux adjectifs, ce qui justifie clairement le rôle privilégié, dans l‟analyse des Adj-α, du substantif ηξόπνο/(manière+façon) en relation avec les adjectifs. Signalons, aussi, que dans certains cas, cette analyse met en jeu l‟effacement des substantifs appropriés au prédicat de la phrase où ils figurent, ce qui implique des contraintes de cooccurrence (cf. A. Balibar-Mrabti 1980), comme dans : N0 V (Adj-α+κε (Δ+Dind) Adj V-n) =: (N0 V (Adj-ment+d‟UN V-n Adj) (1iii) Ζ Ρέα γειά (δηαθξηηηθά+κε (Δ+έλα) δηαθξηηηθό γέιην) La Réa-Nfs rie (discrètement+avec (E+un) discret sourire-Ans) (Réa rie (discrètement+d’un sourire discret)) Le phénomène que nous venons de décrire met en jeu des relations comparables à celles : – du complément d‟objet interne (G. Gross 1996b : 114), comme il est présenté dans : N0 V N1 (=: Dét Adj V-n) = N0 V Adj-α =: (N0 V N1 (=: Dét V-n Adj) = N0 V Adj-ment) (2) Ζ Ρέα έδεζε (κηα άζιηα δσή+άζιηα) La Réa-Nfs a vécu (une misérable vie-Afs+misérablement) (Réa a vécu (une vie misérable+misérablement) 9 Il existe cependant des Adj-α pour lesquels la pronominalisation par έηζη/ainsi est beaucoup plus discutable, voire impossible, comme le remarque A. Balibar-Mrabti (1990 : 65). 10 Notons que cette structure n‟est pas figée, notamment du point de vue de la détermination (cf. I, 2.1.3.). 154 – du complément de moyen (cf. C. Molinier 1984a), comme il est indiqué ci-dessous : N0 V N1 κε Adj N = N0 V N1 Adj-α =: (N0 V N1 de N Adj = N0 V N1 Adj-ment) (3) Ζ Ρέα δηαθόζκεζε ην ζπίηη (κε κνληέξλα έπηπια+κνληέξλα) La Réa-Nfs a décoré la maison-Ans (avec meubles-Anp modernes+modernement) (Réa a décoré la maison (de meubles modernes+de (manière+façon) moderne) En ce qui concerne l‟analyse des Adj-α, nous allons examiner en particulier les aspects suivants : – la portée de l‟Adj-α dans la phrase ; – le rôle du substantif ηξόπνο/(manière+façon) et de ses modifieurs adjectivaux ; – les nominalisations effectuées, appelées habituellement, nominalisations de manière. En gros, nous nous intéressons aux fonctions susceptibles d‟être exercées par les Adj-α dans la phrase, autrement dit, aux relations qu‟entretiennent ces adverbes avec le prédicat verbal et/ou les autres constituants de la phrase et/ou la phrase entière. La relation de dérivation, qui unit adjectif et adverbe dans le cas des Adj-α, rend possible la mise en œuvre des relations paraphrastiques (ou des dérivations transformationnelles) entre l‟adverbe simple et un complément prépositionnel, incluant l‟adjectif morphologiquement associé à l‟adverbe (noté ici Adj). Ces relations permettent de clarifier et spécifier les relations de portée et la fonction syntaxique de l‟Adj-α dans la phrase. Nous cherchons maintenant à dériver l‟Adj-α de l‟exemple (1), tout en tenant compte de sa portée dans la phrase. Nous introduisons, dans ce but, la relation (1) = (4), qui se présente comme une nominalisation à Vsup=: έρσ/avoir, mais d‟un type complexe (M. Gross 1990a : 139). En nous basant sur cette relation, nous obtenons : (4) Ζ Ρέα έρεη έλα (*E+δηαθξηηηθό) ηξόπν λα γειά La Réa-Nfs a une ((*E+discrète) (manière+façon)-Ams) de rire (Réa a une ((manière+façon) (*E+discrète)) de rire) où l‟adjectif δηαθξηηηθό/discret est essentiel pour l‟interprétation de la phrase. L‟adjectif porte aussi bien sur : ηξόπν λα γειά/(manière+façon) de rire que sur : ε Ρέα/Réa (cf. ci-après). En effet, la relation (1) = (4) est complexe puisque le N=: ηξόπνο/(manière+façon) passe d‟une position syntaxique de groupe nominal adverbial (ou circonstanciel)11 (phrase 1) à celle de nom prédicatif à Vsup=: έρσ/avoir (phrase 4). Cette dislocation du N=: ηξόπνο/(manière+façon) rapproche la relation (1) = (4) de la relation de Restructuration (cf. I, 1.4.).

Formation d’adverbes en termes de dérivations syntaxiques

Des relations syntaxiques nombreuses et variées lient les structures adverbiales et les parties du discours les plus diverses, sans en modifier sensiblement le sens. Nous avons présenté dans I, 1.4 des transformations qui mettent en relation des propriétés syntaxiques et sémantiques de sujets et de compléments du prédicat verbal avec des propriétés d‟adverbes ; il n‟est donc pas nécessaire d‟y revenir en détail ici. Rappelons seulement que ces structures ne sont pas considérées comme des adverbes. Leur fonction adverbiale est représentée dans les tables des verbes associés au moyen des colonnes distinctes. Dans cette section, nous limitons notre description à d‟autres familles de dérivation syntaxique que celles présentées dans I, 1.4, vues comme des « variantes morpho-syntaxiques dépendantes des éléments lexicaux mis en jeu » (M. Gross 1990a : 155) : i) l’effacement de verbes supports [Vsup z.] Considérons les exemples suivants : N0 V W 0 (Vsup:G+κε ην λα Vsup0 ) N1 =: (N0 V W 0 Vsup:G N1) (6i) Ζ Ρέα γιύησζε από ηνλ θίλδπλν (θάλνληαο+κε ην λα θάλεη) πξνζεπρέο (Réa a échappé au danger en faisant des prières) N0 V W 0 Prép N1 =: (N0 V W 0 Prép N1) = (6) Ζ Ρέα γιύησζε από ηνλ θίλδπλν κε πξνζεπρέο (Réa a échappé au danger par (ses+des) prières) La phrase (6i) résulte d‟une nominalisation prédicative à Vsup=: θάλσ/faire à partir de la construction verbale : Ζ Ρέα πξνζεύρεηαη/Réa prie. Cette construction est le second membre phrastique du discours de départ de dérivation N0 V W0 # N0 Vpréd16 W. Le sujet grammatical de la forme verbale κε ην λα Vsup0 /Vsup:G (marqué morphologiquement par la désinence verbale –εη-P3s) est en même temps le sujet sémantique du Npréd=: πξνζεπρέο/prières, qui est obligatoirement coréférent au sujet de la phrase N0=: ε Ρέα/Réa (cf. J. Giry-Schneider 1978, 1987). Le complément prépositionnel κε πξνζεπρέο/par (ses+des) prières est qualifié d‟adverbe de manière puisqu‟il répond à la question en πώο;/comment ? et se pronominalise en έηζη/ainsi. ii) l’effacement de verbes appropriés [Vapp z.] Considérons les exemples suivants : 16 Le verbe est noté ainsi pour indiquer sa liaison morpho-syntaxique au Npréd=: πξνζεπρέο/prières. Dans ce cas, il s‟agit d‟un verbe distributionnel (ou plein, selon une autre approche terminologique) généralement opposé aux verbes supports. 161 N0 V N1 0 Vapp:G γη’απηό (=: V-n de N1 0 ) N1 =: (N0 V N1 0 Vapp:G pour ceci (=: V-n de N1 0 ) N1) (7i) Ζ Ρέα επηζθεύαζε ην ζπίηη ηεο πιεξώλνληαο γη’απηή (=: ηελ επηζθεπή ηνπ ζπηηηνύ ηεο) 1000 επξώ (Réa a fait restaurer sa maison en payant pour celle-ci (=: la restauration de sa maison) 1000 euros) N0 V N1 0 Prép N1 =: (N0 V N1 0 Prép N1) = (7) Ζ Ρέα επηζθεύαζε ην ζπίηη ηεο γηα 1000 επξώ (Réa a fait restaurer sa maison pour 1000 euros) La phrase (7i) dérive du discours analytique N0 V N1 0 # N0 Vapp N1 γηα λα V N1 0 /pour Vinf N1 0 . La phrase (7) est obtenue suivant les étapes ci-dessous : – Nominalisation de la forme verbale : γηα λα V N1 0 = γηα V-n G N1:G0 =: (pour Vinf N1 0 = pour V-n de N1 0 ) γηα λα επηζθεπάζεη ην ζπίηη = γηα ηελ επηζθεπή ηνπ ζπηηηνύ ηεο (pour restaurer sa maison = pour la restauration de sa maison) – Pronominalisation de la forme nominalisée : γηα V-n GN1:G 0 = γη’απηή =: (pour V-n de N1 0 = pour celle-ci) γηα ηελ επηζθεπή ηνπ ζπηηηνύ ηεο = γη’απηή (pour la restauration de sa maison = pour celle-ci) – Réduction à zéro du Vapp:G=: πιεξώλνληαο/en payant et du Pro=: γη’απηή/pour celle-ci, par la règle [Vapp Pro z.]. Le complément prépositionnel γηα 1000 επξώ/pour 1000 euros est qualifié d‟adverbe de quantité puisqu‟il répond à la question en γηα πόζν;/pour combien ? et se pronominalise en γηα ηόζν/pour tant. A noter que le gérondif17, noté en général V:G, est une forme verbale réduite qui s‟obtient après l‟effacement d‟informations de temps, de nombre et de personne du verbe de la phrase.

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