La communication et médiation littéraire l’exil récité une ouverture relationnelle

La communication et médiation littéraire l’exil récité une ouverture relationnelle

La littérature comme relation : définition des partenaires de l’échange

Notre étude a pour objectif de cerner le parcours d’auteurs exiliques et la relation qu’ils tissent avec le public de réception. Cette relation est singulière puisqu’elle s’opère par la médiation du livre et qu’elle suppose un rapport indirect. Cependant, nous pensons qu’il est scientifiquement intéressant de percevoir celle-ci comme une conversation, cette considération permet de réintroduire au cœur de l’étude un impensé de la littérature, celle de son aspect communicationnel. C’est d’ailleurs sous l’aspect d’une conversation que Robert Escarpit définit la spécificité de la considération communicationnelle de la littérature. Ce que le lecteur motivé achète à la librairie ou emprunte à la bibliothèque, ce n’est pas un ensemble de feuilles brochées, ce n’est même pas un texte ou une œuvre, c’est un moyen de dialogue, c’est un interlocuteur.242 Si le lecteur achète un interlocuteur, c’est donc qu’il souhaite entrer en relation avec un individu. Si les études menées par Escarpit ont tendu à s’intéresser au fonctionnement de la « machine littéraire » à partir des réinterprétations du lecteur et des évolutions du sens que celui-ci donne à l’œuvre littéraire, pour notre part nous souhaiterions nous intéresser à la façon dont le locuteur exilique invite à la relation et donc à la manière dont il présente un visage discursif apte à la reconnaissance. Cet intérêt à la « conversation » littéraire implique dès lors une série de questionnements : comment rendre visible sa voix et comment atteindre une compréhension de cette conversation ? Comme nous l’avons vu la position de l’étranger est particulière lorsqu’il parvient dans une nouvelle société, mais le fait que cette relation puisse évoluer dans le temps, implique que le locuteur n’est pas emprisonné dans une réception stéréotypée de son énonciation, il peut faire changer le regard pré-discursif que le lecteur portera sur son œuvre. Aussi, si nous avons détaché le modèle d’Alexander Frame pour nous intéresser à ces énonciations, nous pensons qu’il faut encore préciser le modèle puisque les énonciations des auteurs exiliques se produisent dans un cadre singulier : non de la société en entier, mais celui de la microsociété que représente le champ littéraire français. Les travaux de Pierre Bourdieu243 sur l’organisation du champ littéraire français, nous confèrent des analyses précieuses. Selon Bourdieu, le champ s’est constitué par les efforts des auteurs, notamment Flaubert, afin de faire valoir cette position singulière. Son étude et son introduction sur L’Éducation sentimentale entend : Reconstruire le point de vue de Flaubert, c’est-à-dire le point de l’espace social à partir duquel s’est formé sa vision du monde, et cet espace social lui-même, c’est donner la possibilité réelle de se situer aux origines d’un monde dont le fonctionnement nous est devenu si familier que les régularités et les règles auxquelles il obéit nous échappent.

L’identité nœud problématique de l’échange

En ayant pour ambition d’étudier la relation exilique, notre recherche implique de se poser la question du travail identitaire qui se dégage des œuvres produites par les auteurs. Selon Lipiansky, l’identité est «à la fois la condition, l’enjeu et la résultante d’un grand nombre de communications sociales » 267. En effet, communiquer suppose d’avoir une confiance dans celui qui parle et qui répond, celle-ci découle de l’identité qu’autrui projette et qui est elle-même sans cesse négociée au sein de la communication. Ainsi, si les études de communication se sont penchées amplement sur les nouveaux modes de mises en relation des individus268, les vingt dernières années ayant vu le développement d’outils relationnels grâce au déploiement des NTIC ; toutefois, le questionnement sur l’identité ne peut être simplement un questionnement technique, mais doit également porter sur la façon dont celle-ci se constitue. Dominique Wolton indique que la communication ne peut se résoudre à n’être qu’une analyse de ses techniques, mais elle doit également être une étude anthropologique269 sur la façon dont l’individu se compose identitairement dans la visée d’une relation avec autrui. En effet, la découverte des processus d’incommunication ne peut se réduire à une impossibilité technique d’établir un lien, mais bien plus à une question sur le travail de la mise en relation anthropologique des individus. Les incommunications270 peuplent le parcours de l’exilé et ce n’est qu’en observant le travail de renégociation identitaire, d’adaptation à l’autre que l’on pourra entendre la façon dont l’exilé travaille son identité pour être reconnu et pouvoir habiter une nouvelle terre. Cependant, avant de pouvoir aborder notre conception de l’identité et d’exposer la façon dont nous allons l’étudier, il convient de revenir sur les critiques qui portent sur le maintien d’une étude en termes d’identité. Roger Brubackers dans le texte « Beyond Identity » 271 repose la question identitaire et tente de montrer que l’emploi du terme est fautif et ne permet pas l’étude. Du fait de l’hétéronomie du moi et de la perte du maintien de l’identité dans le temps272, il préfère opter pour les recherches en termes d’auto-compréhension et d’identification273 . En outre, deux chercheurs spécialistes des questions migratoires, Michel Agier et Alexis Nouss, refusent l’emploi du terme et préfèrent celui de « condition » permettant, selon eux, d’éviter le « piège identitaire » 274 et de ne pas figer l’individu dans une fixité et d’accepter les mutations et les évolutions des conditions humaines. Néanmoins, nous aimerions grâce à l’appui sur les études ricœuriennes, montrer que l’identité si elle est conçue en terme narratif ne suppose pas une fixité, mais permet justement de penser les conditions traversées et pensées par les individus. C’est cette démarche que J. Michel préconise, dans son étude sur les récits migratoires, ne pas abandonner le terme d’identité, mais l’inclure dans le modèle ricœurien puisqu’il permet de penser le sujet comme inclus dans un dispositif, tout en postulant une identité en processus et se donnant dans le récit de soi.

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