La compétence éthique selon le Conseil supérieur de l’éducation

De la crise des valeurs au pluralisme des idées

Le questionnement sur la place occupée par la compétence éthique émerge initialement d’un souci qui concerne la transmission des valeurs permettant de régir les comportements. La réflexion éthique est d’ actualité dans tous les domaines de l’ activité humaine. Elle se propage dans un monde soumis à des transformations de plus en plus rapides où l’Homme accroît démesurément ses pouvoirs sans arriver à en contrôler les usages ni même à en imaginer la pOliée, qu ‘ il s’ agisse de l’ économie, de l’ environnement de la communication ou de la procréation. Quand les normes en vigueur apparaissent de plus en plus inadaptées aux nouvelles donnes, que les repères sont brouillés, les certitudes ébranlées, l’interrogation sur les valeurs et sur le sens des engagements professionnels et personnels devient impérative (Ferry, 1997, p. 5). Il semble que l’éthique soit perçue comme la réponse à la multiplication des valeurs qui marque notre société contemporaine. Comme dans plusieurs autres sphères de l’ activité humaine, l’éthique en éducation peut être envisagée comme une réponse au manque d’ homogénéité des modes de pensée. En effet, il semble que cette façon particulière d’ envisager le monde soit, et ce, depuis maintenant quelques années, privilégiée pour faire face aux aléas de la vie contemporaine. Il peut être intéressant de faire un bref historique de la morale pour bien cerner le rapport que nous entretenons avec les valeurs.

Cet historique ne fait qu’effleurer de grandes parties de notre évolution contemporaine. Par contre, il permet, de façon toute aussi évidente, de bien circonscrire le cheminement de la recherche du Bien à travers les époques et des sources qui ont servi à le définir. L’ objet de la présente recherche poursuit le même objectif. Le terme «morale» est ici utilisé pour faire directement référence au texte de Gilles Lipovetsky qui en expose les différentes périodes. Par contre, il sera important, un peu plus loin au cours de cette réflexion de faire la distinction entre la morale et l’ éthique. Il semble que la morale ait traversé trois grandes époques: théologique, laïque moraliste et postmoraliste (Lipovetsky, 2002, p. 33). D’abord, la morale est indissociable de la religion. Jusqu’au début du dix-huitième siècle, c’ est par les textes religieux que l’Homme peut connaître ce qui est moralement Bien. Les institutions religieuses énoncent ce qu’ il faut faire dans la Bible et punissent ceux et celles qui ne se plient pas aux règles. « Hors de l’Église et de la foi en Dieu, il ne peut y avoir de vertu. Seul l’Évangile, la foi dans un Dieu justicier, les châtiments de l’ au-delà permettent d’assurer efficacement la morale » (Lipovetsky, 2002, p.33). Au début du Siècle des lumières, c’est la morale laïque moraliste qui s’ affirme comme second courant. Cette fois, la recherche du Bien est envisagée sans la religion et ses dogmes.

Les principes moraux sont alors pensés comme des principes strictement rationnels, universels, éternels D c’ est la « morale naturelle » D, présents en tout homme ; ne s’ enracinant plus que dans la nature humaine, ils apparaissent comme des principes indépendants des confessions théologiques (Lipovetsky, 2002, p.34). C’ est à cette époque que les valeurs humanistes ont pris le dessus sur les valeurs religieuses: « les devoirs envers les hommes l’emportent sur les devoirs envers Dieu » (Lipovetsky, 2002, p.34). En bref, la morale proposée par la période laïque moraliste est déconfessionnalisée et universelle, c’ est-à-dire que ce qui est Bien pour l’ un l’ est aussi pour l’ autre et les sacrifices collectifs et individuels pour atteindre ce Bien universel sont légitimes. Quant à la troisième période de la morale, celle à laquelle Lipovetsky a donné le nom de pas/moraliste, elle voit le jour au milieu du vingtième siècle et est toujours de mise aujourd’ hui. Avec son apparition, l’universalité des valeurs n’ est plus. Les devoirs et les sacrifices envers l’humanité ne font plus office de balise à la morale. Nous sommes maintenant en présence d’une « société qui exalte davantage les désirs, l’ego, le bonheur, le bien-être individuel que l’idéal d’abnégation » (Lipovetsky, 2002, p.36), c’est-à-dire le sacrifice personnel et volontaire. C’est à partir de la période « postmoraliste » que l’on voit apparaître l’individu comme repère principal à la morale et donc, il peut exister autant de Biens qu ‘il existe d’individus. C’est ce que les différents auteurs pensant la société ont appelé le pluralisme.

Précision des concepts

La compétence éthique dont il est question à l’ intérieur de ce document est essentiellement tirée du rapport annuel de 1989-1990 du Conseil supérieur de l’éducation : Développer une compétence éthique pour aujourd’hui: une tâche éducative essentielle. Pourquoi est-il question d’éthique et non de morale? Étymologiquement, les mots «morale» et «éthique», l’ un d’origine latine et l’autre d’origine grecque, renvoient à des significations similaires se rattachant aux moeurs, aux coutumes, aux façons d’agir. Par contre, au fil du temps une distinction s’est opérée entre ces deux concepts ayant la poursuite du Bien comme leitmotiv. La morale serait davantage externe au sujet. Basée sur des règles préétablies, elle pourrait être imposée si nécessaire. Elle est une lunette par laquelle on peut juger d’ une action et/ou la commander. L’éthique serait plutôt interne au sujet et qu’elle impliquerait la notion du jugement. Comme le mentionnent Desaulniers et lutras (2006, p. 35) l’éthique est seulement incitative: elle propose des valeurs pour guider les actions. Elle nous aide à comprendre des problèmes moraux ou sociaux dans leur complexité, à prendre des décisions et à trouver des réponses. Bref, toujours selon Desaulniers et lutras, l’éthique se distingue de la morale par sa référence aux valeurs plutôt qu’à des obligations pour l’agir (2006, p. 223).

Une fois la primauté (non obligée, malS délibérée) de l’éthique sur la morale démontrée, nous faisons une autre distinction. En effet, il est important de mentionner qu ‘ il existe un courant spécifique en matière d’éthique auquel la présente réflexion tentait de se dissocier: l’éthique appliquée. Comme il a été mentiorU1é précédemment, l’éthique dans son sens large, aussi appelée éthique fondamentale, renvoie à la réflexion des individus sur leurs finalités en tant que sujet. Comme l’affirment Desaulniers et lutras (2006, p. 33), elle ne propose pas de solutions pratiques; elle aide à réfléchir aux actions humaines en posant des questions sur leur signification, leurs finalités, leurs répercussions sur soi et sur autrui. Elle incite chaque personne à trouver sa réponse en réfléchissant, en étant créative et responsable. On dit souvent que l’éthique vise un certain art de VIvre. Ces remarques montrent que l’éthique peut être autant de réflexion sur l’action qu’une préparation à l’action ou une action. De plus, l’éthique est toujours motivée par l’action qui, de façon ultime, symbolisera sa réalisation. Quant à elle, l’éthique appliquée se rapporte davantage aux aspects pratiques d’une réflexion éthique. Elle a, elle aussi, l’ action comme visée, mais toujours dans une optique de rendement face à une situation bien identifiée (Sperber, 200 1, p. 534, Desaulniers, lutras, 2006, p. 34). La compétence éthique qui a été abordée par cette réflexion ne s’inspire pas de celle prônée par le ministère de l’ Éducation du Québec à l’intérieur du document Laformation à l ‘enseignement. Les orientations. Les compétences professionnelles (MEQ, 2001). En effet, la douzième compétence de ce référentiel est beaucoup affiliée à l’éthique professionnelle, et donc à l’éthique appliquée. « Agir de façon éthique et responsable dans l’exercice de ses fonctions » (MEQ, 200 1, p. 131) renvoie trop à la conception de l’ enseignant comme professionnel et non comme personne ayant un mandat social de transmission de valeurs. La présente réflexion voulait davantage s’identifier au courant d’ éthique fondamentale et non à celui de l’ éthique appliquée.

Habileté à exercer un esprit critique et créatif

La plus grande partie des indicateurs collectés, soit 20 (55 ,55%), se retrouve dans le deuxième axe de la compétence éthique, qui est l’ habileté à exercer un esprit critique et créatif. Le tableau 4.1 montre que 10 indicateurs (27,77%) recueillis lors de l’analyse de contenu sont associés à la prise de distance par rapport aux repères sociaux. Cette catégorie du deuxième axe de la compétence éthique comprend la connaissance des différents grands repères sociaux (les morales institutionnalisées (famille, Église, mouvements politiques), le droit (l’ ensemble des lois) et l’ héritage culturel (philosophique, scientifique, technologique). Durant la collecte des données de l’analyse de contenu, un indicateur était répertorié lorsque nous avions à faire à des énoncés qui évoquaient la connaissance des structures du système scolaire. Par exemple: «Aspects culturels, politiques, économiques et autres du système d’éducation » dans la description du cours « Aspects sociaux de l’éducation ». Deux des indicateurs (5,55%) relevés dans cette catégorie du deuxième axe de la compétence éthique sont associés à des contenus de cours optionnels. La seconde catégorie du deuxième axe réfère, de façon globale, à l’exercice de la créativité éthique.

Les termes précisant cet exercice de la créativité éthique à l’intérieur de la grille d’analyse sont « comprendre la logique d ‘une situation dans son contexte» et « identifier et discerner les valeurs en jeu dans une situation concrète ». Nous avons décidé d’inclure comme indicateur dans cette catégorie toutes les affirmations faisant référence à une appréciation critique d’une situation. Par exemple, les termes suivants ont été retenus comme des indicateurs valables: emprise critique, analyse critique, attitude critique, attitude réflexive, regard critique, esprit critique, pratique réflexive, analyse réflexive, examen attentif et critique, examen réflexif, retour réflexif, examen réflexif et critique, réflexion impliquée, critique et documentée, etc. Par exemple, nous avons relevé comme indicateur l’énoncé: « Développer et appliquer une approche critique aux postulats sociaux servant à faire l’analyse des relations entre éducation et milieux défavorisés » se retrouve dans la description du cours optionnel « Éducation et milieux défavorisés ». Le quart des indicateurs, soit neuf (25%), qui ont été collectés lors de l’ analyse de contenu appartiennent à la catégorie « exercice de la créativité éthique ». Nous avons recueilli seulement un indicateur (2,77%) pour la catégorie de l’adoption d’ une perspective universelle du deuxième axe de la compétence éthique. L’ indicateur identifié: « Apprentissage de la cohabitation dans un contexte pluraliste » se retrouve à l’ intérieur de la description du cours « Éthique et culture religieuse: enseignement au préscolaire/primaire 1 ».

Table des matières

REMERCIEMENTS
TABLE DES MA TIÈRES
LISTE DES T ABLEAUX
LISTE DES FIGURES
RÉSUMÉ
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 PROBLÉMATIQUE DE RECHERCHE
1.1 Préoccupations initiales
1.2 De la crise des valeurs au pluralisme des idées
1.3 Savoir être en éducation
1.4 La formation au métier d’enseignant..
1.5 Précision du problème de recherche
1.6 Questions et objectifs de recherche
1. 7 Pertinence de la recherche
CHAPITRE 2 ASSISES THÉORIQUES
2.1 La compétence éthique
2.1.1 Précision des concepts
2.1.2 La compétence éthique selon le Conseil supérieur de l’éducation
2.2 La notion de programme
CHAPITRE 3 MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE.
3.1 Le lien entre la problématique de recherche et la méthodologie
3.2 L’analyse de contenu
3.2.1 Définition et caractéristiques de l’analyse de contenu
3.2.2 Le corpus
3.2.3 L’échantillonnage du corpus
3.2.4 Les étapes de l’analyse de contenu
3.3. 1 La population
3.3.2 L’échanti llon
3.3.3 Élaboration du questionnaire
3.3.4 Mise à l’ essai du questionnaire
3.3.5 Administration du questionnaire
3.3.6 Limites méthodologiques de la recherche
CHAPITRE 4 PRÉSENTATION DES RÉSULTATS DE RECHERCHE
4.1 Place de la compétence éthique dans le programme du BÉPEP de l’Université Laval
4.1.1 Observations globales
4.1.2 Développement des aptitudes à la recherche et au dialogue
4.1.3 Habileté à exercer un esprit critique et créatif
4.1.4 Disposition à l’ autonomie et à l’engagement
4.1.5 Termes généraux faisant référence à la compétence éthique
4.2 Répartition des indicateurs à l’ intérieur des voies de formation
4.2. 1 Voie des fondements de l’éducation
4.2.2 Voie de la didactique
4.2.3 Voie de la psychopédagogie
4.2.4 Voie de la formation pratique
4.2.5 Voie des activités de synthèse de formation
4.3 Place de la compétence éthique dans le programme du BÉPEP de l’Université du Québec à Trois-Rivières
4.3. 1 Observations globales
4.3.2 Développement des aptitudes à la recherche et au dialogue
4.3.3 Habileté à exercer un esprit critique et créatif
4.3.4 Disposition à l’autonomie et à l’ engagement
4.3.5 Termes généraux faisant référence à la compétence éthique
4.4 Répartition des indicateurs à l’ intérieur des voies de formation
4.4.2 Voie de la didactique
4.4.3 Voie de la psychopédagogie
4.4.4 Voie de la formation pratique
4.4.5 Voie des activités de synthèse de formation
4.5 Place de la compétence éthique dans le programme du BÉPEP de l’Université du Québec à Rimouski
4.5 .1 Observations globales
4.5.2 Développement des aptitudes à la recherche et au dialogue
4.5 .3 Habileté à exercer un esprit critique et créatif
4.5.4 Disposition à l’autonomie et à l’engagement
4.5.5 Termes généraux faisant référence à la compétence éthique
4.6 Répartition des indicateurs à l’ intérieur des voies de formation
4.6.1 Voie des fondements de l’ éducation
4.6.2 Voie de la didactique
4.6.3 Voie de la psychopédagogie
4.6.4 Voie de la formation pratique
4.6.5 Voie des activités de synthèse de formation
4.7 Place accordée à la compétence éthique selon les étudiants dans les programmes d’ éducation préscolaire et d’enseignement primaire des trois universités francophones du Québec
4.7.1 Développement des aptitudes à la recherche et au dialogue
4.7.2 Habileté à exercer un esprit critique et créatif
4.7.3 Disposition à l’autonomie et à l’engagement
CHAPITRE 5 ANAL YSE ET DISCUSSION DES RÉSULTATS DE RECHERCHE.
5.1 Répartition des indicateurs de la compétence éthique à l’ intérieur de la grille d’ analyse pour les trois universités à l’étude
5.1.1 Observations globales
5.1.2 Développement des aptitudes à la recherche et au dialogue
5.1.3 Habileté à exercer un esprit critique et créatif
5.1.4 Disposition à l’autonomie et à l’engagement
5.1.5 Termes généraux faisant référence à la compétence éthique
5.2 Répartition des indicateurs à l’ intérieur des voies de formation pour les trois universités à l’étude
5.2.1 Voie des fondements de l’éducation
5.2.2 Voie de la didactique
5.2.3 Voie de la psychopédagogie
5.2.4 Voie de la formation pratique
5.2.5 Voie des activités de synthèse de formation
5.3 Place accordée à la compétence éthique selon les étudiants dans les programmes d’ éducation préscolaire et d’enseignement primaire des trois universités francophones du Québec
5.3.1 Développement des aptitudes à la recherche et au dialogue
5.3.2 Habileté à exercer un esprit critique et créatif
5.3.3 Disposition à l’ autonomie et à l’ engagement
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE A Figure de la compétence éthique
ANNEXE B Les axes de la compétence éthique
ANNEXE C Schéma de la problématique
ANNEXE D Grille d’analyse des contenus
ANNEXE E Validation d’expert de la pré expérimentation de l’analyse de contenu
ANNEXE F Questionnaire

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