La douleur  chez l’homme et les animaux d’élevage

La douleur  chez l’homme et les animaux d’élevage

Un intérêt scientifique croissant

Au cours des trente dernières années on enregistre une croissance continue des publications scientifiques sur la douleur. Le nombre total des publications tend à indiquer que cette production concerne aussi bien l’homme que les espèces animales ; les connaissances spécifiques aux animaux ne se multiplient véritablement qu’à la fin des années 1970 au plan mondial, et dans les années 1990 au niveau européen (Figure 1A). Le nombre de publications sur la douleur reste dans un rapport de 1 à 45 en faveur des finalités cliniques humaines ou des connaissances génériques des mécanismes, et en particulier pour ce qui concerne l’étude de douleurs chroniques. Cette proportion est globalement identique au niveau mondial ou européen (Figure 1A), ce qui étaye l’hypothèse d’un intérêt fondamental et croissant pour la douleur humaine ainsi qu’une volonté collective d’en maîtriser les manifestations. Si cet intérêt a pu jouer un rôle marginal d’entraînement vis-à-vis du nombre total d’études sur la douleur animale, le suivi de l’index « part de publications » (Figure 1B) présentant la part des publications spécialisées sur la douleur par rapport à l’ensemble des publications du domaine biomédical, confirme la progression de production des données pour le secteur douleur humaine mais n’indique pas de croissance continue. Il y a même une légère baisse de la cadence de production, en ce qui concerne la « part des publications » du secteur douleur animale. L’amélioration de la connaissance des mécanismes et du contrôle de la douleur provient de disciplines différentes. La démarche générale consiste à combiner des approches utilisant des outils d’investigation récents (imagerie cérébrale, génomique) avec des études comportementales, de neurosciences cognitives, de neurophysiologie, de neurobiochimie ou de neuropharmacologie. Aucune discipline particulière ne s’avère plus fructueuse qu’une autre en termes de production de connaissances ; on assiste plutôt à une multiplication de spécialités parallèles, en particulier celles de la clinique humaine. Cette répartition entre les diverses disciplines reste stable sur la période interrogée, qui s’étend de 1975 à 2009. Lorsque les objectifs de recherche concernent les animaux eux-mêmes, les travaux finalisés s’attachent avant tout aux conséquences des pathologies répertoriées comme étant associées à des manifestations douloureuses, mais aussi dans certains cas à préciser et réduire les conséquences négatives de pratiques d’élevage ou d’expérimentation. Dans le cas d’études ciblées sur la connaissance des mécanismes de la douleur, l’évolution des dix dernières années montre que les études s’attachent soit aux caractéristiques génétiques . Evolutions du nombre de publications sur le thème global douleur, au niveau mondial et au niveau européen ; évolution comparée des publications sans distinction d’espèce (courbes noires) ou spécifiquement ciblées sur « animal » (courbes rouges). Les éléments quantitatifs d’interrogation utilisent la base de données Medline (1950- 2009). Le nombre d’articles sur la douleur est totalisé sur les périodes de 5 ans indiquées en abscisse. Les termes couverts par l’interrogation sont : douleur, nociception ou nocicepteurs, souffrance, alerte ou conscience. L’interrogation spécifique sur “animal” couvre les termes anglais suivants : animals, domestic or animals, laboratory or animals, newborn or animals, poisonous or animals, suckling or animals, wild or animals, zoo or cattle or swine or fishes or sheep or ruminants or birds or poultry or swine. Les principales disciplines impliquées dans les études de la douleur sont identiques en France, en Europe et au plan mondial :  inférieure (carrés et traits en bleu) correspond à la part « part de publications » spécifiques du domaine douleur animale. Défini par l’OST (Observatoire des Sciences et Techniques : www.obs-ost.fr), l’indicateur « part de publications » (exprimé en %) correspond au nombre de publications d’un acteur considéré (une institution, un pays, une thématique,…), rapporté au nombre de publications dans une référence donnée (par exemple, le pays de l’institution, le monde ou le domaine biomédical) et multiplié par 100. Source : base de données MEDLINE spécialisée dans le domaine biomédical. 

Apports de la clinique humaine à la connaissance de la douleur

Le développement des connaissances sur la douleur a été marqué par des travaux qui ont abordé les mécanismes élémentaires de la nociception ; il s’agissait tout d’abord de démontrer l’existence de récepteurs spécifiques (nocicepteurs). Par la suite, chercheurs et médecins se sont attachés à analyser les processus intégratifs conduisant à l’émergence de cette perception complexe qu’est la douleur. Ces travaux, menés dans la perspective de soulager l’homme, ont souvent été réalisés sur des modèles animaux, majoritairement rongeurs et primates, mais également via la clinique humaine. La combinaison de l’utilisation d’outils d’investigation puissants et globaux (imagerie cérébrale), d’études comportementales et d’approches menées selon les concepts des neurosciences cognitives a permis de renouveler la connaissance du monde sensoriel et émotionnel des animaux. Ces données sont également utilisées pour appuyer sur des bases expérimentales certaines préoccupations relevant de l’éthique animale. Si au stade actuel des connaissances l’assemblage des savoirs peut donner l’impression d’une cohabitation sans réelle intégration, il nous est néanmoins apparu que l’objectif principal de ce rapport d’expertise collectif était d’ouvrir des ponts entre des champs d’investigation jusqu’alors parallèles. Pour ce qui concerne ce second chapitre du rapport, consacré aux définitions et aux mécanismes de la douleur la perspective évolutionniste nous a guidés. Ce point de vue rend compte de l’organisation des différentes sections : définitions du lexique autour de la douleur, relations de la douleur avec les capacités émotionnelles et cognitives en développant l’exemple particulièrement complexe des modulations de la douleur associées aux relations inter-espèces (homme-animal) ou intra-spécifiques. L’évolution de l’organisation des structures nerveuses impliquées dans le traitement des informations douloureuses, avec des exemples pris chez quelques espèces, accompagne la description proprement dite des mécanismes nerveux qui sous-tendent le traitement des informations d’origine nociceptive. Des termes à préciser Les associations, voire même les confusions entre les termes douleur et nociception, douleur et souffrance, douleur et détresse sont courantes ; pour s’en convaincre, il suffit de lire les textes officiels, comme celui de la Directive Européenne sur l’utilisation des animaux à des fins scientifiques (Directive 86/609/EEC sur la Protection des animaux utilisés pour l’expérimentation et autres buts scientifiques, actuellement en révision1 ). Dans le texte fondateur de 1986, l’association des termes « douleur, souffrance, détresse » au sein d’une même phrase revient répétitivement avec le sens de capacité à ressentir (de la douleur, de la souffrance ou de la détresse). Cependant, un examen attentif des données acquises par les neurosciences ou les études comportementales, indique que ces trois concepts ne recouvrent pas exactement ni les mêmes mécanismes, ni les mêmes sensations ; l’association systématique de ces trois mots semble plus correspondre au souci de précaution du législateur européen, désireux de ne pas ignorer l’une des composantes du « vécu » de la douleur. Ces termes semblent ainsi utilisés indistinctement sans tenir compte du fait que les contenus sémantiques correspondent à des mécanismes différents, et ceci même si les connaissances scientifiques et cliniques établissent maintenant sans ambigüité ces différences.

Les conceptions de la notion de douleur pour l’humain

Au delà des usages dans les textes officiels, ou même des définitions proposées dans les dictionnaires, il existe des définitions techniques, s’appliquant soit au cas particulier de la clinique humaine soit à celui de la recherche biomédicale ; selon les situations, ces définitions sont modifiées en sorte d’être adaptées soit à l’homme soit aux animaux. 

Evolution des conceptions

Pendant très longtemps, cliniciens et chercheurs ont considéré la douleur comme une sensation particulière qui témoigne d’un traumatisme ou d’une agression tissulaire, ou qui apparaît au cours du développement d’un processus pathologique. Cette ébauche de définition ne rend pas compte ni des implications, ni du cortège émotionnel inhérent à toute douleur qui se prolonge dans la durée, ni des situations de chronicité qui font que, sans aucune cause organique, une douleur dite psychique peut être aussi invalidante qu’une douleur dont l’origine corporelle est identifiée. L’hypothèse selon laquelle l’intensité de l’expérience douloureuse est proportionnelle à la sévérité du dommage (Beecher, 1959; Melzack & Wall, 1988) a permis aux travaux réalisés en laboratoire d’exprimer l’intensité douloureuse en termes d’énergie ou d’amplitude de la stimulation. Il s’agit donc d’une théorie unidimensionnelle établie sur une relation mathématique entre l’intensité du stimulus et l’importance de la douleur. Cependant, les observations cliniques et expérimentales montrent bien qu’il n’y a pas toujours, non seulement perception mais expression (verbale ou comportementale) de la douleur, que ce soit après un traumatisme ou après un acte chirurgical. A la différence de la vision et de l’audition, la perception de la sensation algique dépasse largement le problème de la lésion et de la simple étude des signaux sensoriels. En effet, plusieurs facteurs semblent intervenir pour expliquer que l’intensité d’un stimulus puisse provoquer des douleurs décrites comme intolérables chez un individu, alors qu’un autre les supportera sans aucune manifestation. De même, un acte chirurgical ou un traumatisme peut être ressenti comme légèrement douloureux par un malade, alors qu’il entraîne une douleur insupportable et une grande consommation d’analgésiques chez d’autres. Melzack et Wall (1988) ont identifié plusieurs facteurs expliquant le caractère très polymorphe de toute douleur : – Les facteurs culturels : leurs rôles semblent prépondérants. En effet, les habitudes culturelles, les rites religieux et ethniques de diverses sociétés (rite de suspension aux crochets en Inde, trépanation en Afrique Orientale), ne semblent pas avoir de connotation algique et n’entraînent que très rarement l’extériorisation d’une douleur. Les seuils de perception la douleur sont aussi influencés par les facteurs culturels. Seule la mesure du seuil de sensation (valeur minimale du stimulus pour produire une sensation) dans différents groupes ethniques est identique (Melzack & Wall, 1988). Par contre, le seuil de perception (valeur minimale du stimulus pour que la sensation soit ressentie comme douloureuse) est modulé par les facteurs culturels qui exercent une influence considérable. Clark (1980) a montré que des individus de populations différentes (occidentaux et népalais) avaient des seuils de sensation identiques mais des seuils de perception différents. – Les expériences antérieures : les expériences douloureuses sont mémorisées et peuvent servir de référence à un stimulus (Sternbach & Tusky, 1965 ). Ce phénomène est couramment employé en médecine, permettant de comparer une sensation algique récente à une douleur connue.  

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