Interruption des actions en cours et interdiction des actions nouvelles

La nature particulière de la créance environnementale dans le traitement du passif de l’entreprise en difficulté

Enjeux de la procédure collective

En parallèle, le traitement collectif et égalitaire des créanciers doit être assuré. Si ces derniers doivent pouvoir prétendre à un paiement, des restrictions quant à leurs droits sont mises en place pour laisser le temps de construire un plan et permettre de préserver l’entreprise en difficulté. L’ensemble de ces éléments s’articule autour de deux règles cardinales : l’interdiction des poursuites individuelles et son corollaire, l’interdiction des paiements. Ces dispositions conduisent à opérer une distinction fondamentale298 entre les créances dites antérieures au jugement d’ouverture, et les créances réputées postérieures. Ces dernières bénéficieront d’un traitement bien plus favorable, en vertu d’un privilège qui garantit leur recouvrement. Cet enjeu explique les nombreux contentieux qui peuvent naître en la matière, lesquels doivent parvenir à concilier l’intérêt de l’entreprise avec celui de ses partenaires. La créance environnementale n’est pas épargnée par ce cadre juridique et se heurte nécessairement à la protection des intérêts du débiteur. En conséquence, il convient de s’intéresser au sort de la créance environnementale face au principe d’interdiction des poursuites individuelles (Section I). Dans l’hypothèse où le créancier conserve son droit de poursuite postérieurement à l’ouverture de la procédure collective, le Code de commerce arrête différentes conditions afin de pouvoir obtenir un paiement par privilège. En conséquence, la question se pose de savoir dans quelle mesure la créance environnementale peut être qualifiée de créance privilégiée (Section II). Bien que l’ensemble des créances ne puisse pas être éligible au privilège de la procédure, certaines d’entre elles bénéficient en tout état de cause d’un privilège particulier. Des solutions peuvent également être trouvées pour échapper à la rigueur du droit commercial et permettre un paiement sur les fonds de la procédure. D’où l’importance d’étudier les modalités de paiement des créances environnementales (Section III).

Le sort de la créance environnementale face au principe d’arrêt des poursuites individuelles

Extension du domaine de la règle

 Le principe d’interruption ou d’arrêt des poursuites individuelles est un principe d’ordre public299 qui vise à geler le passif de l’entreprise au jour de l’ouverture d’une procédure collective. Il est posé à l’article L. 622-21 du Code de commerce relatif à la procédure de sauvegarde et qui dispose que « le jugement d’ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent, ou à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent ». Sur renvoi des articles L. 631-14 et L. – 3 de ce même Code, ces dispositions s’appliquent également en redressement et en liquidation judiciaire. Initialement limitée aux seuls créanciers chirographaires, le champ d’application de cette règle a suivi les évolutions relatives aux privilèges de la procédure. Ainsi, l’interdiction des poursuites individuelles a été étendue par les lois n°85-98 du 25 janvier 1985 et n°2005- 845 du 26 juillet 2005 à l’ensemble des créanciers ne pouvant pas prétendre au privilège de la procédure. Sont désormais concernées par le texte les actions en justice qui visent l’accomplissement d’une obligation de donner de la part du débiteur lorsque cette créance ne remplit pas les conditions nécessaires à un traitement privilégié300. Aussi, les créanciers « antérieurs et assimilés » 301 voient leur droit de poursuite pour les créances de somme d’argent anéanti. A contrario, les obligations de faire paraissent exclues du champ d’application de ce texte. Par essence, la créance environnementale est une obligation de faire (§1). La réparation en nature doit primer le prononcé d’une compensation purement financière. Toutefois, la notion de somme d’argent peut apparaître dans les différentes dispositions relatives aux régimes spéciaux présents dans le code de l’environnement. De même, une action en responsabilité environnementale peut se résoudre par l’allocation de dommages et intérêts. Ainsi, la créance environnementale peut également être une obligation de payer (§2), mais dont la nature particulière doit être prise en compte dans le cadre de l’application de l’arrêt des poursuites.

La créance environnementale : une obligation de faire

Interruption des actions en cours et interdiction des actions nouvelles

Aux termes de l’article L. 622-21 du Code de commerce, l’ouverture d’une procédure collective interrompt les actions en cours et interdit l’exercice d’une action nouvelle de la part des créanciers. Une fois le jugement d’ouverture prononcé, les créanciers environnementaux devraient donc se voir opposer cette règle lors de l’exercice d’une action. Lorsque la créance découle de la mise en œuvre des régimes de police administrative, l’administration doit être en mesure de faire valoir ses droits postérieurement à la décision d’ouverture, et ce pour lui permettre de se prémunir contre une éventuelle défaillance du débiteur dans la prise en charge de la créance environnementale. En effet, si elle n’a pu être recouvrée par un débiteur solvable, son coût pèsera sur l’ensemble de la collectivité. Comme l’explique la circulaire du 26 mai 2011 relative à « la cessation d’activité d’une installation classée chaîne de responsabilités défaillance des responsables », « lorsqu’il y a menace grave pour les populations et l’environnement, les pouvoirs publics doivent intervenir en tant que garants de la santé et de la sécurité publique ». C’est alors l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (sigle ci-après ADEME) qui intervient afin de mettre en œuvre la réhabilitation des sites. Or, pour solliciter l’intervention de l’ADEME, le préfet doit au préalable avoir cherché à mettre en cause les responsables303. Cette mise en cause passe par l’application de l’article L. 171-8 du Code de l’environnement. Ce texte prévoit qu’après avoir mis en demeure l’exploitant de réaliser certains travaux, sans réponse de sa part, l’autorité administrative compétente peut obliger la consignation des sommes nécessaires à la réalisation des travaux de remise en état. De la même manière, s’agissant de la défaillance de l’exploitant d’une ICPE soumise à une obligation de constituer une garantie financière l’article R. 516-3 du code de l’environnement n’autorise le préfet à faire appel aux garanties financières qu’une fois ces dispositions mises en œuvre.

Principe limité aux obligations de payer

 En principe, la portée de l’article L. 622-21 du Code de commerce est limitée aux actions « tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent, ou à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent ». Les actions fondées sur un autre motif que le défaut de paiement ne sont pas soumises au principe d’interdiction des poursuites individuelles. C’est le cas des obligations de faire. Les créances environnementales sont par essence des obligations de faire. Comme le souligne le professeur Voinot, « la satisfaction du créancier passe par la disparition du trouble environnemental ». De même, le professeur Trébulle considère que « ce qui touche à l’environnement doit être réparé en nature » . Il s’agit d’accomplir une prestation au service direct de la protection de l’environnement Dans un arrêt du 19 novembre 2003  , la Chambre commerciale qualifie expressément d’obligation de faire l’obligation administrative de remise en état d’un site industriel. Par conséquent, une créance qui résulte de la mise en œuvre des régimes spéciaux ne paraît pas devoir se soumettre au principe d’arrêt des poursuites individuelles. Même si, comme le suggère le professeur Trébulle, il convient de distinguer l’obligation de faire imposée à tous les exploitants en dehors de l’intervention de l’administration et la créance qui résulte justement de cette intervention310, la qualification de ces deux hypothèses doit être la même : à savoir l’existence d’une obligation de faire. Aussi, l’administration est en droit de mettre en demeure un exploitant de procéder à la dépollution du site. Néanmoins, cette décision ne permet pas d’affirmer avec force que l’administration reste autorisée à agir. L’espèce soumise à la Haute-juridiction concernait une demande de dépollution fondée sur la législation relative aux ICPE et formulée par un crédit-bailleur à l’encontre d’un débiteur en difficulté, et non pas une demande de réalisation des travaux faite directement par l’administration. Toutefois, la situation du débiteur reste la même : il subit une procédure collective et se trouve contraint par une obligation de dépollution. 

Cours gratuitTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *