La notion de figement

La notion de figement

Dans la littérature linguistique, les constructions figées ou idiomatiques ont préoccupé plusieurs auteurs. Dans son livre Les expressions figées du français, Gaston Gross (1996b : 3) met en évidence l’obscurité qui règne dans le domaine du figement, due essentiellement au fait « que les travaux effectués dans ce domaine n’ont pas franchi la barrière des programmes scolaires. Le phénomène de figement est resté donc marginal ». David Gaatone (1997 : 168) remarque que « ce qui avait longtemps été considéré comme un phénomène marginal, comme une série d’exceptions, se révèle être en fait caractéristique des langues humaines naturelles ». A ces difficultés s’ajoute, dans le cas du figement, la terminologie particulière propre à certains linguistes et qui est le reflet de points de vue théoriques différents. Les différentes définitions proposées ne sont pas superposables. « On ne cesse de changer d’optique, de sorte qu’on perd de vue le fonctionnement réel des éléments au profit de préoccupations terminologiques » (G. Gross 1996b : 5). D’après G. Gross (1996b : 7) la définition de la notion de figement44 implique à la fois deux paramètres différents : – « d’une part, le fonctionnement syntaxique interne d’une suite donnée, qui peut être libre ou faire l’objet de différents niveaux de restrictions ; – et, d’autre part, la signification de la suite, qui est ou non le produit de celle de ses éléments constitutifs ». Partant de ce constat, G. Gross (1990a, 1996b) propose une série de critères syntaxiques et sémantiques permettant de distinguer les formes figées des formes libres. Rappelons ici le principe général de cette distinction : « Une séquence de mots simples est figée (ou composée) si l’une au moins de ses propriétés syntaxiques, distributionnelles ou sémantiques ne peut pas être déduite des propriétés de ses constituants ». Nous nous rendons donc compte que le figement sémantique et le figement syntaxique sont deux aspects d’un même phénomène. Dans ce chapitre, nous exposerons tout d’abord les propriétés générales qui caractérisent le phénomène de figement indépendamment des aspects particuliers qu’il peut revêtir dans les différentes parties du discours. Nous appliquerons en même temps ces propriétés générales (ou critères généraux) aux adverbes grecs. Ensuite, nous exposerons les critères formels sur lesquels nous nous sommes appuyée afin d’identifier les adverbes figés dans les textes et les intégrer dans notre dictionnaire électronique et dans nos tables de lexique-grammaire. Finalement, nous donnerons un aperçu global45 des structures adverbiales, retenues dans la présente étude, par rapport à leur degré de figement. 

Les propriétés générales du phénomène de figement

Les propriétés générales (ou critères généraux) du figement s’appliquent au niveau lexical, syntaxique et sémantique. Nous présentons ci-dessous les critères que nous avons appliqués aux adverbes grecs et qui prennent appui sur ceux proposés par G. Gross (1996b :9-22). Les critères sont exposés dans ce chapitre selon l’ordre de leur application, à savoir : i) la polylexicalité (ou la combinatoire lexicale), ii) la non-compositionnalité du sens (ou les contraintes sémantiques), iii) le blocage des propriétés transformationnelles (ou les contraintes syntaxiques), iv) la non-actualisation des éléments constitutifs, v) le blocage des paradigmes synonymiques (ou les contraintes lexicales), vi) la comparaison (ou la métaphore), vii) le degré de figement, viii) le défigement. Le point de départ de notre analyse sera la phrase élémentaire à adverbe (libre ou figé). Les problèmes de variantes graphiques (notamment, de variantes phonologiques), qui sont habituellement associés à l’étude du figement, ne seront pas abordés dans ce chapitre. Nous nous reporterons à ce sujet aux sections II, 2.5.4 et 2.5.5 et, notamment, aux études de N. Catach (1981) et de M. Mathieu-Colas (1994).

La polylexicalité (ou la combinatoire lexicale)

D’après G. Gross (1996b : 9), la première condition nécessaire pour qu’on puisse parler de figement est d’avoir « une séquence de plusieurs mots et, éventuellement, au moins un séparateur et que ces mots aient, par ailleurs, une existence autonome ». Nous admettrons comme séparateurs46 du grec moderne le blanc (ελ ζπληνκία/en bref), le trait d’union (αγάιηαγάιη/peu à peu), la virgule de liaison (πξσί, κεζεκέξη, βξάδπ/matin, midi et soir) et l’apostrophe (εθ’ όξνπ δσήο/pour la vie). Par conséquent, selon ce principe, les suites formées à l’aide d’un affixe (préfixe ou suffixe), c’est-à-dire les mots dérivés, seront exclus du domaine de figement, puisque les affixes ne peuvent pas avoir une existence autonome47 dans le système actuel de la langue. Toutefois, M. Gross (1990a) considère également comme figés de nombreux adverbes formés d’un seul mot, c’est-à-dire, d’une suite de caractères sans séparateur, auxquels la notion combinatoire d’expression figée ne semble pas directement applicable. D’après M. Gross (1990a : 42, 153), c’est essentiellement « le caractère non productif évident de ces termes qui justifie leur traitement dans le cadre des expressions figées ». Conformément à cette théorie et pour ce qui est du grec moderne, nous avons également considéré comme figés certains adverbes simples48, tels que αεί/toujours et αλήκεξα/le jour même. Nous reviendrons sur ce sujet plus en détail dans IV, 3.1.

La non-compositionnalité du sens (ou les contraintes sémantiques)

La notion de compositionnalité repose sur le fait que « le sens d’une séquence donnée est le produit du sens de ses composants » (G. Gross 1996b : 10). Ainsi, une suite adverbiale libre (Adv=: Prép Dét Modif N) peut s’interpréter en fonction du sens de ses constituants, à savoir du sens du nom-tête (noté N) et du modifieur (noté Modif). Notons que le modifieur peut prendre la forme d’un adjectif, d’une phrase relative ou d’un complément de nom. Dans l’exemple suivant : (1) Ζ Ρέα ζα αξρίζεη λα δνπιεύεη ην κήλα πνπ δε ζα έρεη πιένλ ρξήκαηα La Réa-Nfs commencera à travailler le mois-Ams que n’aura plus argent-Anp (Réa commencera à travailler le mois où elle n’aura plus d’argent) l’adverbe temporel est constitué du Ntps=: κήλα/mois, modifié par la phrase relative (Modif=: que P=: πνπ δε ζα έρεη πιένλ ρξήκαηα/où elle n’aura plus d’argent). La relative forme avec le nom un sens compositionnel. Le sens de l’adverbe peut donc être déduit du sens ordinaire de ses composants ; par conséquent, son interprétation est compositionnelle. Nous avons donc affaire à une suite adverbiale sémantiquement libre et lexicalement productive. Examinons maintenant l’exemple suivant : (2) Ζ Ρέα ζα αξρίζεη λα δνπιεύεη ην κήλα πνπ δελ έρεη ΢άββαην La Réa-Nfs commencera à travailler le mois-Ams qui n’a pas Samedi-Ans (Réa commencera à travailler la semaine des quatre jeudis) Nous nous rendons compte que le sens ordinaire des composants de l’adverbe temporel ne permet pas de déduire qu’il s’agit d’une personne (N0=: ε Ρέα/Réa) qui ne commencera jamais à travailler. Nous sommes donc en présence d’une suite adverbiale sémantiquement figée et lexicalement contrainte. Pour qu’on puisse alors parler de figement, il faut que le sens d’une suite donnée ne puisse pas être déduit de celui de ses éléments constitutifs. L. Danlos (1988) souligne que « les expressions figées échappent aux hypothèses de compositionnalité » et, plus précisément, « elles sont non-compositionnelles du point de vue sémantique » (M. Gross 1988b). Mais, comme le signale G. Gross (1996b : 11), « l’opacité sémantique est un phénomène scalaire ». Ainsi, dans l’exemple : (3) Ζ Ρέα ζα αξρίζεη λα δνπιεύεη κηα σξαία πξσία La Réa-Nfs commencera à travailler une belle matinée-Afs (Réa commencera à travailler un beau matin) l’adverbe temporel peut avoir deux lectures à la fois. L’une étant compositionnelle (ou libre) et l’autre non-compositionnelle (ou figée). Selon la première interprétation, le groupe nominal σξαία πξσία/beau matin se réfère clairement aux conditions atmosphériques sereines, alors que selon la seconde, l’idée dominante est celle du hasard, de l’imprévisibilité ou de l’inattendu. E. Laporte (1988 : 121) postule que « même lorsqu’on peut employer une locution dans le sens littéral, on a tendance à éviter de le faire, car l’interprétation idiomatique est préférée à l’interprétation littérale ». 

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