La perte de colonies d’abeilles (Apis mellifera) à grande échelle

La perte de colonies d’abeilles (Apis mellifera) à grande échelle

L’augmentation de la pression environnementale et anthropique à laquelle sont exposées les populations d’abeilles domestiques (Apis mellifera) et sauvages est soupçonnée d’être à la base de leur déclin à l’échelle mondiale (Beismeijer et al., 2006 ; Grixti et al., 2009 ; National Research Council, 2007 ; Oldroyd, 2007 ; Paxton, 2010 ; Ratnieks et Carreck, 2010 ; Stokstad, 2007 ; vanEngelsdorp et al., 2009 ; Whitehorn et al., 2012). Des recensements récents ont estimé les pertes d’abeilles domestiques à environ 30 % aux Etats Unis et entre 1,8 à 53 % en Europe (Neumann et Carreck, 2010), alors que le niveau acceptable de mortalité aux Etats Unis est estimé à 15 % (vanEngelsdorp et al., 2012).Cependant, la perte importante d’abeilles domestiques n’est pas un phénomène récent comme des données historiques du début du XXème siècle le montrent (Neumann et Carreck, 2010). Le développement de l’apiculture au niveau mondial associé à leur rôle clé dans l’agriculture par la pollinisation, ont fait de l’abeille un animal d’importance stratégique et donc d’intérêt public. En effet, 35 % de la production globale des aliments provient de cultures qui ont besoin de pollinisation entomophile et 70 % des 124 cultures majeures utilisées directement dans l’alimentation humaine au monde, dépendent de la pollinisation (Klein et al., 2007). En Europe la production de 84 % des espèces cultivées dépend aussi de la pollinisation des abeilles (Williams, 1994). En 2005, l’activité des abeilles domestiques représentait 9,5 % de la valeur de la production agricole mondiale destinée à la nourriture humaine, ce qui était estimé à 153 milliards d’euros (Gallai et al., 2009).

Mono et multiples causes

 Pendant la première décennie des années 2000, le déclin des abeilles était déjà évident dans quelques régions du monde (Klein et al., 2007). Plusieurs causes étaient soupçonnées d’être à la base du déclin comme la propagation mondiale (i) de l’acarien ectoparasite Varroa destructor débutée il y a environ 40 ans (Anderson et Trueman, 2000), (ii) de l’acarien des trachées, Acarapis woodi (Downey et Winston, 2001 ; Chen et al., 2004), (iii) du coléoptère Aethina tumida (Evans et al., 2003) et (iv) celle de la microsporidie N. ceranae (Higes et al., 2006). L’utilisation abusive de pesticides et d’herbicides était également suspectée d’influencer la diminution des abeilles (James et Xu, 2012). D’autres facteurs ont été considérés comme contributeurs au déclin des abeilles comme le changement climatique (Le Conte et Navajas, 2008) et les altérations du paysage. Ce dernier peut avoir comme conséquences la fragmentation des écosystèmes, la réduction de la biodiversité et la diminution de la quantité et qualité des ressources mellifères, entre autres (Lautenbach et al., 2012 ; Vandame et Palacio, 2010). On peut aussi mentionner des causes éloignées du système écologique des abeilles comme la baisse des prix des produits et services apicoles (Klein et al., 2007). En 2009 vanEngelsdorp et al. ont défini les caractéristiques du syndrome d’effondrement des colonies (CCD, colony collapse disorder) aux USA comme : (i) l’absence d’abeilles mortes dans la ruche et dans le rucher, (ii) la diminution rapide de la population d’abeilles adultes qui laisse le couvain sans soin, (iii) l’absence de signes de pillage, (iv) le fait qu’au moment du collapse les niveaux de populations de V. destructor ou Nosema ne sont pas suffisants pour provoquer un impact économique ou le déclin de la population. Il a été proposé que le CCD possède un caractère contagieux ou bien qu’il soit le résultat de l’exposition à un facteur de risque commun. Dans ce scenario les pathogènes sont suspectés d’avoir un rôle indirect en interagissant avec d’autres facteurs. Les pathogènes seraient à la base des symptômes du CCD lorsque le syndrome est installé dans les colonies déjà affaiblies par d’autres facteurs ou par la combinaison de plusieurs stress qui réduisent la capacité des abeilles à lutter contre l‘infection. D’autres études ont montré l’implication d’un pathogène dans des cas de colonies ayant succombé au CCD, comme le virus israélien de la paralysie aiguë (IAPV, Israeli acute paralysis virus of bees) (Cox-Foster et al., 2007) et N. ceranae (Borneck et al., 2010 ; Higes et al., 2008a). Mais ces parasites peuvent être également présents de façon asymptomatique dans les colonies (Blanchard et al., 2008 ; Fernández et al., 2012 ; Garrido-Bailón et al., 2010 ; Gisder et al., 2010 ; Reynaldi et al., 2011). D’une façon similaire, les pesticides peuvent provoquer directement la mortalité des abeilles (Henry et al., 2012), ou malgré leur présence dans l’environnement ne pas jouer un rôle prépondérant dans les mortalités d’abeilles (Creswell et al., 2011). Le rôle des interactions multiples est devenu une des hypothèses majeures pour expliquer la perte de colonies. Les différents facteurs de risque peuvent avoir des effets additifs ou synergiques, augmentant ainsi les effets individuels de chaque facteur (Le Conte et al., 2012). Parmi les interactions pathogène – pathogène il a été mis en évidence l’effet conjoint de V. destructor et du virus des ailes déformées (DWV, deformed wing virus) (Dainat et al, 2012a) et encore de N. ceranae et d’un Iridovirus (Bromenshenk et al., 2010). Des interactions pesticide – pathogène ont été également décrites entre N. ceranae et des pesticides neocotinoïdes (Alaux et al., 2010a ; Aufauvre et al., 2012 ; Pettis et al., 2011 ; Vidau et al., 2011). Des effets de l’interaction entre la nutrition (pollen) et N. ceranae ont été aussi montrées sur la survie des abeilles (Porrini et al., 2011)

Le rôle de Nosema ceranae dans les pertes de colonies

Dans le scenario si complexe des pertes de colonies d’abeilles, la compréhension des mécanismes d’interaction de plusieurs facteurs, pathogènes – pesticides – environnement, ne peut pas être atteinte sans d’abord connaitre les mécanismes d’action des facteurs individuels. C’est pourquoi nous avons voulu approfondir et nous concentrer sur l’étude de l’interaction hôte – parasite : A. mellifera et N. ceranae. A présent ce parasite émergeant est largement distribué dans le monde. Il exprime des niveaux de pathogénie différents qui vont d’une présence asymptomatique à la mort de la colonie. 

Distribution géographique 

En 1996, une nouvelle espèce de Nosema a été découverte chez l’abeille asiatique Apis cerana (Fries et al., 1996). La présence de N. ceranae chez A. mellifera était inconnue jusqu’en 2005, année au cours de laquelle elle a été isolé chez les abeilles européennes (Higes et al., 2006 ; Huang et al., 2007). Cependant, le transfert de N. ceranae d’A. cerana vers A. mellifera remonte à plus de 15 ans avant la première détection chez A. mellifera, comme le démontre l’analyse d’échantillons des années 1990 en Uruguay et 1995 aux Etats-Unis (Chen et al., 2008 ; Invernizzi et al. 2009). Actuellement N. ceranae présente une distribution géographique mondiale (Fig. 1). La présence d’échantillons positifs à N. ceranae dans des régions aussi éloignées que l’Uruguay et la Finlande suggère un transfert par différentes voies probablement suivant les échanges commerciaux. Dans de nombreuses régions N. ceranae semble avoir remplacé ou être en train de remplacer N. apis, une autre espèce de Nosema. Cela soutient l’idée de l’origine récente de N. ceranae chez A. mellifera (Carreck 2012). Or, il y a des régions, comme en Allemagne, où les deux espèces coexistent sans la prédominance de l’une sur l’autre (Gisder et al., 2010). 

Classement taxonomique

 Nosema ceranae appartient à la classe des Microsporidia (phylum Microspora) qui est un groupe très diversifié de parasites obligatoires intracellulaires eucaryotes. Environ 1 200 espèces ont été décrites dans 160 genres, ce qui certainement représente une petite fraction de la diversité réelle (Wittner and Weiss, 1999). Presque toutes les microsporidies sont parasites des animaux, une partie notamment sont responsables de maladies humaines associées à la suppression de l’immunité. Chez l’homme ces pathogènes émergents opportunistes (tel que Encephalitozoon cuniculi) sont devenus un problème de santé publique lors de la pandémie de l’AIDS (Acquired Immunodeficiency Syndrome : Syndrome de l’immunodéficience acquise) (Texier et al., 2010). Egalement, ces pathogènes infectent des nombreuses espèces d’importance commerciale comme l’abeille, le ver à soie (Nosema bombycis), le saumon (Loma salmonae), et des mammifères domestiques (Keeling, 2009 ; Williams, 2009). L’histoire taxonomique des microsporidies semble avoir atteint une stabilité avec l’arrivée de la biologie moléculaire. Lors de leur découverte en 1857, les microsporidies étaient considérées comme des champignons (schizomycète) puis ils sont été reclassés deux fois (en 1882 Sporozoa et en  1983 Archezoa) avant que la phylogénie moléculaire démontre leur origine fongique en 1996 (Keeling, 2009). Le séquençage de leur génome et la découverte de la présence de « mitosomes » (une forme simplifiée de mitochondrie) ont soutenu leur classement dans le règne Mycota, ce qui continue à être vérifié par de nouvelles recherches moléculaires (Capella-Gutiérrez et al., 2012). L’absence de mitochondrie a été à la base de l’hypothèse d’une origine primitive (Archezoa) des microporidia, aujourd’hui nous savons que l’absence de cette organite fait partie d’une réduction adaptative au niveau moléculaire, biochimique et cellulaire de ce groupe de parasites (Burri et al., 2006). La présence du mitosome sans la capacité de production d’ATP via la phosphorylation oxydative, rend les microsporidies fortement dépendant es de leurs hôtes pour l’obtention d’énergie, cela correspond à un des effets les plus connus de N. ceranae chez l’abeille (Aliferis et al., 2012). Nosema apis fut isolé à partir d’A. melliffera en 1909 (Zander) mais le diagnostic moléculaire a été mis au point récemment (Webster et al., 2004). Il est probable que dans le passé les diagnostics des spores N. apis basés sur microscopie optique ne différenciaient pas les spores de N. ceranae (Fries et al., 2006). N. apis a une demande énergétique plus basse que N. ceranae (Martín-Hernández et al., 2011) et en général ne cause pas de mortalités élevées (Forsgren et Fries, et al., 2010 ; MartínHernández et al., 2011). La maladie causée par N. apis se dénomme « nosemosis de type A ». Dans les cas aigües, cette maladie se caractérise par des abeilles qui tremblent, des abdomens dilatés, des tâches de fèces sur les cadres et la façade des ruches, une baisse de la quantité du couvain et de la taille de la population d’abeilles, spécialement au printemps (Higes et al., 2010). La maladie due à N. ceranae « nosémoses de type C » ne présente pas les symptômes évidents rencontrés par l’infection par N. apis. La nosémose de type C se caractérise par une période d’incubation asymptomatique longue pendant laquelle la colonie présente une production intensive de couvain, des réserves de miel et de pollen, et l’effondrement de la colonie se déclenche lorsque le taux de ponte de la reine n’est pas suffisant pour remplacer la mort d’abeilles adultes (Higes et al., 2008a).

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