La prédation sur les populations de Cyanistes caeruleus ultramarinus (Paridae, Aves) dans les forêts

La prédation dans la gestion des populations

Lorsqu’il fut démontré que la prédation constituait dans de nombreux cas un processus de régulation des effectifs des proies et prédateurs, un champ d’application important s’est développé au cours du vingtième siècle dans le domaine de la lutte biologique contre certains ravageurs des cultures (ALROUECHDI, 1981 ; KUMAR, 1991 ; ROY, 1993). Les méthodes de lutte chimique, générant des pollutions à effets environnementaux et sanitaires, furent progressivement remplacées par l’utilisation des prédateurs naturels de certains ravageurs dans le cadre de la lutte intégrée (HUFFAKER & KENNETT, 1956). En outre, la compréhension des relations prédateurs proies a trouvé des applications dans le domaine de la gestion des populations d’espèces vulnérables ou en danger, dans une perspective de conservation de la biodiversité (TORGERSON & CAMPBELL, 1982).

La prédation : facteur de biodiversité

La prédation peut, en outre, favoriser la coexistence d’espèces concurrentes dans un même milieu en relâchant les pressions de compétition entre elles. Elle favoriserait, par-là, la diversité spécifique locale (KULLBERG & EKMAN, 2000). Dans une vision de conservation, on comprend le rôle fondamental que peuvent jouer les prédateurs dans le maintien de la diversité dans un écosystème. La prédation représenterait une sorte de tribut à la diversité biologique.
PAINE (1966) montre bien qu’en l’absence de prédateurs dans un système, certaines populations proies peuvent disparaître, à cause de pressions de compétition existant entre elles et que diminuerait de manière significative l’action d’un prédateur. En effet, dans un système d’enclos marins au large des côtes californiennes, l’auteur observe l’évolution d’une communauté de mollusques en présence et en absence d’un prédateur, l’étoile de mer Pisaster ochraceus. En absence du prédateur, la compétition entre les espèces de mollusques atteint des niveaux qui entraînent, par exclusion, la disparition de plusieurs espèces de la communauté. A l’opposé, lorsque le prédateur maintient les populations proies à un niveau de densité relativement faible, les ressources ne constituent plus un facteur limitant et permettent la coexistence d’un ensemble d’espèces proies. Paine désigne alors les prédateurs comme étant des espèces clés dans un écosystème.
Plusieurs travaux (HOLLING, 1959 ; CRAMER & MAY, 1972, etc.), rapportés par BLONDEL (1995), soulignent le rôle diversifiant et stabilisant de la prédation et son importance dans la régulation des distributions et des abondances dans un milieu, favorisant ainsi le partage des ressources et de l’espace dès lors que ce dernier présente une certaine hétérogénéité. « …OKSANEN & al. (1981) et MENGE & SUTHERLAND (1976) ont développé l’argument selon lequel les organismes sont surtout régulés par la compétition dans les environnements instables, peu productifs et contraignants, alors qu’ils le sont davantage par la prédation dans les environnements stables et prévisibles. » (BLONDEL, 1995).

La prédation à l’échelle du paysage

A l’échelle du paysage, une part importante de la prédation chez les oiseaux se déroule dans les lisières inter-habitats, à cause de la densité plus forte de certaines populations proies ou  rédateurs (BUREL & BAUDRY, 1999). Les premières évidences de l’effet de lisière ont été apportées par GATES & LYSEL (1978, in LAHTI, 2001). Elles ont été suivies par nombre d’autres travaux, notamment dans les formations caducifoliées ou mixtes d’Amérique du nord (DANIELSON et al., 1997), de Chine (DENG & GOA, 2005), du Chili (VERGARA & SIMONETTI, 2003), ainsi que dans des formations tropicales humides d’Australie (HAUSSMAN et al., 2005) ou du Kenya (MAINA & JACKSON, 2003). La fragmentation de plus en plus importante des paysages a conduit à créer de
nombreuses lisières inter-habitats, particulièrement des lisières de type forêt-cultures. En effet, les habitats naturels et particulièrement les habitats forestiers, sont de plus en plus affectés par les activités humaines qui entraînent leur morcellement suite à l’ouverture de pistes, de routes, aux activités agricoles, aux incendies, à la coupe et à l’exploitation du bois. Les effets mis en évidence dans nombre de travaux (op.cit) affectent par exemple les comportements des prédateurs, créent de nouvelles conditions écologiques qui modifient les dynamiques prédateur-proies, notamment en perturbant ou en supprimant les cycles de croissances des populations proies ou prédateurs (ANDREN, 1992).
Bien que les généralisations restent délicates, ces travaux mettent tous en évidence le rôle des lisières et de la fragmentation des paysages sur la prédation. Les taux de prédation sont souvent importants au niveau des lisières et dans les petits fragments forestiers, suite à l’action de prédateurs généralistes qui se montrent plus efficaces dans l’exploitation de cette catégorie d’habitats (NOUR et al., 1993, ANDREN, 1992). Les lisières fonctionnent alors comme des pièges écologiques (ecological traps) pour les populations proies (GATES & LYSEL, 1978 in LAHTI, 2001).
L’impact de la prédation dans les paysages dépend d’autre part de la spécialisation des prédateurs. Les spécialistes perçoivent le paysage comme fragmenté et les lisières comme des barrières, alors que les généralistes perçoivent le paysage dans sa continuité. Tout en prenant en compte son hétérogénéité, ils traversent aisément les lisières (BUREL & BAUDRY, 1999). Les forts taux de prédation observés au niveau des lisières et dans les petits fragments forestiers sont communs dans les paysages où la fragmentation est due à la présence de terres agricoles (ANDREN, 1992). Ceci n’est souvent pas observé dans les mosaïques de forêts, dans les habitats ouverts ou dans les îles (KNUTSON et al., 2000).

Les nids artificiels : une approche dans l’étude de la prédation

L’observation des événements de prédation étant difficiles (les nids étant souvent cachés et les prédateurs discrets), les chercheurs ont eu recours à l’utilisation de nids artificiels dans l’étude de la prédation, dans l’idée d’inférer les résultats obtenus aux processus affectant les nids naturels (BURKE et al., 2004 ; THORINGTON & BOWMAN, 2003 ; MEZQUIDA & MARONE, 2003 ; BULER & HAMILTON, 2000 ; BAYNE et al., 1997). Leur utilisation facile et le contrôle des expérimentations qu’ils permettent ont attiré rapidement les écologistes et les expériences sur nids artificiels sont devenues très courantes (MOORE & ROBINSON, 2004).
Cet intérêt a été suscité suite à l’observation du déclin de plusieurs populations d’oiseaux nord-américains, particulièrement d’espèces de prairie et de buissons (THOMPSON & BURHANS, 2004). On comparait alors les données provenant de nids artificiels et de nids naturels afin de mettre au point des stratégies de gestion des populations dans un objectif de conservation. La fin des années 1990 voient la controverse s’installer au sujet de leur utilisation car les chercheurs prenaient conscience que les nids artificiels pouvaient être une représentation très éloignée des nids naturels, pouvant même attirer des prédateurs différents (THOMPSON & BURHANS, 2004 ; MAJOR & KENDHAL, 1996), biaisant ainsi les expériences et les hypothèses qui pouvaient en découler. Les données provenant de nids artificiels devaient alors être considérées avec prudence car ceux-ci ne pouvaient représenter, en fin de compte, qu’une première approximation dans l’étude de la prédation (MAJOR & KENDHAL, 1996). Ils auraient au moins le mérite de préciser les acteurs en présence : les différents prédateurs auxquels la population proie est soumise, puis dans une certaine mesure le « mode opératoire » de chaque prédateur sur la population proie.

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE 
MATERIEL ET METHODES
1. DESCRIPTION GENERALE DE LA REGION D’ETUDE
1. 1 CADRE ECO-GEOGRAPHIQUE
1.1.1 Aperçu géologique
1.1.2 Hydrographie
1.1.3 Les grands ensembles écologiques de la région
1.1.3.1 La zone littorale
1.1.3.2 La zone sub-littorale
1.1.3.3 La zone montagneuse
1.2 ELEMENTS DE CLIMATOLOGIE
1.2.1 Température
1.2.2 Pluviométrie
1.2.3 Vents
1.2.4 Humidité
2. METHODOLOGIE GENERALE
2.1 LE MODELE BIOLOGIQUE : LA MESANGE BLEUE
2.2 SITE D’ETUDE
2.3 DISPOSITIF D’ECHANTILLONNAGE : LES NICHOIRS
2.3.1 Description et emplacement
2.3.2 Occupation des nichoirs
2.4 PARAMETRES REPRODUCTIFS
2.5 PREDATION SUR LES NIDS NATURELS
2.5.1 Indices de prédation
2.5.2 Taux de prédation
2.5.3 Chevauchement de niches
2.5.4 Taux de survie de Mayfield
2.6 PREDATION SUR LES NIDS ARTIFICIELS
2.6.1 Introduction
2.6.2 Constitution des nids
2.6.3 Indices de prédation sur les nids artificiels
2.7 EXPERIMENTATIONS
2.7.1 Nombre d’œufs et présence d’appât dans les nids artificiels
2.7.2 l’appât dans les nids naturels
2.7.3 Visibilité des nichoirs
2.8 MATRICE DE DONNEES
2.9 ANALYSE DES DONNEES
RESULTATS ET INTERPRETATIONS
CHAPITRE 1 : ANALYSE DE LA REPRODUCTION
1.1 TAUX D’OCCUPATION DES NICHOIRS
1.2. TRAITS D’HISTOIRE DE VIE
1.2.1 Date et période de ponte
1.2.1.1 Effet année
1.2.1.2 Effet altitude
1.2.1.3 Effet habitat
1.2.2 Taille de ponte
1.2.2.1 Effet année
1.2.2.2 Effet altitude
1.2.2.3 Effet habitat
1.2.3 Succès de la reproduction
1.2.3.1 Effet année
1.2.3.2 Effet altitude
1.2.3.3 Effet habitat
1.3 SYNTHESE
1.3.1 Date de ponte
1.3.2 Taille de ponte
1.3.3 Succès reproductif
CHAPITRE 2. IDENTIFICATION ET MODE OPERATOIRE DES PREDATEURS
2.1. LES MODELES DE PREDATION OBSERVES
2.2. LES PREDATEURS ET LEURS MODES D’ACTION
2.2.1 Les Reptiles
2.2.2 Les Mammifères
2.2.2.1 Les Rongeurs
2.2.2.2 Les Carnivores
2.2.3 Les Oiseaux
2.2.4 Les Insectes
2.2.5 Prédation des parents hors du nid
2.3. CHEVAUCHEMENT DE NICHES
CHAPITRE 3. MODALITES DE LA PREDATION SUR LA POPULATION PROIE
3.1 PREDATION BRUTE DES NIDS
3.1.1 Taux de prédation par année
3.1.2 Contribution par prédateur
3.2 PREDATION AU COURS DES PHASES DE LA REPRODUCTION
3.2.1 Prédation en phase de construction
3.2.2 Prédation en phase de ponte-incubation
3.2.2.1 Taux de prédation sur les œufs
3.2.2.2 Prédation et taille de ponte
3.2.2.3 Phénologie de la prédation en phase de ponte-incubation
3.2.2.4 Prédation sur les nids artificiels
a. Modèles de prédation sur nids artificiels
b. Taux de prédation annuel
c. Phénologie de la prédation sur les nids artificiels
3.2.2.5 Expérimentations
a. Appât et nombre d’œufs dans les nids artificiels
b. L’appât dans les nids naturels
c. Visibilité des nids
3.2.2.6 Nids naturels versus nids artificiels
3.2.3 Prédation en phase d’élevage
3.2.3.1 Taux de prédation en phase d’élevage
3.2.3.2 Phénologie de la prédation en phase d’élevage
3.2.3.3 Prédation et taille des nichées
3.2.3.4 Prédation et âge des pulli
3.2.4 Stade œuf Ŕ stade poussin : quel est le plus vulnérable à la prédation ?
CHAPITRE 4. EFFET DE LA PREDATION SUR LES TRAITS D’HISTOIRE DE VIE
4.1 Prédation et date de ponte
4.2 Prédation et taille de ponte
4.3. Prédation et succès reproductif
DISCUSSION GENERALE
Les nichoirs, outils pratiques ou biais importants ?
Des modèles de prédation à la communauté de prédateurs
La mésange bleue ultramarine subit-elle plus de prédation que sa congénère européenne ?
La prédation, source principale de mortalité
Quelle utilité pour les nids artificiels ? Comparaison avec les nids naturels
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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