LA PRÉSERVATION ET LA CONSERVATION DU STREET ART COMME UN PATRIMOINE

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LE SPECTRE DU GRAFFITI DIT « VANDALE» ET LES AMBIGUÏTÉS CONTEMPORAINES

Un art souvent illégal condamné par la loi

Le street art est partout. Nous le côtoyons chaque jour, au coin d’une rue, dans notre quartier, dans toute la ville et tout autour du globe. Internet contribue largement à cette banalisation de l’art urbain. Nous le retrouvons sur des sites, blogs, articles et sur les réseaux sociaux comme Instagram qui font que rare est le jour où nous n’entendons pas parler de street art. C’est l’art du moment, les styles en vogue qui font que se multiplient expositions, festivals et autres événements attirant de plus de personnes6 et qui en font un des courants les plus diffusé de l’Histoire des arts. C’est le cas de la ville de Grenoble notamment, qui accueille en 2018 la quatrième année de son festival mettant en valeur la totalité des pratiques du street art. La ville s’enrichit chaque année de plus de trente œuvres dont la moitié sont des fresques monumentales. Si Stendhal disait : « Au bout de chaque rue une montagne, Grenoble. », il ne serait pas totalement faux aujourd’hui d’emprunter sa locution pour parler des fresques qui fleurissent chaque année depuis 20157 et de telle sorte à ce qu’une majorité des rues accueille une œuvre. Tout ceci forme un ensemble qui rend le street art officiel dans le monde de l’art. Cependant, cette célébrité dont les artistes bénéficient et les louanges des nombreux amateurs d’art urbain ne suffisent pas à en faire un art tout à fait libéré du poids de ses origines que de nombreux artistes continuent à prôner. En effet, nombre d’entre eux sont ceux qui ne souhaitent pas bafouer les traditions liées au graffiti et qui continuent leurs productions urbaines en dehors des festivals et autres commandes. Le tag pur, ou les signatures typiques des premiers temps existent encore et se posent fréquemment sur les murs et mobiliers urbains. Simple productions esthétiques ou provocations à visée contestataire, il n’empêche qu’ils prennent place dans notre quotidien, sans exception et ce depuis plus de trente ans8. Souvent, ces signatures ou ces phrases sont un moyen de répandre son pseudonyme de graffeur pour se faire connaître et s’approprier un territoire de plus en plus vaste. C’est comme cela que de nombreux artistes urbains se font connaître, cela permet souvent de construire son personnage et montrer ses compétences. Ou bien c’est uniquement un moyen d’exister. Parfois, cela est mal-vécu par les habitants des villes et se répercute automatiquement sur les municipalités qui se voient contraintes d’agir pour l’élimination de ces éléments, qui souvent sont placés sur des surfaces et mobiliers privés. Nous pensons notamment aux stores et devantures de magasins, murs de copropriétés ou encore wagons de trains. Force est de constater que depuis longtemps les wagons sont taggués ce qui a mené des entreprises comme la SNCF ou la RATP à lancer de nombreuses campagnes anti-graffitis pendant des années sans toujours obtenir un résultat positif. Toujours est-il que ceci reste une réalité autour des événements majeurs mettant en avant le street art. La ville de Grenoble, comme beaucoup d’autres depuis les années 1970, connaît bien ce phénomène avec une scène vandale très présente s’attaquant également aux œuvres d’art de l’espace public, ce qui devient très vite problématique pour de multiples raisons que nous aurons l’occasion d’aborder par la suite.
Cette particularité du graffiti et donc du street art plus largement, est ce qui en fait, encore aujourd’hui, un art illégal bien que toléré lorsqu’il se produit dans l’espace public. Ces actes, souvent criminalisés par les pouvoirs publics, sont assimilés à des actes de délinquance malgré la notoriété acquise par les artistes et l’amalgame avec la dégradation dont ils peuvent être coupables est toujours faite.9 L’artiste portoricain Lee Quinones dira: «Le graffiti est un art, et si l’art est un crime, alors que Dieu nous pardonne. » , cette citation résume à elle seule les contraintes attachées à l’art urbain. Il est illégal mais pratiqué, sanctionné mais apprécié. Les méfiances des collectivités et des habitants ont pourtant amené à considérer le graffiti sauvage comme hors-la-loi et donc bien souvent sévèrement puni. En France, un certain positionnement est pris envers ces pratiques mais nous savons que dans d’autres pays comme en Espagne, les règles sont encore plus strictes. Laurent Bagnard, photographe, amateur de street art, me confiera lors d’un entretien: « […] En Espagne c’est trois jours au trou. Les espagnols rigolent pas, en rien. Ça taille tout de suite. » Il est évident que dans l’espace public tout ne peut pas être toléré pour la crédibilité des autorités publiques. La loi française le stipule clairement. Ainsi, le graffiti est une action réprimandée et susceptible de faire face à la justice.10 Deux articles du code pénal, un article du règlement d’administration publique et un décret spécial en date du 22 mars 1942 pour les entreprises de chemin de fer sont mis en place.11 Par conséquent, ces pratiques délictueuses défiant l’ordre public et refoulant la place traditionnellement réservée à l’art sont punies par la loi. De nombreux grands artistes réputés dans le monde du street art ont ainsi été punis d’amendes et condamnations diverses pour dégradations. Parmi eux, Blek le Rat dans les années 1990, un des précurseurs du street art en France ou encore Miss.Tic et ses 3385 euros (22000 francs) d’amende pour un pochoir à Paris et encore Monsieur Chat en 2016 pour une intervention sur un support de la SNCF destiné pourtant à disparaître. La loi est claire, pénalement, les sanctions sont faites selon l’importance du dégât. Ainsi, pour résumer, l’article R. 635-1 du Code Pénal prévoit une répression pour toute dégradation ou détérioration volontaire d’un bien appartenant à autrui, dont il n’est résulté qu’un dommage léger. La contravention est de cinquième classe et peut s’élever à 3750 euros avec une peine de travail d’intérêt général qui consiste souvent en l’effacement du dommage causé. Mais aussi, l’article 322-1, alinéa premier du Code Pénal prévoit une amende allant jusqu’à 30000 euros et deux ans d’emprisonnement. Ces deux sanctions principales peuvent être éventuellement renforcées par le juge selon l’aggravation de l’acte et du dommage commis.12 Cela montre bien la réelle position de la loi envers ces pratiques qui nous semblent de plus en plus tolérées et acceptées. Une jurisprudence existe bel et bien pour la pratique du graffiti vandale qui se développe en même temps que le street art autorisé, parfois de la même manière mais dans des situations différentes ce qui implique une intervention des pouvoirs publics. Le graffiti vandale étant souvent plus bâclé puisque réalisé dans des conditions de stress au temps limité est ainsi souvent mal reçu par les publics. Son caractère parfois perturbateur condamne les pratiques non-autorisées.
10Les années 1990 et la décennie qui s’en suit sont les années dites de « tolérance zéro » où de fortes répressions sont menées entre procès et murs blancs, à l’encontre du graffiti. Des brigades anti-graffiti sont mises en place et des millions de dollars sont dépensés pour endiguer les flots de ce qui est considéré comme un fléau.

Faire du street art, oui, mais sous condition

Nous l’avons vu, le street art est parfois illégal. Ce ne sont peut-être pas les œuvres en elles-mêmes qui constituent le délit, nous le verrons, mais l’acte de poser gratuitement une œuvre sur un support qui ne se destine pas à en recevoir une. Il n’aurait pas acquis le statut qu’il a actuellement et depuis plus de cinquante ans sans l’intérêt qu’il suscite auprès des institutions, collectionneurs et du public. Ce courant est bien présent, aucun manifeste n’a été fait mais il est bien ancré dans notre temps et entre dans les pratiques les plus récentes de l’art contemporain, au même rang que l’art numérique. Les nombreuses expositions et commandes municipales ou privées depuis les années 1980 aux États-Unis – New York en particulier – puis en France – montrent l’attrait général pour ces pratiques souvent décriées. Le potentiel de ces œuvres est apprécié avec un pouvoir décoratif et attractif pour les murs des villes. D’ailleurs, c’est cette ambiguïté que certains critiqueront largement, comme nous pouvons le voir dans un texte de rap de l’artiste Ken Samaras plus connu sous son pseudonyme Nekfeu, qui affirme: « Le monde de l’art est vantard, ils te vendent du street art mais ne veulent surtout pas voir mes scarlas13 graffer en vandale.» Cette critique s’étend largement dans le monde du Hip-Hop lié souvent à l’univers graffiti où la marchandisation du street art est très mal vécue. De plus, l’ouverture de plus en plus de centres d’art et galeries montre également l’envie d’amener l’art de la rue vers le public et briser les tabous cultivés par les actes de vandalisme populaires des débuts. La réussite en est certaine avec de plus en plus d’œuvres et d’artistes sortant de leur anonymat et produisant dans un grand nombre de villes pour le plus grand bonheur des visiteurs. Ainsi, de nombreux programmes de visites et parcours naissent autour de ces musées à ciel ouvert, que les municipalités ou des associations tentent de construire. Le succès y est certain avec des visites souvent complètes menant les offices de tourisme à augmenter leurs propositions faites autour du street art. C’est ce phénomène qui intéresse de plus en plus les collectivités territoriales qui dans le cadre de leurs politiques culturelles en faveur de l’art souhaitent notamment utiliser le street art pour le valoriser et dynamiser leur ville.14
« Sur un mur où il n’y a rien, on ne verra peut-être pas ce qu’il y a autour, une montagne, un arrière plan […] lorsque le mur est peint, artistiquement, on lève le regard et finalement on est mieux dans notre environnement. […] »15
En partant de ce constat nous pouvons voir que le street art plaît, tant qu’il est réalisé sous certaines conditions. Il doit respecter les cadres régis par la loi, respecter les supports sur lesquels les œuvres se réalisent et naturellement respecter son propriétaire en ayant une autorisation. La pratique de l’art urbain est complexe. Elle est réprimandée et les graffeurs dits sauvages seront chassés et condamnés tandis que, lorsqu’il est toléré et reconnu, le street art est soutenu et valorisé.16

Le soutien des collectivités en faveur du street art

Pour comprendre les enjeux liés à la légalité du street art, il est important de voir les moyens qui sont mis en place pour permettre son évolution. Lors de mon stage à la Ville de Grenoble mené dans le cadre de cette année de Master, ces questions ont été au cœur de mes recherches. Une partie de mon travail ayant été la réalisation d’un benschmark 17ou une étude de références autour des principaux festivals mettant en avant le street art en France. Le repère fut évidemment le festival de street art de Grenoble organisé par l’association Spacejunk. Ainsi, dans ce cadre légal, des subventions sont attribuées pour l’aide à la réalisation de fresques. La Ville de Grenoble et son service culturel attribuent depuis 2015 une aide à l’association qui s’élève à 42300 euros en 2018 en sus des rétributions en nature (mise à disposition de locaux, etc.) à hauteur de 12000 euros. D’autres villes soutiennent leurs festivals et le street art comme Besançon avec des aides allant également jusqu’à 40000 euros pour l’association Juste Ici en plus de nombreuses autres aides pour le bon déroulement du festival Bien Urbain. La ville de Sète également favorise le développement du street art et de son MaCO (Musée à Ciel Ouvert) avec une aide allant jusqu’à 36000 euros en 2018.
15 C’est ainsi que Corinne Bernard, adjointe aux cultures de la Ville de Grenoble perçoit le street art, une valorisation de l’environnement mais aussi un moyen de réfléchir et de se questionner lorsque les œuvres portent un message. Ceci contribue à la dynamique de la ville, l’art s’y épanouit pour le bien-être des habitants. Ces propos sont à retrouver en fin de volume dans les entretiens effectués.
Toulouse ou encore Bordeaux et Rouen aident différemment les événements organisés directement par les villes (biennales, triennales ou simplement politique culturelle en faveur du street art) avec des budgets entre 70000 et 150000 euros, comprenant les dons matériels pour supporter et faire rayonner le street art dans la ville.18 Mon stage au sein du Service de Développement Culturel et Artistique de la ville de Grenoble m’a également permis de comprendre les enjeux liés à l’art urbain depuis les années 1960 et la volonté, dans une ville faisant face au vandalisme, de porter le street art. Ma participation au montage du projet « Couleurs sur Grenoble » visant à la réalisation de fresques sur des murs municipaux et à la mise à disposition de murs d’expression libre totalement légaux, m’a également laissé voir cette valeur accordée au street art. Pour la ville, celui-ci contribue à la diversité des expressions artistiques, à la rencontre des œuvres avec les publics, ainsi qu’à une démarche vivante de valorisation du patrimoine urbain dans le territoire. Là aussi, l’envie est de proposer des murs en toute légalité, sous réserve cependant du respect de quelques conditions comme le respect du voisinage, des surfaces à peindre, des horaires et autres critères de courtoisie, de sécurité et d’expression. Ainsi, il semble évident que le street art est toléré, les moyens pour le voir s’épanouir sont multiples et sa valorisation est bien réelle. Bien qu’il soit sanctionné sous certains aspects, le street art devient de plus en plus présent et connu mais se doit pourtant de se soumettre à quelques impératifs nécessaires à sa présence continue dans l’espace public.

Les contrats d’autorisation pour la réalisation de fresques

Quelques conditions supplémentaires sont ainsi requises, légalement, pour que les œuvres de street art puissent prendre place dans l’espace public. Les peintres doivent obligatoirement obtenir une autorisation de la part du propriétaire (privé ou d’institution publique) du support par un contrat oral ou écrit. Dans le cadre de réalisation de fresques, peu importe les villes, ce contrat est passé entre les associations organisatrices de festivals, les artistes et les propriétaires des murs. À Grenoble notamment, une convention tripartite, entre l’association, le propriétaire du mur et l’artiste est mise en place.19 Celle-ci stipule les obligations des trois parties qui reprennent la conduite et réalisation du projet pour l’association (le lien entre l’artiste et le propriétaire), la mise à disposition du support par le propriétaire dudit mur et la cession à l’association des pouvoirs de décision sur la réalisation graphique de l’artiste. Ce dernier s’engage à respecter la loi, les bonnes mœurs et la diffusion (commerciale notamment) de son travail. Ce type de contrat est courant de nos jours et se doit d’être respecté pour la réalisation de fresques murales. Les street artistes ont donc trouvé un moyen de pouvoir s’exprimer légalement sans risque de poursuites pour développer leur art et en faire bénéficier le public, ainsi que les propriétaires. L’enquête20 sur les autres villes accueillant des œuvres de street art m’a amené à savoir que la ville de Rouen passe une convention avec Rouen Habitat (entreprise immobilière) pour la mise à disposition de murs d’immeubles destinés à la réalisation de fresques. Le contrat stipule que la ville obtient ces murs pour une durée de 15 ans sauf résiliation ou destruction du mur et les artistes laissent le droit à la ville d’utiliser l’image de la fresque. De la même manière, à Besançon, la Direction des Affaires Culturelles reçoit généralement la demande des acteurs qui se tournent vers les services de l’Urbanisme avec une déclaration préalable à l’ABF21 pour valider, ou non, les murs. La DRAC22 est aussi un bon contact à qui ils demandent prescriptions et autorisations pour le projet. La ville laisse néanmoins une certaine liberté à l’association dans le choix de ses artistes et de leurs projets et ne demande donc pas de croquis au préalable. Des refus peuvent avoir lieu pour les murs, mais une fois l’autorisation donnée, les artistes ont une certaine liberté et ne sont pas censurés tant que l’œuvre n’est pas réalisée et qu’elle ne dérange l’ordre public. La Ville de Toulouse procède de la même manière avec des murs mis à disposition des artistes qui sont à la fois des murs municipaux et des murs privés. Le service culturel se charge de trouver les murs et de négocier les mises à disposition grâce aux différents soutiens et enquêtes des chargés de secteur de la ville. Des rencontres sont organisées avec les propriétaires ou les syndicats de copropriété pour discuter des murs, et des échanges, non sans difficulté, ont lieu avec les services de l’Urbanisme. Par la même occasion, sont réalisées des conventions et des contrats avec les propriétaires et les artistes. Nous le voyons, le monde du street art se voit de plus en plus enveloppé par certaines règles s’organisant autour de lui au fur et à mesure qu’il gagne une place privilégiée au sein de nos villes. De plus en plus figure une volonté de maîtrise de ces pratiques pouvant souvent mener vers des désaccords et des contestations liées à son illégalité. Certains puristes essayeront de s’éloigner de cette emprise mais la plupart des artistes que nous appellerons confirmés acceptent de jouer le jeu et comprennent cette nécessité d’accepter ces demandes pour accéder à des murs plus grands, plus visibles plus régulièrement. Cette crainte de représailles conduit notamment certains artistes comme Miss.Tic ou bien Jéf Aérosol à demander des autorisations avant d’intervenir. Cela semble tout à fait normal bien que pour les graffeurs, dans le respect des valeurs du graffiti originel, cela peut paraître comme une hérésie ou une volonté de contrôle et de vulgarisation des pratiques graphiques de rue.

LE STREET ART VICTIME DE SON SUCCÈS

Nous avons vu que le street art est toujours en proie à ses démons. Il fait face à la justice notamment lorsqu’il est lié au vandalisme à travers le graffiti sauvage. Cependant, il n’en est pas moins omniprésent et de plus en plus de fresques voient le jour dans le monde entier. Comme il a toujours été novateur, il a été une tempête pour les institutions et les collectivités: Comment gérer un art qui attire et qui passionne sans pour autant faire face aux foudres des graffeurs et au manque de crédibilité face au public? C’est un dilemme qui pourtant se construit sans poser de règles, au jour le jour. Le street art est bel et bien présent. Le graffiti illicite aussi. Ainsi, un des courants les plus célèbre de l’histoire évolue et traverse les décennies en nous amenant à réfléchir à sa nature et ce vers quoi il pourrait tendre. Notre comportement envers lui est en constante évolution mais une chose est certaine, il existe. Qu’il soit illégal ou toléré, imposé ou voulu, le street art se propage dans le monde entier et est adopté. Pourtant, sa condition est douteuse. Le street art est éphémère, il a un début et une fin. Nous allons voir les différents états des œuvres et ses limites, essayer de comprendre pourquoi il est menacé et quelles en sont les principales raisons. S’il est bien présent, il est victime de l’espace public, il est aussi la cause de sa propre faiblesse.

Le caractère éphémère du street art

« Le monde de l’art n’est pas celui de l’immortalité, c’est celui de la métamorphose. » C’est de cette façon qu’André Malraux résume la condition de l’art. Avec un peu de recul, nous pouvons lier cela au street art et à sa nature éphémère. Disparaissant sans cesse, l’art urbain est en constant renouvellement. Avant de parler de propriété des œuvres issues de la rue, de préservation ainsi que de restauration et conservation, il nous faut remettre les choses dans un contexte bien réel: l’art de la rue se destine à disparaître. Éphémères, soumises au temps, au climat, aux passants et au vandalisme, les créations urbaines n’ont qu’une durée de vie très limitée.23 Cet art ne se destine pas à la conservation et revendique sa fragilité. Encore que, de nos jours, les réalisations légales (fresques monumentales) se fixent un peu plus dans le temps. Le street art est éphémère pour de multiples raisons que nous allons détailler ci-dessous en exploitant les nouveaux enjeux liés à son institutionnalisation. Les œuvres urbaines peuvent à tout moment être détruites ou bien effacées ou encore remplacées. Cette accessibilité et cette proximité participe à sa faiblesse. Pour les œuvres les plus fragiles, les installations de carton, les collages d’affiches et autres réalisations de papier ou de matière végétale sont les premiers à souffrir des mauvais traitements liés à la météo. L’artiste Mademoiselle Maurice, réalisant des murs à l’aide d’origamis de papier colorés très volatiles et dynamiques, a pour objectif la valorisation et la mise en éveil d’un lieu de façon temporaire. Ses œuvres deviennent la proie des vents et de la pluie qui sont vecteurs de dommages non négligeables. Elle réalise pour la première fois ses origamis en acier pour le festival de street art de Grenoble en 2018 afin d’offrir une plus longue longévité à son œuvre. D’autres artistes comme Cobie, réalisant des affiches humoristiques, laissent leurs pièces à la merci du temps. Le côté fragile de l’art urbain est ainsi assumé mais bien présent comme les œuvres participatives monumentales d’Olivier Grossetête24 vouées à être détruites à la fin de la performance. Parfois, ce côté éphémère n’est pas problématique pour les artistes, comme pour l’artiste Brusk ayant réalisé une œuvre de quinze mètres de long sur un hangar du port de Rouen intitulée Giant Squid et détruite pour la construction de locaux pour France 3. Selon les propos recueillis lors d’un entretien avec J.G. Guyant25, un agent du service culturel de la ville de Rouen : « Cette disparition a tout de même conforté le succès de l’œuvre qui n’en est devenue que plus célèbre ». En effet, la disparition d’une œuvre, relayée par les médias, fait souvent office de publicité et mise en vue d’un artiste, cette condition ne les gênera donc pas, la plupart du temps. Le cas également avec Votour, artiste grenoblois membre du collectif Contratak qui, avec humour, vantera le succès qu’il aurait « comme Goin » 26 si son œuvre Break the rules huée par les habitants du quartier sensible de l’Arlequin à Grenoble venait à être détruite comme le prévoit la municipalité, après demande de l’union de quartier. D’autres œuvres sont menacées de la sorte tous les jours dans le monde, mais un autre facteur met à mal les œuvres du street art. En effet, les effacements sont un des moyen les plus utilisés par les villes pour nettoyer les surfaces attaquées par les graffitis et tags. À Grenoble toujours, des équipes de nettoyage sont mises en place et se chargent de faire disparaître les graffitis sur plus de 35000m² de surface par an (jusqu’à deux mètres de hauteur maximum) portée par la municipalité et son maire après de nombreuses plaintes venues des habitants. D’autres villes fonctionnent de la sorte, mais parfois cela mène à des incidents. En effet, en 2016, la brigade anti-tag de Reims a effacé une œuvre de l’artiste Christian Guémy, alias C21527, grand nom du street art. Son pochoir représentant un petit garçon assis en noir et blanc, commandé par la ville avec trois autres portraits, a été effacé par les services municipaux. Cette erreur, assez fréquente dans l’espace public, a été reconnue et l’artiste a pu refaire cette dernière. Même situation pour JACE un célèbre nom du street art avec un style reconnaissable par ses petits personnages verts sans visage représentés dans des situations cocasses, qui a vu une de ses œuvres faite en collaboration avec DAN23 repeinte. De nombreux cas d’effacement sont connus dans l’art urbain autant que dans les installations d’art contemporain pour des œuvres de valeur parfois dépassant les 10000 euros.28 Ces mégardes constituent cependant un vrai fléau pour les œuvres de l’espace public et une réalité certaine. Mais les œuvres de street art connaissent désormais, en 2018, une nouvelle menace constituée par ses propres origines, un vandalisme se retournant contre ces pratiques. Effectivement, l’envergure et le statut pris par le street art n’est pas apprécié par tous. L’engouement autour de ces pratiques fait parfois l’objet de critiques directes. Souvent, les fresques sont réalisées pour faire face aux incivilités liées au vandalisme, pourtant, de plus en plus, les fresques aussi, sont en proie aux tags et graffitis. Souvent opposés à la valeur que prennent les œuvres de street art et à l’intérêt qu’elles peuvent susciter ou simplement par protestation politique, celles-ci viennent à être saccagées. Récemment, plusieurs pochoirs de l’artiste anonyme mondialement connu sous le nom de Banksy sont apparus sur les murs de la capitale parisienne, œuvres qu’il a lui-même revendiqué. Celles-ci sont des critiques du gouvernement français dans une période de fortes tensions sur les causes des migrants et réfugiés. Ces œuvres apparues courant juin 2018 ont été attaquées quelques heures après leur apparition et vandalisées. De la même manière, la ville de Grenoble s’est vue faire face à un nouveau phénomène encore inexistant il y a quelques années.29 Lors de mon stage j’ai pu voir les soucis liés aux tags sur les œuvres d’art (fresques et sculptures) réalisées dans les années 1960-1970 autour du symposium de sculpture de 1967 pour la valorisation de l’art dans l’espace urbain ou par les nombreuses commandes de la ville. Les actes de vandalisme vis-à-vis de ces œuvres sont un réel problème, nous le verrons. Ces actes cependant, se font de plus en plus fréquents et de nombreuses fresques de street art se voient attaquées par ces graffitis sauvages. La nature éphémère du street art n’en est que plus réelle et son statut précaire prononcé. La crainte de voir ce phénomène de nature politique se développer est certain, puisqu’il prend force naturellement à un moment où le street art est officiel, institutionnalisé et souvent marchandé. Il est ainsi fréquent de voir des œuvres assaillies de tags comme « c moche», « art bourgeois», «vandale» ou encore «tourist art festival» et «pas de street art ici svp» en réaction aux œuvres réalisées dans le cadre légal. Certains artistes trouveront cela scandaleux, comme Lucretia Torva, artiste américaine invitée pour le festival de 2018 vandalisée à plusieurs reprises malgré ses interventions autour d’artistes locaux, ce qu’elle dit ne pas comprendre30. Les fresques de HownNosm, Jaba, AzazOne et les pochoirs de C215 notamment font également l’objet de dégradations de la sorte. Le street art, fait donc face à de nouveaux enjeux, face à une protestation qui semble difficile à maîtriser et qui surtout ne peut pas vraiment l’être.

Table des matières

INTRODUCTION
Développement
PREMIÈRE PARTIE: ILLÉGALITÉ, VANDALISME ET SUCCÈS: LE STREET ART DANS TOUS SES ÉTATS
I- LE SPECTRE DU GRAFFITI DIT « VANDALE» ET LES AMBIGUÏTÉS CONTEMPORAINES
I-a Un art souvent illégal condamné par la loi
I-b Faire du street art, oui, mais sous condition
I-b-1 Le soutien des collectivités en faveur du street art
I-b-2 Les contrats d’autorisation pour la réalisation de fresques
II- LE STREET ART VICTIME DE SON SUCCÈS
II-a Le caractère éphémère du street art
II-b Le vol des oeuvres de street art, le marché de l’art et la réappropriation de l’art urbain
DEUXIEME PARTIE: UN ART POUR TOUS? A QUI APPARTIENT RÉELLEMENT LE STREET ART?
I- L’ENCADREMENT JURIDIQUE PROGRESSIF DU STREET ART
I-a Le cadre juridique de l’art de la rue
I-b Création ou transgression, un acte protégeable ?
II- LA QUESTION DU DROIT D’AUTEUR ET DU DROIT MORAL EN FRANCE ET AILLEURS
I- Les questions autour du droit d’auteur en France
I-a-1 Le droit moral et le street art
II- b Le droit à l’international
II-2-a Aux Etats-Unis, le VARA
II-b-2 En Italie, la notion de bien commun
TROISIEME PARTIE: LA PRÉSERVATION ET LA CONSERVATION DU STREET ART COMME UN PATRIMOINE
I- COMMENT CONSERVER UN ART AUSSI FRAGILE ?
I-a La protection des oeuvres in-situ et les questions de la restauration
I-a-1 Les projets de conservation du street art
I-a-2 La préservation des oeuvres de street art par la protection et la restauration
I-b Photographie, archivage, collections et expositions ou pérennisation du street art
II- LES NOUVELLES TENDANCES OU LA TRANSFORMATION DU STREET ART
I-a La prise de conscience, le green-graffiti ou graffiti-biodégradable
II-b L’opportunité du numérique
ANNEXES
RETRANSCRIPTIONS D’ENTRETIENS
RETRANSCRIPTION ENTRETIENS TÉLÉPHONIQUES SOUS FORME DE NOTES
TABLEAU COMPARATIF DES FESTIVALS MAJEURS EN FRANCE
BIBLIOGRAPHIE ET SITOGRAPHIE
ABSTRACT WORK
RESUMÉ

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