La procédure budgétaire au Canada

La procédure budgétaire au Canada

La dette publique du Canada exprimée en proportion du PIB, qui était inférieure à la moyenne des pays Membres de l’OCDE au début des années 80, a augmenté par la suite, culminant à 97.6 % en 1995. Seules l’Italie, à l’intérieur du G7, et la Grèce ainsi que la Belgique, dans la communauté de l’OCDE, avaient une dette plus élevée en proportion de leur PIB. Au plan de la gestion budgétaire, le point tournant est survenu en 1994. On a compris alors que la situation financière était en voie de se muer en crise, et que des mesures rigoureuses s’imposaient. Aujourd’hui, le Canada enregistre un excédent budgétaire et rembourse sa dette. Le présent rapport retrace le fil de ces événements. 1. La procédure d’élaboration du budget 1.1. Vue d’ensemble Pour expliquer la détérioration rapide de la situation financière au cours des années 80 et au début des années 90, on a évoqué le fait que les problèmes financiers étaient essentiellement de nature cyclique ; pour cette raison, les décideurs politiques et le public n’étaient pas incités à agir. Les déficits enregistrés lors de chaque exercice étaient attribués à des événements économiques ponctuels qui se résoudraient d’eux-mêmes, aussi n’y avait-il aucune urgence à prendre des mesures particulières pour redresser la situation. En 1984, le gouvernement nouvellement élu, dans son premier budget, a effectué des réductions ciblées touchant différents programmes. Il a voulu agir de même dans son budget suivant, mais il s’est buté à une forte opposition du public, ce qui a entamé sa résolution d’exercer un contrôle financier plus serré. La baisse des prix des marchandises en 1986, puis l’effondrement boursier de 1987 et l’incidence négative sur l’économie qu’on a attribuée à ces deux événements ont eu pour effet de retarder encore la prise de mesures de restriction financière. Différentes réformes structurelles de l’économie ont été menées simultanément, notamment une réforme de la fiscalité, des initiatives de privatisation et la mise en œuvre de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. Ces mesures ont évincé les efforts d’assainissement des finances publiques qui auraient été nécessaires et en ont fait oublier l’importance. Toutefois, à la fin des années 80, il est devenu clair qu’il fallait assainir la situation financière. Différentes initiatives ont été prises dans le budget de 1989. Puis, on annonçait dans le budget de 1990 la mise en application du Plan de contrôle des dépenses – il s’agissait d’un plan de deux ans qui englobait environ 60 % des dépenses de programmes. Le Plan de contrôle des dépenses était le premier exercice d’examen exhaustif des dépenses de programmes depuis 1984. Il a été prorogé dans le budget de 1991 jusqu’à l’exercice 1995-1996. Le tableau 1 établit une comparaison entre le Plan de contrôle des dépenses et les résultats obtenus lors de chaque exercice.

Le Système de gestion des secteurs de dépenses (SGSD)

En 1980, le Canada a mis en œuvre le Système de gestion des secteurs de dépenses (SGSD), procédure d’élaboration budgétaire qui a été utilisée jusqu’en 1994. Ce système a évolué au fil du temps, mais ses éléments fondamentaux peuvent se résumer ainsi : la procédure budgétaire était fondée sur des enveloppes applicables à toutes les dépenses engagées dans un secteur de dépenses donné, chaque enveloppe – il y en avait 10 au départ – étant assortie d’un plafond de dépenses. Une même enveloppe pouvait englober, par exemple, toutes les dépenses rattachées au développement économique – agriculture, pêcheries, industrie, tourisme, commerce, développement régional et transports. Étant donné que les enveloppes comprenaient les dépenses de plusieurs ministres, des comités du Cabinet, composés de tous les ministres dont les dépenses faisaient partie d’une enveloppe donnée, assuraient la gestion des enveloppes. Le but était de favoriser la réaffectation des ressources, du fait que tous les programmes publics dans un domaine particulier étaient considérés collectivement ; de la sorte, il était possible en principe de majorer les fonds d’un programme en réduisant les fonds affectés à un autre programme. Or, les choses ne se sont pas déroulées ainsi. Ainsi que l’observait le Secrétariat du Conseil du Trésor dans un document publié en 1995i, le SGSD n’a pas donné les résultats escomptés. Les comités n’ont jamais su surmonter les difficultés posées par les compromis et les réaffectations. Les ministres ne mettaient pas spontanément de l’avant des initiatives d’économie, étant donné que les fonds économisés étaient réincorporés à l’enveloppe ; autrement dit, les fonds économisés étaient affectés à un autre programme faisant partie de l’enveloppe mais ne relevant pas forcément du ministère à l’origine de l’économie. Dans un tel système, un ministre dont les programmes sont jugés plus importants peut tirer parti des initiatives d’économie prises par un autre ministre… en théorie, du moins. Dans la pratique, les ministres ne prenaient absolument aucune initiative d’économie et ne procédaient à aucune réaffectation, même lorsqu’ils souhaitaient transférer des fonds à un autre programme dont ils étaient responsables, car il y avait toujours le risque que les fonds économisés à l’égard d’un programme soient « captés » par un autre ministre dans le cadre de la gestion des enveloppes par les comités du Cabinet. Cette démarche de gestion budgétaire conjointe ne fonctionnait tout simplement pas ; rien n’incitait les ministres à faire preuve de responsabilité financière. S’ajoutait à cela le fait que, à la fin des années 80, le Cabinet comptait une quarantaine de ministres, chacun ayant son propre portefeuille. Ainsi que l’indiquait le Secrétariat du Conseil du Trésor dans le document précité, rien n’incitait vraiment les ministres à réduire leurs dépenses, puisque les Revue de l’OCDE sur la gestion budgétaire 46 © OECD 2001 fonds économisés étaient souvent réaffectés en bout de ligne à un autre ministère. L’approche de gestion financière concertée prévue dans le SGSD n’a pas porté fruit parce que le partenariat sous-jacent n’a jamais vu le jour. Le système des enveloppes de dépenses devait être par la suite abandonné. Des réserves d’intervention centralisées venaient s’ajouter aux enveloppes de dépenses. Toutefois, cela n’a fait qu’accroître les réticences à réaffecter les ressources au profit de nouvelles initiatives. On estimait que l’établissement de réserves pour les nouvelles initiatives de dépenses survenant en cours d’exercice était une pratique budgétaire responsable. Dans les faits, les ministres cherchaient plus à obtenir une part de ces réserves qu’à effectuer des réaffectations pour financer les nouvelles initiatives. Bref, le système a concouru à la hausse des dépenses de programmes, ces hausses, souvent peu élevées au niveau de chaque programme, s’additionnant au point de représenter des augmentations de dépenses substantielles. Il convient de remarquer que les fonds constituant les réserves ont diminué avec le temps ; néanmoins, les comportements n’ont pas évolué. C’est à la même époque que le ministre des Finances et le Président du Conseil du Trésor (voir encadré 1) ont imposé des réductions de dépenses centralisées touchant des programmes précis. Cela a démontré une nouvelle fois que la gestion conjointe des dépenses dans le cadre du SGSD n’était pas efficace. En effet, les initiatives de ce genre ont généralement suscité l’hostilité des autres membres du Cabinet. Certaines réductions ciblées ont été effectuées ; néanmoins, le Cabinet a dû en fin de compte miser sur le gel des salaires et des prestations et sur les réductions uniformes de dépenses pour atteindre ses objectifs en la matière. C’était la solution la plus acceptable sur le plan politique, mais sa portée était très limitée. Les réductions d’application générale pouvaient se justifier par les gains d’efficience (productivité) dans le cas des coûts de fonctionnement généraux, mais on pouvait difficilement appliquer de telles réductions à la totalité des dépenses publiques. Cette façon de procéder a également eu un effet négatif au niveau de l’établissement des priorités de l’état, cet exercice ne semblant plus présenter grande utilité. Il n’existait donc aucune assise budgétaire solide permettant de redresser la situation. Dans ces circonstances, il était très difficile de faire preuve de la discipline nécessaire à l’assainissement des finances publiques. Le problème est devenu encore plus aigu lorsque, au début des années 1990, on a utilisé pour l’établissement du budget des prévisions économiques inexactes, du fait d’une récession marquée de l’économie, la pire du genre depuis la crise de 1929 : les hypothèses économiques étaient constamment trop optimistes. Année après La procédure budgétaire au Canada  année, les états financiers du gouvernement étaient moins reluisants qu’on ne l’avait prévu. C’est dans ce contexte que la situation financière de l’état s’est détériorée au cours des années 80 et au début des années 90, ce qui a conduit aux réformes de la procédure budgétaire que devait apporter un nouveau gouvernement en 1994 et en 1995.

Réformes de la procédure budgétaire

D’importantes réformes ont été apportées à la procédure budgétaire en 1994 et en 1995, avec la mise en œuvre du nouveau Système de gestion des dépenses. Les mesures de réforme peuvent être regroupées en deux catégories : celles qui visent à établir des contraintes budgétaires rigoureuses ; et celles qui visent à assurer le respect de ces contraintes.

Établissement de contraintes budgétaires rigoureuses

La principale réforme a consisté à établir des contraintes budgétaires rigoureuses. Le gouvernement élu en octobre 1993 s’est engagé à ramener le déficit à 3 % du PIB d’ici l’exercice 1996-1997. Au départ, les observateurs externes n’ont pas vu là un objectif particulièrement difficile à atteindre. Cette opinion devait changer. Le contrecoup de la crise économique mexicaine devait rapidement être ressenti par notre économie. Le dollar canadien a connu un recul marqué, tandis que l’on observait une forte augmentation des taux d’intérêts ; les agences de cotation ont révisé à la baisse la cote de crédit du gouvernement canadien. L’opinion publique a également évolué de façon radicale, ce qui constituait l’aboutissement d’un processus amorcé depuis un an ou deux déjà. Désormais, le public estimait que la réduction du déficit revêtait un caractère d’urgence, ainsi que le confirmaient les différents sondages de l’opinion publique. C’est pourquoi le gouvernement a réitéré son engagement d’assainir les finances publiques et de ramener le déficit à 3 % du PIB d’ici l’exercice 1996-1997 ; cet objectif devenait de plus en plus ardu à atteindre en raison du contexte économique défavorable. Le gouvernement a pris les grands moyens pour faire connaître son plan d’action et pour s’assurer que le public comprenne les raisons justifiant les mesures d’austérité nécessaires. Il a notamment lancé un processus de consultation prébudgétaire, qui est commenté plus avant dans la section 2 consacré au rôle du Parlement. Le gouvernement était beaucoup plus résolu à atteindre cet objectif que les gouvernements précédents. Il a élaboré des plans financiers sur deux ans, car il voulait être certain de pouvoir respecter ses promesses. Au plan politique, le gouvernement avait volontairement mis en place des conditions telles que le nonrespect de ses objectifs économiques se serait traduit par des coûts fort élevés. La crédibilité du Canada sur les marchés financiers était déjà amoindrie en raison de l’enfilade de déficits et de l’accroissement rapide de la dette publique. Si le gouvernement ne s’était pas acquitté de ses engagements, cela aurait pu être lourd de conséquences. Le gouvernement a en outre incorporé deux mécanismes institutionnels à sa procédure budgétaire pour en assurer l’efficacité : il a commencé à utiliser des hypothèses économiques prudentes, et il a établi une réserve pour éventualités. L’utilisation d’hypothèses économiques « optimistes » par le passé avait grandement érodé la confiance à l’égard des prévisions économiques présentées par l’état. Donc, au lieu de se fonder sur des prévisions économiques élaborées à l’interne, le gouvernement a décidé d’utiliser la moyenne des prévisions du secteur public. Cette mesure visait à rendre les hypothèses économiques plus crédibles, du point de vue à la fois du public et des marchés financiers.

Respect des contraintes budgétaires rigoureuses

 Le gouvernement a compris que les réductions de portée générale ne suffisaient plus, et il a entièrement aboli les réserves de dépenses centrales, étant donné qu’il n’y avait plus de nouveaux fonds disponibles. Cette approche visait également à faire évoluer les mentalités : il était devenu nécessaire de recourir à des réductions portant sur des programmes particuliers. À cette fin, le gouvernement a lancé l’Examen des programmes, soit l’étude exhaustive du rôle du gouvernement au regard de l’économie, qui comportait l’évaluation des divers programmes publics. L’annonce de l’Examen des programmes a eu lieu dans le cadre du premier budget du nouveau gouvernement, en février 1994. Lors du lancement de cette initiative, le ministre des Finances a indiqué qu’il s’agissait d’un examen de tous les aspects rattachés aux dépenses ministérielles, de manière que le financement des programmes non prioritaires soit réduit ou éliminé, et que les ressources de plus en plus réduites du gouvernement soient affectées aux grandes priorités et aux domaines où le gouvernement fédéral est le plus à même de fournir les services requis. Les autorités canadiennes évoquent trois raisons expliquant la réussite de l’Examen des programmes. La première a trait à l’atmosphère de crise qui prévalait alors. Le ministre responsable, tentant d’expliquer le succès de l’initiative, déclarait que les mesures prises étaient de dernier recours, et que, lorsque l’on est acculé au pied du mur, les choses deviennent parfois plus claires, et les décisions prises, plus judicieuses. Également, on a pris conscience à cette époque que les réductions de dépenses appliquées sans discernement à toutes les activités avaient la même incidence négative sur les programmes efficaces et utiles que sur les programmes inefficaces, et qu’il ne s’agissait pas d’une méthode viable. Enfin, la réussite de l’Examen des programmes tient en grande partie à son processus de mise en œuvre. Le centre de contrôle de l’examen des programmes se situait au Bureau du Conseil privé (secrétariat du Cabinet), sous la direction du ministre responsable du renouvellement de la fonction publique. Un comité spécial du Cabinet sur l’examen des programmes a été mis sur pied ; il était composé de membres du Cabinet et de ministres de premier plan. On a énoncé six critères aux fins de l’application de l’examen des programmes ; les ministères et organismes ont reçu pour mandat d’évaluer leurs programmes selon ces critères. Le processus en question n’a pas donné lieu à des économies sensibles. Aussi, chacun des ministères et organismes s’est vu attribuer un objectif de réduction de dépenses, variant entre 5 et 60 % des dépenses totales, objectif qui devait être atteint au bout de trois exercices, à compter de 1995-1996. Les objectifs de réductions étaient proposés par le ministère des Finances et le Secrétariat du Conseil du Trésor, et approuvés par les ministres. Ces objectifs étaient établis d’abord à partir des renseignements recueillis sur chaque programme par les organismes centraux au fil des ans. Le ministère des Finances et le Secrétariat du Conseil du Trésor avaient participé à différents exercices de réduction des dépenses, ce qui leur avait permis de définir des réductions précises relativement aux programmes. Il est arrivé fréquemment que ces réductions ne se matérialisent pas, mais les organismes centraux ont décidé de tenir à jour l’inventaire des options de réduction des dépenses.

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