La réception des mises en représentation de la gourmandise

La réception des mises en représentation de la gourmandise

La réintroduction d’une vision culpabilisante de la gourmandise 

Si l’ouvrage intitulé Nous on n’aime pas les légumes aborde – bien que relativement implicitement – la question de l’équilibre alimentaire, les albums Martine fait la cuisine et Caillou au supermarché transmettent, nous l’avons vu, pour leur part, une vision plus « décomplexée » de la gourmandise. Caillou et Martine évoquent en effet de nombreux mets sucrés et un champ lexical du « plaisir de manger » ponctue le contenu textuel de ces deux livres. Diverses questions ont été posées aux petites filles et aux petits garçons rencontrés afin de mettre en lumière leur façon d’interpréter ces différentes manières d’appréhender la consommation de nourriture. Ces questions ont porté sur la « gourmandise » des personnages mis en scène , sur l’ « acceptabilité » de leur comportements alimentaires260, ainsi que –   Voir la présentation du contenu textuel et graphique de ces trois livres. Partie préliminaire à la Troisième Partie. 259 « Est-ce que tu peux me dire si Martine/Caillou/les deux enfants est/sont gourmand(s) ? » ; « Pourquoi ? ». 260 « Est-ce que c’est bien qu’il/elle/ils (ne) soi(en)t (pas) gourmand(es) ? » ; « Pourquoi ? ». La réception des mises en représentation de la gourmandise : une Martine fait la cuisine Caillou au supermarché pour le dernier ouvrage – sur le fait que les deux jeunes protagonistes aient (ou non), finalement, fait le choix de goûter aux légumes préparés par l’ensemble de la famille  .

Martine et Caillou : des personnages « gourmands » et bien souvent « coupables » « [Martine], elle est gourmande, [p]arce qu’elle mange plutôt des choses sucrées quand même. » (Gwénaëlle, CE1, groupe scolaire Claude Ponti) Dans les deux albums les mettant en scène, bien que Martine et Caillou ne soient pas explicitement identifiés comme étant « gourmands », les jeunes lecteurs rencontrés ont néanmoins – quels que soient leur âge, leur niveau scolaire, leur sexe ou encore leur origine sociale – majoritairement considéré que ces deux protagonistes étaient enclins à la gourmandise. Les enfants interrogés ont en effet pour la plupart répondu « oui » à la question de savoir si, à leurs yeux, Martine et Caillou étaient des personnages « gourmands » : Tableau 21. Enfants ayant estimé que Martine et Caillou étaient gourmands La phrase « [c]’est délicieux la mousse au chocolat » prononcée par Martine, ou encore l’exclamation « [c]es biscuits sont les meilleurs du monde ! » énoncée par Caillou, ont ainsi notamment été identifiées par les jeunes lecteurs comme étant un signe de la gourmandise des deux jeunes protagonistes. Amenés à justifier leurs réponses, les enfants 262 ont en effet 261 « Est-ce que les enfants aiment les légumes à la fin de l’histoire ? » ; « Pourquoi ? » ; « Est-ce que c’est bien qu’ils (n’)aiment (pas) les légumes ? » ; « Pourquoi ? ». 262 Les prénoms commençant par la lettre « A » désignent des enfants de grande section de maternelle rencontrés au sein du groupe scolaire Thierry Courtin ; ceux commençant par la lettre « B », des enfants de CP rencontrés au sein du groupe scolaire Thierry Courtin, et ceux commençant par la lettre « C », des enfants de CE1 rencontrés au sein du groupe scolaire Thierry Courtin. Les prénoms commençant par la lettre « D » désignent des enfants de grande section de maternelle rencontrés au sein du groupe scolaire Claude Ponti ; ceux commençant par la lettre « F », des enfants de CP rencontrés au sein du groupe scolaire Claude Ponti, et ceux commençant par la lettre « G », des enfants de CE1 rencontrés au sein du groupe scolaire Claude Ponti. 359 fréquemment mis en lumière les nombreux desserts cuisinés par Martine ainsi que le penchant de Caillou pour les biscuits – souvent reconnus comme étant des biscuits « au chocolat ». Les jeunes lecteurs ont ainsi considéré que l’héroïne de Martine fait la cuisine était gourmande : « Dimitri : Parce qu’elle fait dans l’histoire, elle fait plein de choses sucrées. » « Bridget : Parce qu’elle aime bien trop le chocolat ! » « Flora : [Je dirais qu’elle est gourmande parce que…] Ben je ne sais pas, parce que les choses qu’elle fait à la cuisine et ben ce n’est pas…il y a plein de sucre dedans. » « Chamseddine : Parce qu’on trouve qu’elle aime bien manger, mais qu’elle aime bien manger mais manger…tout, surtout les desserts. » « Gwenaëlle : Parce qu’elle mange plutôt des choses sucrées quand même. » De la même façon, les enfants ont estimé que Caillou était un personnage gourmand : « Baakari : Parce qu’il a pris des céréales et des biscuits pour lui. Il a dit : « c’est les meilleurs biscuits du monde ». » « Flora : Parce qu’il y a beaucoup de sucre dans les gâteaux. » « Camille : [P]arce qu’il veut les gâteaux alors qu’il sait qu’ils vont faire un gâteau-surprise. Et il a pris les flocons  ! » « Gwendoline : Ben parce qu’il voulait des cookies et dans le paquet de cookies, il y en avait beaucoup donc je pense qu’il est gourmand, avec des pépites de chocolat, je pense qu’il est gourmand. » « Gaëlle : Parce qu’il veut acheter les cookies, enfin les gâteaux là, alors que déjà qu’il y a un gros gâteau surprise alors des cookies en plus, ça va faire beaucoup. » « Gilles : [P]arce que je pense qu’il a tout mangé le bonhomme de neige et je crois qu’il voulait manger les biscuits parce qu’il était gourmand. Et en plus, il y avait du chocolat, donc le chocolat c’est gourmand donc voilà. » Les jeunes lecteurs rencontrés ont de la sorte très fréquemment mis en exergue la manière dont les comportements alimentaires de Martine et de Caillou traduisaient, selon eux, la « gourmandise » de ces deux jeunes protagonistes. Il est par ailleurs à souligner le fait que, amenés à se prononcer sur l’ « acceptabilité » du comportement de Martine, comme de celui de Caillou, les petites filles et les petits garçons interrogés ont très majoritairement « condamné » le penchant préalablement mis en exergue de ces deux jeunes personnages pour les mets sucrés, confiant alors au chercheur qu’il n’était, selon eux, pas « bien », que Martine et que Caillou soient de cette façon enclins à la gourmandise. La question : « Est-ce que c’est bien, selon toi, que Martine/Caillou soit gourmand(e) » a en effet recueilli, auprès des jeunes lecteurs, une franche majorité de « non » 264. Si l’identification, par les enfants interrogés, de Martine et de Caillou comme étant des personnages « gourmands » peut être comprise par le fait que ces deux protagonistes évoquent en effet, dans les livres considérés, avec plaisir, la nourriture, la manière dont les petites filles et les petits garçons rencontrés ont très majoritairement « condamné » ce penchant est néanmoins plus difficilement explicable par le contenu proprement textuel des ouvrages. Comme nous l’avons effectivement précédemment évoqué, Martine fait la cuisine et Caillou au supermarché transmettent une vision relativement « décomplexée » de la gourmandise. Les deux jeunes héros de ces albums mentionnent explicitement leur amour pour la « mousse au chocolat » ou encore les « biscuits » et ne font pas véritablement l’objet de restrictions alimentaires. La désapprobation des jeunes lecteurs à l’égard de ce qu’ils ont identifié, chez Martine comme chez Caillou, comme étant de la gourmandise, ne peut dès lors, selon toute vraisemblance, provenir d’éléments concrets tirés des deux albums considérés. Un tel « jugement » pourrait en revanche bien être sous-tendu par l’ensemble des discours nutritionnels – notamment délivrés par certains spots télévisuels diffusés dans le cadre du Programme National Nutrition Santé –, s’appliquant à mettre en garde, notamment les enfants, contre les méfaits d’une alimentation trop riche en produits « gras, salé[s] ou sucré[s] » .

Des scènes de tolérance envers le surpoids rendues « invisibles » par les jeunes lecteurs 

« Et ben en fait, [Hugo], il est gros et tout le monde se moque de lui. Parce qu’ils croient qu’il est gros et il est méchant. » (Florian, CP, groupe scolaire Claude Ponti) Quatorze jeunes lecteurs de CP, rencontrés au sein du groupe scolaire Claude Ponti, ont été invités à livrer au chercheur leur interprétation d’un quatrième livre s’intitulant Hugo, un héros…un peu trop gros (Weishar-Giuliani, Legeay, 2011) 266 . Comme nous l’avons précédemment évoqué, cet ouvrage transmet plusieurs visions de la gourmandise : une première partie de l’album présente en effet un jeune protagoniste en surpoids, stigmatisé par la grande majorité de ses camarades. Une deuxième partie du livre est pour sa part consacrée à la transmission de messages de tolérance prônant l’acceptation de la différence, notamment physique (délivrés par les parents et les grands-parents de la seule amie d’Hugo : Sophie). Enfin, une troisième et dernière partie de l’ouvrage met en scène le jeune protagoniste prenant conscience de son surpoids – malgré le respect qu’il a obtenu de ses camarades de classe – et faisant, selon toute vraisemblance, le choix de mincir267. Amenés à raconter au chercheur cet album, les petites filles et les petits garçons interrogés, ont tous mentionné la première « séquence » du livre, évoquant de la sorte les diverses moqueries adressées à Hugo : « Framboise : [Hugo], on le traitait toujours de gros et il avait qu’une seule amie. Et elle disait : « arrêtez de le traiter de gros, il est gentil ». Et il essaie de cacher son gros bidon sous son gros pull rouge mais ils se moquent quand même parce qu’ils le voient quand même. » « Félice : En fait, il y avait un gros. Et il essayait de cacher son bidon, mais il [n’] y arrivait pas sous son pull marron. » « Flora : En fait, il est gros. Et il a besoin d’une bouée parce qu’il est gros, sinon il coule [rires]. Il est tellement gros qu’on se moque de lui. Son amie elle le défend. Et il est trop gros et tout le monde se moque de lui. » « Félix : [Au début], tout le monde se moque de lui parce qu’il est gros. Et à la cantine, il s’empiffre de frites, de steak… » « Farid : Ben en fait, Hugo il est gros et tous ceux de l’école, ils se moquent tout le temps de lui parce qu’il a un gros ventre. Et après lui il essaie tout le temps de cacher son bidon mais il [n’] y arrive pas. » « Florian : Et ben en fait, lui, il est gros et tout le monde se moque de lui. Parce qu’ils croient qu’il est gros et il est méchant. » Dans l’ouvrage, la stigmatisation dont est victime le jeune protagoniste, a de cette façon été unanimement relevée par les jeunes lecteurs. La deuxième « séquence » de l’album, dans laquelle les adultes tentent de faire comprendre à Sophie, non seulement les raisons pouvant expliquer les réactions de ses camarades de classe, mais également celles faisant des remarques de ces derniers des commentaires inappropriés n’a, en revanche, été mentionnée dans aucun récit libre. Les scènes véhiculant explicitement des valeurs de respect et de tolérance ont ainsi été passées sous silence par l’ensemble des enfants. Il est par ailleurs à souligner le fait que les questions posées aux petites filles et aux petits garçons concernant le « rôle » des adultes dans le livre, ainsi que les différents messages que ceux-ci s’appliquent à délivrer à Sophie, ont laissé la plupart des jeunes lecteurs dans l’embarras. A la question « Est-ce que tu peux me dire ce que pensent les grandes personnes dans ce livre ? », les enfants ont en effet répondu au chercheur : « Florine : Qu’il est gros, mais sauf la petite fille. Enquêteur : Et les parents de Sophie, qu’est-ce qu’ils disent à Sophie ? Florine : Ils lui disent… Je [ne] sais pas. Mais par contre le père, son dernier mot c’était fleur, ma petite fleur. » « Félix : Je [ne] sais pas. Enquêteur : Parce que Sophie, elle va demander conseil à son papa, à son grand-père… Félix : Oui ! Enquêteur : Et qu’est-ce qu’elles disent ces grandes personnes ? Félix : Ben…ils disent que…je [ne] sais pas. [Silence] » « Firmin : Que chacune des personnes qui pense quelque chose… »  

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