La vision équivoque de Ken Bugul sur le féminisme et son style dans Le Baobab fou et dans Riwan ou le chemin de sable

La vision équivoque de Ken Bugul sur le féminisme et son style dans Le Baobab fou et dans Riwan ou le chemin de sable

Première partie : persiflage et louange de la polygamie

 La polygamie est définie par le dictionnaire Larousse comme étant : « une relation conjugale dans laquelle un homme est légitimement marié à plusieurs femmes à la fois ». L’opinion de Ken Bugul sur cette institution montre qu’elle est un cas isolé, car comme le dit Abdoulaye Berté dans son article Parole de femme, pour la femme (le féminisme chez les romancières francophones : (bilan et perspectives) : « (…) Ken Bugul cultive le paradoxe en ayant sur le régime polygamique une opinion tantôt négative (cf. Le Baobab fou) tantôt positive (cf. Riwan ou le chemin de sable) », (Berté, 2010 :203). Dans notre premier chapitre, il s’agira d’analyser l’opposition de Ken Bugul au mariage plural en nous basant sur le roman Le Baobab fou et sur nos différentes lectures. 10 Premier chapitre : le rejet de la polygamie dans Le Baobab fou Le féminisme illustré dans Le Baobab fou est un vigoureux plaidoyer contre les tares de la société africaine. Il apparaît comme un mode de résistance contre ce mécanisme institutionnalisé qu’est la polygamie. Au nom de ses sœurs africaines, Ken Bugul s’oppose à ce genre de mariage. Elle considère cet acte comme une oppression matérielle et morale de la femme. Dans son roman autobiographique Le Baobab fou, l’auteur montre comment cette institution a bouleversé sa propre vie. Elle est une enfant qui est née et a grandi dans une famille polygame. Sa mère était la deuxième femme de son père. La narratrice a été contrainte de subir les aspects négatifs de la polygamie en particulier l’abandon du domicile conjugal par sa mère. Cette dernière à cause de la mésentente constante entre elle et sa coépouse, a fini par quitter le domicile conjugal, abandonnant ainsi Ken Bugul alors que cette dernière n’avait que cinq-ans. La mère de l’auteur a été contrainte de partir sans sa fille parce que cette dernière était en plein année scolaire. Elle dira plus tard à Ken Bugul : « Mais tu allais à l’école, c’est pour cela que je ne t’ai pas emmenée avec moi » (Ken Bugul, 1980 : 141). La séparation de l’auteur avec sa mère qui est une figure de valorisation et un symbole fort dans la société africaine, a fait qu’elle est devenue plus tard une femme souffrant de déficit affectif et d’une perte de valeurs morales : « Je maudirai toute ma vie ce jour qui avait emporté ma mère… » (Ken Bugul, 1980 : 81). A cause de cette situation, Ken Bugul en tant que féministe a été amenée à rejeter cette institution dans le roman Le Baobab fou pour promouvoir l’un des buts du combat féministe qui est l’épanouissement de la femme. A travers ce récit, la romancière sénégalaise fait en sorte d’établir une antinomie entre le mariage polygamique et l’épanouissement de la femme. De fait, dans cette œuvre, Ken Bugul se bat contre les ressorts de la polygamie, notamment : la soumission de la femme à son mari, la concurrence entre coépouses, l’abandon des parents, les tensions entre frères consanguins. Ce sont autant de contraintes qui existent dans la famille élargie. En analysant ce texte de Ken Bugul nous nous rendons effectivement compte que ce type de mariage impose à la femme de se sacrifier pour le bonheur de son mari. Cette situation fait de la femme un objet à la merci de l’homme. Nous notons par cela que ce genre de mariage pousse l’épouse à se sous-estimer. Dans un régime polygamique, les coépouses ont souvent tendance à se rabaisser, à faire des concessions à leur mari, chacune voulant demeurer la favorite. Elles renoncent à elles-mêmes. Cela exalte le désir coupable de l’homme possesseur. Cette soumission de la femme est mise en exergue dans le récit, Le Baobab fou. L’auteur montre comment la femme se laisse minimiser à cause des exigences du mariage polygamique. Lors de son séjour chez une de ses sœurs qui a trois coépouses, Ken Bugul constate la soumission aveugle des femmes, dans ce foyer polygamique :  « Elles rivalisaient à qui se soumettrait le plus à l’homme (…) Elle (chacune des coépouses) lui massait les pieds le soir, la tête baissée, comme une servante antique. Elle s’accroupissait devant lui, prête à servir (…) Les femmes s’agenouillaient devant lui, (l’époux) pour le saluer » (Ken Bugul, 1984 : 151). Nous constatons ainsi le réductionnisme de ces femmes qui sont contraintes d’obéir à leur mari, comme des êtres inférieurs. Si chacune des coépouses dans un foyer polygamique s’évertue à être celle qui est la plus soumise, comment pourrait-on parvenir à une égalité entre homme et femme, puisque c’est la femme elle-même qui confectionne cette image préfabriquée de l’homme, considéré comme un être supérieur ? Nous remarquons que la polygamie limite la femme dans son ménage : « Dès que l’homme rentrait, toutes ces femmes s’affairaient autour de cette masse de sueur et de fatigue, lui prodiguant mille attentions, mille soins, mille craintes, mille plaisirs. Les femmes explosaient dans la journée et dès que l’homme rentrait, tous les personnages se repliaient. » (Ken bugul 1984 : 133). A travers cette citation, l’auteur montre comment les conventions sociales dans le régime polygamique sont des freins à l’épanouissement de la femme. Ces coépouses consacrent plus de temps à leur époux qu’à elles-mêmes. Cette soumission aveugle, frôle l’idolâtrie. Ce réductionnisme va à l’encontre du souhait de Ken Bugul, tel qu’exprimé dans cette œuvre. La finalité recherchée par cet auteur est la suppression des aspects les plus rétrogrades de la polygamie, notamment la soumission aveugle de la femme à son mari. L’auteur prend ses distances avec ce mariage qu’elle perçoit comme étant un frein à la liberté, à l’émancipation de la femme. Pour la romancière sénégalaise, la femme devrait avoir d’autres préoccupations au lieu de se soucier exclusivement de l’homme. Elle devrait consacrer du temps pour elle, si elle veut obtenir le changement de sa situation matrimoniale : « Je me disais que je ne savais pas comment j’arriverais à faire de l’homme un jour cet autre moi-même, celui de qui ma survie dépendrait. Je ne pourrais pas être comme ces femmes, qui le soir, attendaient le mari plus que l’air qu’elles respiraient. » (Ken Bugul, 1980 :133) Dans une entreprise de démystification de la polygamie, nous constatons à travers cette citation que l’auteur récuse tout ce qui est valorisation ou élévation de l’image de l’homme. Ken Bugul, voyant la manière dont les femmes s’infériorisent devant leur mari, dans ce foyer polygamique où vit sa sœur, refuse de se constituer en victime des hommes. Elle ne peut donc s’imaginer entrer un jour dans un ménage polygamique. La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenneté (1791) d’Olympe De Gouge est un vigoureux plaidoyer contre la marginalisation de la femme, car cette déclaration exige la pleine assimilation légale de la femme avec l’homme https://fr.m.wikipedia.org (consulté le 26/01/2017 à 10h45). Nous pensons que la polygamie est un frein à l’égalité homme-femme que prône cette déclaration. C’est la concurrence existant dans le mariage polygamique, qui 12 pousse les femmes à s’inférioriser devant l’homme et elles n’ont de préoccupation que la soumission à leur époux. La féministe Ken Bugul, faisant chorus à cette déclaration, marque son opposition au mariage polygamique.

Les conséquences de la polygamie sur les coépouses.

 Analysons dans le détail, la concurrence qui accentue la discorde entre femmes. Les actes sont lourds de conséquences. L’auteur met en exergue les problèmes quotidiens qui existent entre coépouses, dans un foyer polygamique : révoltes, conflits entre coépouses. Il y a aussi la jalousie qui pousse les femmes à la haine. Ken Bugul montre l’intolérance, qui peut exister entre coépouses. Elle explique la situation des épouses de son père : « (…) les deux femmes du père s’engueulaient en silence, se réconciliaient, ou chacune en voulait secrètement à l’autre d’être là », (Ken Bugul, 1984 : 30). A travers la situation des femmes de son père, Ken Bugul montre que la polygamie est une oppression morale pour la femme. Nous constatons que cette institution crée des discordes entre les coépouses et trouble les foyers. L’opinion de Ken Bugul selon laquelle les femmes sont souvent en conflit entre elles dans un ménage polygamique est aussi partagée par Mariama Ba, dans son second roman, Un chant écarlate. Dans cette œuvre, parue à titre posthume, l’auteur analyse la discorde entre coépouses dans le foyer polygamique de Pathé Ngom, leur époux. Nous constatons à la page 14 de ce roman que la rancune et la méchanceté ont rendu impossible la vie harmonieuse que devrait avoir chacune des épouses de Pathé Ngom : « Dans la cour «face à face », la bassine d’eau sale, le fourneau et ses braises, les tessons de bouteilles, la casserole d’eau bouillante, l’écumoire, le pilon devenaient des armes » (Ba, 1980 :14) C’est en se basant sur ces citation faites ci- dessus que nous avons déduit que les bagarres entre coépouses sont lourdes de conséquences. Mariama Ba met en exergue l’humiliation que chaque femme essaie d’infliger à sa coépouse, en lui versant une bassine d’eau sale. Les armes qu’elles utilisent telle que le fourneau et ses braises, ou la casserole d’eau bouillante, etc. exposent les femmes à toutes sortes de blessures : brûlure légère, plaie béante, etc. La polygamie a transformé ces femmes en des êtres agressifs, à la limite de la bestialité. 14 A la lumière de ces quelques exemples de mésententes entre coépouses, la polygamie apparaît comme une source de tension. Dans le roman Le Baobab fou, Ken Bugul montre l’intolérance qui existe entre les coépouses de sa sœur : « Elles se battaient pour n’importe quoi en absence de leur mari » (Ken Bugul, 1984 :151) Par cette citation, Ken Bugul vient corroborer ce que Mariama Bâ avait dit avant elle. Cela renforce le réquisitoire des deux romancières contre la polygamie Nous remarquons que la discorde entre coépouses est constante dans ce genre de mariage or, le féminisme de ses débuts jusqu’à nos jours, a toujours été façonné par le regroupement, l’entente et la solidarité féminine. Le combat féministe prône donc l’union et la solidarité entre les femmes. Concédons le fait que quelques rares hommes parmi les Européens sont de vrais sympathisants de la cause de la femme. Parmi ces hommes, nous pouvons citer Nicolas Condorcet (1743-1794), il est le premier homme politique français à avoir défendu, la légitimité de participation à la politique de la femme alors même que ses contemporains le refusaient. https://fr.wikipedia.org/wiki/Nicoladecondorcet (consulté le 11/11/2016 à 11h). Nous estimons que les femmes, puisqu’elles sont considérées comme des êtres inférieurs, devraient se regrouper, s’épauler, s’unir. Le but de cette union est de consolider les relations entre femmes pour aboutir à leur meilleure intégration sociale. La polygamie qui pousse les coépouses aux tensions est un frein à la solidarité féminine. Elle doit être interdite, à l’image de ce qu’a fait Habib Bourguiba, premier Président de la Tunisie indépendante en 1952. Nous pensons que les femmes devraient avoir de bonnes relations entre elles afin que leurs revendications puissent aboutir. A ce propos, nous noterons l’engagement sans faille de Simone De Beauvoir, concernant la solidarité féminine, dans son œuvre L’Autre sexe : « Ennemie des hommes qui lui imposent leur domination, elle (la femme) trouvera dans les bras d’une amie à la fois un voluptueux repos et une revanche » (De Beauvoir, 1949 tome II : 94). De Beauvoir estime ainsi que la solidarité féminine peut jouer un rôle très important, face à la domination masculine. Cette solidarité apparaît non seulement comme un moyen de se soustraire de la suprématie des hommes, mais aussi permet aux femmes, unies, de pouvoir réclamer les mêmes droits que l’homme. 

Les conséquences de la polygamie sur les enfants

Revenons à Ken Bugul. Dans son œuvre Le Baobab fou, elle montre que les conséquences de la polygamie ne se répercutent pas seulement sur les femmes mais que leurs enfants aussi en sont victimes. Dans ce roman, l’auteur met en exergue un autre méfait de cette institution qui est l’abandon des enfants. La mère de Ken Bugul, en abandonnant sa fille a fait d’elle un être sans repère. Elle est désorientée et peut même être comparée au baobab fou, mort, 15 dont elle parle à la page 140 : « (…) je me retrouvais un jour devant le baobab fou mort depuis longtemps et qui faisait des grimaces au soleil ». (Ken Bugul 1984 :140). Elle-même se considère comme une personne morte intérieurement, le jour où sa mère l’a abandonnée. De même, dans le roman Une si longue lettre, Modou Fall délaisse sa femme (l’héroïne) avec ses douze enfants, pour aller vivre avec sa deuxième épouse, les privant ainsi d’affection paternelle. Nous constatons que les enfants, dans les ménages polygamiques, peuvent non seulement être victimes de l’abandon par l’un de leurs parents, mais sont eux aussi souvent en conflit. La concurrence qui existe dans le mariage polygamique entraîne le déficit affectif et la mésentente entre sœurs et frères consanguins. La discorde entre les mères pousse les enfants à nourrir de la rancœur, voire de la haine, les uns envers les autres. Dans l’œuvre Le Baobab fou, lorsque Ken Bugul partait rejoindre sa mère au village après un séjour passé avec sa sœur consanguine, cette dernière s’est comportée très mal avec elle. La sœur consanguine éprouve de la rancœur contre Ken Bugul : « Elle (la sœur) fit mes bagages, sans y mettre les culottes qu’elle m’avait achetée. Le jour même je partis avec la mère et ne retournai plus chez la sœur. La mère m’avait gardée avec elle » (Ken Bugul, 1984 :157). A travers l’acte de la sœur et le comportement de la mère de Ken Bugul, nous constatons que les femmes entraînent leurs enfants à se mêler des conflits entre coépouses. Cela suscite des relations conflictuelles, voire des hostilités dans la famille. L’élargissement de la famille que provoque la polygamie peut avoir d’autres inconvénients. Dans Le Baobab fou, l’auteur a des frères et des sœurs qu’elle ne connaît même pas : « Il (son frère) m’avait confié à une sœur que je ne connaissais pas. Sa mère était la troisième femme du père. Elle avait été répudiée avant ma naissance et je ne savais rien d’elle ni de la sœur». (Ken bugul, 1984 : 151). A travers ces mots, Ken Bugul fustige la réputation et le divorce prononcé aux seuls torts de la femme. A Dakar (et sans doute ailleurs), la polygamie peut entraîner la dispersion dans une famille : des polygames riches mettent chaque épouse et ses enfants dans des maisons différentes. Cette dispersion crée une certaine distance entre des membres d’une même famille. L’auteur semble être dépassé par cette situation déplaisante du régime polygamique et elle se pose même des questions auxquelles elle a du mal à avancer des réponses : « (…) Comment avoir des frères et des sœurs et ne pouvoir communiquer avec eux (…) Bon sang, que signifiait la notion fondamentale de la famille, que signifiaient les notions de liens consanguins … », « Comment était-ce possible de ne pouvoir parler avec sa sœur » (Ken Bugul,1984 :159). La méfiance dans la famille se transforme en indifférence puis en égoïsme. Lorsque nous analysons les questionnements de la romancière sénégalaise, nous nous rendons compte 16 que le mariage polygamique apparaît, comme une pratique sociale où les disputes se transforment en injustices voire en déséquilibre moral au sein des familles.

Table des matières

Introduction
Première partie : persiflage et louange de la polygamie
Deuxième partie : le rôle paradoxale de l’école française sur la vie de la fille africaine
Troisième partie : le style de Ken Bugul dans Le Baobab fou et dans Riwan ou le chemin de sable
Conclusion

 

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