LES RESEAUX DU SOIN PAR LE CONTACT ANIMALIER

”L’animal thérapeute”. : Socio-anthropologie de l’émergence du soin par le contact animalier

Approcher pragmatiquement la bienveillance envers les animaux

C’est donc avec une certaine conscience militante que nous avons essayé d’aborder les relations humains/animaux dans notre cursus de sociologique. Notre première approche s’est faite à travers un court mémoire de Licence portant sur les parcs zoologiques11. Cette étude nous a permis d’appréhender l’ampleur des changements qu’avaient connus les représentations de l’animal. Nous étant, dans un premier temps, livré à une mise en perspective historique12, nous avions appris que les zoos avaient toujours été de puissants instruments de communication : tout autant miroir des rapports humain/animal qui existaient à différentes époques, le zoo était également prescripteur de comportements à l’égard des humains. Il portait donc un discours social à la fois sur les animaux, mais également sur les humains entre eux. On pouvait analyser ces évolutions à la fois à travers les différentes missions que les zoos se sont données (de l’acclimatation, à l’exhibition de la puissance coloniale jusqu’à la préservation de la biodiversité), et à travers l’évolution des agencements spatiaux des parcs, des enclos, des pancartes explicatives etc..

Ces évolutions historiques du zoo ont pour particularité d’avoir été porteuses dans un premier temps d’un discours anthropocentré (qui prend en compte les intérêts de l’humain) puis de s’orienter vers un discours zoocentré (qui prend en compte les intérêts de l’animal) pour reprendre l’analyse d’Adrian Franklin14. Symptomatique de cette évolution, les pancartes du début du XXe siècle « Attention ! Animaux dangereux ! Ne pas franchir la grille ! » ont été remplacées par celles du XXIe siècle : « Les animaux ont besoin de tranquillité. Pour leur respect, merci de ne pas taper sur la vitre. » Ce récent souci de l’animal dans les parcs zoologiques faisait écho à une demande sociale plus globale : le développement d’une sensibilité plus grande dans les sociétés occidentales vis-à-vis du sort des animaux depuis une cinquantaine d’années. N’y avait-il pas un paradoxe pour un lieu d’enfermement de revendiquer ce souci de l’animal au nom d’une demande sociale de ce type ? Pratiquant des observations participantes dans les zoos et des entretiens avec des visiteurs, nous nous sommes aperçu que cette tension était bien présente dans les discours de ces derniers. Conscients à la fois du sort peu enviable des animaux qu’ils voyaient derrière des barreaux ou des vitres et de leur statut d’êtres sensibles, les visiteurs justifiaient cet enfermement par un argumentaire du « mal nécessaire » : c’est pour leur bien qu’on les enferme ; ou plus précisément : c’est pour un « grand » bien qu’on leur fait subir un « petit » mal..

Cet argumentaire faisait complètement écho aux nouvelles missions que s’étaient données les zoos, à savoir sauvegarder des espèces en voie de disparition, les préserver du braconnage et de la destruction de leur habitat naturel. A la différence près, que les visiteurs reconnaissaient le caractère moralement problématique de l’enfermement des animaux. Ce discours dans lequel les notions de « bienveillance » et d’« enfermement » cohabitaient, inscrivait donc nos recherches dans deux thématiques connexes : l’une, foucaldienne, des lieux d’enfermement punitif et des lieux de gestion du vivant, où s’exerçait le « biopouvoir16. » L’autre, goffmanienne, des lieux de « prise en charge » et autres « institutions totalitaires » dans lesquelles la bienveillance affichée côtoie la coercition légitime..

Partant de ces conclusions, nous avions dans l’idée d’investiguer d’autres lieux de rencontre entre humains et animaux, et plus spécifiquement des lieux de prise en charge, où cette tension « bienveillance/coercition » aurait pu s’exprimer. Dès lors, notre travail de Master I et II s’est articulé autour de la notion de « protection animale », qui présentait l’intérêt de désigner à la fois une « cause18 », une attitude bienveillante, et un ensemble de pratiques oeuvrant à l’accomplissement de cette cause19. Il est apparu pertinent de nous pencher sur la plus ancienne et la plus populaire des institutions dédiées à la protection de l’animal en France, la Société Protectrice des Animaux (S.P.A.) Là encore, nous avons combiné travail historique et analyses de données empiriques ; notamment à travers une ethnographie d’un refuge S.P.A. De l’approche historique est ressorti que toute entreprise de protection animale était porteuse d’un idéal politique et d’un discours social concernant la vie des humains en société.

L’ « Animal thérapeute »

Le caractère sans précédent du soin par le contact animalier ne fait pour autant pas l’unanimité. En effet, si vous parlez de soin par le contact animalier avec certaines infirmières, des travailleurs sociaux, certains médecins, ils vous diront que cela fait déjà longtemps qu’on envoie les jeunes « difficiles » dans des fermes pédagogiques, que les maisons de retraite possèdent toutes leur chat mascotte, ou encore qu’il est bien connu que les promenades de telle institution psychiatrique se font au milieu des chèvres, des daims ou des canards. Et si vous leur parlez de « thérapie assistée par animal », ils vous diront que c’est un terme nouveau et abusif pour désigner des pratiques vieilles comme le monde ou presque, et dont les vertus proprement thérapeutiques relèvent de l’anecdotique. Ils n’auront sans doute pas entièrement tort.

On peut penser en effet que l’utilisation du contact animalier à des fins soignantes ne date pas d’aujourd’hui : la littérature spécialisée sur la question n’hésite d’ailleurs jamais à lister les pratiques éparpillées dans le passé pouvant faire office de précédent aux pratiques actuelles. Il est également vrai que l’assimilation du contact avec l’animal à une « thérapie » est apparue assez récemment et que sa pertinence fait régulièrement débat. Pour autant, le caractère inédit du soin par le contact animalier tient précisément à la tenue de ces débats, aux controverses qu’il suscite : ces pratiques font parler d’elles, alors que ce n’était pas le cas auparavant. Cet élément suffit à repérer qu’il y a bien quelque chose de neuf dans le soin par le contact animalier tel qu’il se développe depuis une quarantaine d’années. Il témoigne du fait que les « convaincus » des vertus du contact animalier se sont constitués en réseaux, qu’ils ont souhaité nommer et partager leur expérience, défendre leurs pratiques et leurs savoirs.

D’autre part, la question des prétentions thérapeutiques, usurpées selon certains, est intéressante, voire centrale. En effet, c’est avec l’utilisation du terme « thérapie » que le soin par le contact animalier est sorti de la confidentialité, qu’il s’est publicisé et qu’il est devenu objet de controverses. Ainsi, il serait réducteur de penser que ces nouvelles dénominations (Thérapie Assistée par Animal, Zoothérapie etc.) ne désigneraient que d’anciennes pratiques dotées d’un nouveau label thérapeutique. Précisément parce que le qualificatif « thérapeutique » change radicalement la nature de ces pratiques, les exigences qui pèsent sur elles, les ambitions qu’on peut leur attribuer. Dès que l’on parle de « thérapie », la conviction de la « plus value animale » semble ne plus suffire : il importe dès lors de « prouver », « évaluer », « rendre des comptes. » En un mot : objectiver. Dans le même mouvement, il faudrait réfléchir à l’optimisation des pratiques, en termes d’efficacité thérapeutique, de pertinence dans le choix des populations et tel-00671158, version 2 – 14 May 2012 Introduction 34 des animaux qui entrent en jeu, et en termes de savoir-faire techniques. Les pratiques de soin par le contact animalier ont dû composer avec ces exigences dès lors qu’elles se sont dotées d’une ambition thérapeutique : elles sont confrontées aux dimensions contemporaines de ce que « soigner veut dire44 ».

Le monopole du monde médical, et plus particulièrement biomédical, sur l’utilisation légitime du terme « thérapie » fait partie de ces dimensions. L’histoire des pratiques de soin par le contact animalier est ainsi celle d’une quête de légitimité vis-à-vis du monde médical, une course après un label « thérapeutique » qui n’apparaisse pas usurpé. Car il ne faut pas s’y tromper : le soin par le contact animalier n’est en rien ce qu’on pourrait appeler une « médecine parallèle » ou une « thérapie alternative. » Les pratiques ne tentent pas de se développer parallèlement au monde médical comme peuvent le faire les phytothérapies ou la naturopathie, qui évoluent plutôt dans les univers éco-alternatifs.

Le soin par le contact animalier se pratique en lien avec des hôpitaux, des maisons de retraite, des centres médico-sociaux et médico-pédagogiques, des établissements de rééducation, des prisons…tout autant d’institutions reconnues par l’Etat et/ou l’autorité médicale comme pourvoyeuses d’une prise en charge de l’humain conforme à leurs exigences. Parmi les praticiens, on trouve d’ailleurs les mêmes personnes qui officient dans ces institutions : des médecins, des infirmières, des psychothérapeutes, des psychomotriciens, des kinésithérapeutes, des orthophonistes, des travailleurs sociaux, des aides-soignants… Dire cela ne revient pas à nier le caractère marginal du développement et de la reconnaissance du soin par le contact animalier : le nombre des praticiens est encore faible et on considère que la pratique ne relève « que » du paramédical.

Et encore, cette reconnaissance a été acquise de haute lutte. De plus, la pratique est un outil complémentaire s’ajoutant à la panoplie des professionnels du paramédical : c’est une spécialisation plus qu’une technique à part entière. L’intervention de l’animal est donc, dans le meilleur des cas, une participation à un ensemble d’activités à visée thérapeutique. Il ne s’agit aucunement de proposer une prise en charge entièrement centrée autour de l’animal. En fait, il semblerait que plus une activité impliquant l’animal se définit comme thérapeutique, plus elle considère la relation à l’animal comme un outil parmi d’autres : dans les institutions de soin, les séances dédiées entièrement à l’animal sont en général considérées comme de l’animation, alors que le travail n’engageant que partiellement le contact animalier pointe plus volontiers vers le thérapeutique

Table des matières

INTRODUCTION
Premières rencontres
Approcher pragmatiquement la bienveillance envers les animaux
Le soin par le contact animalier
L’ « Animal thérapeute » Care, Green care, et biomédicalisation
Saisir les dynamiques occidentales et contemporaines de requalification des relations humains/animaux
« Vivant matière » et « vivant personne »
A la recherche des opérateurs de requalification
Une question et trois échelles d’observation
PARTIE I : CHRONIQUE DE LA « SCIENTIFISATION » DES INTERACTIONS AVEC L’ANIMAL A BUT THERAPEUTIQUE
Introduction
I – Méthodologie et enjeux
I-A : Une approche symétrique des savoirs
I-B : Bibliomaîtrise
I-C : Phénomène bibliographique
I-D : Logistique des données
I-E : Les enjeux d’une bibliographie sur les I.A.T
I-F : Récolter l’illisible (déroulement de la recherche # 1)
I-G : Domestiquer l’exhaustif (déroulement de la recherche # 2)
I-H : Que vaut un panorama sans points de vue ?.
II : Les débuts de la recherche sur l’I.A.T. (1962-1985)
II.A : Le temps des fondateurs : l’animal comme contingenc
II.B : Une (re)mise en question au nom de la Science : la construction de l’animal comme variable détachée
III : Documenter signes et mécanismes (1985-2000)
III.A : Les intentions de la recherche sur les I.A.T.
III.B : « Signes » et « Mécanismes » : un bilan asymétrique
IV : Nouvelles perspectives et nouveaux enjeux (2000-2007)
IV.A : De l’animal détaché à l’animal attaché 190
Conclusion
PARTIE II : LES RESEAUX DU SOIN PAR LE CONTACT ANIMALIER : CONSTRUIRE UN MONDE ET PRODUIRE DES ETRES.
Introduction
I – Le phénomène « animal de compagnie » et le soin par le contact animalier
I-A : Le marché de l’animal de compagnie
I-B : L’industrie des aliments pour animaux
I-C : Vétérinaires, animaux de compagnie et H.A.I
I-D: « Human Animal Interactions » Research Centers/Organizations
I-E : Le soin par le contact animalier : à l’interface d’intérêts hétérogènes
II – Des savoirs aux pratiques : la création d’une filière
II – A : Le circuit « chien »
II – B : Le circuit « cheval »
III – Perspectives françaises
III – A : L’animal et le soin en France : tour d’horizon
III – B : Le circuit « cheval » en France
III – C : Le circuit chien en France
III – D : Stratégies de reconnaissance et systèmes de contraintes
Conclusion
INDEX DES ACRONYMES

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