L’arrivée des intérimaires sur les lieux de production

« Faire-avec », « faire-face »

Nous avons vu que l’arrivée des intérimaires sur les lieux de production est marquée par une situation d’indétermination (chapitre 2). Le plus souvent, les travailleurs temporaires ne découvrent qu’au dernier moment les caractéristiques du poste à occuper, les tâches à effectuer ou encore les équipements mis à leur disposition, etc. L’environnement global de l’activité, les moyens et les conditions de travail ne sont connus que lorsqu’ils réalisent les travaux demandés. Dans ce chapitre, nous allons voir que ces éléments sont sans cesse réactualisés et évoluent tout au long de leurs contrats d’intérim. Dans un premier temps, il sera question des outils confiés aux intérimaires. Nous observerons la répartition des moyens de travail en fonction du statut des travailleurs. La notion d’efficacité sera mobilisée pour aborder les caractéristiques de l’équipement technique des travailleurs temporaires. Nous prêterons également attention aux manières de nommer les outils. Le deuxième point concernera plus directement les différentes matières sur lesquelles agissent les intérimaires. De missions en missions les travailleurs temporaires sont exposés à diverses matières et diverses substances. Celles-ci sont souvent méconnues des intérimaires qui doivent néanmoins « faire-avec » leurs propriétés, leur résistance, leurs odeurs et parfois leur nocivité. Nous allons voir que, pour la plupart d’entre eux, cette ignorance suscite des craintes, ou tout du moins, de la méfiance. Ce qui nous amènera au dernier point de ce chapitre, à savoir, les risques et les dangers que rencontrent les intérimaires sur leurs lieux de travail. Nous observerons ici encore comment ces travailleurs, souvent inexpérimentés, tentent d’y « faire-face ». Enfin, nous verrons comment le régime d’embauche des intérimaires à des effets directs sur la sécurité au travail et sur la santé des ouvriers temporaires.

COMPOSER AVEC LES OUTILS ET LES MOYENS DE TRAVAIL

Dans des missions relevant de l’intérim dit « non-qualifié » ou « de masse », les travailleurs temporaires sont généralement embauchés comme manutentionnaires ou comme manœuvres. Ceux-ci, par définition, travaillent avec leurs mains. Toutefois, les tâches qui leur sont confiées impliquent généralement l’utilisation d’outils rudimentaires (c’est-à-dire les plus communs, les moins « spécialisés »). En effet, il s’agit de disposer d’un transpalette pour déplacer des objets, d’un balai-brosse pour nettoyer une pièce, d’une clé pour démonter des racks, de gants pour trier des matériaux, etc. Ces divers outils, dénués du prestige qui auréole certaines machines qui restent inaccessibles à défaut de formation ou de savoir-faire reconnus, constituent les principaux éléments dont disposent les intérimaires lorsqu’ils travaillent dans les unités de production. Nous avons déjà abordé, dans le second chapitre de cette thèse, la question des fournitures allouées aux intérimaires principalement aux travers de leurs dimensions signifiantes. L’observation des tenues de travail nous a néanmoins entraînés sur le terrain plus « technique » des pratiques que ces objets contribuent à orienter. Nous avons vu qu’au-delà de leur fonction d’emblèmes, c’est-à-dire de ce qu’ils expriment socialement, ces éléments sont en prise avec les corps des travailleurs : ils influencent le rythme et la forme de leurs actions des travailleurs sur la matière, je m’intéresserai aux contraintes pratiques que les intérimaires rencontrent dans leurs activités en fonction des outils et des instruments qui sont mis à leur disposition. Si dans le chapitre précédent, j’ai insisté sur le caractère hiérarchisé de la distribution des tâches, il reste à voir comment sont répartis les moyens productifs en fonction du statut des ouvriers. Les travaux sur la division sexuelle du travail fournissent une grille d’analyse heuristique en la matière. La démarche de Paola Tabet permet de saisir la dimension inégalitaire qui ordonne la répartition des outils et des tâches entre les hommes et les femmes, par exemple. A partir d’une lecture féministe de la littérature ethnologique, l’auteure souligne que la distribution des activités n’est pas neutre. Celle-ci relève moins d’une relation de complémentarité et de coopération que d’une domination sexuée qui « se manifeste objectivement et que des constantes générales régissent la répartition des tâches, qui reflètent également les tâches à effectuer1. En effet, ces éléments matériels contribuent à définir des rôles et des statuts mais également à prescrire les activités les plus concrètes. Dans le cas qui nous intéresse je n’aborderai pas directement une division sexuée du travail mais une division statutaire. Nous verrons ainsi que la distribution des moyens de travail réaffirme les processus de différenciation entre ouvriers permanents et temporaires et que ces éléments nous renseignent sur la place qui est concédée aux intérimaires dans l’organisation de la production.

 

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