L’ASBL, une nouvelle forme d’entreprise ?

Depuis plusieurs années, soutenir l’entreprenariat est une réelle visée politique. Plus particulièrement les ASBL, grandes pourvoyeuses d’emploi et de richesses nationales ont fait l’objet de plusieurs grandes réformes de droit économique. Elles sont à présent assimilées aux autres entreprises. Deux réformes ont contribué à ce changement. Premièrement, la loi du 11 août 2017 a rationnalisé les procédures liées à l’insolvabilité et a ouvert considérablement leur champ d’application. Dans un second temps, la loi du 15 avril 2018 a normalisé certains aspects de l’ancien droit commercial et a tenté de faire du droit économique un ensemble de règles plus cohérent. Enfin, le Code des sociétés et des associations a aligné les régimes juridiques des ASBL et des sociétés autrefois nettement distincts et a modifié la définition même de l’ASBL. Ce train de réformes a profondément modifié le paysage juridique des ASBL. Dans le cadre de ce travail nous souhaitons analyser les impacts consécutifs de ces réformes sur les trois points qui ont le plus suscité de débats : l’alignement de la responsabilité des administrateurs d’ASBL avec celle des administrateurs de sociétés, l’impact qu’aurait la nouvelle définition de l’entreprise quant à l’applicabilité du droit de la concurrence aux ASBL et l’application des procédures d’insolvabilité aux ASBL.

LA RESPONSABILITÉ DES ADMINISTRATEURS D’ASBL

L’introduction du Code des sociétés et associations (ci-après C.S.A.) a bouleversé de manière significative le régime de la responsabilité des administrateurs de personnes morales et en particulier, celui des dirigeants d’ASBL. Depuis lors, à première vue, l’administrateur d’une petite ASBL sera en principe autant responsable que l’administrateur d’une grande société ; encore cette impression mérite-t-elle d’être corroborée. Dans un premier temps, nous rappellerons le régime applicable aux dirigeants d’ASBL avant l’introduction du C.S.A. (Section 1ère). Ensuite, nous exposerons les principales modifications apportées par la réforme (Section 2). Dans la conclusion de cette première partie, nous analyserons en quoi les modifications légales du C.S.A. compliquent la situation des administrateurs de certaines ASBL.

LE RÉGIME APPLICABLE AVANT L’INTRODUCTION DU C.S.A.

Jusqu’au 1 er janvier 2020, date d’entrée en vigueur du C.S.A., la matière de la responsabilité des administrateurs des ASBL était régie par la loi du 27 juin 1921 sur les associations sans but lucratif, les fondations, les partis politiques européens et les fondations politiques européennes . Cette loi n’évoquait que de façon très lacunaire la question de la responsabilité des administrateurs dans ses articles 14bis et 26septies. Le droit de la responsabilité des administrateurs des ASBL était de la sorte fondé sur le régime du droit commun de la responsabilité civile. On distinguait principalement la responsabilité contractuelle des administrateurs d’une part (1.), et la responsabilité extracontractuelle des administrateurs d’autre part (2.).

La responsabilité contractuelle des administrateurs à l’égard de l’ASBL
L’article 14bis de la loi du 27 juin 1921 prévoyait que : « Sans préjudice de l’article 26septies, les administrateurs ne contractent aucune obligation personnelle relativement aux engagements de l’association ».

Les obligations contractuelles à charge des administrateurs d’ASBL comprenaient le respect de la loi du 27 juin 1921, ainsi que des statuts de l’ASBL dont ils étaient administrateurs. Des obligations contractuelles spécifiques selon la nature de l’ASBL pouvaient également exister . Enfin, on distinguait selon que l’administrateur était investi d’une obligation de moyens ou d’une obligation de résultat pour apprécier sa responsabilité.

Par exemple, l’obligation de résultat pouvait consister dans l’introduction d’une demande de subsides dans les délais légaux et l’obligation de moyen dans l’obtention effective de ces subsides.

Le régime légal de la responsabilité des dirigeants d’ASBL n’était prima facie pas comparable au régime prévu pour les administrateurs des sociétés. Néanmoins, par application du droit commun de la responsabilité, le régime de la responsabilité des administrateurs d’ASBL était régi par les règles de bonne exécution du contrat de mandat conclu entre ces administrateurs et l’association. De ce fait, les administrateurs encouraient de facto une responsabilité proche de celle des administrateurs de société.

L’administrateur d’une ASBL n’était toutefois tenu que de sa responsabilité personnelle. Il n’existait pas, comme en droit des sociétés, de responsabilité solidaire des administrateurs. De la sorte, la responsabilité d’un administrateur ne pouvait être engagée uniquement que sur la base des actes ou omissions qui lui étaient personnellement imputables . Il n’existait que deux dérogations à ce principe.

Premièrement, conformément aux principes généraux de la responsabilité contractuelle, plusieurs administrateurs pouvaient être tenus responsables solidairement ou in solidum vis-àvis de leur ASBL en cas de faute commune, (c’est à dire dans les cas où plusieurs administrateurs commettent collectivement une même faute) ou de fautes concurrentes (c’està-dire lorsque plusieurs administrateurs commettent individuellement une succession de fautes différentes mais contribuant à un même dommage).

Ensuite, il existait une exception à la responsabilité individuelle des administrateurs d’ASBL à l’article 26septies de la loi du 27 juin 1921 pour la transformation de l’ASBL en société à finalité sociale. Nous ne nous étendrons pas sur ce sujet, la S.F.S. ayant été supprimée par le Code des sociétés et associations.

La loi du 27 juin 1921 était silencieuse quant à la question de savoir quel organe de l’ASBL était compétent pour intenter l’actio mandati contre un de ses administrateurs. L’article 4 de la loi ne réservait pas explicitement une telle compétence à l’assemblée générale. Cela pourrait conduire à penser que, si les statuts de l’association étaient silencieux à ce sujet, le conseil d’administration recueillait la compétence de l’actio mandati en vertu de son pouvoir résiduel.

Pour M. Davagle et M. Coipel , une telle lecture littérale de la loi du 27 juin 1921 est incohérente, la compétence d’intenter l’actio mandati devant implicitement être confiée à l’assemblée générale par application analogique de l’article 561 du Code des sociétés . Une telle interprétation était en outre conforme au fait que l’assemblée générale d’une ASBL est seule compétente pour voter la décharge de ses administrateurs.

La responsabilité des administrateurs à l’égard des tiers
La loi du 27 juin 1921 était également muette quant à la question de la responsabilité aquilienne des administrateurs d’ASBL. Faute de dispositions légales spécifiques, la matière était également régie par le droit commun de la responsabilité quasi-délictuelle. Notons d’emblée que les articles 14bis et 15 de la loi du 27 juin 1921 consacraient la théorie de l’organe. Selon cette dernière, la responsabilité d’un organe d’une personne morale est absorbée par cette personne morale pour autant que cet organe reste dans le cadre de ses fonctions. Ce faisant, ses actes et ses faits sont ceux de la personne morale et engagent directement la responsabilité de celle-ci sur la base du contrat ou de l’article 1382 du Code civil. Cette théorie de l’organe consacrée dans la loi du 27 juin 1921 devait, en outre, être combinée avec la jurisprudence de la Cour de cassation qui impose que les tiers cocontractants de l’association, qui agissent en responsabilité contre un organe, établissent que la faute mise à sa charge constitue un manquement à l’obligation générale de prudence et qu’elle a causé un dommage autre que celui résultant de la mauvaise exécution du contrat . De ce fait, la mise en cause de la responsabilité d’un administrateur par un tiers supposait donc que l’administrateur n’ait pas seulement manqué à son devoir contractuel à l’égard de l’association dont il assumait la gestion, mais également qu’il ait violé une obligation qui s’impose à tous, s’écartant du comportement que l’on peut attendre d’une personne prudente, avisée, soucieuse de tenir compte des éventualités malheureuses qui peuvent résulter pour autrui de sa conduite.

Pour engager la responsabilité d’un administrateur, la victime devait en outre démontrer l’existence d’un lien de causalité entre le préjudice dont elle se prévalait et la faute imputée à l’administrateur de l’ASBL.

Enfin, notons que la loi du 27 juin 1921 ne prévoyait aucun délai de prescription spécifique à l’action en responsabilité des administrateurs intentée tant par l’association elle-même que par les tiers. Contrairement aux actions dirigées contre les administrateurs, gérants, commissaires ou liquidateurs de sociétés les délais applicables étaient ceux du droit commun, à savoir, ceux de l’article 2262bis du Code civil. En conséquence, le point de départ du délai de prescription pouvait varier. Pour les administrateurs d’ASBL, le délai de prescription courait à partir du moment où la victime avait eu connaissance de son dommage par application de l’article 2262bis du Code civil. Pour les administrateurs de société, le délai prenait quant à lui cours, en principe, dès la commission des faits et, par exception, lorsque la victime avait eu connaissance de ceux-ci uniquement si l’administrateur de société avait commis un dol.

Table des matières

INTRODUCTION
I. LA RESPONSABILITE DES ADMINISTRATEURS D’ASBL
SECTION 1ÈRE – LE RÉGIME APPLICABLE AVANT L’INTRODUCTION DU C.S.A.
1) La responsabilité contractuelle des administrateurs à l’égard de l’ASBL
2) La responsabilité des administrateurs à l’égard des tiers
SECTION 2 – LE LIVRE II DU C.S.A.
1) Généralités
2) La faute de gestion
3) La faute extracontractuelle
4) La violation d’une norme du C.S.A. et des statuts
5) Les plafonds, exonérations et mécanisme de protection
a) Les plafonds
b) La désolidarisation
6) Le conflit d’intérêts
7) La responsabilité de l’administrateur en cas de faillite
a) L’action en comblement de passif
b) La responsabilité pour non-paiement des dettes sociales
c) La poursuite déraisonnable de l’activité déficitaire
8) Application particulière au milieu des ASBL : l’administrateur travailleur et bénévole
CONCLUSION – UNE SITUATION RÉELLEMENT DIFFÉRENTE POUR LES ADMINISTRATEURS D’ASBL ?
II. L’ASBL FACE A LA CONCURRENCE DELOYALE
SECTION  1ÈRE – INTRODUCTION HISTORIQUE
1) L’ASBL et la poursuite d’une activité commerciale – économique
2) Application progressive du droit de la concurrence aux ASBL : du vendeur à l’entreprise
SECTION 2 – LES PRATIQUES DÉLOYALES DU MARCHÉ À L’ÉGARD DES CONSOMMATEURS
SECTION 3 – L’INTERDICTION DES ACTES CONTRAIRES AUX PRATIQUES HONNÊTES DU MARCHÉ
SECTION 4 – L’ACTION EN CESSATION
SECTION 5 – APPLICATIONS PARTICULIÈRES AU MILIEU ASSOCIATIF
1) Le recours au volontariat pour la vente de biens ou de services à un prix anormalement bas
2) L’exercice d’une activité économique dans un but lucratif
CONCLUSION – UN RÉEL IMPACT DES RÉFORMES DE 2017 ET 2018
III. L’INSOLVABILITE DES ASBL
SECTION  1ÈRE – APERÇU HISTORIQUE
1) La situation avant 2018
a) Exclusion des ASBL des procédures d’insolvabilité
b) La dissolution-liquidation des ASBL
1. Dissolution
2. Liquidation
2) L’introduction du livre XX du C.D.E.
3) L’impact du C.S.A
SECTION 2 – LA LIQUIDATION VOLONTAIRE DÉFICITAIRE SOUS LE C.S.A.
SECTION 3 – LA PROCÉDURE DE RÉORGANISATION JUDICIAIRE
1) Principes généraux
2) Un réel intérêt pour les ASBL ?
SECTION 2 – LA FAILLITE DES ASBL
1) Principes généraux
a) Objectifs et conditions
b) Le jugement déclaratif de faillite
c) Administration et clôture
2) Tempéraments accordés au milieu associatif
a) L’article XX. 102, in fine: L’ASBL peut faire aveu de faillite
b) La nomination du curateur
CONCLUSION – UN RÉGIME ADAPTÉ AUX ASBL ?
CONCLUSION GENERALE

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