Le bim « as-built » comme outil d’aide a la decision entre demolition ou deconstruction

« On Spaceship Earth there are no passengers; everybody is a member of the crew. We have moved into an age in which everybody’s activities affect everybody else. » (Marshal McLuhan, 1965 cité par Rau & Oberuber, 2016, p51) .

Thomas Rau est un architecte hollandais qui conçoit des bâtiments produisant de l’énergie au lieu d’en utiliser. Sabine Oberhuber est diplômée en management d’entreprise. Ils sont auteurs du livre « Material Matters » publié en 2016. Inspirés par cette citation du philosophe canadien Marshal McLuhan, ils comparent la Terre à un vaisseau spatial en mission dans l’espace. Tout ce dont l’équipage pourrait avoir besoin lors de leur mission est à bord du vaisseau, mais aucun approvisionnement supplémentaire n’est possible. Si un problème apparaît, il faudra le résoudre avec les moyens du bord. Il en est de même sur Terre car, tout le monde le sait, les ressources naturelles ne sont pas inépuisables (Rau & Oberuber, 2016).

Il n’est donc plus suffisant d’avoir une empreinte écologique « moins mauvaise », car celle-ci aura toujours un impact négatif sur la planète (Braungart & Mc Donough, 2013). Autrement dit, s’efforcer de réduire la consommation des ressources ne changera rien à la nature limitée des réserves et ne pourra que retarder l’inévitable (Servigne & Stevens, 2015), c’est-à-dire l’épuisement des ressources. D’ailleurs, le Worldwatch Institute (2012) a estimé que d’ici 2030, le monde sera à court de nombreux matériaux de construction bruts et que le secteur industriel dépendra du recyclage et des décharges. D’après la Commission Européenne (2018), le secteur de la construction est responsable de :
• 50% du total des ressources naturelles exploitées,
• 36% des déchets produits (en poids),
• 42% des consommations totales d’énergie,
• 35% des émissions de gaz à effet de serre,
• 30% des consommations d’eau.

En Belgique, plus de 15 millions de tonnes de déchets de construction et de démolition sont générés par an (Ceraa & Rotor, 2012). Ces chiffres sont la conséquence d’activités essentiellement inscrites dans un modèle économique dit «linéaire » : « Take, Make, Waste » (extraction des ressources, transformation et distribution de biens, abandon) et appliquées depuis la révolution industrielle.

Selon Martinez (2013), 70 % de l’ensemble des déchets générés par l’industrie de la construction sont dus à des activités en fin de vie, principalement de démolition. Une façon de limiter le besoin d’extraire des ressources naturelles est de favoriser le réemploi présent et futur de ces déchets de démolition. Ce travail a pour objectif d’étudier les pratiques qui maximisent le réemploi futur des matériaux et composants neufs, en particulier de montrer comment le BIM et sa complémentarité avec les passeports matériaux maintenus à jour tout le long du cycle de vie d’un édifice. Ces outils peuvent encourager et faciliter le réemploi des matériaux et des équipements. L’intégration des outils BIM et les passeports matériaux devrait permettre d’étudier la faisabilité technique et de comparer la rentabilité économique de différents scénarios de déconstruction sélective et de réutilisation sur site ou hors site et d’établir plus facilement l’audit de pré-démolition tel que proposé par la Commission européenne. Le modèle BIM devrait pouvoir fournir le cadre de manipulation et de structuration de ces données.

La méthodologie de recherche suivie s’articule en trois étapes distinctes et complémentaires.

Dans un premier temps, une étude approfondie de la littérature m’a permis de prendre connaissance et d’analyser les pratiques existantes de l’économie circulaire et du BIM dans le secteur de la construction. Questionner le potentiel de la combinaison de ces deux approches pour maximiser le réemploi futur des matériaux et composants neufs mis en œuvre dans les nouvelles constructions, a conduit à la formulation des questions de recherche plus précises.

Dans un second temps, la participation à divers colloques et séminaires ainsi qu’un stage d’un mois au sein du bureau d’architecture Samyn & Partners3 m’ont donné l’opportunité d’observer, d’expérimenter et de questionner les pratiques actuelles d’usage des outils du BIM et du réemploi, ainsi que d’identifier les difficultés rencontrées. L’expérience acquise lors de ce stage a facilité la mise au point d’un questionnaire adressé aux bureaux d’architectures utilisant le BIM et/ou mettant l’économie circulaire au cœur de leurs projets. Les objectifs de cette enquête ciblée ont été d’identifier les défis rencontrés par les architectes, les solutions apportées et leurs désirs par rapport au BIM et/ou leur approche envers l’économie circulaire.

L’analyse des réponses à l’enquête m’a permis d’identifier un groupe de bureaux d’architectes plus avancés que les autres dans l’usage du BIM et de la conception en vue de la déconstruction. Dans la troisième partie de ce travail, je me suis donc intéressée aux pratiques de ces précurseurs dans ces deux domaines. Grâce à un entretien rétrospectif d’environ une heure avec chacun d’entre eux, j’ai analysé en détail quelques projets qu’ils avaient réalisés. Ces interviews ont eu pour but de déceler les solutions trouvées et les problèmes spécifiques rencontrés par ce groupe de précurseurs et d’en tirer des conclusions utiles au développement de ces pratiques peu répandues à l’heure actuelle.

L’économie circulaire

« The way we see it, waste is what you call something when you have no idea what to do with it. The fact that waste exists anywhere is more a testament to our lack of imagination than it is to the inherent value of any material. If you have a purpose for it, it’s no longer waste. »  (Freilla, 2008 cité par Gorgolewski, 2017, p11) .

Contrairement à l’économie linéaire (« Take, Make, Waste »), l’économie circulaire adopte une approche à long terme. Elle vise à remplacer un modèle linéaire basé sur l’extraction de ressources naturelles par un cycle fermé où la production de déchets est évitée . En effet, le « déchet » d’un procédé devient la matière première de l’autre et ainsi de suite. Les sources d’énergie renouvelables et l’aspect social du modèle économique jouent également un rôle important au sein de ce nouveau modèle économique (Braungart & Mc Donough, 2002).

La Fondation Ellen MacArthur , pionnière dans l’étude des implications d’une économie circulaire, définit cinq principes décrivant un ensemble d’actions afin de mettre en œuvre ce nouveau modèle économique (Ellen MacArthur Foundation, 2013) :

1. Prévenir la production de déchets: la production des déchets n’existe plus lorsque les composants biologiques et techniques d’un produit sont conçus dans l’intention de s’inscrire dans un cycle biologique ou technique, conçus pour être désassemblés et réutilisés.

2. Renforcer la résilience à travers la diversité : la modularité, la polyvalence et l’adaptabilité sont des caractéristiques précieuses qui doivent être préétablies dans un monde incertain et en évolution rapide.

3. Utiliser des énergies renouvelables : tout concept circulaire doit commencer par examiner l’énergie impliquée dans le processus de production.

4. Concevoir un ensemble : la capacité de comprendre comment les parties s’influencent les unes les autres au sein d’un tout, et la relation du tout avec les parties, est cruciale.

5. Fonctionner en cascades : la création de valeur réside dans la possibilité d’extraire une valeur supplémentaire des produits et des matériaux en les faisant passer en cascade par d’autres applications.

Le concept d’économie circulaire a des origines profondément ancrées et ne peut être retracé à une seule date ou à un seul auteur. Ses applications aux systèmes économiques et aux processus industriels modernes ont toutefois pris de l’ampleur depuis la fin des années 1970. C’est alors que le paysagiste américain John T. Lyle développe la théorie autour de la notion « conception régénérative » (« Regenerative Design »). Il s’agit d’un processus qui vise à restaurer, revitaliser ou renouveler l’énergie et les matières nécessaires à la production et qui peut s’appliquer à tous les systèmes industriels. Walter Stahel, architecte et économiste, esquisse dans son rapport de recherche de 1976 à la Commission européenne la vision d’une économie fonctionnant en circuit fermé (économie circulaire). Cette économie en boucle promeut quatre objectifs principaux : l’impact de l’économie circulaire sur l’emploi, la prolongation de la durée de vie des produits, la consommation des ressources et la prévention des déchets. Le concept d’économie circulaire gagne en notoriété en 2002 grâce à William McDonough et Michael Braungart, auteurs du livre « Cradle to Cradle » (du berceau au berceau) (Braungart & Mc Donough, 2002)(Ellen MacArthur Foundation, 2013).

La fondation Ellen McArthur, a identifié le secteur de la construction comme un des secteurs avec le plus haut potentiel pour appliquer les idées de ce nouveau modèle économique. En effet, la construction et la démolition génèrent 35 à 40 pourcents des déchets, tous secteurs confondus. Or on estime que 75 pourcents des déchets de démolition (en poids) possèdent une valeur résiduelle qui pourrait être mieux utilisée si on pouvait les réinjecter dans le bâti par réutilisation ou recyclage (Ellen MacArthur Foundation, 2013).

Le BIM

Dans la littérature, plusieurs définitions du BIM existent. La lettre « M » de l’acronyme « BIM » a en effet plusieurs significations. Dans le BIM signifiant « Building Information Model », le « M » fait référence à un modèle numérique ou base de données. Lorsqu’on parle de « Building Information Modelling», il s’agit d’un processus ou une méthode de structuration des données. Finalement, le « Building Information Management » désigne une gestion des flux d’informations ainsi créées (Le-Moniteur, 2014).

A l’heure actuelle, la définition « Building Information Modelling » est la plus couramment utilisée car elle fait d’avantage référence au processus de construction et à la méthodologie avant d’être principalement assimilé à une modélisation 3D ou à un outil informatique. Car le BIM n’est pas un logiciel mais bien un processus (complexe) de travail collaboratif. L’aspect technologique de ce processus est effectivement fondamental, mais il n’est pas le seul à considérer : l’information générée est le pilier du système (De Maestri, 2017).

Selon Lennert Rasking, le BIM est « un processus intégré qui permet aux professionnels de la construction de concevoir un projet numérique, de le développer, de l’explorer et de le corriger avant qu’il ne soit construit» (Rasking & Decroos, 2017, p12). Le processus BIM bouleverse fondamentalement la façon de travailler de tous les intervenants du secteur de la construction  . Aussi bien lors de la conception que de l’exploitation du bâtiment. Cette méthode de travail rassemble tous les partenaires d’un projet autour d’une maquette numérique 3D d’un bâtiment qui intègre toutes les caractéristiques des éléments composant ce bâtiment (Rasking & Decroos, 2017).

Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE I: ETAT DE L’ART
1. DEUX PISTES DE SOLUTION POUR EVITER LES DECHETS DE DECONSTRUCTION
1.1 L’ECONOMIE CIRCULAIRE
1.2 LE BIM
2. L’ECONOMIE CIRCULAIRE
2.1 EXEMPLES DE PRATIQUES ANCIENNES DE REEMPLOI
2.2 LES FREINS ACTUELS AU REEMPLOI
2.3 LES THEMATIQUES DE L’ECONOMIE CIRCULAIRE DANS LE SECTEUR DE LA CONSTRUCTION
2.3.1 Urban mining
2.3.2 Modèles économiques d’une construction circulaire
2.3.3 Concevoir et construire circulaire
2.4 L’INFLUENCE DU REEMPLOI SUR LES DIFFERENTS CORPS DE METIERS
1. LE BIM
3.1 LES CONCEPTS ET JARGON DU BIM
3.2 ANALYSE D’UTILISATION
4. LE BIM EN TANT QUE SUPPORT DE L’ECONOMIE CIRCULAIRE
4.1 L’EVOLUTION DU BIM VS L’EVOLUTION DU DEVELOPPEMENT DURABLE
4.2 CONVERGENCE DE L’EVOLUTION DU BIM ET DE L’ECONOMIE CIRCULAIRE
4.3 EVOLUTION DU BIM DURANT LES DIFFERENTES PHASES DU PROJET
4.4 AUTRES OUTILS POUR FAVORISER L’ECONOMIE CIRCULAIRE
5. CONCLUSIONS ET QUESTIONS DE RECHERCHE
PARTIE II : QUESTIONNAIRE EN LIGNE
2.1 METHODOLOGIE
2.2 DESCRIPTION DE L’ÉCHANTILLON
2.3 RÉSULTATS
2.3.1 ECONOMIE CIRCULAIRE
2.3.2 BIM
2.3.3 COMBINAISON BIM ET ÉCONOMIE CIRCULAIRE
2.4 DISCUSSION
2.5 CONCLUSION
PARTIE III : ENTRETIENS D’APPROFONDISSEMENT
5.1 METHODOLOGIE
5.2 RENOVATION ET EXTENSION D’UNE MAISON UNIFAMILIALE ET PARTIE PROFESSIONNELLE
5.3 RENOVATION D’UN IMMEUBLE DE BUREAUX
5.4 RENOVATION D’UNE MAISON INDIVIDUELLE SUR BASE D’UN SCAN 3D
5.5 RENOVATION D’UN HOTEL DE VILLE ET CONSTRUCTION D’UN PETIT COMPLEXE DE BUREAUX
5.6 COMPLEXE DE SOIXANTE LOGEMENTS
5.7 CONCLUSION DES ENTRETIENS
DISCUSSION
CONCLUSION

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