Le cèdre, entre conservation, développement territorial et appropriation politique : une histoire libanaise (le cas de la Réserve du Chouf)

Le cèdre, entre conservation, développement territorial et appropriation politique 

Un contexte particulier : le désintéressement des chercheurs en SHS pour les questions forestières au Liban 

 Une effervescence récente dans les recherches autour de l’arbre dans le monde 

Dans l’histoire de l’humanité, l’arbre, isolé ou en groupe, nous est tellement familier que nous interrogeons peu les valeurs qu’il incarne implicitement, ni la façon dont sa connaissance, ou simplement sa fréquentation, peut influencer nos rapports avec notre environnement (Galochet et Simon, 03). Du côté des scientifiques, si l’arbre a depuis longtemps interpellé des disciplines comme la biologie et l’écologie, ce n’est que récemment qu’il a suscité un véritable engouement, toutes disciplines confondues, intérêt qui n’est dû qu’en partie à la montée en puissance de la question environnementale : l’arbre occupe aujourd’hui une place importante dans les travaux menés en géographie, en anthropologie, en histoire, en philosophie, en esthétique, en littérature, en poésie, pour ne citer que ces disciplines. Chacune en propose une (ou des) approche spécifique qui tente de cerner et d’exprimer la multiplicité des relations d’interdépendance entre l’homme et l’arbre. De nombreux champs, inédits, y apparaissent : la mythologie, la mystique, la symbolique… Cette effervescence touche aussi, bien évidemment, des questions liées à la forêt. Le rôle des sociétés dans l’état actuel des massifs forestiers tient une grande place dans les recherches, et il apparaît comme un fait indéniable que chaque société a imposé sa marque, plus ou moins durable, sur l’évolution et le fonctionnement des espaces forestiers, y compris dans les endroits les plus reculés et les moins peuplés de la planète. Une réalité bien expliquée pour l’Amazonie avec les recherches en écologie historique (Denevan, 1992 ; Balée, 1999 ; Rostain, 16), et que l’anthropologue Philippe Descola confirmera, dans d’autres termes, dans son ouvrage « la Nature domestique » (1986). De la forêt, on passe vite à la question de la « nature » : Michel Lussault (07), par exemple, explique que chaque société invente sa propre nature en lui accordant parfois une valeur morale et idéologique, émotionnelle, spirituelle, culturelle, voire territoriale et politique, ce qui participe à la présenter et à l’organiser. L’examen de ces différentes valeurs permet en retour de mieux comprendre les comportements des hommes vis-à-vis de leur milieu naturel et de ses ressources. Pour la discipline dans laquelle nous nous inscrivons, la géographie, l’arbre peut être abordé de multiples façons : comme un élément d’un paysage, comme élément structurant dans le cadre d’un diagnostic écologique, comme un facteur d’appropriation foncière, comme un témoin de relations historiques et sociales complexes, etc. Mais pour les géographes de quel type d’arbre s’agit-il ? Contrairement à d’autres disciplines qui peuvent aborder l’arbre dans son individualité, la géographie préfère généralement à l’arbre « en groupe » et dans son environnement, c’est-à-dire qu’elle étudie plutôt la forêt que l’arbre. Cette forêt peut être abordée comme un « écosystème forestier », où l’arbre est en interaction avec d’autres individus (animaux et végétaux) et forme des populations ou des « formations végétales » typiques de tel ou tel paysage, ou de tel ou tel environnement. Elle peut aussi être vue à travers ses usagers, « les Hommes » qui ne cessent depuis la nuit des temps de la façonner, de l’utiliser et d’exploiter ses ressources et son espace. C’est là une des spécificités fortes de la géographie : à la charnière entre sciences sociales et sciences de la nature, elle peut embrasser l’arbre et la forêt sur un continuum qui part du biologique pour arriver à l’Homme et à la société. Elle peut ainsi rendre compte des évolutions récentes des relations de l’Homme à la forêt : après une longue histoire au cours de laquelle la forêt a été perçue comme un réservoir inépuisable de ressources, prodiguant ce dont les hommes avaient besoin pour leur vie quotidienne et leur agriculture, puis pour le développement économique (Voisin, 14), 21 on a vu, récemment, leur finitude. Pour contrer l’exploitation effrénée qui a accéléré la destruction de nombreux massifs forestiers, les sociétés mettent en avant des qualités comme la patrimonialité ou la biodiversité pour justifier le besoin de les protéger (Arnould, 00 ; Galochet et Simon, 03 ; Michon et Moizo, 11). Pour les géographes, cette évolution représente donc un intérêt considérable et un champ idéal d’investigation des relations entre nature et société (Galochet et Simon, 03). La géographie dite « sociale » va s’intéresser à comprendre le rôle des forêts dans l’évolution des paysages, dans les transformations sociales et économiques des sociétés qui les environnent, et dans la mise en valeur du milieu à travers l’histoire (Dresch, 1984), ou encore dans l’organisation des espaces qui sont le fruit d’une production sociale issue des actions et des relations humains/nature en évolution permanente (Marty, 04). En abordant aussi les dimensions historiques de la forêt, les géographes cherchent les traces des modes de gestion passés, encore visibles aujourd’hui dans les structures forestières, en révélant des modèles sylvicoles hérités et des traditions forestières marquées (Husson, 1988). En Méditerranée particulièrement, les études réalisées ces dernières décennies sur ses forêts sont nombreuses et il est fort probable que ce thème suscitera encore d’avantage d’intérêt dans l’avenir. Par les fortes spécificités des conditions climatiques et territoriales dans lesquelles elles s’inscrivent, les forêts méditerranéennes font office de « laboratoires du développement » et d’espace de référence, en particulier pour des questions liées aux effets du changement climatique ou à l’urbanisation. C’est en Méditerranée, où les forêts sont des espaces fragiles, souvent résiduelles, et très largement anthropisées, que l’on aborde le mieux les questions liées à l’avenir des forêts sur cette planète en surchauffe et où l’urbanisation atteint des campagnes longtemps laissées pour compte et préservées. 

Au Liban, les sciences sociales et humaines ne sont pas au rendez-vous

 Malgré un patrimoine forestier qui a marqué l’histoire des civilisations méditerranéennes depuis la Haute Antiquité, les études en sciences humaines et sociales sur les forêts du Liban sont jusqu’à présent quasi inexistantes. Ce vide concerne aussi l’emblème du pays, le cèdre : malgré sa valeur économique, qui a marqué l’histoire jusqu’à aujourd’hui ; malgré le rôle qu’il maintient encore dans les pratiques religieuses des communautés montagnardes ; ou encore malgré son importance symbolique et la place qu’il occupe dans la mémoire collective des Libanais, que l’on retrouve dans les domaines aussi bien religieux que littéraires ou patriotiques ; malgré, enfin, les dynamiques récentes qui visent sa protection. Cette absence des chercheurs libanais en sciences humaines et sociales (SHS), sur la question des forêts ou sur celle du cèdre cache en fait un désintérêt majeur pour la grande question des relations entre sociétés et nature : les SHS au Liban restent cantonnées à des questions classiques du champ social pur et dur, en lien direct avec les évènements socio-politiques qui ne cessent d’ébranler le pays, et sur lesquelles nous reviendront un peu plus loin Quelques chercheurs occidentaux se sont intéressés à l’histoire du cèdre, pour documenter en particulier l’exploitation intensive de son bois, matériau de construction le plus apprécié du monde antique, ou encore pour rendre compte du caractère mythique et symbolique de l’arbre dans les civilisations antiques1 . Ces recherches, qui sont majoritairement le fait d’archéologues, ont contribué à apporter des connaissances sur l’ensemble des qualités que les civilisations antiques ont conférées au cèdre dans leur vie sociale, religieuse et économique, ainsi que sur son rôle stratégique dans la géopolitique de la région. Cependant, ces recherches historiques sur le cèdre, qui couvrent globalement une période allant de l’antiquité au 19ème siècle, ont largement ignoré l’étude des interactions antérieures entre les communautés établies dans les montagnes du Liban dès le 6ème siècle et l’espace forestier des cédraies. Si l’on peut citer quelques études effectuées par des botanistes libanais et occidentaux lors de ces deux dernières décennies principalement, on ne peut que constater que le cèdre du Liban n’a pas jusqu’à présent fait l’objet de réelles études en géographie sociale. Et pourtant, les champs d’investigation et d’analyse ne manquent pas. On peut commencer par citer la question des valeurs attachées au cèdre. Cet arbre emblématique des montagnes du pays est considéré non seulement comme un témoin vivant d’un héritage religieux marqué par l’édification de grands lieux sacrés et par un ensemble des rites religieux en lien avec l’arbre, mais aussi comme une source d’inspiration pour les écrivains et les artistes. Tous les Libanais le glorifient comme LE symbole patriotique, il figure au centre du drapeau national. Ces valeurs en disent long sur les perceptions et la place que les Libanais ont conférées au cèdre dans leurs héritages culturels et religieux. Elles résument 1 Voir les références bibliographiques citées dans le premier chapitre. aussi la valeur des territoires historiques de l’implantation des cédraies, le Mont Liban, et la façon dont les communautés druzes et maronites se sont appropriées l’espace forestier. Sur la question de la gestion de ses forêts, qui constitue, ailleurs, une préoccupation importante de la géographie sociale, là-aussi les chercheurs du Liban n’ont montré aucun intérêt. Pourtant, l’histoire des dynamiques et des déterminants de la gestion forestière au Liban -notamment celle de la cédraie- est particulièrement intéressante. Son étude peut offrir une vision globale sur la société et sur les évolutions de ses rapports avec le milieu naturel. De façon plus ciblée, en révélant les intentions et les lacunes qui ont commandé la protection de la cédraie jusqu’à la genèse des réserves naturelles actuelles (par exemple, aucune analyse des lois relatives à la protection des forêts et de l’environnement n’est encore faite), elle peut également permettre de reconstituer l’histoire de la gestion du patrimoine forestier au fil des politiques publiques et des événements qui ont marqué le pays depuis un siècle. Depuis la création du Grand Liban en 19 par le mandataire français, et jusqu’à la fin de la guerre civile en 1990, la gestion forestière au Liban a été le produit d’un contexte socio-politique dominé à la fois par une idéologie forestière coloniale et par l’absence de l’État et de ses services. Contrairement à d’autres pays méditerranéens, comme le Maroc et la Tunisie, où l’histoire de la foresterie coloniale a été longuement étudiée offrant une production scientifique remarquable (Puyo, 07, 14 ; Ajili et Yazidi, 07 ; Davis, 13), le Liban semble ne pas avoir trouvé jusqu’à aujourd’hui de chercheurs intéressés à étudier cette période de son histoire forestière et ses effets sur les politiques forestières qui vont se succéder. La gestion des forêts durant la période de la guerre civile (1975-1990) serait aussi intéressante à étudier en détail, en particulier pour comprendre le rôle et l’ampleur de l’implication des « leaders communautaires » dans l’évolution et l’émergence des actions de conservation, et plus tard de développement dans les régions concernées. C’est une question typiquement libanaise qui peut sembler anecdotique au regard des évènements dramatiques sur le plan social et politique qui ont eu lieu dans le pays. Néanmoins, divers types de gestion « civile » ont émergé dans certaines régions, en l’absence des instances publiques (l’Administration forestière) et avec l’interruption du travail des conseils municipaux. Répertorier les régions où cette gestion a pris la forme de mesures de conservation permettrait d’établir un bilan sur la nature des relations que la population locale a entretenues avec les forêts en général et avec le cèdre en particulier dans un contexte de guerre, et sur l’engagement de certains acteurs, surtout les notables sur leurs territoires respectifs, pour la cause forestière (ou celle du cèdre). Ces études éclaireraient sans doute d’une lumière intéressante et originale la question de la place des forêts et de leur gestion dans le pays. Le développement de la question environnementale au Liban mériterait aussi d’être étudié en détail. Dans les années 1990, le Liban connaît en effet une période d’« effervescence verte » due au développement d’un réseau d’associations dites « civiles », surtout situées dans la capitale et dans les principales villes du pays. Ces associations se sont imposées comme porte-parole et expertes du problème écologique en général, et du débat international autour de la conservation de la nature en particulier. Cette effervescence est également marquée par l’émergence d’un autre type d’associations, qu’on pourrait qualifier de « partisanes », créées par des leaders communautaires (voir les détails dans le 5ème chapitre), mais cette fois-ci dans les régions montagneuses de l’arrière-pays, comme dans les montagnes du Chouf, où le leader s’était impliqué dans la protection des cèdres pendant la guerre et a contribué à la création des premières réserves naturelles dans le pays. Nous n’avons relevé que trois études menées sur ce sujet (Kingston, 01 ; Chatelard 11 ; Sodberg, 14). Toutes trois se sont plutôt concentrées sur le contexte général qui a favorisé l’émergence de ces associations « partisanes », sur le rôle qu’elles ont joué dans le traitement et la gestion de la question environnementale au Liban et surtout sur leur légitimité et le champ de leurs actions par rapport aux autres acteurs que sont l’État et les municipalités. Elles s’interrogent sur l’existence d’une « société civile » dans le champ de la conservation au Liban, et sur ses rapports éventuels avec l’État, comme cela a pu se faire ailleurs, en particulier dans le champ de la political ecology (Gautier et Benjaminsen, 12). Nous y reviendrons par la suite. La première de ces études, menée il y a plus d’une vingtaine d’années sur plusieurs réserves naturelles, propose une analyse de la gestion effectuée par ces associations, en la replaçant dans le cadre d’une critique des formes de conservation en lien ou initiées par les leaders politiques. Elle présente ces implications des leaders et de leurs associations comme un moyen de monopoliser et de contrôler les activités environnementales et leurs financements, provenant en général de bailleurs de fonds internationaux, et d’en exclure la société civile et l’État (Kingston, 01). Nous reviendrons aussi plus longuement sur les conclusions de ce travail. La troisième étude remonte à 12, elle se concentre sur la Réserve de Biosphère du Chouf, créée en 05. Plus modérée et moins partisane que la première étude, plus axée aussi sur des observations de terrain, elle néglige toutefois les interactions des populations locales avec les forêts, d’une part, et avec les gestionnaires de la conservation, d’autre part (Sodberg, 14). Depuis Cette étude, il n’existe à notre connaissance plus aucune production scientifique sur les modalités de la conservation des forêts résiduelles au Liban, sur la dynamique des acteurs impliqués, leurs stratégies, ou sur les interactions de la population locales avec la nouvelle organisation de l’espace protégé. Ce déficit considérable d’études sur les rapports entre forêts et sociétés, et, plus largement, sur les rapports entre société et nature au Liban, reflète aussi l’absence d’intérêt et de pratique de l’interdisciplinarité au sein des universités libanaises. Mais il s’explique surtout par le surinvestissement des chercheurs en SHS sur des questions liées aux dysfonctionnements chroniques du pays. C’est surtout parce qu’elles restent influencées par les événements politiques et sécuritaires, en partie par ceux qui ont eu lieu durant ces dernières quatre années, que les universités libanaises en SHS n’ont pas pu, jusqu’à présent, réaliser un véritable investissement sur les sujets en lien avec la nature. Ce qui n’est pas étonnant vu l’ampleur des problèmes sociaux au Liban et le manque de priorité que l’État leur accorde dans ses politiques publiques. Ainsi, à l’Institut des Sciences Sociales de l’Université Libanaise, fondé en 1959, la recherche se cristallise principalement sur les problèmes actuels de la société libanaise, comme les droits sociaux des travailleurs, l’éducation, l’impact social des réfugiés syriens ou les droits des femmes. L’étude des liens entre l’environnement naturel et la société est absente de la liste de ses préoccupations scientifiques. Il faut savoir aussi que ces recherches font généralement partie de programmes et de projets financés par les organisations internationales et les bailleurs de fonds (l’UNICEF, l’USAID, le PNUD) qui viennent pallier l’insuffisance étatique dans le domaine. Il faut néanmoins souligner que, devant l’importance que prennent certains problèmes environnementaux, en particulier autour de l’eau et de ses pollutions, la recherche commence à se mobiliser. Ainsi, des études réalisées sur la difficulté de mise en place d’une politique nationale pour la gestion de l’eau ont mis en évidence les facteurs qui ne cessent pas d’influencer la gestion de la ressource hydraulique par les services de l’État, et qui sont relatifs à la question foncière, et à l’organisation sociale, politique et économique du pays. Ces études doivent être considérées comme une première avancée dans le domaine des recherches en sciences humaines et sociales sur le milieu naturel et ses ressources. On peut ici citer les travaux du géographe français Stéphane Ghiotti et de l’économiste libanais Roland Riachi (Ghiotti et Riachi, 13). Ces chercheurs ont contribué à apporter des connaissances sur les facteurs socio-politiques et économiques qui entravent la mise en place de politiques qui prennent en compte l’aspect environnemental dans la gestion et l’aménagement de la ressource en eau au Liban. Cependant, à part cette étude, aucune autre question liée à l’environnement n’ai fait jusqu’à présent l’objet d’étude en sciences humaines sociales, même si les sujets ne manquent pas Liban : on pourrait citer l’exemple des carrières et de la destruction des paysages dans les montagnes, ou celui de la pollution des côtes littérales et de son impact sur l’activité socioéconomique des pêcheurs. 

L’émergence d’un sujet/objet à multiples facettes 

Notre travail s’inscrit dans ce contexte d’important déficit scientifique sur la question environnementale au Liban en général, et sur la conservation en particulier. Nous avons vu que, dans ce domaine, tout reste à faire, ou presque. Pour apporter notre pierre à l’édifice qui reste à construire, nous avons décidé de mener nos recherches sur les dynamiques, passées et en cours, autour du cèdre, l’emblème du Liban. Pourquoi ce choix ? Le cèdre, nous allons le voir, est un arbre emblématique des dynamiques forestières observées dans le bassin méditerranéen, contraintes à la fois par les forts besoins en bois d’œuvre de la région depuis la haute Antiquité – et donc soumises à des pressions intenses depuis longtemps -, et par les modalités de l’élevage pastoral, très dépendant des ressources fourragères des forêts. Il est aussi emblématique de la conservation au Liban : les forêts de cèdre sont les premières forêts du pays qui aient fait l’objet d’efforts de conservation dédiés. Depuis la haute Antiquité, le cèdre marque en effet l’histoire des civilisations méditerranéennes : Égyptiens, Assyriens, Babyloniens, Phéniciens, Grecs et Romains ont amplement convoité son bois, que ce soit pour leur flotte, marchande et guerrière, pour l’édification des temples ou des grands bâtiments du pouvoir, ou pour la fabrication de petites structures de nature sacrée comme les sarcophages. Intensément exploité, il a aussi fait l’objet de tentatives diverses et variées de protection ; (à commencer par l’empereur Hadrien 117-138 après J.-C) qui a tenté de réguler l’exploitation des forêts de cèdres en les inscrivant dans le domaine impérial. L’arrivée de communautés persécutées dans les pays limitrophes qui trouvent refuge dans les montagnes du Mont-Liban et cherchent à y développer leur économie agropastorale va soumettre pendant plusieurs siècles les forêts de cèdres à d’autres pressions, plus locales mais aussi intenses : défrichements pour la mise en culture, élevage de petits ruminants (Harfouche et al., 15). Malgré toutes ces pressions, le cèdre a résisté : au commerce, à l’agriculture, au pillage, à la guerre civile. Et même s’il ne reste aujourd’hui de ces vastes forêts antiques que quelques individus disséminés qui couronnent les sommets des montagnes libanaises, le cèdre est devenu, depuis la proclamation du Gand Liban, l’emblème de tout le pays : la communauté maronite, devenue politiquement dominante sous le Protectorat français, qui revendique le cèdre comme symbole sacré et lié à son existence au Liban, a demandé qu’il orne le premier emblème du pays, le drapeau national (Moussalem, 19). Le cèdre est aussi le seul arbre qui ait vraiment fait l’objet de mesures de conservation dans le pays. Depuis le mandat français en 19 jusqu’à aujourd’hui, les politiques forestières attestent en effet d’un intérêt particulier pour cette espèce. Toutes les cédraies résiduelles sont déclarées propriétés domaniales ou communales et soumises à la gestion de l’État et de ses représentants. Plusieurs campagnes de reboisement en cèdres ont été mises en œuvre dans les années 1960-70, et trois massifs sont devenus « réserves forestières nationales » en 1996 : les forêts de Ehden, de Tannourine et du Chouf. Cette dernière est devenue Réserve de Biosphère en 05. Elle constitue le sujet central de notre travail. Il s’agit de la plus grande réserve du pays : elle couvre près de 5,3% de son territoire. Elle abrite trois forêts résiduelles de cèdres, qui représentent à elles seules plus de 30% de la cédraie nationale. Mais ce qui a été déterminant dans notre choix pour cette réserve, c’est sa dynamique exemplaire de conservation et de développement, qui l’a consacrée comme l’un des sites de conservation les plus réussis du Moyen-Orient (Solberg, 14). La Réserve naturelle des cèdres du Chouf a par exemple obtenu en novembre 18 le certificat de l’UICN « Green List of Protected and Conserved Areas », une certification délivrée aux aires protégées qui démontrent de bons résultats en matière de conservation grâce à une gestion « efficace et équitable », « avec un impact positif sur les populations et la nature » 2 (carte 1). 

Table des matières

Remerciements
Préambule
Introduction.
1. Un contexte particulier : le désintéressement des chercheurs en SHS pour les questions
forestières au Liban
1.1. Une effervescence récente dans les recherches autour de l’arbre dans le monde
1.2. Au Liban, les sciences sociales et humaines ne sont pas au rendez-vous.
2. L’émergence d’un sujet/objet à multiples facettes
3. Démarche et méthodologie
3.1. Revue des archives et de la littérature
3.2. Le déroulement du travail sur le terrain
3.3. Des entretiens qualitatifs
3.4. L’observation directe non participante et l’observation participante
3.5. La mobilisation d’impressions visuelles et de supports iconographiques
4. Présentation du manuscrit
Chapitre I. Le Cèdre, roi des montagnes
Introduction
1. Sur les pistes du cèdre, de l’Antiquité au ème siècle
1.1. Des bateaux chargés de bois de cèdres vers l’Égypte ancienne
1.2. Les Assyriens et les laborieuses expéditions vers les montagnes de cèdres
1.3. Les premiers chemins forestiers construits par les Babyloniens
1.4. Les Perses requièrent le bois de cèdre pour défendre leur empire
1.5. Le cèdre fait la richesse de la Phénicie
1.6. Des inscriptions et des écrits de pays voisins attestent la provenance de cèdres du Liban
1.7. Chez les Grecs, les comptes d’approvisionnement introduisent la confusion sur l’appellation « cèdre »
1.8. La mise en réserve de cèdres par l’empereur Hadrien
1.9. Les dynasties musulmanes en quête de cèdres
2. Le cèdre au cœur des mythes et de l’exaltation religieuse
2.1. Il était une fois Gilgamesh
2.2. À l’image des Hommes et de Dieu
2.3. La littérature sous le charme du cèdre
2.4. Le symbole d’une mémoire collective
3. La place du cèdre dans l’appropriation progressive du territoire montagnard
3.1. La conquête des montagnes par des « réfugiés politiques »
3.2. La structuration socio-politique de la communauté Druze
3.3. L’édification du régime foncier
3.4. – De l’Émirat à la Mutassarifiya : la montée en puissance de Maronites
3.5. Le Grand Liban du Mandat-français de -43 : le Montagne au cœur du nouvel État
3.6. Comment l’histoire du cèdre vient-elle appuyer la revendication du territoire par les Maronites ?
3.7. Après la Montagne, les Druzes intègrent le cèdre dans une nouvelle appropriation territoriale
4. Conclusion
Introduction
1. La gestion des forêts libanaises jusqu’au  l’appropriation par l’État d’une pensée forestière héritée du modèle colonial
1.1. L’ébauche d’une législation forestière sous le protectorat français
1.2. Le premier code forestier de 49 et les modes d’intervention publique
1.3. L’État cède ses forêts
1.4. Le contexte forestier national à la veille de la guerre civile
2. L’émergence de nouveaux acteurs sur la scène de la protection forestière
2.1. La gestion forestière dans le tourment de la guerre civile
2.2. La nouvelle configuration du pouvoir local
2.3. Les cèdres sous haute surveillance
2.4. Le « reboisement politique »
3. Les forêts au carrefour du débat écologique international et des nouvelles politiques de l’environnement
3.1. L’émergence des associations environnementales
3.2. La reformulation de la politique forestière au Liban
3.3. La réorganisation du service forestier
3.4. Les institutions publiques et l’enjeu environnemental : une mission inaccomplie
4. Conclusion
Chapitre III. De la réserve intégrale à la gestion intégrée. Les pratiques appropriées et négociées de la conservation de l’environnement
Introduction
1. Raconter les paysages, une histoire à la fois
1.1. De Beyrouth à l’entrée de la Réserve : des paysages discordants
1.2. Le versant ouest de la Réserve : une mosaïque paysagère aux multiples facettes
1.3. Le versant Est de la Réserve : changement de décor, la plaine n’est pas si loin
2. La restauration des paysages à l’ordre du jour
2.1. Chênes de Dalboun, concilier l’économie et l’environnement
2.2. Paysage agricole, activité socio-économique et conservation de la biodiversité : la restauration des terrasses bat son plein
2.3. Pastoralisme et paysage : dans la perspective d’un consensus
2.4. Les forêts de cèdres : le défi du reboisement
2.5. Le bouquetin de Nubie réintègre les sommets du Chouf
2.6. Protéger et replanter, les premiers pas vers la restauration des marécages d’Aammiq
3. Vers la socialisation de la conservation : une démarche interactive
3.1. Considération écologique, symbolique ou socio-économique, l’un ne va pas sans l’autre
3.2. L’institutionnalisation du paysage : les politiques publiques manquent au devoir
4. Conclusion
Chapitre IV. Mutations environnementales et dynamiques territoriales. Vers une dynamique de développement territorial et de requalification de l’arrière-pays
montagnard
Introduction
1. Les spécificités locales : le nouveau pilier du développement local
1.1. Le savon : dis-moi comment tu le fabriques et je te dirai d’où tu viens ?
1.2. De la culture à la distillation, entre nouveauté et tradition : la lavande révèle sa spécificité
1.3. Les carreaux de ciment : il n’est jamais trop tard pour (re)trouver sa spécificité
1.4. Les Produits de Parc : un hymne au partage des traditions et des savoir-faire
2. Le tourisme se réinvente
2.1. La réappropriation des chemins oubliés : une nouvelle vision du territoire
2.2. Patrimoines et traditions, les invités d’honneur des foires à thèmes
2.3. Des artistes et des artisans au centre des liens émergents entre nature, culture et territoire
2.4. L’hébergement : un accueil et une convivialité plus authentiques
3. L’organisation des acteurs locaux : des nouvelles modalités d’organisation sociale au cœur
des dynamiques territoriales
3.1. Création
3.2. Incitation et accompagnement
3.3. Amplification
3.4. Coordination
4. Conclusion
Chapitre V. Gérer la conservation dans le contexte socio-politique libanais : patronage et flexibilités organisationnelles
Introduction
1. Le communautarisme religieux : d’un système de gouvernement à la question
environnementale
2. La Montagne et la communauté druze : histoire d’une géographie et d’un pouvoir
2.1. De la persécution à l’appropriation d’un territoire : les grandes lignes de l’histoire de la communauté druze
2.2. De père en fils : la politique, une affaire de famille
2.3. Centralité urbaine, marginalisation rurale : les autres raisons d’une légitimité accrue des leaders territoriaux
3. L’engagement des Joumblatt dans la conservation des forêts de cèdres, entre héritages
familiaux, convictions personnelles, actions directes et projet socio-politique
3.1. De la conviction personnelle à l’action directe : une évolution adaptative
3.2. L’environnement : le nouveau champ d’un projet socio-politique
4. La gestion en pratique : une flexibilité imposée par le contexte
4.1. Association, État, municipalités : les petits arrangements de l’APAC
4.2. La gestion pratique de la Réserve : une « gestion sous patronage »
5. Conclusion
Conclusion .
Références Bibliographiques
Annexe 1
Annexe 2
Annexe 3
Annexe 4

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