LE CORTEX PRÉFRONTAL ACTEUR CENTRAL DANS LA TOLÉRANCE ET LA POURSUITE DE L’EXERCICE

LE CORTEX PRÉFRONTAL ACTEUR CENTRAL DANS LA TOLÉRANCE ET LA POURSUITE DE L’EXERCICE

Le fonctionnement du CPF a largement été associé au fonctionnement cognitif supérieur (Domenech & Koechlin, 2015 ; Miller & Cohen, 2001). Si son rôle dans la prise de décision a été précédemment souligné, il implémente aussi d’autres fonctions exécutives  (Diamond, 2013). Les fonctions exécutives permettent la manipulation mentale d’informations, la planification, la réflexion nécessaire à la réalisation adaptée d’une action, l’adaptation à des événements inédits ou imprévus, la résolution de problèmes ou encore l’orientation de nos ressources attentionnelles (Diamond, 2013 ; Hyland-Monks et al., 2018 ; Volle & Levy, 2014). Dans la littérature scientifique, les fonctions exécutives principales sont l’inhibition (résister à l’impulsivité, inhiber la réponse comportementale associée aux tentations et résister aux distractions pour rester concentré), la mémoire de travail (garder l’information à l’esprit pour pouvoir l’inclure dans le travail mental), et la flexibilité cognitive (la capacité à s’adapter aux circonstances changeantes, à élaborer une pensée créative, à voir les choses sous différentes perspectives) (Diamond, 2013). Dans des situations inédites, changeantes, où lorsque les comportements automatiques ne sont plus appropriés, ces fonctions permettent à l’individu de régulerson comportement en adéquation avec ses besoins, ses buts et les contraintes environnementales (Alvarez & Emory, 2006 ; Volle & Levy, 2014). Le rôle du CPF dans le comportement contrôlé et l’autorégulation est notamment sous-tendu par ses propriétés anatomiques de connectivité qui lui permettent d’accéder à diverses informations sur l’état interne et externe du système (Fuster, 2001 ; Miller & Cohen, 2001 ; Volle & Levy, 2014). Cette structure constitue en effet une interface entre les régions d’intégration sensorielle, les régions de la mémoire, des émotions, des récompenses, de l’homéostasie et les régions motrices et décisionnelles (Miller & Cohen, 2001). Pour Miller & Cohen (2001), le CPF remplit une fonction spécifique dans le contrôle cognitif en assurant le maintien actif du pattern d’activité qui représente les objectifs et les moyens de les atteindre. De manière similaire, des auteurs indiquent que les fonctions exécutives contribuent particulièrement aux processus d’auto-régulation en permettant à l’individu de surmonter les obstacles et de résister aux tentations rencontrés (Hofmann, Schmeichel, & Baddeley, 2012). Enfin, le contrôle cognitif impliquant le CPF sous-tendrait 64 la capacité d’un individu à facilliter ou inhiber des stimuli susceptibles d’influencer sa réponse affective et comportementale (Ochsner & Gross, 2005). Envisager l’implication du CPF dans la régulation de l’effort physique suscite ainsi une curiosité quant aux mécanismes neurocognitifs veillant à la poursuite de l’exercice tout en s’adaptant à l’accumulation inévitable des coûts estimés qui lui sont associés. La prochaine partie mettra en évidence une implication de plus en plus probable de cette région corticale dans le maintien d’un effort fatigant.

UNE IMPLICATION DE PLUS EN PLUS ÉVIDENTE DU CPF AU COURS DE L’EFFORT PHYSIQUE PROLONGÉ

Un nombre conséquent d’études empiriques a souligné l’implication du CPF dans le maintien d’un effort physique soutenu. Les études investiguant l’activité corticale à l’aide de la neuroimagerie ont observé l’engagement de structures préfrontales au cours de contractions musculaires soutenues. Une étude utilisant l’IRMf a par exemple indiqué une augmentation régulière de l’activité du cortex préfrontal sur des tâches de préhension sous-maximales (continues et intermittentes) conduites à 30% de MVC (Liu et al., 2003). Selon les auteurs, cette réponse représenterait l’augmentation de l’activité cérébrale nécessaire à la poursuite de l’effort et au traitement d’informations sensorielles supplémentaires induites par la fatigue. D’autres recherches ont aussi suggéré que l’activité du CPF refléterait l’implémentation de processus permettant de surmonter l’apparition de la fatigue (Dettmers et al., 1996). Cette interprétation a été formulée à partir de résultats révélant une corrélation significative entre l’activité du CPF dorsolatéral enregistrée par tomographie par émission de positons (TEP) et la durée de contractions sous maximales des fléchisseurs de l’index. Comme abordé en section 1.3.3., une étude utilisant l’EEG a aussi souligné que l’activation des régions préfrontales était sensible à la présence de fatigue après avoir comparé la dynamique d’activité corticale au 65 cours de deux conditions plus ou moins fatigantes (Liu et al., 2007). Il a également été observé de manière consistante, que l’hémoglobine oxygénée, un indicateur fiable de l’activité cérébrale enregistrée par NIRS (Perrey, 2008), augmentait au sein du CPF pendant un exercice soutenu impliquant le corps entier (pour une revue, voir Rooks et al., 2010) et diminuait juste avant l’épuisement (Bhambhani, Malik, & Mookerjee, 2007 ; Rupp & Perrey, 2008 ; Tempest, Eston, & Parfitt, 2014) (figure 7).

LE CPF COMME GOUVERNEUR DÉCISIONNEL DU MAINTIEN DE L’EFFORT : CENTRE D’INTERPRÉTATION DES COÛTS ET DES BÉNÉFICES ASSOCIÉS À L’EXERCICE PHYSIQUE

Alors que l’activité du CPF s’avère déterminante dans la poursuite de l’exercice, son implication au travers d’une comparaison stratégique d’informations psychologiques (e.g., des récompenses) et physiologiques (e.g., sensations de fatigue) guidant les décisions relatives à l’arrêt de l’exercice est également présumée. Désireux de préciser les voies cérébrales impliquées dans le maintien de l’effort, Robertson, Marino (2016) et McMorris et al. (2018) établissent un lien entre l’activité du CPF et la régulation de l’exercice. Le CPF est ainsi positionné au centre d’une réseau neuronal capable de moduler la tolérance à l’exercice 70 physique et de conditionner la commande motrice via l’intégration d’informations cognitives et périphériques influençant la prise de décision. Robertson et Marino (2016), proposent que les signaux physiologiques afférents puissent être intégrés et interprétés en fonction de facteurs internes et externes présents dans l’environnement lors de l’exercice (figure 9). L’interprétation de ces facteurs favoriserait l’élaboration d’une réponse pertinente au cours de l’exercice en engendrant une régulation descendante, qui permettrait, dans certaines situations, d’outrepasser les coûts de l’effort (les signaux de fatigue) et de prolonger la sortie motrice (Robertson & Marino, 2016). Pour ces auteurs, le feedback afférent provenant du système spinothalamique atteint le COF (Craig, 2002), au même titre que les informations relatives à la perception générale de l’état corporel (via la co-activation de l’insula et du cortex cingulaire antérieur). En plus de ces informations physiologiques, les auteurs indiquent que la région orbitofrontale est en mesure d’intégrer une pluralité d’informations psycho-motivationnelles associées à l’exercice, afin d’évaluer l’utilité de l’action entreprise. Cette structure corticale traiterait, à la fois, des réponses émotionnelles et motivationnelles en réponse aux stimuli présents dans l’environnement, pour réguler la commande motrice. Les signaux physiologiques relatifs à l’exercice (révélateurs des coûts de l’effort) pourraient ainsi être interprétés au regard de facteurs psychologiques comme la présence d’autres compétiteurs, les objectifs fixés ou les récompenses engagées (révélatrices des bénéfices). De manière similaire à ce qui a pu être suggéré dans la littérature s’intéressant aux décisions coûts/bénéfices (Boksem & Tops, 2008 ; Floresco & GhodsSharifi, 2007 ; Meyniel et al., 2013), cette interprétation dépendrait aussi des relations que le COF entretient avec le CCA, le cortex insulaire et d’autres structures dopaminergiques impliquées dans le système de récompense comme l’amygdale. Ce réseau cérébral, permettrait à l’individu d’accéder à l’ensemble des informations physiologiques, motivationnelles et émotionnelles nécessaires à la sélection de la réponse motrice appropriée (Robertson & 71 Marino, 2016). Afin de renseigner le contexte motivationnel dans son ensemble, le CCA fournirait aussi des informations issues des expériences physiques précédentes (Robertson & Marino, 2016). Une fois l’ensemble de ces signaux intégrés et en conjonction avec le CCA et le COF, le CPF latéral déterminerait les différents choix possibles pour sélectionner la réponse pertinente et organiser le comportement (Domenech & Koechlin, 2015). Le plan sélectionné serait ensuite transmis à l’aire motrice supplémentaire et aux ganglions de la base pour adapter la commande motrice. Pour ces auteurs, même si le niveau d’effort perçu et les demandes physiologiques sont élevés, la capacité d’un individu à poursuivre et tolérer l’exercice serait facilitée par l’intégration et l’évaluation d’informations psychologiques au sein du CPF (Robertson & Marino, 2016). Ces informations permettraient ainsi de contrebalancer la présence des coûts de l’effort et de limiter la réponse émotionnelle associée à leur interprétation pour influencer positivement l’élaboration du processus décisionnel. Cet effet pourrait être favorisé par l’utilisation de stratégies cognitives attentionnelles et/ou motivationnelles dirigées vers les signaux motivants (Robertson & Marino, 2016).

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