Le Plan Loire comme formalisation et mise en œuvre d’une nouvelle stratégie

Le Plan Loire comme formalisation et mise en œuvre d’une nouvelle stratégie

À l’issue de la période de contestation des années 80 et 90, le Plan Loire Grandeur Nature est lancé en 1994 par le gouvernement comme planification alternative à celle de 1986. Il s’agit initialement « d’un plan global d’aménagement de la Loire visant à concilier la sécurité des personnes, la protection de l’environnement et le développement économique » 88. À ce jour, le Plan Loire se poursuit puisqu’il a été reconduit dans un premier temps pour la période 2000-2006 puis pour la période 2007 – 2013. Officiellement, ces reconductions sont appelées 2e et 3e volet du Plan Loire. Mais couramment, les dénominations Plans Loire II et III sont utilisées89 . La notion même de « Plan Loire » est à mettre en regard du plan d’aménagement sous-tendu par le protocole d’accord de 1986. Ainsi le Plan Loire est à voir avant tout comme une alternative montée en raison de la mobilisation des associations environnementales, une sorte de contre-plan d’aménagement du bassin. Ce qui fait dire à certains que le Plan Loire est avant tout « une construction opportuniste » (Eureval-C3E & EDATER, 2005). Sans aller si loin, on dira que le Plan Loire est une démarche « incrémentale » qui s’est élaborée, enrichie et complexifiée sur une décennie autour de grands objectifs et selon une volonté continue et partagée par ses acteurs pilotes. Mais présenter le Plan Loire comme une planification stratégique élaborée a priori serait une erreur ; peut-on même parler de plan plus que de programme ? Ce caractère évolutif et « flou » du Plan Loire a pu faciliter l’innovation en terme de prévention du risque d’inondations, notamment en permettant la construction d’une stratégie « Prévision, Prévention et Protection » à l’échelle de la Loire moyenne. La construction de cette stratégie partagée par les 3 acteurs pilotes du Plan Loire (État, Agence de l’Eau et EPALA puis EP-Loire) n’a été possible que par la constitution d’une Équipe Pluridisciplinaire qui a revêtu pendant les deux premiers plans Loire une véritable dimension symbolique : la preuve du caractère concret et surtout coopératif de ce plan. Mais à l’innovation intrinsèque au Plan Loire (accentuée par son caractère précurseur) s’est toujours adjoint l’impérieuse nécessité de diminuer concrètement le risque d’inondation sur le bassin de la Loire en général, en Loire moyenne en particulier. D’autant que, rappelons-le, cette problématique de prévention du risque d’inondation s’est imposée dans les années 1980 comme l’enjeu majeur de l’aménagement du fleuve et donc du Plan Loire. Par conséquent, le Plan Loire oscille depuis ses débuts entre innovation collective d’une part et objectifs de rationalisation, lisibilité, et efficience d’autre part, rendant la problématique de la mise en œuvre d’une stratégie globale de prévention du risque d’inondation centrale pour les acteurs ligériens. 88Relevés de décisions du Comité Interministériel du Plan Loire du 4 janvier 1994. 89Même si ces dénominations sont parfois décriées par les acteurs pilotes du Plan Loire. 99 Le Plan Loire comme formalisation et mise en œuvre d’une nouvelle stratégie

Entre opportunisme et innovation dans la réponse au risque

Un double lancement en 1994 , marqué par des grands objectifs mais l’absence de planification Le Plan Loire Grandeur Nature, officiellement lancé lors du Conseil Interministériel d’Aménagement et de Développement du Territoire (CIADT) du 4 janvier 1994, s’inscrit dans la continuité des deux décisions gouvernementales de 90 et 91 contre le protocole d’accord de 1986. Il s’agit d’un document interministériel donc pleinement étatique, relevant du champ de l’aménagement du territoire. Il entérine les décisions prises par le précédent gouvernement malgré le changement de majorité parlementaire : abandon définitif de Serre-de-la-Fare et suspension des projets de Chambonchard et du Veurdre, recherche d’alternative pour la prévention du risque d’inondation en Haute-Loire et en Loire moyenne. Une approche plus préventive du risque d’inondation est ainsi au cœur de la démarche telle que l’attendaient les associations environnementalistes mais aussi comme la promeut une nouvelle politique étatique depuis le début des années 1990 (cf. partie II). Le relevé de décision du CIADT du 4 janvier 1994 stipule que le Plan Loire « s’inscrit dans le cadre du débat national sur l’aménagement du territoire et dans une perspective de développement durable » (CIADT, 1994). Le Plan Loire entre pleinement dans la tendance à la rencontre de l’aménagement et du développement durable des territoires qui dépasserait les insuffisances du protocole d’accord de 1986, trop « unidirectionnel » ; à ceci près que l’intervention des collectivités locales semble réduite à ce stade à une portion congrue. Dans le détail, ce premier volet du Plan Loire, prévu pour une durée initiale de 10 ans, ne comporte pas véritablement d’objectif en terme d’aménagement et de développement du bassin à l’inverse de ce que préconisait le rapport Chapon. Il s’agit d’une contre-proposition entre les positions défendues par l’EPALA et celles des associations écologistes, qui s’opposaient sur la pertinence d’une politique de grands ouvrages. D’où le qualificatif d’opportunisme qui est aujourd’hui utilisé pour caractériser la première version du Plan Loire (EUREVAL-C3E; EDATER, 2005). Il s’agit avant tout de dépasser une situation conflictuelle après avoir affirmé certains principes dans les décisions gouvernementales précédentes. Les 3 axes retenus pour le Plan Loire répondent aux attentes ou aux craintes exprimées par rapport aux plans d’aménagement précédents : protection des populations face au risque d’inondation ; satisfaction des besoins quantitatifs et qualitatifs en eau ; restauration de la diversité écologique du milieu. Ce premier Plan Loire formalise néanmoins la progression obtenue par les différents gouvernements vers une approche plus globale de la prévention des inondations, dans le cadre de la gestion du conflit entre l’EPALA et les associations écologistes. La régulation des excès du fleuve fait place à une prévention du risque d’inondation qui devient centrale (tableaux 12 et 13). Et les mesures non structurelles (cf. introduction et partie II) sont au cœur des alternatives envisagées à la politique des grands ouvrages, selon les principes d’une politique dite « 3P » c’est-à-dire Prévision, Prévention, Protection » ou plus couramment appelée globale (cf. partie II). 100 Partie I La répartition des objectifs du Plan Loire en matière de prévention du risque d’inondation selon le triptyque « prévision, prévention, protection » se fait comme suit : • Prévision : renforcement des moyens d’alerte et d’annonce, déjà amorcé durant les années 1970 avec la réalisation du réseau Cristal pour la gestion des grands ouvrages, en particulier celui de Villerest • Prévention : identification des zones inondables et contrôle de l’aménagement en zones inondables, déplacement des enjeux les plus exposés • Protection : poursuite du renforcement des levées.

Une équipe pluridisciplinaire pour conduire l’étude globale

L’Équipe Pluridisciplinaire d’Assistance à Maîtrise d’Ouvrage du Plan Loire Grandeur Nature est instaurée par une convention tripartite en octobre 1994 dans la continuité de la charte d’exécution du Plan Loire : « la diversité des sujets traités par le plan « Loire grandeur nature », ainsi que la nécessité reconnue par les trois partenaires d’engager rapidement des études sur certains aspects (entretien et restauration du lit en Loire moyenne avec les éléments d’appréciation des 103 Partie I conséquences des travaux sur les écosystèmes et sur l’écoulement des crues, rehaussement, etc.) les ont conduits à créer une structure temporaire d’étude, publique et pluridisciplinaire. Dans le but notamment de mener les discussions et négociations liées au plan Loire sur des bases solides, celle-ci aura pour mission d’établir des données objectives et des études dont le cahier des charges et les orientations auront été acceptés par tous les partenaires » (Etat & EPALA & AELB, 1994). L’Équipe Pluridisciplinaire apparaît dès lors comme une structure d’expertise propre au Plan Loire et donc plus neutre vis-à-vis des collectivités locales. Cette structure est la traduction « technique » de la transversalité revendiquée du Plan Loire. Et l’étude Loire moyenne, qui n’a débuté de façon effective qu’en 1996, n’en est qu’une des missions, même si elle est centrale. Les travaux de l’Équipe Pluridisciplinaire constituent encore aujourd’hui une référence en matière de production de connaissance dans le domaine de la prévention du risque d’inondation (Ledoux, 2006). L’objectif qui lui est fixé dès son démarrage est de « reconstituer un savoir et une expertise partagée sur la réalité des crues et des inondations sur la Loire moyenne et pour apporter un concours scientifique et technique à l’élaboration d’un programme d’actions pour réduire ce risque. De sa création, courant 1995, à fin 1999, l’Équipe s’est consacrée à l’étude de propagation des crues fortes sur la Loire moyenne, en vue d’une décision vis-à-vis de l’ouvrage écrêteur du Veurdre. La décision s’est transformée en stratégie de réduction des risques d’inondation par les crues fortes, dont les éléments jugés prioritaires ont été inscrits dans les contrats de plan État-Région 2000-2006. » En outre, son rôle de médiation et de production d’une expertise indépendante a été particulièrement apprécié par les élus locaux comme certains d’entre eux nous l’ont témoigné lors de nos recherches sur la mise en œuvre locale (partie III). De fait, l’Équipe Pluridisciplinaire et son travail représentent une concrétisation du Plan Loire. À tel point, que malgré les réserves apportées par N-G. Camphuis (encadré4), les acteurs locaux rencontrés l’identifient encore aujourd’hui comme l’acteur central du Plan Loire. Pour exemple, nombreuses sont les personnes interrogées durant nos recherches qui ont fait la confusion entre l’Équipe Loire et l’Établissement Public Loire. C.Reliant décrit bien le rôle de médiation de l’Équipe découlant de sa mission d’information (Reliant, 2004), p. 277 : « l’intervention d’un organisme extérieur à l’administration comme l’équipe du Plan Loire a procuré un sentiment de confiance aux élus locaux sur ce qui leur était présenté : “L’information sur le risque a été très bien faite. On a demandé à l’équipe Plan Loire de venir dire aux maires ce qu’ils risquaient si une crue survenait, et la caisse centrale des réassureurs a expliqué leurs responsabilités. Depuis le discours passe beaucoup mieux, on a eu un mal fou à faire passer les PIG mais on arrive à bien faire passer les PPR. Le fait que ce soient des personnes extérieures à l’État a beaucoup joué à mieux faire accepter le risque, d’autant plus que ce sont des gens extérieurs à l’État et payés par les élus. L’équipe pluridisciplinaire est payée par l’Agence de l’eau, l’État et l’EPALA. Ce sont des gens formés à présenter les choses les plus ardues de la façon la plus simple possible. Il n’y a pas eu de discours technocratique ». 

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