LE QUIPROQUO UN MODELE POUR L’ETUDE DES CRISES DE LA REPRESENTATION

LE QUIPROQUO UN MODELE POUR L’ETUDE DES CRISES DE LA REPRESENTATION

Nous allons entrer, ici, un peu plus dans ces problèmes de la représentation et l’action collective. Nous verrons au travers de quelques exemples emblématiques d’accidents que la dynamique des représentations est loin d’être simple à appréhender, à la fois pour les analystes que pour les acteurs en présence (1.1). Nous remarquerons qu’il existe dans ces situations des failles dans le déploiement des apprentissages au sein des situations (1.2). Ensuite, nous montrerons que ces failles entraînent de fortes incertitudes sur le pilotage des situations considérées qui peuvent être résolues en partie par un pilotage raisonné des apprentissages et de ce fait, de la construction des représentations (1.3). Nous verrons, enfin, que ce pilotage ne peut passer que par une remise en question des limites représentatives des langages utilisés dans la gestion des risques (1.4). Nous allons présenter ici trois exemples d’accidents emblématiques qui mettent en lumière des configurations particulières de l’élaboration des représentations qui mènent à la catastrophe. Dans un premier temps, nous reviendrons sur le cas de l’accident nucléaire de Three Mile Island, qui pose les bases d’analyse à la recherche en sciences sociales sur la gestion des risques (1.1.1). Nous verrons ensuite en quoi l’accident de Bhopal précise de manière meurtrière et catastrophique les effets d’un décalage entre les représentations de la situation et l’action menée (1.1.2). Enfin, nous nous intéresserons à l’accident aérien de Tenerife qui illustrera de manière encore plus forte cet enchevêtrement de représentations décalées qui mène à la collision de deux avions au décollage de l’un d’eux (1.1.3).

L’accident nucléaire de Three Mile Island

L’accident de Three Mile Island est un bon exemple d’opérateurs qui ne font que suivre les règles de sécurité et de conduite et qui prennent presque systématiquement les décisions qui vont aboutir à l’accident. Ce qui suit est une synthèse de trois analyses de l’accident menées respectivement au moment de l’enquête officielle, dix ans après l’accident en guise de bilan et enfin très récemment (Llory, 1999; Perrow, 1984; Rolina, 2004). Les opérateurs de l’équipe de conduite effectuent une opération de maintenance planifiée et courante, lorsqu’une défaillance sur un circuit auxiliaire, branché sur le circuit secondaire, entraîne l’arrêt des turbo-pompes qui alimentent en eau le circuit secondaire. Les générateurs de vapeur ne sont plus normalement alimentés en eau, ce qui empêche le refroidissement normal du circuit primaire. Cet incident provoque immédiatement une série d’actions automatiques en réaction au problème rencontré et conformément à ce qui est prévu lors de la conception de la tranche. « Tous les automatismes ont parfaitement fonctionné ; ce sera le cas tout au long du déroulement de l’accident » (Rolina, 2004). Ici, deux défaillances s’ajoutent au problème initial : une vanne reste coincée en position ouverte et d’autres vannes sont fermées au lieu d’être ouvertes ce qui entraîne un assèchement des générateurs qui ne sont plus approvisionnés en eau. Au bout de 8 minutes les opérateurs pointent cette anomalie et donnent manuellement l’ordre d’ouverture des vannes. La pression diminue alors fortement ce qui met en marche automatiquement le système d’injection de sécurité qui envoie de l’eau froide dans le circuit primaire afin de le refroidir. Or, l’indicateur de la vanne du système d’injection renvoie en salle de contrôle une position « fermée ».

Selon Llory (Llory, 1999) « les opérateurs constatent bien une rupture de la membrane. Cependant, ils l’attribuent à une fermeture un peu tardive de la vanne de décharge (mentionnée plus haut). Ils ne vérifient pas les indications de température à l’aval de la vanne de décharge qui se trouve éloignée des pupitres de contrôle. La seule indication de position de la vanne se trouve sur l’un des pupitres et elle permet de vérifier que la vanne est « fermée », car l’indication ne repose pas sur la position « réelle » de la vanne, mais sur le signal de fermeture qui a été donné à la vanne, celle-ci n’a pu se refermer. » Il résulte de cela une mauvaise représentation de la situation dans laquelle sont plongés les Le cas de l’accident de Three Mile Island permet de mettre en évidence l’importance de la conception des situations de conduite tant au niveau des systèmes techniques eux- mêmes qu’en interaction avec les opérateurs humains. On peut noter aussi que la phase accidentelle des évènements est produite par des opérateurs qui pensent appliquer parfaitement les règles et les procédures de sécurité : ils agissent de la façon dont à la fois il semble raisonnable au regard des procédures mais aussi par rapport à ce qui leur semble logique et pertinent. Les acteurs prennent donc la situation présente pour ce quelle n’est pas mais ne s’en rendent compte que très tard dans le déroulement de la chaîne accidentelle. On voit donc que dans certains cas, et ceci malgré la parfaite sincérité des acteurs, certaines situations peuvent porter en elles un important niveau de danger. Le cas de Three Mile Island présente donc bien une situation de rationalité limitée mais mettant en lumière la difficulté pour les acteurs à produire des représentations en adéquation avec la situation d’action considérée. Alors que l’accident de Three Mile Island pointait l’existence de problèmes dans la construction du sens impliquant les relations entre un équipement technique et une équipe humaine, l’accident industriel de Bhopal permet de mettre en évidence la faillite d’une situation de construction de sens, plus générale encore.

 

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