Le rôle de l’enseignant dans la discussion philosophique

L’envie et le désir : synonymes ?

L’envie et le désir sont très proches dans leur sens commun. Mais le désir peut se trouver à un stade plus avancé en terme d’action. Comme le dit Hassoun-Lestienne (1998), « le désir est une invitation à accomplir un pas au delà – non pas un, mais une infinité de pas en vérité. Il conduit vers l’ailleurs, vers l’inconnu, l’inespéré. » (p. 129). C’est donc une invitation à franchir un pas, céder à un objet qui nous attire. Au contraire, « l’envie n’invite nullement à l’aventure de la quête. Loin de proposer un passage, une initiation, elle provoque un blocage, un arrêt sur image, qui est une tétanie de l’imagination. » (p. 132). Par exemple, lorsqu’on éprouve une envie d’un sirop, elle se manifeste souvent par une visualisation mentale de la boisson en question. Par moment, la personne cède ou, à l’inverse, résiste à son envie. Il se provoque chez elle une forme de blocage. Notre recherche se base sur l’envie car ce terme est plus approprié pour parler d’aliments, bien qu’on y observe des similitudes dans leurs définitions. Pour résumer :

1. Le besoin est nécessaire pour notre survie. Si celui-ci n’est pas rempli, nous sommes dans une situation de manque et d’insatisfaction. L’envie, elle, peut aussi se traduire par une insatisfaction, mais qui n’est pas de l’ordre de la survie. L’envie amène, quant à elle, toujours à en vouloir plus, ce qui permet d’expliquer cette insatisfaction constante.

2. Le besoin est une forme de prise de conscience d’un état de manque. Il se traduit par une force qui nous pousse à agir pour changer cet état. Celui-ci intervient à plusieurs reprises dans la journée (matin, midi, quatre heures, soir). L’envie, quant à elle, peut survenir à tout moment, se produire avant ou après avoir mangé. Elle survient par nos pensées, nos imageries mentales, le contexte dans lequel nous nous trouvons, etc.

La discussion philosophique avec les enfants Le dispositif de la discussion philosophique a été choisi car il permet d’aborder des sujets proches des élèves, et parce qu’il les met au centre de leurs apprentissages. Notre recherche étant basée sur la différenciation entre besoin et envie, il est par conséquent important de définir ces deux concepts au préalable. Chaque élève a ses propres représentations de ces termes et il devient enrichissant de les partager dans une communauté de recherche philosophique pour y élargir leur sens, et ainsi, s’en faire une représentation plus complète par les co-constructions qui ont lieu. La discussion philosophique ou communauté de recherche philosophique est initiée aux États- Unis vers 1970 par Matthew Lipman. Elle se diffuse ensuite en Belgique, au Québec dès 1985 et apparaît en France depuis 1996. Aujourd’hui, cette pratique est avérée par plusieurs recherches à son sujet (Sasseville, 2000 ; Daniel, 2004 ; Tozzi, 2007) et pratiquée par de nombreuses personnes en Europe. Elle fait également son apparition dans certains programmes scolaires au Québec. Ces pratiques sont des innovations pédagogiques et didactiques, mais ne sont malheureusement que très peu présentes dans les programmes scolaires vaudois aux degrés primaires. Lipman (1970), repris par Daniel (2004), structure la discussion philosophique en trois moments : la lecture d’un roman philosophique ou encore le visionnement d’une vidéo, la récolte des questions, et enfin les moments de discussion philosophique. « Discussion à visée philosophique », « communauté de recherche philosophique » ou « discussion philosophique » sont des termes employés pour faire référence à ce dispositif.

Sasseville (2002) définit ce dispositif de la manière suivante : C’est un groupe de gens, dans ce cas-ci des enfants qui décident de s’engager dans une recherche à propos d’un sujet qui les intéresse, qui pose problème pour eux. Ca peut être n’importe quoi au fond, selon les champs d’intérêts qu’ils ont. Mais de telle façon qu’au fur et à mesure qu’ils avancent, formulant des hypothèses, formulant des questions, cherchant des exemples et des contre-exemples, développant des analogies, etc., ils en arrivent à examiner les différentes dimensions philosophiques du problème, les dimensions qui touchent la logique, qui concernent l’éthique, qui concernent l’esthétique. Les enfants sont principalement curieux et spontanés. Ils se questionnent souvent sur des éléments qui les entourent et qui méritent d’être abordés. La discussion philosophique permet de transformer l’école en un monde de recherche au lieu de présenter uniquement des connaissances à acquérir. La construction du savoir est alors un fruit collectif, amenant les enfants à participer. Ce dispositif semble donc intéressant pour questionner les enfants sur ce qui les entourent (Sasseville, 2008).

Discuter, quelle signification ? Matthew Lipman a été le premier à avoir pratiqué, justifié la discussion comme modalité d’apprentissage pour philosopher avec les enfants. Il pense que cette voie, articulant pensée critique et pensée créative, permet une insertion démocratique (Tozzi, 2007, p. 17). Nous abordons souvent la notion de « discussion » philosophique dans notre recherche. Il s’avère toutefois important de définir ce que l’on entend par une « discussion » philosophique. Le Dictionnaire en ligne Larousse propose différentes définitions pour le mot « discuter »: « Conversation sur un sujet quelconque : Nous avons eu une longue discussion à ce sujet » Mais aussi : « Échange de propos vifs, d’opinions contraires ; différend, dispute : Ils ont eu une violente discussion » ou « Action de discuter quelque chose, d’en faire l’analyse, l’examen critique : la discussion d’un projet de loi ». Aucune de ces définitions ne convient, il ne s’agit ni d’un débat, ni d’une discussion entre collègues ou amis. Cette discussion aborde des sujets tels que la métaphysique, l’esthétique, l’éthique ou la logique. Tozzi (2007) définit la discussion comme : « un processus interactionnel, au sein d’un groupe, d’échanges verbaux rapprochés sur un sujet précis, placé sous la responsabilité intellectuelle d’une (ou plusieurs) personne(s) (par exemple le maître dans une classe, l’animateur dans un café philo). » (p.19).

Il définit deux versions de discussion : la version faible et la version forte. La première consiste à prendre la parole en tant qu’enseignant et à ne pas donner de « bonnes » réponses ni donner son point de vue. Il faut diriger la discussion en sollicitant les élèves. L’enseignant intervient donc majoritairement. La deuxième version implique une forte participation des élèves qui s’auto-dirigent, se questionnent et avancent d’eux-mêmes. L’enseignant n’est alors peu ou pas sollicité (Tozzi, 2007, p. 13). Cette discussion doit comporter une visée philosophique. Les thèmes abordés doivent porter une réflexion sur « le rapport de l’homme au monde, à autrui, à lui-même, au sens et aux valeurs […]. » (Tozzi, 2007, p. 19). Une autre dimension philosophique est présente dans une discussion : « Le traitement rationnel qu’il va tenter pour poser et résoudre ces problèmes (en mettant en oeuvre […] des processus de question, de conceptualisation de notions, de distinctions conceptuelles, […] pour échapper à la doxologie. » (Tozzi, 2007, p. 20).

Quelques enjeux dans la discussion philosophique

Comme présenté plus haut, un premier enjeu a lieu au niveau du développement de la réflexion, de la pensée critique et de la capacité à penser par soi-même. Le but de cette pratique est « de donner la chance aux enfants aussi tôt que possible, d’apprendre à penser par et pour eux-mêmes. » (Sasseville & Gagnon, 2007, p. 8). Cette méthode nous semble pertinente pour que l’enfant différencie les concepts afin de faire des choix réfléchis. Michel Sasseville (2000) le souligne : Un enseignant qui viserait uniquement à transmettre les résultats du savoir et qui oublierait d’engager les enfants dans le processus menant à ces résultats est un vain effort. Si on veut conduire les enfants à mieux penser (pas seulement plus, mais mieux), si on accepte l’idée que l’objectif de l’éducation est de rendre les enfants capables de penser par et pour eux-mêmes, alors il importe qu’ils s’engagent personnellement dans l’acte de penser et construisent ainsi, avec le temps et la répétition, la puissance de produire eux-mêmes les résultats. (p.9).

Pratiquer de la philosophie permet également, par le développement de la pensée critique au fil des discussions, d’éduquer à une citoyenneté réflexive. Cela favorise la liberté de penser et améliore le jugement du futur citoyen. Grosjean-Doutrelepont (2000) ajoute que « l’idée de la démocratie, […] repose sur le présupposé que ses membres doivent non seulement être informés mais réfléchis, on ne leur demande pas seulement d’être conscients des choix de société mais de se comporter de manière raisonnable compte tenu de ces choix » (p. 209). Cette pratique facilite la maîtrise de la langue à l’oral. Le fait de s’exprimer par oral « développe les capacités langagières, par les interactions sociales et intellectuelles verbales » (Fawer-Caputo, 2014). Une citation résume les enjeux principaux de la discussion philosophique : « L’intérêt de la discussion à visée philosophique (DVP) est donc d’articuler par une activité langagière (enjeu 1), un processus de socialisation démocratique (enjeu 3), fondé sur une éthique communicationnelle de la personne (enjeu 4), avec l’apprentissage d’une pensée réflexive (enjeu 5), qui favorise l’élaboration identitaire de sujets en construction (enjeu 2) » (Tozzi, 2003).

Table des matières

1. INTRODUCTION
2. PROBLÉMATIQUE
2.1 Le besoin
2.2 L’envie
2.2.1 L’envie et le désir : synonymes ?
2.3 La discussion philosophique
2.3.1 Discuter, quelle signification ?
2.3.2 Dialoguer, un apprentissage à construire
2.3.3 L’apprentissage d’habiletés cognitives
2.3.4 La discussion philosophique pour faciliter la conceptualisation
2.3.5 Le rôle de l’enseignant dans la discussion philosophique
2.3.6 Quelques enjeux dans la discussion philosophique
2.4 Objectifs du mémoire professionnel
2.5 Hypothèses
2.6 Problématique et question de recherche
3. METHODOLOGIE
3.1 Choix méthodologiques
3.2 Population
3.3 Données à rechercher
3.4.1 Tableau d’opérationnalisation
3.4.2 Pré-test sur les concepts
3.4.3 Post-test sur les concepts
3.4 Biais à éviter
4. ANALYSE DES DONNEES
4.1 Pré-test
4.2 Trois moments de discussion philosophique
4.2.1 Interventions de l’enseignant
4.2.2 Appropriation du dispositif
4.2.3 Habiletés de pensée
4.2.4 Concept du besoin
4.2.5 Concept d’envie
4.3 Post-test
4.4 Synthèse des résultats
5. CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
Annexe 1 : Pré-test
Annexe 2 : Trois moments de discussions philosophiques par enseignante
Annexe 3 : Post-test
Annexe 4 : Tableau d’opérationnalisation
Annexe 5 : Tableau d’analyse du pré-test et post-test (qualitatif)
Annexe 6 : Tableau d’analyse du post-test (quantitatif)

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