L’économie sociale et solidaire étudiante aujourd’hui

L’économie sociale et solidaire étudiante aujourd’hui 

Un paysage étudiant structuré par des visions différentes de l’ESS 

Comme nous l’avons vu dans l’histoire de la gestion étudiante, et comme le montrera la cartographie des acteurs actuels de ce domaine (voir partie II. II.), la majorité des expériences de gestion étudiante sont rattachées d’une manière ou d’une autre à un réseau étudiant national. Ces syndicats, confédérations ou réseaux d’associations fédèrent des initiatives, portent des projets, créent des structures de gestion étudiante, qui correspondent à une démarche et un corpus idéologique défini. Etudier ces différentes visions nationales, parfois abstraites, de l’économie sociale et solidaire étudiante permet de mieux comprendre les initiatives en elles-mêmes, leurs trajectoires et leur modèle. Trois organisations nationales méritent en ce sens d’être étudiées du fait de leur poids et de leur implantation dans les universités : l’UNEF, la FAGE (Fédération des Associations Générales Étudiantes), et le réseau Animafac.

L’UNEF, une vision politique et historique de l’économie sociale

La première partie de ce mémoire le montre : si l’UNEF n’assure pas, ou presque plus d’activité de gestion étudiante, elle est héritière d’une histoire importante en la matière et était entourée jusqu’à maintenant d’organisations « satellites » (LMDE, Solidarité Étudiante). Créées par elle ou administrées par ses militants, elles lui permettent de pouvoir revendiquer indirectement des initiatives d’économie sociale et solidaire sur les campus.

L’étude des textes d’orientation de l’UNEF depuis la réunification (2001) permettent d’avoir une idée précise de l’importance donnée aux initiatives de gestion en interne du syndicat. Dans ces textes, publications internes soumises au vote des adhérents tous les deux ans, on trouve quasi-systématiquement une partie sur les organisations proches de l’UNEF (mutuelles, associations, coopératives), souvent parmi les derniers paragraphes.

C’est le texte du congrès de 2001 qui est le plus complet et le plus révélateur sur cette question. On peut y lire : « Les coopératives sont également un atout majeur pour la construction d’un syndicat de masse. Le mouvement syndical s’est construit et développé autour de trois axes : le syndicat, qui défend et informe ; la mutuelle, qui garantit la protection sociale et la coopérative, outil de solidarité et de socialisation. Ainsi, nos coopératives répondent à notre volonté de syndicalisation permanente. Elles offrent un cadre de discussion et donc un relais important de notre activité militante quotidienne. De plus, notre politique tarifaire et la double tarification sensibilise les étudiants aux questions d’économie sociale, de solidarité, et plus généralement aux valeurs que nous défendons ».

Une vision politique de l’ESS
Ces éléments de langage réapparaissent, formulés différemment ou non, dans tous les textes d’orientation qui ont suivi. Aussi, l’évocation de La Mutuelle Des Étudiants est systématique, souvent associée à la notion de « transformation sociale ». Le premier élément d’analyse qui se distingue, c’est la perception historique et traditionnelle des organisations mutualistes et coopératives. En proportion de texte, l’explication de la nécessité de renforcer le droit à la santé des jeunes et les solidarités sur le campus par de nouveaux services prend autant de place que les arguments selon lesquels l’accompagnement du syndicat par une coopérative et une mutuelle sont une évidence au nom de l’histoire du mouvement ouvrier. De même, l’explication politique de la nécessité d’animer ces différents outils est largement plus développée que les orientations à prendre en termes de services à développer pour les étudiants. On comprend donc de ces écrits que la vision de l’économie sociale et solidaire portée par l’UNEF est avant tout politique, qu’elle relève du projet de société. Dans le texte d’orientation de 2009, les paragraphes sur le coopératisme et le mutualisme apparaissent dans la partie « L’UNEF, organisation de transformation sociale ».

Les textes d’orientations et motions votées ces dernières années dans les instances de la LMDE et de la SCIC Solidarité Étudiante s’inscrivent dans la même veine et témoignent également d’une vision politique et engagée de l’économie sociale et solidaire. On y trouve régulièrement des passages entiers qui rappellent l’appartenance de l’organisation au mouvement social, des argumentaires sur la volonté de construire « une ESS de transformation sociale », et des allusions à l’actualité politique du moment : « Après une lutte de 1336 jours, les ex-salariés de Fralib ont repris la production dans leur usine de thé, sous forme de coopérative » (Texte d’orientation de Solidarité Étudiante en 2015). De même, on trouve dans le programme du congrès de la LMDE de 2013 un atelier sur le mariage pour tous.

L’ESS comme un écosystème au service du syndicat
Dans les textes de l’UNEF, on remarque également les liens très fréquents qui sont fait entre le développement de ces différentes organisations et la nécessité de massifier le syndicat. De manière plus ou moins directe selon les textes, on peut lire que favoriser l’engagement dans la mutuelle et la coopérative permettent de nouvelles portes d’entrée dans l’UNEF, moins traditionnelles que l’adhésion militante. Ainsi, dans le texte d’orientation de 2011, les passages sur la gestion étudiante sont des paragraphes de la partie « développer l’UNEF pour renforcer le syndicalisme étudiant ». Plus explicite, on les trouve en 2013 dans la partie « massifier le syndicat et élargir son champ d’intervention ». L’investissement des militants dans ces outils de gestion étudiante revêt donc également un enjeu stratégique en matière de recrutement de militants syndicaux. Paroxysme de cette porosité, les réunions de rentrée organisées par l’UNEF à la rentrée 2015, ouvertes à tous les nouveaux adhérents pour leur présenter l’engagement dans le syndicat, ont proposé dans certaines sections locales un engagement à la carte : les différentes organisations proches de l’UNEF viennent s’y présenter, et les adhérents peuvent choisir à la fin de la rencontre dans laquelle ils souhaitaient s’engager. Ce mélange des genres a obtenu un succès mitigé.

La FAGE, associationnisme et innovation sociale

La Fédération des Associations Générales Étudiante s’est créée en 1989, en fédérant plusieurs associations locales indépendantes de l’UNEF. Elle a connu un fort développement entre la fin des années 2000 et le début des années 2010, et revendique aujourd’hui plus de 2000 associations étudiantes affiliées. Elle est également première organisation étudiante représentative dans les instances nationales de l’enseignement supérieur depuis 2016. Dans la diversité des associations qui la composent, on trouve celles qui ont un objectif de revendication et de représentations – sortes de « syndicat » sans s’en revendiquer par opposition à l’UNEF ; et les associations thématiques de type clubs ou BDE, qui ont vocation à créer du lien social, parfois par la seule organisation d’événements, mais également par la gestion de lieux ou d’une petite activité de bar ou de snacking. La FAGE a également lancé en 2012 les Agoraé, épiceries solidaires qui seront présentées dans la partie II. 2..

Une appartenance statutaire à l’ESS
On trouve sur le site internet de cette organisation une rubrique « Innovation sociale» et « Économie sociale et solidaire », qui donne accès à un certain nombre d’écrits. Ces documents permettent d’analyser le positionnement de la FAGE vis-à-vis de l’économie sociale et solidaire.

On peut y lire :

« Ce que fait la FAGE dans l’ESS :
Par son action quotidienne sur les campus et l’utilité sociale de ses projets, la FAGE offre aux jeunes de formidables opportunités pour agir dans l’économie sociale et solidaire. En choisissant l’innovation sociale pour répondre aux besoins des étudiants, elle s’inscrit de façon durable dans l’ESS, tout au long de l’année, et en particulier en novembre lors du mois de l’ESS.

Les étudiants souhaitant étoffer leurs connaissances au sujet de l’ESS peuvent également participer aux ateliers qui y sont consacrés lors des évènements de formation. Participatifs, interactifs et animés, ces temps d’échanges sont d’excellentes occasions pour dynamiser ses projets et renforcer ses compétences ».

Dès la première phrase, on comprend que le statut d’association ou de fédération d’association est un gage d’appartenance en lui-même à l’économie sociale et solidaire. La FAGE s’en revendique donc, et en fait la promotion auprès de ses militants via des formations et sur son site internet où l’on peut également lire des passages sur le développement de ce secteur, son poids dans le reste de l’économie, etc…

Table des matières

Introduction
Histoire de la gestion étudiante
I. Les œuvres universitaires
1. Un apolitisme solidariste initial
2. Le tournant syndical
3. La nationalisation des œuvres universitaires
II. La sécurité sociale étudiante
1. Genèse et réalisations
2. Difficultés et déclin
III. Coopération et lieux de vie étudiante
1. L’exemple de l’UNI-Club
2. De l’Union Nationale des Coopératives Étudiantes de France (UCEF)
3. … à Solidarité étudiante
L’économie sociale et solidaire étudiante aujourd’hui
I. Un paysage étudiant structuré par des visions différentes de l’ESS
1. L’UNEF, une vision politique et historique de l’économie sociale
Une vision politique de l’ESS
L’ESS comme un écosystème au service du syndicat
2. La FAGE, associationnisme et innovation sociale
Une appartenance statutaire à l’ESS
Mise en avant du concept « d’innovation sociale »
3. ANIMAFAC, « tiers secteur étudiant »
II. Cartographie typologique des expériences de gestion étudiante existantes
1. Les vestiges de la SCIC Solidarité Étudiante
2. Les AGORAé de la FAGE
3. Les épiceries solidaires
4. Les tiers lieux étudiants
5. Savoirs, Emancipation et Vie Étudiante (SEVE) à Grenoble
6. Les associations étudiantes de promotion de l’ESS
7. Les coopératives pédagogiques
8. La carte de France (la carte des AGORAé est présente dans les annexes)
III. Perspectives, risques et opportunités
1. L’enseignement supérieur en mutation
2. Des associations étudiantes de moins en moins indépendantes
3. L’évolution des rapports de force étudiants
De l’engagement bénévole à l’entreprise sociale : étude de cas de l’Association de Coopération pour le Logement des Étudiants de France
I. Histoire de l’ACLEF et présentation de CoopColoc
1. Naissance du projet avec Solidarité Étudiante
2. Crise et changement de modèle
3. Perspectives de développement
II. Quelle gestion étudiante de l’habitat coopératif ?
1. Coopérer pour quoi faire ?
2. Pouvoir étudiant ou gouvernance partagée, quel contrat social ?
3. Pistes de travail
Conclusion

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