Les antibiotiques actifs sur Pseudomonas aeruginosa

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Caractères morphologiques de la bactérie

Pseudomonas aeruginosa est un bacille à Gram négatif en forme de bâtonnet de 0,5 à 0,8 μm de diamètre sur 1 à 3μm de long mobile grâce à un flagelle polaire dépourvu de spores et de capsules[5]. Sa paroi est constituée d’une membrane externe, d’un espace périplasmique et du peptidoglycane. La membrane externe est une bicouche asymétrique constituée du lipopolysaccharide (LPS) et de phospholipides (PL) où se trouvent de nombreuses protéines telles que les porines [7].
Chez Pseudomonas aeruginosa, on distingue plusieurs types de porines qui sont des protéines membranaires formant des canaux permettant la diffusion de petites molécules hydrophiles à travers la membrane des cellules. Parmi ces porines on peut en citer Opr D (D1 et D2), Opr E (E1 et E2), Opr H (H1 et H2), Opr G et Opr F (qui représentent la majorité des porines dans cet organisme) [8].
La membrane de Pseudomonas aeruginosa est aussi caractérisée par l’existence de nombreuses pompes d’efflux (transporteurs membranaires) qui jouent un rôle important dans l’injection des agents antimicrobiens.

Caractères culturaux :

Pseudomonas aeruginosa est une bactérie aux besoins très limités. Croissant sur des milieux synthétiques simples, elle pousse facilement en 24 heures à 37°C. Elle peut croître entre 5 et 42°C avec un optimum à 30°C. Cependant, elle supporte de moindre variation de pH (6,5 à 7,5) avec un pH optimal à7,2[10].
Pseudomonas aeruginosa est une bactérie aérobie possédant un métabolisme oxydatif mais en absence d’oxygène elle peut utiliser les nitrates comme accepteur d’électrons. Elle est caractérisée par une odeur florale. Un milieu sélectif à base cétrimide (ammonium quaternaire) permet la recherche et l’isolement de Pseudomonas aeruginosa à partir des produits biologiques (selles, urines, pus, liquide céphalo-rachidien…) en bactériologie médicale [11].

Caractères biochimiques

Métabolisme :

Pseudomonas aeruginosa n’est pas capable de fermenter les sucres mais peut les attaquer (le glucose en particulier) par voie oxydative entrainant une acidification du milieu. Les milieux MEVAG (milieu pour l’étude de la voie d’attaque des glucides) ou de Hugh et Leifson sont spécialement destinés à mettre cette propriété en évidence.
Comme pour la plupart des Pseudomonas, P. aeruginosa possède des enzymes comme l’oxydase, le nitrate-réductase et l’argine-dihydrolase[12].

Production de pigments :

Pseudomonas aeruginosa produit deux types de pigments (fluorescent ou non) qui servent à son identification. Ils peuvent être mis en évidence dans deux milieux de culture différents. Le milieu King A pour mettre en évidence la pyocyanine et le milieu King B pour la pyoverdine.
– Pyoverdine : pigment jaune-vert fluorescent, soluble dans l’eau, insoluble dans le chloroforme.
– Pyocyanine (phénazinique) : pigment bleu-vert non fluorescent soluble dans l’eau et le chloroforme. Cette espèce est la seule à le produire [12].

Les antibiotiques actifs sur Pseudomonas aeruginosa

Le mot antibiotique vient du grec «anti» (contre) et «bios» (vie) et signifie «contre les organismes vivants». Les antibiotiques se définissent comme des molécules capables d’inhiber la croissance ou même de tuer des bactéries sans affecter l’hôte (cellules eucaryotes) [13]. Il peut être, une substance naturelle d’origine biologique élaborée par un organisme vivant, une substance chimique produite par synthèse ou substance semi synthétique obtenue par modification chimique d’une molécule de base naturelle ayant une activité antibactérienne. Parmi eux, les bêta-lactamines, la fluoroquinolone et la colistine sont les plus actifs contre cette bactérie.

Les bêta-lactamines

Structure chimique

Les bêta-lactamines sont des antibiotiques ayant en commun la présence d’un cycle bêta-lactame à quatre pièces contenant une liaison amide tendue qui est plus réactive qu’une fonction amide classique. En fonction de l’hétérocycle associe au noyau bêta-lactame, on distingue quatre familles de bêta-lactamines (Figure 2) : les pénicillines, les céphalosporines, les carbapénèmes et les monobactames.
Dans le cas des pénicillines et des céphalosporines, le noyau est fusionné respectivement à un cycle thiazolidine et un cycle dihydrothiazine. Les monobactames ne possèdent que le seul cycle bêta-lactame et portent un groupement sulfonate au lieu du COOH présent chez les pénicillines et les céphalosporines. Pour les carbapénèmes leur cycle de base diffère de celui des pénicillines par la présence d’une double liaison et l’absence de soufre endocyclique.
Chez les bêta-lactamines, la modification d’une ou de plusieurs chaînes latérales permet de varier le spectre d’action de ces antibiotiques.
Figure 2 : Principale familles de bêta-lactamines [14]

Mode d’action des bêta-lactamines

Les bêta-lactamines agissent au niveau de la paroi bactérienne. La membrane externe est constituée d’une barrière hydrophobe à cause de sa nature lipidique. Les bêta-lactamines qui sont des molécules hydrophiles doivent traverser la membrane externe à travers les porines. Les bêta-lactamines sont des analogues structuraux du dipeptide D-Alanyl-D-Alanine (D-Ala-D-Ala), présent à l’extrémité C-terminale du substrat naturel des DD-peptidases (Figure 3). Ces enzymes, aussi appelées (Penicillin-Binding-Proteins) PBP plus connues sous le nom de protéine liant les pénicillines (PLP) sont impliquées dans la formation du peptidoglycane qui est le composant majeur de la paroi bactérienne. Ainsi, en se liant de manière covalente au site actif de ces enzymes, les bêta-lactamines inhibent la synthèse du peptidoglycane [16]. Ce qui conduit à une lyse bactérienne.
Figure 3 : Analogie entre un bêta-lactamine et le peptide R-D-alanyl-D-alanine [16]

Les fluoroquinolones

Structure chimique

Elles sont des quinolones substituées en position 6 par un atome de fluor (figure 4). Elles sont des antibiotiques de synthèse à pouvoir bactéricide rapide comme la Ciprofloxacine. Ces antibiotiques ont pour cible les topoisomérases bactériennes de type 2 : l’acide désoxyribonucléique (ADN) gyrase et la topoisomérase 4. Ces deux enzymes assurent des fonctions distinctes mais cruciales pour le maintien de la topologie de l’ADN.

Mécanisme d’action

Le mode d’action des fluoroquinolones repose sur la capacité des molécules à traverser la membrane bactérienne et à inhiber la synthèse de l’ADN entrainant ainsi la mort cellulaire.

Transport membranaire

La pénétration membranaire est très complexe pour Pseudomonas aeruginosa. Toutefois, il existe deux voies de pénétration des agents bactériens : les porines et la voie auto-induite.
La paroi bactérienne des Pseudomonas aeruginosa comprend deux éléments importants : le lipopolysaccharide (LPS) et les protéines porinaires. Avant d’atteindre le cytoplasme, la fluoroquinolone traverse le LPS, les protéines de la paroi bactérienne et la membrane cytoplasmique.

Lipopolysaccharide : (LPS)

Les LPS également appelés lipoglycanes ou endotoxines sont des grosses molécules constituées d’un lipide, d’un polysaccharide composé d’un antigène O, d’un noyau externe et d’un noyau interne relié par une liaison covalente. L’ensemble est maintenu par la présence d’ions métalliques bivalents comme l’ion magnésium qui permet la formation de pont entre les différentes chaines du LPS. Ce dernier se fixe de façon covalent au peptidoglycane. Les fluoroquinolones sont capables de traverser le LPS en chélatant les ions magnésium (Mg2+), désorganisant cette structure et faisant apparaitre des zones hydrophobes (voie auto-induite)[17].

Les porines

Les porines se trouvant au niveau de la paroi bactérienne chez Pseudomonas aeruginosa permettent le passage des molécules hydrophiles. Les fluoroquinolones étant majoritairement hydrophiles, elles utilisent la voie des porines. Elles utilisent principalement la porine OmpF et occasionnellement les porines OmpC et PhoE[18]. Mais ce mécanisme ne leur est pas spécifique car il implique d’autres entités chimiques comme les cyclines et les céphalosporines.

La membrane cytoplasmique

Le passage des fluoroquinolones à travers la membrane cytoplasmique n’est pas en ce moment élucidé car il pourrait s’agir d’un processus passif qui ne nécessite pas d’énergie ou d’un processus de transfert actif qui nécessite de l’énergie.

La colistine

Structures des colistines

Ces molécules sont des polypeptides cationiques constituées d’un cycle de 7 acides aminés et d’une chaîne latérale tripeptidique sur laquelle est lié de façon covalente un acide gras (figure5). Cette structure chimique particulière leur confère à la fois des propriétés hydrophiles (groupement amines des acides aminés du cycle chargé positivement) et lipophiles (acide gras à longues chaînes chargé négativement).
Figure 5 : Structure de la colistine [19] II.3.2. Mode d’action des colistines
La cible principale des colistines est le LPS. Le lipide A de la partie externe du LPS est chargé négativement et interagit avec certains cations divalents (calcium et magnésium essentiellement) permettant une stabilisation globale de la membrane externe. La colistine chargée positivement a donc une forte affinité avec le LPS pour s’y lier.
Cette liaison entraîne un déplacement des cations par interaction électrostatique ce qui provoque une désorganisation de la structure membranaire avec la libération du LPS [20]. Grâce à sa chaine d’acide gras, elle s’insère dans la membrane externe. Ceux-ci entrainent une altération de la perméabilité de cette membrane externe pour permettre à la colistine d’atteindre la membrane interne. La désorganisation de cette membrane interne se produit par une rupture de l’intégrité de la bicouche de phospholipides [9] (figure 6).
La lyse de cette membrane entraine le relargage du contenu intracellulaire et la mort de la bactérie [21].
Figure 6 : Mécanisme d’action de la colistine [21]
Ces trois familles d’antibiotiques représentent les principales molécules anti-Pseudomonas et sont souvent utilisées pour lutter contre cette infection. Par contre, la consommation abusive de ces antibiotiques permet à la bactérie de développer des résistances contre ces molécules.

La résistance des Pseudomonas aeruginosa aux antibiotiques

Pseudomonas aeruginosa est caractérisé par son aptitude particulière à acquérir et cumuler de nombreux et variés mécanismes de résistance. Ces résistances peuvent être naturelles comme elles peuvent être acquises.

La résistance naturelle

La résistance naturelle ou intrinsèque est un caractère d’espèce qui touche toutes les souches de l’espèce considérée (phénotype sauvage) [22]. Elle se traduit par une faible perméabilité de la membrane externe aux différents antibiotiques. Les LPS et les protéines de la membrane externe seraient responsables de cette obstruction envers les bêta-lactamines, les quinolones et les colistines [23].

La résistance acquise

Outre les résistances naturelles des bactéries, il existe un nombre important de mécanismes de résistances développées par les bactéries appelé la résistance acquise. La résistance acquise relève d’un mécanisme biochimique dont le support est génétique et elle peut être transmissible à d’autres bactéries. Les modes de résistances les plus connues sont au nombre de quatre (figure 7):
 inactivation ou la modification du composé par un enzyme ;
 diminution de la perméabilité membranaire ;
 efflux actif ;
 modification de la cible visée [24].
Figure 7 : Résistances aux antibiotiques [22]

Système d’efflux actif

L’efflux actif est un mécanisme par lequel les cellules rejettent à l’extérieur des composés qui peutent être toxiques comme les antibiotiques. Ce système est efficace grâce aux protéines transmembranaires ancrées dans la membrane plasmique mais également dans la membrane externe de la bactérie appelée pompe d’efflux. Pour fonctionner les pompes à efflux utilisent de l’énergie. Les systèmes les plus fréquemment rencontrés chez Pseudomonas aeruginosa sont de type (Resistance / Nodulation /cell division) RND [25].

Imperméabilité de la membrane

Chez Pseudomonas aeruginosa il existe deux types de porines qui ont une fonction importante pour permettre le passage des bêta-lactamines : les porines Opr F et Opr D. Cependant Opr F existe sous deux conformations : une conformation fermée monomérique et une conformation ouverte trimérique. Seule une faible proportion d’Opr F (5 %) est exprimée en conformation ouverte ce qui réduit la perméabilité membranaire [26].
L’OprD quant à elle, une porine spécifique qui contribue à l’entrée d’acides aminés basiques et de bêta-lactamines de faible poids moléculaire notamment les carbapénèmes (imipénème). Opr D est un élément majeur de la résistance aux antibiotiques de P. aeruginosa car en présence de carbapénèmes son expression est réprimée (inactivation du promoteur, synthèse de protéines tronquées, etc.) [27].

Modification de la cible

En effet, pour être efficace, un antibiotique doit pouvoir interagir avec sa cible. Les bactéries sont capables de développer des résistances en incorporant des mutations au sein de gènes codant pour des protéines cibles, empêchant ainsi l’interaction avec l’antibiotique.
C’est le cas de la résistance au fluoroquinolone. Cette dernière est liée à la mutation des enzymes cibles (les topoisomérases). La résistance liée à la mutation de la gyrase GyrA est due à la substitution de certains résidus tels que la glycine 83 qui est remplacée par une alanine ou encore de l’aspartate 94 qui est remplacé par une asparagine, une alanine ou une glycine [28]. Ces modifications semblent minimes mais elles sont suffisantes pour modifier la conformation de l’enzyme en empêchant ainsi la fixation de l’antibiotique tout en conservant une protéine fonctionnelle (figure 8).
Figure 8 : Schéma d’inactivation des cibles [29]
La résistance par modification de la cible passe également par la surexpression de certains gènes régulateurs qui contribuent à protéger les cibles de l’action des antibiotiques. Chez P. aeruginosa la protéine de signalisation PmrD est surexprimée en réponse à des signaux environnementaux, inhibant ainsi la déphosphorylation de la protéine régulatrice PmrA par la protéine senseur PmrB. Les gènes régulés par PmrA et PmrB, codant pour des enzymes de modification du lipide A (LPS) notamment ArnT et EptA, sont par conséquent exprimés de façon continue et constitutive, conduisant à une modification du LPS par addition de groupements tels que le 4-amino-4-desoxy-L-arabinose (L-Ara4N) ou le phosphoethanolamine (pEtN) (figure 9). Ces groupements réduisent la charge négative du LPS et minimisent la fixation des antibiotiques cationiques, rendant ainsi la bactérie résistante aux colistines [30].
Figure 9 : Schémas de la modification des LPS [31]

Inactivation de l’antibiotique par des enzymes

Le mécanisme le plus courant de résistance aux bêta-lactamines consiste dans la production par les bactéries d’enzymes hydrolysant l’antibiotique appelées bêta-lactamases. Ces dernières sont des enzymes bactériennes qui hydrolysent la liaison amide du cycle bêta-lactame des bêta-lactamines pour donner un acyl-enzyme qui sera ensuite dégradé en acide inactif. L’hydrolyse irréversible du noyau bêta-lactame entraine alors l’inactivation de l’antibiotique et la perte totale de son activité antibactérienne (figure10) [32].
L’enzyme sécrété peut s’agir de protéase à sérine active (Enz-Ser-OH) qui se lie aux bêta-lactamines avec plus d’affinité que les PLP. Comme les PLP, ils hydrolysent la liaison amide du cycle bêta-lactame pour former un acyl-enzyme mais la différence majeure entre les 2 types d’enzymes consiste dans la vitesse avec laquelle l’acyl-enzyme est hydrolysé. En effet, si les PLP ne sont capables d’hydrolyser qu’un bêta-lactame par heure, les bêta-lactamases les plus efficaces en hydrolysent 1000 par seconde, rendant l’antibiotique totalement inactif et régénère l’enzyme pour une nouvelle réaction d’hydrolyse.

Table des matières

Introduction
I.Pseudomonas aeruginosa dans les infections nosocomiales 
I.1.Caractères morphologiques de la bactérie
I.2.Caractères culturaux :
I.3.Caractères biochimiques
I.3.1.Métabolisme :
I.3.2. Production de pigments :
II.Les antibiotiques actifs sur Pseudomonas aeruginosa
II.1. Les bêta-lactamines
II.1.1. Structure chimique
II.1.2. Mode d’action des bêta-lactamines
II.2.Les fluoroquinolones
II.2.1. Structure chimique
II.2.2. Mécanisme d’action
II.2.2.1. Transport membranaire
II.2.2.1.1. Lipopolysaccharide : (LPS)
II.2.2.1.2. Les porines
II.2.2.2. La membrane cytoplasmique
II.3. La colistine
II.3.1. Structures des colistines
II.3.2. Mode d’action des colistines
III.La résistance des Pseudomonas aeruginosa aux antibiotiques
III.1. La résistance naturelle
III.2. La résistance acquise
III.2.1.Système d’efflux actif
III.2.2.Imperméabilité de la membrane
III.2.3.Modification de la cible
III.2.4.Inactivation de l’antibiotique par des enzymes
IV.Synthèse des molécules concernées
IV.1.Les molécules de bêta-lactamine
IV.1.1.L’obtention des molécules de céphalosporines
IV.1.2.La biosynthèse des pénicillines
IV.2.Synthèse des fluoroquinolones : la ciprofloxacine
V.Cibles actuelles dans la recherche
V.1.Les inhibiteurs des bêta-lactamases
V.2.Les contournements des efflux actifs
V.3.Les inhibiteurs de l’efflux actif
V.3.1.Agents perméabilisant la membrane
V.3.2.Agents ciblant l’énergie de la pompe
V.4.Les inhibiteurs de la pompe d’efflux
V.4.1.Les Peptidomimétiques
V.4.2. Dérivés des quinolines
V.4.3.Dérivés des pyridopyrimidines et des arylpipérazines
V.5.Utilisation des peptides antimicrobiens
Conclusion 

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