Les classes moyennes et les politiques publiques

Les classes moyennes et les politiques publiques

Analyser comment les politiques publiques sont affectées par la densification des groupes de revenu intermédiaires revient à identifier (1) quelles sont les demandes politiques, économiques et sociales exprimées par la classe moyenne ou certaines de ses composantes, et (2) comment les gouvernements des pays en développement anticipent, ignorent ou, au contraire, répondent à ces demandes différentes. Cette cinquième section met d’abord en évidence que les demandes et aspirations exprimées par le groupe de revenu intermédiaire trouvent finalement peu de réponses en termes de politiques publiques spécifiquement dédiées à cette partie de la population. Elle montre ensuite que si du côté des gouvernements des quatre pays de notre échantillon, il n’y a pas de stratégie globale de promotion des classes moyennes, ces dernières, en dépit de leurs faibles capacités de mobilisation collective et de politisation, peuvent être instrumentalisées par le politique. Pour établir ces résultats, nous utiliserons les éléments tirés de la revue de littérature et des enquêtes qualitatives ménages et institutions conduites dans chacun des pays de l’échantillon.

Des aspirations globalement insatisfaites par les politiques publiques

La littérature économique et sociologique a identifié un certain nombre de marqueurs comportementaux propres aux classes sociales intermédiaires. Certains de ces marqueurs comportementaux ont été décrits dans la section précédente et convergent vers la volonté d’investir dans le capital humain, notamment l’éducation et la santé des enfants, afin d’échapper aux mécanismes intergénérationnels de transmission de la pauvreté. D’autres marqueurs sont propres à l’amélioration des conditions de vie et de l’environnement professionnel, notamment via la demande de logement et de transport. Ces comportements constatés traduisent autant d’aspirations et d’attentes de la part des classes moyennes sur différents secteurs de politiques 45 Les classes moyennes et les politiques publiques publiques pour lesquelles les réponses apportées par les gouvernements en place semblent souvent inadaptées, partielles, inefficaces voire absentes.

Des politiques d’accompagnement en matière de santé et d’éducation

La santé et l’éducation sont deux secteurs sur lesquels les classes moyennes ont exprimé un certain nombre d’attentes dans les enquêtes. Ceci est assez conforme à la capacité des classes moyennes à se projeter dans l’avenir et à revendiquer une amélioration qualitative des conditions de vie. Au Brésil, l’enquête qualitative “ménages” a révélé que c’est dans le domaine de la santé que les attentes sont les plus importantes. Pourtant, cette aspiration se heurte à l’absence de politique ambitieuse du côté de l’offre de politiques publiques, ce qui conduit les ménages de la classe moyenne à avoir massivement recours à des plans de prévoyance privés. Au Vietnam, les ménages du groupe de revenu intermédiaire aspirent à une meilleure qualité des soins et à une couverture plus universelle des risques de santé, notamment pour les travailleurs informels qui représentent au moins la moitié du groupe.

Le gouvernement vietnamien a mis en place à la fin des années 2000 un plan ambitieux de protection sociale pour les individus les plus vulnérables, notamment les enfants, qui est venu compléter un régime préexistant s’adressant aux fonctionnaires, sans toutefois ouvrir ce droit aux très nombreux travailleurs du secteur privé qui ne disposent que d’un dispositif volontaire dont le taux de couverture est très faible. On observe une dynamique similaire en Côte d’Ivoire. La plupart des personnes interrogées dénoncent la qualité des structures de santé publiques (accueil, temps d’attente) et se tournent vers des structures privées lorsqu’elles en ont les moyens pour souscrire à une assurance maladie. Si les ménages interrogés estiment que le projet de Couverture Maladie Universelle du Président Ouattara est en soi un très bon projet, et se disent globalement prêts à contribuer à hauteur de 1 000 FCFA mensuels par tête, ils demeurent circonspects sur sa mise en œuvre effective qui tarde à venir. En Turquie, l’un des principaux projets de l’AKP qui a directement affecté les classes moyennes lors de ces quinze dernières années a été la réforme du domaine de la santé. Le modèle de l’accès aux services de santé était très hiérarchisé jusqu’à la mise en place du « Programme de Transformation en Santé » (Sağlıkta Dönüşüm Programı) en 2003.

En bref, avec cette réforme, il s’agissait d’abolir la distinction entre l’assurance maladie privilégiée des fonctionnaires et l’assurance générale des « autres », pour établir une « Assurance de santé générale ». Après la réforme, les hôpitaux publics « de qualité » se sont ouverts à toutes les catégories, ce qui a inévitablement perturbé les “privilégiés” de l’ancien système qui ont alors massivement recouru aux hôpitaux privés, comme pour se sentir privilégiés à nouveau. La réforme a ainsi provoqué une forte privatisation des services de santé et une libéralisation des conditions de travail des personnels de santé qui ont fortement affecté les classes moyennes.

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