LES GRAVURES PITTORESQUES DE LA FRANCE

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La formation de la collection

De l’art canadien à l’art européen

Aujourd’hui, le Musée des Beaux-Arts du Canada détient une collection prestigieuse qui occupe une réputation à l’échelle nationale et mondiale. En effet, il détient tout d’abord la plus grande collection d’art canadien des grands maîtres anciens et actuels au monde mais aussi la plus importante collection d’art européen du XIVe au XXIe siècle au Canada. Cette collection se constitue également d’œuvres indigènes, américaines et asiatiques et s’enrichit d’estampes, de dessins et de photographies2. Aujourd’hui Sasha Suda est à la tête de la direction du musée depuis le 19 avril 2019 et pour un mandat de cinq ans. La nomination de cette dernière par le ministre du Patrimoine canadien et du Multiculturalisme, Pablo Rodriguez, est l’occasion de réaffirmer le prestige du Musée des beaux-arts du Canada. La presse insiste sur la notoriété du musée qui est respecté à travers le monde et insiste sur « la qualité exceptionnelle de ses collections d’environ 77 000 œuvres d’art »3. On compte dans la collection d’art européen riche en sculptures, en peintures et en arts décoratifs près de 2000 œuvres de la Renaissance au XXe siècle. Cependant, le fond Bonington qui nous intéresse ne figure pas dans cette collection mais dans celle dédiée aux dessins et aux estampes. Celle-ci comprend près de 2 500 dessins et 10 000 estampes européennes, américaines et asiatiques. L’acquisition de cette prestigieuse collection par le Musée des Beaux-Arts du Canada découle de choix qui remontent aux origines du musée.
Le Musée des Beaux-Arts du Canada est fondé en 1880 sous la demande du marquis de Lorne et dans la ville d’Ottawa qui est alors déjà capitale depuis 1857. Dès le départ, le musée fait des efforts afin de collectionner à la fois des œuvres canadiennes et européennes. La collection se forme ainsi progressivement en commençant par l’obtention d’œuvres canadiennes d’artistes contemporains actifs dans les années 1880. Ce développement est permis par un système établi en partenariat avec l’Académie royale des arts du Canada qui à l’époque vient seulement d’être fondée. Ainsi, chaque artiste est invité à déposer un « morceau de réception » dans la collection de l’Académie qui s’ajoute à celle du Musée4. On trouve notamment dans les premières acquisitions un paysage à l’huile sur toile de Lucien R. O’Brien, président de l’Académie des arts du Canada, représentant le Cap Trinité surplombant le Saguenay. C’est en 18821, seulement un an après sa fondation, que le musée acquiert ses premières œuvres européennes5. Ce sont les œuvres de Vilhem Melby, un peintre de marines danois6, et de Frédérick Lord Leighton, un peintre sculpteur anglais intéressé par les sujets historiques et bibliques7. Avec le temps, le musée va pouvoir gagner en structure ce qui va lui permettre de poursuivre plus efficacement la formation de sa collection.
En 1907, est formé un Conseil consultatif des Arts avec George Drummond, Arthur Boyer et Edmund Walker et dont le rôle consiste notamment à assurer le choix et l’achat des œuvres pour la collection du musée8. Alors que Drummond n’était intéressé que par les œuvres européennes, Walker tenait à ce que l’art canadien soit inclus dans la collection ce qui fut un sujet conflictuel entre les deux hommes9. A la mort de Drummond en 1909, Walker lui succède en tant que président ce qui va lui permettre une plus grande liberté dans son intérêt pour l’art canadien mais sans pour autant négliger la formation d’une collection européenne. Il fait à cette époque la rencontre d’Eric Brown qui travaille alors à la Art Gallery de Toronto et supervise une exposition de peinture britannique à Montréal. Il lui propose d’abord quelques missions dans le cadre du musée avant de lui offrir la position de premier conservateur du Musée des Beaux-Arts du Canada. Celui-ci accepte et accède par la suite au poste de directeur du musée en 191210. Lors de sa nomination, le musée n’en est encore qu’à ses débuts et les principales préoccupations résident encore dans la création du musée, son institution administrative et la constitution de ses collections.

La création du département des estampes et des dessins

On doit à Edmund Walker un rôle important dans le développement et la diversification de la collection du musée vers le domaine des estampes et des dessins. La création de ce département nous intéresse dans la mesure où les gravures et dessins du fond Bonington s’inscrivent à l’intérieur de ce département. Walker était un homme aux ambitions variées. D’une part, il était banquier et occupa le statut de président de la Banque canadienne de commerce de 1907 à 1924. D’autre part, il contribua parallèlement à la fondation et au soutien de nombreuses institutions artistiques, culturelles et de l’éducation telles que le Musée des Beaux-Arts du Canada mais aussi l’Université de Toronto, la Société Champlain, Applebey College, le Musée des Beaux-Arts de l’Ontario (AGO, Toronto) et le Musée Royal de l’Ontario (Toronto) 11. En 1913, Walker et Eric Brown, qui à cette époque a été nommé directeur, réalisent l’achat des premières eaux-fortes d’artistes canadiens ainsi qu’une série de dix-sept estampes de grands maîtres12. Ce n’est que plus tard en 1921 que le musée décide de la création d’un département spécialement dédié aux techniques du dessin et de l’estampe. Cette décision est accordée par le Premier Ministre Robert Borden et se fait sous l’impulsion d’Edmund Walker. Selon lui « Tant de réalisations artistiques les plus remarquables sont attribuables aux arts graphiques qu’aucune collection générale d’œuvres d’art, notamment celle de la Galerie nationale, ne peut se permettre de négliger ce domaine de la production artistique ou d’en faire abstraction ».13
La mise en place de ce nouveau département annonce que le musée dirige sa collection vers une nouvelle direction. En effet, ce choix conduit aux futurs efforts d’acquisition en estampes et en dessins et qui ont pour but de valoriser, réaffirmer et rendre accessible ces techniques au public. Le musée ayant besoin d’un représentant afin d’assurer la gestion de ce nouveau champ de la collection, Preston Rossiter est engagé comme premier conservateur du département des dessins et des estampes. On note aussi que l’année 1921 qui marque ce choix d’orientation de collection, correspond également aux premières acquisitions des œuvres de Richard Parkes Bonington. Par conséquent, elles ont probablement été conduites sous la direction de Rossiter. Ainsi, le fond Bonington compterait parmi les premières œuvres à intégrer la collection des estampes et des dessins et donc parmi les premiers achats établissant les fondations de l’entière collection des dessins européens du musée. On note que ce sont d’abord essentiellement des gravures de l’artiste qui sont achetées. Par la suite, Kathleen Fenwick est aussi engagée comme conservatrice de ce département de 1929 à 1968. C’est en partie à cette conservatrice que l’on doit la seconde phase d’acquisition des œuvres de Bonington qui aura lieu dans les années 50 et qui concerne cette fois les dessins de l’artiste. Ce sont sous ses recommandations que le collectionneur anglais Paul Oppé sera engagé afin d’acheter des dessins à Londres pour enrichir la collection d’art européen.

L’intérêt pour Bonington et l’art britannique

Bien que les livres présentent souvent Bonington comme un artiste dont la renommée a décliné au fil des années, son travail a toujours suscité un intérêt depuis l’époque de son vivant jusqu’à aujourd’hui encore. Ainsi, il a largement été reconnu en France comme en Angleterre. Depuis sa mort, ses œuvres ont été recherchées à la fois par les musées et les collectionneurs. Il était donc naturel pour Rossiter comme pour Fenwick, Oppé et d’autres de vouloir intégrer Bonington à la collection du musée afin de construire une collection de qualité de l’art anglais. En outre, l’acquisition de ce fond est d’autant plus cohérente qu’elle va de pair avec la place particulière qu’accorde le Musée d’Ottawa à l’art britannique. Selon Douglas E. Schoenherr, l’intérêt pour cet art s’explique en partie par les liens qui unissent les membres contributeur au développement du musée lors de ses débuts à la Grande Bretagne. En effet, on peut tout d’abord noter que la fondation du musée a été soutenue en 1880 par John Douglas Sutherland Campbell, homme d’Etat britannique à la fois Marquis de Lorne, neuvième duc d’Argyll et quatrième gouverneur général du Canada de 1878 à 1883. Par ailleurs, on compte aussi plusieurs générations de directeurs et conservateurs également d’origine britannique. C’est le cas d’Eric Brown, premier directeur du Musée de 1912 à 1939, et de Kathleen M. Fenwick, comptant parmi les premiers conservateurs de la collection des estampes et des dessins de 1929 à 1968. Enfin, on relève que les majeurs donateurs tels que Vincent Massey, David Lemon, G. Frederic Bolling, Valerie A. Withington, et Dr. Dennis T. Lanigan, sont eux aussi britanniques. Par ces différentes connections avec la Grande Bretagne, il semblait ainsi cohérent que le musée cherche à se doter d’une collection en la matière.
C’est parallèlement grâce à son intérêt pour l’art canadien que le musée a réalisé de nombreux efforts pour diversifier sa collection vers un art européen et plus particulièrement britannique. Les premiers groupes importants de dessins britanniques à intégrer la collection sont ceux de Walter Crane en 1909 et de William Strang en 1913 dont l’achat a pour but d’exposer des artistes à la fois européens et contemporains14. Le musée favorise souvent l’acquisition de groupe d’œuvres d’un même artiste et s’intéresse à différents types de dessins notamment les arts décoratifs tels que les motifs de tapisseries, de tissus ou l’illustration de livres. Par la suite, le musée poursuit sa recherche en art britannique. Il s’enrichit d’un album de dessins de John Flaxmans en 1917 provenant de la collection de Thomas Hope. On peut également citer en 1925 l’acquisition de cinq dessins préraphaélites réalisés par Rossetti, Edward Burne-Jones et Frederick Sandys, tandis que la même année quelques dessins de Rowlandson sont aussi achetés15. En ce qui concerne les œuvres de Bonington, les premières à entrer dans la collection arrivent dans les années 1921/1922. Elles sont suivies de l’acquisition d’œuvres d’artistes contemporains de Bonington comme Samuel Prout en 1922 ou encore Turner à partir de 1925 dont le Musée des beaux-arts du Canada regroupe aujourd’hui plus de trois cents gravures. A l’exception de trois peintures de Turner achetées séparément et plus tardivement, il semblerait que le musée s’intéresse moins aux talents de peintre et d’aquarelliste de Turner, de Samuel Prout et de Bonington qu’à leurs talents de graveur et de dessinateur. En 1931, Kathleen Fenwick propose de rechercher et d’acquérir à Londres des dessins européens pour le musée d’Ottawa. Elle suggère de missionner l’anglais Paul Oppé, choix appuyé par W.G. Constable, conseiller du musée. Oppé ne sera officiellement engagé qu’à partir de 1937 et travaillera en collaboration avec le musée jusqu’à sa mort en mars 1957. Durant son service, chaque année le musée lui aura octroyé un budget de 3000£ afin d’acheter des dessins à Londres. On peut noter que sur un total de 341 œuvres acquises, 165 d’entre elles sont des œuvres britanniques16.

L’acquisition du fond Bonington

Acquisition et provenance des gravures (années 1920)

L’acquisition des trente-et-une œuvres de Bonington s’est faite de 1921 à 1956. On peut séparer cet ensemble en deux périodes : l’achat des gravures dans les années 1920, puis l’achat des dessins dans les années 1950. Comme nous l’avons déjà mentionné, les acquisitions des années 1921 et 1922 font partie des premières œuvres à entrer dans la collection du département des estampes et des dessins du musée. On ne peut déterminer avec exactitude les commanditaires de ces achats mais il est certain qu’ils ne purent être réalisés sans l’accord du conservateur des estampes et des dessins de l’époque, Rossiter. Les acquisitions de cette époque proviennent de différents collectionneurs et galeries : E.Weyhe Gallery, New York City (n°186217) ; Edmond Sagot, Paris (n°1863, n°186418) ; Fitzroy Carrington Gallery, New York City (n°2220, 2221, 222219) ; Maggs Brothers, London (n°2223-223520)21. Les gravures provenant de New York et de Paris représentent des vues pittoresques de ruelles et de monuments. Elles immortalisent les paysages de la Normandie à l’exception de la gravure Pesmes (n°222222) représentant une ville de Franche Comté. On note aussi que le musée a fait deux fois l’achat de la gravure de la Rue du Gros Horloge à Rouen (n°1862 et n°186323) dont les deux tirages proviennent de la même planche gravée24. Il semble ainsi curieux que le musée ait dépensé de l’argent pour obtenir une gravure dont il avait déjà un exemplaire en sa possession. Cela pourrait se justifier par le démarchage auprès de deux vendeurs différents (Weyhe Gallery et Edmond Sagot). L’hypothèse que nous pourrions envisager serait que l’achat d’un exemplaire de la Rue du Gros Horloge auprès de la maison de vente Weyhe Gallery ait été effectué dans un premier temps, puis que l’achat d’un nouvel exemplaire de la Rue du Gros Horloge ait eu lieu auprès du collectionneur Edmond Sagot dans un second temps. Ce dernier aurait alors proposé la vente des deux Bonington en sa possession (Rue du Gros Horloge à Rouen et Tour du Gros Horloge à Evreux) par lot et non à l’unité. Le musée aurait donc été contraint de faire à nouveau l’acquisition d’un tirage Rue du Gros Horloge, bien qu’il en possédât déjà un, afin de faire l’acquisition nouvelle de La Tour du Gros Horloge25.
Les gravures obtenues en 1922 auprès de Maggs Brothers à Londres constituent un ensemble particulièrement cohérent. Il s’agit des treize planches de Bonington qui constituent l’intégralité de la série réalisée pour l’ouvrage Voyage Pittoresque en Ecosse d’Amédée Pichot. Ce ne sont donc plus des paysages de France mais d’Ecosse où l’on retrouve encore un goût pour le pittoresque. En 1924, le musée poursuit ses efforts afin d’étoffer son fond Bonington. Trois œuvres sont achetées à la collection d’Estampes et Gravures de Léon Pillet sur Paris (n°3020, 3021, 302226). Ce sont deux gravures représentant l’architecture de Caen ainsi qu’un paysage dramatique de Pierre-de-Vaivre en Franche Comté.

Acquisition et provenance des dessins (années 1950)

L’achat des autres œuvres restantes du corpus, qui ne sont plus des gravures mais des dessins, remontent aux années 1950, soit près de trente ans après l’acquisition des gravures de Bonington par le musée. Cette période correspond au moment où le musée décide d’envoyer un conseiller à Londres pour élargir la collection des dessins européens. Paul Oppé est ainsi désigné sous les recommandations de Katlheen Fenwick afin de repérer les œuvres qui pourraient enrichir la collection et ensuite effectuer l’achat. Le premier dessin acquis est acheté en 1952 probablement par Paul Oppé et correspond à une étude de La Piazzetta de Venise (n°612827).
Par la suite, la collection s’étoffe plus rapidement. En effet, Paul Oppé achète huit autres dessins auprès la galerie P.& D. Colnaghi & Co en 1956. Dans une lettre envoyée au Canada à Kathleen Fenwick, conservatrice du département d’estampes et de dessins au Musée des Beaux-Arts du Canada, Paul Oppé fait part avec enthousiasme de ses nouvelles acquisitions28. Ces dernières laissent apparaître un choix varié d’artistes européens : italiens (Annibale Carraci, Lelioi Orsi, Francesco Salviati), néerlandais (Jacob de Gheyn), français (Daniel Marot) et anglais (Samuel Howitt, David Cox et Richard Parles Bonington).
Dans sa lettre, Oppé fait mention de l’achat d’un album qui contient des dessins de paysage et d’architecture réalisés par les artistes Bonington, David Cox, Varley et d’autres qui utilisent différentes techniques. Cet album avait précédemment été acheté par Colnaghi à la vente de Sotheby & Co du 17 octobre 195629. Oppé souligne son intérêt pour les œuvres de Bonington à travers cet album nouvellement acquis pour le musée : quatre dessins au crayon (n°6822, n°6823, n°6824, n°691130), et deux autres dessins de perroquets à la pierre noire et sanguine avec des rehauts de craie blanche (n°682131). Il explique avoir eu l’album à un bon prix de 45£ alors même que Colnaghi l’aurait acheté entre 80 et 100£ chez Sotheby32. Réjoui par cette affaire, Oppé avoue avoir gardé pour lui l’une des deux études de perroquets. Enfin, il ajoute avoir sélectionné d’autres études de Bonington (n°6825, 6826r, 6826v33) qui sont des études de personnages. Elles faisaient partie d’un autre album acheté pour 15£ et 10£.

Les œuvres de Bonington aujourd’hui

Aujourd’hui le fond Bonington détenu par le Musée des Beaux-Arts du Canada n’a pas perdu de son importance puisque Bonington conserve sa grande réputation d’artiste anglais. En effet, l’artiste a fait l’objet de diverses expositions au fil des années en France comme par exemple en 1992 au petit palais de Paris (exposition monographique), en 2009 au musée de Rouen (les chefs d’œuvre de la Normandie au début du XIXe), en 2012 au musée de Cherboug (la peinture romantique). L’œuvre de Bonington développe aussi un intérêt international. Récemment encore, se déroulait à New York une exposition monographique sur cet artiste à la galerie Richard L. Feigen & Co du 23 octobre au 18 décembre 201834. L’exposition a eu lieu en parallèle de la rétrospective sur Delacroix au Metropolitan Museum of Art présentant pour la première fois ces deux maîtres romantiques simultanément ce qui permettait de souligner leur inspiration commune.
En ce qui concerne la visibilité des gravures et des dessins Bonington de la collection du Musée des Beaux-Arts du Canada (MBC), il semblerait que les premières à avoir été exposées font partie des premières à avoir été achetées : Rue du Gros-Horloge à Rouen (la n°1862 ou la n°186335) et Tour du Gros-Horloge à Evreux36. Plus généralement, les œuvres Bonington du MBC ont été fréquemment exposées au moment où elles sont entrées dans la collection. En revanche, elles n’ont été montrées qu’en de rares occasions par la suite. La dernière œuvre du musée à être exposée est l’Etude de deux perroquets37 lors de l’exposition de 2005 British Drawings from the National Gallery of Canada38. Cette exposition constitue la seule des expositions du Musée des Beaux-Arts du Canada du XXIe à montrer les œuvres de Richard Parkes Bonington de la collection. Selon la base de données du musée39, il semblerait que les œuvres Bonington du MBC ayant fait le plus souvent l’objet d’une exposition soit les dessins de la Piazetta de Venise40 et l’Etude de deux perroquets41 ayant chacune circulé à travers trois expositions différentes entre les années 1980 et 2005. Les informations de la base de données quant à l’exposition des œuvres Bonington de la collection du MBC ont été précisées pour chacune d’entre elles dans une liste complémentaire en annexe42.
Au niveau de la littérature, on compte un nombre colossal de références43 sur le paysage, sur les voyages pittoresques (le catalogue d’exposition par Vincent Laisney, Olivia Voisin et Georges Zaragoza44 ou celui de Sylvie Carlier et Lucie Goujard45) et sur les lithographes célèbres (Linda Hults46). Dans ces ouvrages on retrouve le nom de Bonington ainsi que celui de ses contemporains dont le travail est comparable. Parmi eux il y a par exemple Turner, maître anglais de la peinture romantique de paysage particulièrement sensibles aux effets de lumière et d’impressions ; ou Samuel Prout, également peintre, aquarelliste et graveur rattaché à la tradition topographique. Pour ce qui est des publications monographiques, Turner a été le plus étudié d’entre eux. Cependant de nombreux spécialistes s’intéressent à Bonington. Le plus important de ces historiens de l’art est l’anglais Patrick Noon. Il a été conservateur des dessins, des gravures et des livres précieux au Yale Center for British Art au New Haven (1992), puis conservateur de peintures au Minneapolis Institute of Arts (2008). Patrick Noon est l’auteur de plusieurs travaux monographiques sur Bonington : Du Plaisir de Peindre en 199147, The Complete Paintings en 200848 et The Complete Drawings en 2011.49
Pour ce qui est de la répartition du travail de Bonington on constate que beaucoup de ses œuvres sont en Angleterre (Tate Gallery, Wallace collection), et en France (Musée du Louvre, Musée Cherbourg). Cela s’explique par une logique historique puisque ces lieux coïncident avec le parcours de l’artiste. Bonington, né en Angleterre est présent sur le territoire jusqu’à ses quinze ans avant de résider en France pendant près de dix ans. Il était donc naturel qu’une grande partie des œuvres ne quittent pas ces deux pays et que ces derniers cherchent à mettre en valeur ce grand artiste à l’activité locale. Par rapport aux autres techniques utilisées, les gravures de Bonington ont eu l’occasion de voyager beaucoup plus à l’étranger. Cela s’explique par leur multiplicité, propre au procédé même de la gravure. En effet, celui-ci permet de fabriquer plusieurs exemplaires à partir d’un même dessin, ainsi une plus grande diffusion et répartition des œuvres en différents endroits du monde a été favorisée. A l’échelle du Canada, les œuvres de Bonington ont ainsi été acquises dans cinq régions et dans près de dix musées. A Québec on compte le Musée des Beaux-Arts de Montréal, le Musée national des beaux-arts du Québec (Québec) ; en British Colombia, la Art Gallery of Greater Victoria ; en Nova Scotia, la Art Gallery of Nova Scotia (Hallifax et Yarmouth) ; en Manitoba, The Winnipeg Art Gallery (Winnipeg) ; et en Ontario, le Musée Royal de l’Ontario (Toronto), Art Gallery of Ontario (Toronto), le Agnes Etherington Art Centre (Kingston) et le Musée des Beaux-Arts du Canada (Ottawa). Dans ces musées canadiens, peu d’huiles sur toile et d’aquarelles de Bonington sont présentes. Ce sont essentiellement des gravures et des dessins qui intègrent les collections comme en témoigne le Musée des Beaux-Arts du Canada.

Singularité et présentation du corpus

La variété des techniques

Les trente-et-une œuvres du fond Bonington du Musée des beaux-arts du Canada se répartissent en vingt-deux gravures et neuf dessins. Il s’agit de deux techniques différentes qui peuvent être étudiées de manière séparée mais qui répondent toutes les deux au goût pour le pittoresque de Bonington. Les gravures sont pour la plupart issues de guides de voyage pour lesquels Bonington a travaillé en tant que graveur-illustrateur. Il est donc possible d’identifier plusieurs ouvrages majeurs de l’époque à travers la sélection des œuvres proposées par le musée. D’une part, on trouve la série complète de treize planches qui a servi à illustrer le guide Vues pittoresques de l’Ecosse d’Amédée Pichot. D’autre part, on note la contribution de Bonington pour le grand guide Voyages Pittoresques et Romantiques dans l’Ancienne France du baron Taylor et de Charles Nodier. Ce grand livre se divise en plusieurs volumes dédiés à une région spécifique du pays. Bonington contribue à l’illustration de ceux dédiés à la Normandie et à la Franche Comté. On note aussi la présence d’œuvres issues de sa propre publication Restes et Fragmens d’architecture au Moyen Âge. Toutes les gravures de Bonington sont des lithographies dont la technique connaît un développement important au XIXe siècle. A la différence des autres procédés de gravure, la lithographie n’est ni une technique de relief (gravure sur bois) ni de gravure en creux (eau forte, aquatinte, pointe sèche). Le processus fonctionne à partir d’une surface plane de pierre calcaire où l’artiste dessine à l’aide d’un crayon gras dit lithographique. Grâce au principe antagonique entre l’eau et les matières grasses, le tracé du crayon absorbe l’encre et il suffit de placer une feuille de papier sous la presse afin de reproduire l’image qui est à nouveau duplicable. Le rendu est proche de celui du dessin ce qui convient bien aux paysages.
Les neuf dessins obtenus par le MBC proposent des sujets divers mais ont tous en commun d’être des études. Leur format est en général assez limité et excède rarement les vingt centimètres en hauteur et en largeur. Leur style est plutôt brouillon et se résume à quelques traits et hachures de crayon ou de pierre noire esquissés rapidement. Ces choix de format et de style s’expliquent car les dessins ont été créés pour être des études et non des œuvres à vendre. Ainsi, ils sont des notes qui permettent à l’artiste de se créer un répertoire de formes réutilisables, ou alors des étapes préparatoires afin de retravailler une idée de composition en atelier qui deviendra une peinture, une aquarelle ou une gravure. Il peut s’agir d’un paysage ou d’un élément étudié dans le détail à titre de documentation et de recherche de vraisemblance. Etudier des personnages permet par exemple de rechercher des mouvements et d’analyser les costumes traditionnels. Les personnages de Bonington ont été soit étudiés directement d’après un motif comme Etudes de femmes au marché de Berne50, soit observées d’après la peinture de grands maîtres anciens comme Etudes d’un cavalier et Une joueuse de luth et autres études51. Par leurs mensurations d’environ onze centimètres de haut pour huit centimètres de large, ces deux dernières études sont les plus petits formats dessin du fond Bonington. Contrairement à la gravure, le dessin n’offre pas la possibilité d’être reproduit à l’identique en plusieurs exemplaires. Chaque dessin est donc par sa technique unique. Cela a pour incidence qu’une partie du corpus des œuvres Bonington du Musée des Beaux-Arts du Canada n’existe dans aucun autre musée ce qui rend la collection du MBC singulière.

La variété des sujets

Nous allons maintenant présenter rapidement les sujets traités par Bonington qui seront analyser plus profondément dans la deuxième grande partie de ce mémoire. L’un des principaux sujets que l’on trouve dans les gravures et les dessins du fond Bonington est le village français. On trouve beaucoup de vues donnant sur des ruelles qui exaltent la richesse du patrimoine français (en particulier ses églises gothiques). Elles sont de plus animées par des promeneurs et des travailleurs ce qui crée un dynamisme dans l’œuvre. Par ailleurs, Bonington manifeste aussi son intérêt pour les marines avec son dessin Calais qui se concentre sur le panorama du port de la ville normande. La France se présente comme une source d’inspiration majeure et s’explique par les voyages de l’artiste à travers celle-ci. Sa venue dans les Alpes est également attestée par son dessin Paysage dans les Alpes52 qui évoque en grandes lignes un décor champêtre. L’artiste a aussi voyagé en Italie comme en témoigne le dessin de La Piazzetta de Venise53 mettant en valeur la colonne de Saint Marc et les grands édifices italiens autour.
Les œuvres qui représentent l’Ecosse laissent une place importante à la nature. L’artiste opte à plusieurs reprises pour un point de vue distant. Les monuments de la ville sont ainsi repoussés au dernier plan à la différence de ses vues sur les villes françaises. Fidèle au décor écossais, des restes de châteaux médiévaux ont été implantés au milieu d’une nature où s’étendent de vastes collines, de la végétation et des étendues d’eau. Ces vues ne sont pas le résultat d’une observation directe car Bonington ne s’est jamais rendu dans les contrées d’Ecosse et a gravé ses estampes à partir des dessins de Pernot. Cependant, le pays suscitait chez les artistes romantiques de la génération de Bonington une fascination particulière par ses ruines et sa nature foisonnante et inspirante. L’ensemble des vues de France et d’Ecosse traite le sujet par sa dimension pittoresque. Toutes ont en commun la reconstruction du décor architectural du lieu concerné et de son animation par la présence d’habitants qui vont et viennent.

Table des matières

Introduction
Partie 1 – Le Musée des Beaux-Arts d’Ottawa
I- LA FORMATION DE LA COLLECTION DE L’ART CANADIEN A L’ART EUROPEEN
LA CREATION DU DEPARTEMENT DES ESTAMPES ET DES DESSINS L’INTERET POUR BONINGTON ET L’ART BRITANNIQUE
II- L’ACQUISITION DU FOND BONINGTON
ACQUISITION ET PROVENANCE DES GRAVURES (ANNEES 1920)
ACQUISITION ET PROVENANCE DES DESSINS (ANNEES 1950)
LES OEUVRES DE BONINGTON AUJOURD’HUI
III- SINGULARITE ET PRESENTATION DU CORPUS
LA VARIETE DES TECHNIQUES
LA VARIETE DES SUJETS
LES COLLECTIONS BONINGTON DANS LE MONDE
Partie 2 – La singularité du fond Bonington
I- LES GRAVURES PITTORESQUES DE LA FRANCE
L’ILLUSTRATION DES GUIDES DE VOYAGE VALORISATION DU PATRIMOINE ARCHITECTURAL
LA POESIE DU QUOTIDIEN
LES VALEURS ET LES TRADITIONS DE LA SOCIETE
II- LES GRAVURES PITTORESQUES DE L’ECOSSE
LA SERIE POUR VOYAGE PITTORESQUE EN ECOSSE D’AMEDEE PICHOT
LA TRANQUILLITE DES MONTAGNES ET DES LACS
L’ESTHETIQUE DES RUINES
LES SCENES NARRATIVES
III – LES DESSINS D’ETUDES
ETUDES DU PAYSAGE NATUREL ET CITADIN
ETUDES DE COSTUMES ET PERSONNAGES
ETUDE DE DEUX PERROQUETS
Partie 3 – Bonington et la route du pittoresque au romantisme
I- LA VIE DE BONINGTON DE PAYS EN PAYS
UNE DOUBLE CULTURE ENTRE FRANCE ET ANGLETERRE
LES VOYAGES DE BONINGTON EN FRANCE
LES VOYAGES DE BONINGTON A L’ETRANGER (ANGLETERRE, SUISSE ET ITALIE)
II- L’ENGOUEMENT POUR LE PITTORESQUE
LA NOTION DE PITTORESQUE
LES GUIDES DE VOYAGES
L’EMERGENCE D’UNE GENERATION D’ARTISTES-VOYAGEURS
III- LE ROMANTISME « BONINGTONIEN »
LA NOTION DE ROMANTISME
LE ROLE DES ANGLAIS
LA SENSIBILITE DE BONINGTON

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