Les modèles dynamiques à variables d’état: une perspective plus réaliste

Les modèles dynamiques à variables d’état: une perspective plus réaliste

Principes de base

Parmi les principaux pas essentiels dans l’élaboration d’un modèle dynamique à variables d’état on compte, (i) la définition des variables d’état et des contraintes et (ii) la définition des variables de décisions (Clark & Mangel 2000). Le choix des variables d’état varie drastiquement selon le problème posé et l’organisme auquel il se réfère. Les variables d’état servent à représenter l’état physiologique d’un organisme (réserves en nutriments, masse corporelle, charge en œufs, etc.). Des paramètres environnementaux (e.g., température, densité de proies, densité d’hôtes, etc.) peuvent également être posés comme variables. A chaque instant, la valeur de ces variables d’état influence le comportement de l’organisme qui à son tour affecte une ou plusieurs variables d’état. Généralement, des contraintes (ou limites) conditionnent directement les valeurs que peuvent prendre les variables. Ainsi, un animal ne peut manger plus d’une certaine quantité de nourriture ou ne peut grandir au-delà d’une certaine taille. Le terme de variables de décision sert à définir les différentes possibilités « comportementales » dont dispose l’organisme. Elles sont généralement directement définies par la nature du problème que l’on se pose: la décision d’un oiseau de rester au nid, de partir à la recherche de nourriture ou de partenaire sexuel, la décision d’un poisson d’attaquer une proie ou de l’ignorer, ou bien encore le nombre d’œufs à pondre par hôte chez les guêpes parasitoïdes grégaires (Mangel 1987; Hart & Gill 1992; Kelly & Kennedy 1993). Une fois ces différentes variables définies on peut alors représenter tout organisme par différents états -caractérisés par les valeurs prises par ces variables d’état-, le passage d’un état Les modèles dynamiques à variables d’état: une perspective plus réaliste 62 Discussion générale à un autre -les transitions- étant déterminé par les différentes décisions prises par l’organisme ainsi que par les processus physiologiques impliqués. Cette vision est qualifiée d’espace d’état, le but des modèles dynamiques à variables d’état étant de définir le déplacement d’un organisme dans cet espace de manière optimale, i.e. maximisant sa ‘fitness’. Au cours de ces dernières années, les modèles dynamiques à variables d’état sont apparus comme un outil très puissant en écologie évolutive. Cette démarche permet en effet, de créer un lien étroit entre les deux branches majeures de l’écologie évolutive, la théorie des traits d’histoires de vie et l’écologie comportementale (Clark 1993; Krebs & Davies 1993; Clark & Mangel 2000). Cette méthode permet en outre l’incorporation de l’état physiologique des organismes par le biais de variables d’état. Elle suppose de plus une maximisation du succès reproducteur global (‘expected lifetime reproductive success’) des organismes, paramètre très proche de la notion Darwinienne de ‘fitness’ phénotypique utilisée dans la théorie des traits d’histoires de vie (Mangel & Clark 1986, 1988; Clark 1993; Clark & Mangel 2000). La modélisation dynamique à variables d’état peut donc être envisagée comme une généralisation de la théorie des traits d’histoires de vie traditionne lle incorporant la notion de contraintes et de compromis (Clark & Mangel 2000). 

Le comportement de nourrissage sur l’hôte chez les parasitoïdes

 Les modèles dynamiques à variables d’état ont été très largement utilisés dans l’analyse des comportements et des traits d’histoire de vie (e.g. Stephens & Krebs 1986; Houston et al. 1988; Mangel & Clark 1988; Clark 1993; McNamara & Houston 1996). En écologie comportementale, ils permettent par exemple, de faire des prédictions détaillées sur les décisions comportementales de nombreux organismes depuis les stratégies d’approvisionnement pour l’hiver chez les saumons, jusqu’aux stratégies de gestion des fuels métaboliques chez les oiseaux migrateurs en passant par le comportement de ponte chez les insectes parasitoïdes (Clark 1993; Clark & Mangel 2000). Plus spécifiquement, chez les insectes parasitoïdes, la programmation dynamique a été très largement appliquée au comportement de ponte versus nourrissage sur l’hôte (e.g. Chan 1991; Houston et al. 1992; Chan & Godfray 1993; Collier et al. 1994). Chez les hyménoptères parasitoïdes, le succès reproducteur est limité par deux contraintes majeures: le risque d’être limité en œufs (‘egg-limited’) ou d’être limité en temps (‘time-limited’). Une femelle est limitée en œufs si elle épuise son stock total d’œufs bien qu’il existe encore des opportunités de ponte (hôtes encore disponibles). La limitation en temps Discussion générale 63 s’applique aux individus incapables de trouver assez d’opportunités de ponte durant leur vie pour déposer tous les œufs dont ils disposent. De façon à maximiser leur succès reproducteur, les individus doivent donc tenter de contrebalancer le risque d’être limité en œufs ou en temps (Price 1973; Charnov & Skinner 1984; Parker & Courtney 1984; Waage 1986; Godfray 1987; Mangel 1987; Driessen & Hemerik 1992; Minkenberg et al. 1992; Collier et al 1994; Godfray 1994; Mangel et al. 1994; Heimpel & Rosenheim 1995; Getz & Mills 1996; Heimpel et al. 1996; Rosenheim 1996; Shea et al. 1996; Ellers & Van Alphen 1997; McGregor 1997; Casas et al. 2000). Chez certaines espèces d’insectes parasitoïdes, les femelles peuvent équilibrer les risques grâce à une certaine plasticité comportementale telle que par exemple l’utilisation de l’hôte pour la ponte ou pour le nourrissage sur l’hôte (Mangel 1987, 1989; Godfray 1994; Mangel & Heimpel 1998). En réalisant un nourrissage sur l’hôte, un parasitoïde sacrifie une opportunité de ponte ou réduit les ressources disponibles pour le développement de la larve de parasitoïde. En effet, chez certaines espèces un hôte ne peut servir à la fois à la ponte et au nourrissage sur l’hôte -nourrissage sur l’hôte non concurrent-, alors que chez d’autres il peut être utilisé pour les deux fonctions -nourrissage sur l’hôte concurrent (Jervis & Kidd 1986). En revanche, même s’il entraîne une réduction du gain de ‘fitness’ immédiat, le nourrissage sur l’hôte augmente les gains potentiels de ‘fitness’ futurs en augmentant le nombre d’œufs produits et/ou la longévité des femelles. Le choix comportemental entre ponte et nourrissage sur l’hôte constitue donc un exemple classique du compromis évolutif entre reproduction immédiate et reproduction future (e.g. Stearns 1976, 1992; Pianka 1970). Le choix comportemental entre ponte et nourrissage sur l’hôte peut varier en réponse à de nombreux facteurs écologiques -e.g. probabilité de rencontre des hôtes, risque de mortalité du parasitoïde- mais également en fonction de facteurs physiologiques (Godfray 1984). Grâce aux travaux pionniers de Iwasa et al. (1984), le nombre d’œufs disponibles pour la ponte dans les ovarioles de la femelle -la charge en œufs- apparaît aujourd’hui très clairement comme un des éléments déterminants pour de nombreux aspects de l’écologie des parasitoïdes (Collins & Dixon 1986; Courtney et al. 1989; Trudeau & Gordon 1989; Drost & Cardé 1992; Minkenberg et al. 1992; Rosenheim & Rosen 1992; Godfray 1994; Rivero 1994; Collier 1995a; Heimpel & Rosenheim 1995; Michaud & Mackauer 1995; McGregor 1997)

Réalisme physiologique et complexité 

Pour comprendre la notion d’espace d’état et les problèmes de complexification de l’espace d’état liés à l’introduction de réalisme physiologique, je me suis inspiré de quelques travaux clés pris dans la littérature en relation avec le compromis évolutif entre décision de nourrissage sur l’hôte et décision de ponte chez les parasitoïdes synovigéniques. Pour cela j’ai établi deux schémas de décisions comportementales en m’inspirant principalement des travaux de Collier et al. (1994) et de Shea et al. (1996). Les schémas qui suivent se veulent volontairement simplificateurs et ne visent pas à décrire en détails les différents modèles développés ni leurs conséquences. Cette démarche ne se veut pas non plus totalement exhaustive, le nombre de travaux traitant de l’influence de la charge en œufs sur la décision de nourrissage sur l’hôte étant considérable. Elle vise simplement à mettre en évidence la notion d’espace d’état.

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