LES OPPOSITIONS TEMPORELLES ET ASPECTUELLES

LES OPPOSITIONS TEMPORELLES ET ASPECTUELLES

Dans le système verbal persan, aux oppositions modales, s’ajoutent des oppositions temporelles et aspectuelles. Connaissent-elles, elles aussi, une évolution entre la langue de nos premiers textes et celle de nos derniers ? Par ailleurs, quels contrastes présentent-elles avec le persan contemporain ? 18.1. Schéma de l’évolution aspectuelle Nous nous appuierons sur la répartition établie par Cohen1365 : il existe une opposition entre inaccompli (A) et accompli (B), chacun se divisant en formes non marquées (Aα et Bα) et en formes marquées de la concomitance (Aβ et Bβ). Comment nos formes peuvent-elles s’y s’inscrire ? En suivant cette répartition, nous aurions : – Aα : kunad, kardē. – Aβ : mē kunad, mē kard. – Bα : kard1366 . – Bβ : karda ast, karda būd. Mais force est de constater que la réalité est plus complexe : certaines formes ne peuvent valablement pas se ranger dans une seule catégorie parce qu’elles assument plusieurs valeurs. Notons pour commencer qu’entre le Xe et le XVIe siècle, les évolutions relatives à l’aspect sont infimes, elles résident avant tout dans le fait que (ha)mē est plus ou moins intégré au système, et donc qu’il a plus ou moins un caractère d’obligation selon les valeurs. Voici le système tel qu’on peut le voir à l’œuvre dans nos textes :– Aα : kunad, kardē, (ha)mē kunad, (ha)mē kard. – Aβ : (ha)mē kunad, (ha)mē kard. – Bα : kard, (ha)mē kard. – Bβ : kard(a) ast, kard(a) būd. Cette répartition qui reflète au plus près la réalité des textes n’invalide pas pour autant celle de Cohen. Il convient seulement de noter que des formes échappent à ce schéma : les formes en (ha)mē, bien qu’elles soient plus rares que dans les autres emplois, l’aspect inaccompli concomitant étant le principal. Trois causes expliquent cette situation, et elles découlent toutes du sens premier de ce préfixe, « sans cesse ». Les formes (ha)mē kard peuvent s’employer comme accompli continuatif. Par ailleurs, elles marquent des modes de procès fréquentatif et distributif (mais non concomitant). Enfin, ce sens de « sans cesse » justifie l’emploi de (ha)mē kunad comme présent générique. Néanmoins ces trois marquages ne sont en rien obligatoires ; de fait, ils cohabitent avec les formes non marquées. Dans les nombreuses et très diverses langues qu’il a étudiées, Cohen aperçoit une ligne d’évolution générale : les formes concomitantes ont tendance à devenir non concomitantes et sont remplacées par un nouveau marquage de concomitance. Ces conclusions se vérifient pour le persan1367, et ce, du moyen perse au persan des premiers siècles, comme du persan de nos textes au persan contemporain : – En moyen perse, le présent šaw- assume les aspects inaccomplis, non concomitant (Aα) et concomitant (Aβ). La valeur de concomitance n’est portée que par le lexique, et non par un moyen morphologique : c’est la plupart du temps l’adverbe hamē, « continuellement » 1368, qui joue ce rôle, mais on trouve aussi la conjonction hamčiyōn, « de la même façon que » 1369. Pour l’accompli, le prétérit (ancien parfait du vieux perse) šud ham est un accompli1370 non concomitant (Bα) et le parfait šud estam, un accompli concomitant (Bβ) mais ce dernier tend à confondre ses emplois avec ceux du prétérit1371 , c’est-à-dire qu’il tend à devenir un accompli non concomitant (Bα). Il en résulte que dans le pehlevi tardif, il n’existe pas (ou plus) d’opposition de concomitance, seule subsiste l’opposition inaccompli/accompli. Dans le persan des premiers siècles, se recréent alors progressivement des formes de concomitance : à l’inaccompli avec (ha)mē qui s’intègre peu à peu au système, et à l’accompli avec le parfait kard(a) ast. – Du persan du XVIe siècle au persan contemporain, les anciennes formes de concomitance marquées avec mē-, devenu mi-, s’étendent et deviennent également les formes de la non-concomitance. L’ancienne forme d’inaccompli non concomitant (Aα), kunad, devient modale. C’est aussi le constat de Lazard1372. Ainsi avons-nous en persan contemporain la situation suivante : Aαβ avec mikonad et mikard, et Aβ avec les périphrases composées à l’aide de dāštan, « avoir ».

 Aspect et temps

De l’aspect au temps ?

De nombreux systèmes verbaux à dominante aspectuelle évoluent vers des systèmes à dominante temporelle ou modale1374. Ce que nous venons de voir du persan exclut d’emblée cette possibilité : si l’on croise aspect et temps (tableaux 18.1 et 18.2), on remarque que l’aspect est une notion valide aussi bien dans nos états de langue qu’en persan contemporain. Il est même le paramètre premier du système1375. En revanche, la morphologie a bien perdu une opposition aspectuelle : celle du marquage du concomitant à l’inaccompli, étant entendu que la périphrase avec dāštan reste à la périphérie du système1376. Cela ne fait néanmoins pas basculer le système vers un système temporel ou modal, et ce, même si l’ancienne forme d’inaccompli non concomitant kunad devient l’expression du subjonctif. C’est seulement qu’en plus du système aspectuel inaccompli/accompli, la distinction modale indicatif/subjonctif s’est recréée.Voici quelques observations sur nos choix de présentation. Les formes de médiatif étant des formes modales, nous ne les avons pas insérées dans ces tableaux. Nous avons en outre laissé de côté pour l’instant le futur parce que son système est moins élaboré – entre autres choses, le présent est régulièrement employé pour le futur – et que l’opposition principale du système demeure l’opposition passé/non-passé. Nous n’avons pas dressé le système des Xe -XIe siècles. Il serait très proche de celui des XIIIe -XVIe siècles, excepté pour (ha)mē dont le statut diffère. Mais sans être encore réellement préfixe, (ha)mē fonctionne déjà comme marque de concomitance. En revanche, et ce jusqu’à la fin de notre période, son caractère facultatif atteste que le marquage de la concomitance relève d’un choix de l’énonciateur et non d’une obligation. C’est encore le cas avec l’emploi, facultatif, de la périphrase avec dāštan. Il faut donc garder à l’esprit qu’à époque ancienne comme aujourd’hui, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de marque de concomitance dans une phrase que les procès ne peuvent pas malgré tout être concomitants. La forme kard apparaît à la fois comme un présent et comme un passé. Il s’agit d’abord d’un accompli, même s’il est vrai que ses emplois les plus fréquents concernent le passé. Elle peut néanmoins être utilisée dans d’autres contextes : pour un procès qui vient juste d’être accompli, ou pour un procès imminent1377 ; dans la subordonnée d’une principale au futur pour indiquer l’antériorité, et donc l’accomplissement du procès avant celui de la principale1378 . Pour toutes ces raisons, elle relève aussi du système du présent.

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