Les technologies de l’information et de la communication au Sénégal

Du mouvement ouvrier aux nouveaux mouvements sociaux

Une quantité importante de recherche s’est développée, à partir des années 1960, autour des nouveaux mouvements sociaux en Europe avec J’avènement de l’ère postindustrielle. Après le déclin du mouvement de la lutte ouvrière qui a été au centre des activités et des revendications sociales et politiques au cours du 1ge et au début du 20e siècles, le champ social a connu l’arrivée de nouveaux acteurs. Ces derniers n’ont plus comme finalité le changement des régimes. Ils dénoncent davantage les abus des classes dirigeantes, la marginalisation de certaines catégories de la population (femmes, jeunes, homosexuels, entre autres) ou la situation déplorable qui affecte des réalités comme l’écologie, la mort ou encore la culture. Alain Touraine indique: Les mouvements sociaux ne se placent pas au niveau des organisations, même s’ ils se manifestent dans des organisations, mais ils sont des projets conflictuels par lesquels l’acteur intervient dans une situation pour en changer l’orientation, pour la transformer. Le mouvement ouvrier par exemple est soumis à une domination dans l’entreprise mais il serait dérisoire s’il ne faisait qu’opposer d’autres rapports de production à ceux qu’il subit; il doit d’abord revendiquer, lutter, négocier7 • Touraine définit les mouvements SOCIaux comme étant des «conduites socialement conflictuelles mais aussi culturellement orientées et non pas comme la manifestation des contradictions objectives d’un système de domination8. » Relevant que le mouvement social ne reste pas seulement une « affirmation» ou encore une « intention », Alain Touraine estime que ce mouvement tourne autour de trois composantes : une identité, des intérêts et préoccupations particuliers à défendre contre un même adversaire ainsi qu’une vision commune. « Le mouvement social est représenté comme la combinaison d’un principe d’identité, d’un principe d’opposition et d’un principe de totalitë », selon Touraine.

L’évolution dans la finalité qui entoure la lutte des mouvements SOCIaux est importante à souligner. En effet, si la lutte ouvrière qui a rythmé toute l’histoire sociopolitique des derniers siècles oeuvrait pour l’avènement au pouvoir du prolétariat, les nouveaux mouvements sociaux se battent pour la reconnaissance de leurs droits surtout culturels et pour la défense de leurs intérêts. La théorie actionnaliste de Touraine qui s’est intéressé à la société postindustriellelO , essaie de recadrer la sociologie autour des nouveaux mouvements sociaux reconnus comme des conduites collectives conflictuelles. L’analyse tourainienne a privilégié des objets comme la culture et de l’historicité. Dans cette approche, il convient de noter que cette sociologie de l’acteur n’est pas une exclusivité des pays développés. Aussi, l’apparition de ces nouveaux mouvements sociaux ou des conflits sociaux ne dépend pas de l’organisation économique d’un pays mais plutôt des engagements des différents acteurs à lutter pour un nouvel ordre. Ainsi, l’une des grandes particularités des nouveaux mouvements sociaux reste le foisonnement de leurs préoccupations, au regard des objectifs recherchés (par exemple les objectifs du mouvement écologique ne seront pas les mêmes que ceux du mouvement des femmes). Des revendications spécifiques entourent ces différents mouvements sociaux. Ils s’agitent tous cependant dans une même société et font face parfois à des adversaires qui peuvent être l’État, le patronat, les dirigeants d’institutions, les instances fmancières internationales et certaines structures supranationales.

Le mouvement altermondialiste, une planétarisation des revendications « Le conflit central de notre société, est selon mon analyse, celui que mène un Sujet en lutte, d’ un côté contre le triomphe du marché et des techniques et, de l’autre, contre des pouvoirs communautaires autoritaires 1 1 », ajoute Alain Touraine. Aussi, l’une des spécificités de la société post-industrielle demeure-t-elle cette prolifération de mouvements sociaux luttant ensemble ou isolément pour l’avènement d’un « nouveau type de droits, les droits culturels. Ces demandes sont nouvelles et ne se retrouvent ni dans la société industrielle ni dans les sociétés pré-industrielles 12 • » Une vision partagée par Alberto Melucci : « dans l’histoire du mouvement ouvrier on a poursuivi l’utopie d’ une correspondance entre le mouvement et la politique, entre les conflits et le pouvoir, aujourd’hui le temps de la différence est arrivé 13. » Poursuivant plus loin la réflexion, Melucci ajoute: Il y a des logiques de domination dans nos sociétés et il y a ces multiples constructions de sens que les acteurs fabriquent eux-mêmes grâce aux ressources dont ils disposent. Les mouvements sociaux naissent précisément au point de jonction entre ces multiples constructions de sens et la logique de domination, au moment où la construction autonome des individus et des groupes est effectivement interrompue ou réprimée par des politiques qui interviennent dans les processus quotidiens 14 .

Les nouveaux mouvements socIaux ont suivi le processus qui a entouré les mutations politiques, sociales et économiques ayant marqué le monde au cours des dernières décennies. L’évolution s’est faite avec des acteurs luttant pour une cause commune, parfois même contradictoire, sur plusieurs territoires contre un adversaire devenu diffus sous l’effet de la globalisation des échanges. Ces mouvements dépassent le territoire circonscrit de l’État au regard de l’imbrication sans cesse croissante des intérêts des entreprises ou des multinationales. Les nombreuses tensions qui accompagnent les actions de délocalisation des entreprises ainsi que la reconnaissance sociale de la femme ou des groupes marginalisés frappent tous les pays. La lutte des nouveaux mouvements sociaux acquiert une nouvelle dimension. Un des exemples les plus illustratifs demeure sans doute la mobilisation des acteurs en Europe qui a accompagné en 1998 la dénonciation de l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI), un document élaboré par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) 15. Plusieurs actions de contestation ont été organisées pour dénoncer la mainmise de la machine libérale sur l’économie et les acquis sociaux des travailleurs. Réuni autour d’ intellectuels, de professeurs d’ université, de journalistes et d’autres acteurs sociaux, ce mouvement s’est largement appuyé sur les nouvelles techniques de communication. Le travail de dénonciation mené par des ONG du Canada, des États-Unis et d’Europe a eu comme canal un nouvel allié qu’est l’ Internet. Ce mouvement a fini par étendre ses ramifications dans tous les pays développés principalement, ainsi que dans les pays du Sud.

Des mouvements qui suivent le train de l’histoire

La présence de ces acteurs dans les pays du Sud reste étroitement liée à leur histoire coloniale. Ils ont suivi une trajectoire sociale, économique ou politique, dictée le plus souvent, par les intérêts de la métropole. En effet, en l’absence d’usines et d’unités de transformations industrielles, la plupart des pays d’ Afrique ont attendu la deuxième moitié du vingtième siècle pour voir la constitution de telles organisations fortement colorées cependant par les modèles en vigueur dans le pays colonisateur. Les premiers signes de ces mouvements allaient se faire sentir dans le domaine des transports, précisément avec les chemins de fer, suite à la volonté des autorités françaises de relier les différentes colonies (Sénégal, Mali et Niger) par une ligne ferroviaire commune. Ce projet, mis en branle par le gouverneur Faidherbe dès 1881 , s’est concrétisé quelques décennies plus tard après la défaite de toutes les résistances locales. Elles percevaient la voie ferrée comme un outil destiné à perpétuer la domination coloniale. Des résistants religieux comme El Hadji Omar Tall et Lat-Dior Diop s’y sont opposés farouchement avant d’ être défaits par les armées françaises. La mise en exploitation de la ligne de chemin de fer Dakar-Bamako de 1 300 kilomètres en 1923, a provoqué l’ une des premières manifestations sociales du pays avec les cheminots de Thiès (région centrale pour l’exploitation des lignes de chemin de fer au Sénégal).

En effet, dès 1947, la Fédération autonome des cheminots appelle à la fin de la discrimination entre les salariés africains et leurs homologues français. Ce mécontentement des 8 000 travailleurs des chemins de fer était dû au fait qu’ils étaient toujours considérés comme des auxiliaires sans aucune garantie sociale, et sans avantages sociaux. Ils percevaient aussi moins que leurs homologues français24 . Le conflit, dont le point de départ fut la région de Thiès, gagna toutes les autres villes des pays utilisant la même voie ferrée (Dakar, Bamako, Niger) ainsi que les populations originaires de la Guinée et de la Côte d’Ivoire. Ce conflit social qui fit trembler la colonie peut être considéré comme le point de départ d’un mouvement social au Sénégal avec des acteurs luttant pour une meilleure reconnaissance de leur identité et aussi pour la défense de leurs intérêts. Le mouvement s’est dans une certaine mesure internationalisé avec le soutien de syndicats français établis dans la métropole. Ces derniers ont, à travers des actions symboliques organisées par la Confédération générale des travailleurs (CGT), offert un soutien financier pour venir en appui aux ouvriers africains privés de salaire par leur direction depuis le déclenchement de la grève.

Table des matières

RÉSUMÉ
REMERCIEMENTS
TABLE DES MATIÈRES
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGURES
LISTE DES CARTES
LISTE DES SIGLES ET ABRÉVIA TIONS
Introduction
CHAPITRE 1 CADRE THÉORIQUE, PROBLÉMATIQUE ET QUESTION DE RECHERCHE
1.1 Les nouveaux mouvements sociaux
1.1.1 Du mouvement ouvrier aux nouveaux mouvements sociaux
1.1.2 Le mouvement altermondialiste, une planétarisation des revendications
1.1.3 Des mouvements tournés vers l’usage de l’Internet et des médias alternatifs
1.2 Les mouvements sociaux au Sud, cas du Sénégal
1.2.1 Des mouvements qui suivent le train de l’histoire
1.2.2 De nouveaux acteurs tournés vers le développement et les questions civiques
1.2.3 L’apport du mouvement altermondialiste et des TIC
1.2.4 Vers une conjonction des TIC et des actions des mouvements sociaux
1.3 Les technologies de l’information et de la communication au Sénégal
1.3.1 Historique des TIC
1.3.2 Développement inégalitaire à travers le monde
1.3.3 Le Sénégal dans l’ère de l’information
1.4 Technologie, développement et territoire
1.4.1 Le développement, un concept polysémique
1.4.2 La technologie au service du développement, illusion ou réalité?
1.4.3 Des régions encore sous tutelle malgré la décentralisation
1.5 L’appropriation sociale des TIC
1.5.1 Quand l’oralité épouse la technologie occidentale
1.5.2 Utilisation intelligente des technologies importées
1.5.3 Les différentes phases de l’appropriation sociale des outils technologiques
1.5.4 Des outils de plus en plus intégrés dans les activités des populations
1.6 Les TIC, nouvelle voie de développement ?
1.7 Question de recherche
1.8 Conclusion
CHAPITRE 2 MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE
2.1 Approbation du Comité d’éthique
2.2 Démarche
2.3 Modes d’entrevue
2.3.1 Les entrevues semi-dirigées
2.3.2 Les entrevues en ligne
2.4 Échantillonnage
2.5 Difficultés rencontrées
2.6 Conclusion
CHAPITRE 3 PRÉSENTATION DU TERRAIN DE RECHERCHE ET DES ACTEURS ÉTUDIÉS
3.1 Présentation du terrain de recherche
3.1.1 Données physiques sur le Sénégal
3.1.2 Données démographiques
3.1.3 Données politiques et institutionnelles
3.2 Présentation des régions ciblées par l’étude
3.2.1 La région de Dakar
3.2.2 La région de Kaffrine
3.2.3 La région de Louga
3.2.4 La région de Saint-Louis
3.2.5 La région de Thiès
3.2.6 La région de Ziguinchor.
3.3 Présentation des acteurs..
3.3.1 Le CNCR
3.3.2 Le Forum civil
3.3.3 La RADDHO..
3.4 Conclusion
CHAPITRE 4 RÉSULTATS DE RECHERCHE ET INTERPRÉTATION
4.1 Usage des TIC en milieu rural
4.1.1 Usage économique des TIC..
4.1.2 Usage social des TIC
4.1.3 Le cas de la radio communautaire, Awagna FM de Bignona..
4.1.4 Une appropriation difficile mais effective..
4.2 Usage des TIC en milieu urbain
4.2.1 Réorganisation du travail
4.2.2 Les TIC, instruments d’ alerte et de veille..
4.2.3 Les élections sous l’oeil des TIC
4.2.4 Les TIC au service de la transparence et des droits humains..
4.2.5 Limites des TIC en milieu urbain
4.2.6 Les TIC au coeur des schémas d’ intervention des ONG..
4.3 Conclusion
5 CONCLUSION GÉNÉRALE
5.1 Pour un usage concerté des TIC
5.2 Quelques pistes de réflexion
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
Annexe A : Schéma d’entrevue avec les ONG en milieu urbain
Annexe B : Schéma d’entrevue avec les ONG en milieu rural
Annexe C : Schéma d’ entrevue avec les partenaires privés et publics

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