Les transports informels à Dakar à l’épreuve de la régulation

Les transports informels à Dakar à l’épreuve
de la régulation

Personnel de l’unité de transport informel

L’exploitation du véhicule informel est généralement sujette à l’intervention de trois opérateurs dont le conducteur, l’apprenti et le rabatteur plus connu sous le terme local de « coxeur ». Chaque élément joue un rôle non moins négligeable dans le fonctionnement du véhicule.

Conducteur de l’unité

Le conducteur ou chauffeur est un métier qui a toujours existé car de tout temps, l’homme a éprouvé un besoin de se déplacer, d’être acheminé avec ses biens d’un endroit à un autre. Ce métier est plus en vue en ville avec le développement des moyens de transport en rapport avec la forte demande de mobilité. Il s’agit également d’une des stratégies développées par des individus ayant compris que l’absorption de tous par le secteur formel est illusoire face au rythme d’accroissement de la population. L’essentiel de ceux qui s’adonnent à ce métier est d’origine rurale. Ainsi, la mobilité ardente notée dans la capitale Sénégalaise valorise l’activité de cette catégorie sociale qui, en plus de son épanouissement en ville, réussit le plus souvent la prise en charge de parents ou familles laissés en campagne. D’ailleurs, l’accès à la profession de transporteur est libéral au Sénégal et ne repose point sur des critères de professionnalisation ou de compétence. Dans le cadre de ce travail de 161 recherche, une enquête a été menée sur le niveau d’étude des conducteurs. Les résultats sont présentés sur la figure 4. Figure 4: Répartition des chauffeurs en fonction de leur niveau d’étude Source : Awa FALL, Août 2015 Ainsi, 52% des interrogés déclarent n’avoir reçu aucune instruction, 36% disent arrêter leur cursus au primaire, 11%, seulement, ont pu faire le secondaire. Les chauffeurs ayant fait des études supérieures sont en nombre insignifiant, 0,5%. La faiblesse du niveau d’étude des chauffeurs peut s’expliquer par la situation économique difficile des familles d’origine. En effet, l’éducation est un investissement à long terme et des ménages à précarité financière s’avèrent être plus préoccupés par la dépense quotidienne que par la quête du savoir. Ces jeunes qui embrassent le métier de conducteur sont généralement le reflet d’une couche sociale qui se sent exclue du système en raison de l’état de paupérisation auquel elle se trouve. Donc, certains n’ont pas pu bénéficier d’une scolarisation ou ont quitté très tôt l’école pour devenir des soutiens de famille. Entre temps, plusieurs pistes servent de passerelle pour devenir chauffeur. Ce dernier passe généralement soit par l’étape apprenti, soit par la mécanique, soit par le lavage de véhicules. 0,00% 10,00% 20,00% 30,00% 40,00% 50,00% 60,00% 0,50% 52% 36% 11% 0,50% Niveau d’étude Pourcentage 162 Par ailleurs, l’irruption de ces acteurs dans le secteur du transport est motivée par un certain nombre d’éléments comme l’illustre la figure 5. Figure 5: Répartition des chauffeurs en fonction de leur motivation Source : Awa FALL, Août 2015 La figure 5 fait état de la motivation diverse des conducteurs dans le choix du métier. L’analyse révèle que le gain financier est plus significatif dans la motivation des conducteurs avec 67% suivi de l’amour du métier avec 17,5%, du legs parental avec 15% et du hasard avec 0,5%. La prédominance du gain financier peut être comprise en ce sens que l’homme soit naturellement un être qui aspire au mieux-être qu’il acquiert à travers son travail, son activité. D’ailleurs, dans une société matérielle, la place de l’individu est garantie par sa réussite financière. Ce constat est plus qu’une réalité en ville où l’individualisme est prôné, chacun pour soi, Dieu pour tous. Il faut soit réussir, soit périr. NDIAYE atteste : « Si … la richesse matérielle n’est qu’une façon d’atteindre les idéaux moraux, elle est devenue la forme  tendanciellement dominante. Dans notre société du moment, …, le résultat vaut en lui-même. Sa forme est indifférente; il en est de même pour le processus de son acquisition ». THIOBANE167 de renchérir  » L’unique esprit qui vaille est, celui mercantiliste, et donc, au plus futé de se faire une place au soleil quels que soient les voies et moyens utilisés. » Pourtant, la plupart des conducteurs interrogés déclarent ne pas être propriétaires du véhicule et situent leur salaire mensuel entre 60000 et 80000 FCFA. Une somme qui parait dérisoire pour vivre décemment s’ils ne parviennent pas à trouver d’autres alternatives. Mais en tout état de cause, les conducteurs des moyens informels désignent la manne financière comme premier critère de motivation. A côté du gain financier, l’amour du métier qui occupe une part non négligeable peut être compréhensible car déjà à bas âge certains individus restent envahis par un désir ardent pour la conduite. En outre, la part du legs parental dans la motivation qui n’est pas aussi moindre peut se justifier par le fait que certains jeunes se voient dans la profession exercée par les membres de leur famille qu’ils soient le père biologique, l’oncle ou un membre quelconque. Par ailleurs, la part insignifiante du hasard confirme la thèse selon laquelle la conduite n’est pas choisie par les acteurs de manière fortuite. Ainsi, le conducteur reste un élément clé du véhicule auquel est attribuée la responsabilité d’acheminer les usagers à destination. Dans cette charge non moins aisée, il a besoin d’aide et d’assistance. C’est dans ce sens qu’intervient l’apprenti. 

Apprenti ou receveur de l’unité

Le terme apprenti est un qualificatif généralement donné à tout apprenant dans une activité du secteur informel. Néanmoins, l’appellation peut varier selon les pays ainsi que les domaines d’activité. Si au Sénégal, le nom apprenti est approprié, en Tanzanie et au Cameroun, il s’identifie respectivement au receveur et au motor-boy. Comprendre le sens du mot apprenti revient à comprendre la relation entre le secteur informel et les réseaux sociaux. « La mobilisation du capital social apparait comme la ressource majeure pour l’acteur urbain préoccupé par l’accès à l’emploi, au logement et aux moyens  d’ascension sociale en général. Les réseaux sociaux sont des instruments de satisfaction des besoins spécifiques quand les institutions sociales se révèlent impuissantes» 168 . Ainsi, l’apprenti est le plus souvent un jeune qui n’a pas eu la chance d’aller à l’école, qui a été expulsé ou qui a tout simplement abandonné de son propre gré ou suite à la volonté des parents. Par souci qu’il soit improductif à l’avenir, le protégé le recommande alors auprès d’un cercle de personnes connues, amis, parents proches, etc., pour suivre une formation dans un métier bien déterminé. De ce fait, le tuteur se chargera de substituer les parents aussi bien dans la formation que dans l’éducation de l’enfant. Dans le cadre du transport, l’apprenti est l’assistant du chauffeur. D’ailleurs, vue la configuration des moyens informels de transport, son rôle est indéniable. Celui-ci reste en contact permanent avec la clientèle et contrôle ainsi les recettes du véhicule. En effet, l’entretien du véhicule de même que la contravention policière sont assurés par lui. Conscient de son apport dans le fonctionnement du véhicule, le chauffeur reste souvent sensible à ses aspirations, lui laissant même le choix de déterminer la ligne qui connait une variation continuelle en rapport avec la demande de transport. « Les jeux du pouvoir peuvent donc s’inverser dans ce cas précis au profit de l’apprenti qui peut avoir de l’ascendance sur le chauffeur. Même s’il est choisi par le chauffeur parmi ses familiers, ses connaissances, celui-ci essaie d’entretenir avec lui d’étroites relations de confiance et de collaboration, sinon de complicité »169 . Toutefois, les conditions de travail de l’apprenti sont dérisoires. En effet, celui-ci s’active pendant un long temps d’horloge à des sommes modiques. La rémunération autrement appelée mandat émane du chauffeur en fonction de la recette journalière. Cette dernière est évaluée à la suite des dépenses d’entretien du véhicule (carburant, lavage, etc.), de « péagescontrôles » et d’alimentation. Le mandat varie ainsi entre 1500 et 2000 FCFA et ne dépasse généralement les 2000 F qu’en période de grandes fêtes comme la korité, la tabaski ou lors 168 FALL A.S., 1994, Et si l’insertion passait par l’investissement dans des réseaux sociaux ? réseaux formels et informels de solidarité et de dépendance dans les quartiers de Dakar, in : Les associations paysannes en Afrique. Organisation et dynamiques, Jean-Pierre Jacob et Philippe Lavigne Delville (Sous la dir. de), Karthala, pp 293-303. 169 CALAS. Bernard., 2006, De Dar es Salaam à Bongoland : mutations urbaines en Tanzanie, Paris, Karthala, 392p. 165 des cérémonies religieuses comme le magal de Touba, le gamou de Tivaouane et le pèlerinage chrétien à Popenguine, où l’affluence est vive. Au cours de nos enquêtes de terrain, nous avons interpellé les apprentis sur leurs conditions de travail assez précaires, un des leurs réagit en ces termes : « Nous ne nous plaignons pas de notre état. Cette étape d’apprenti est tout simplement une passerelle pour devenir chauffeur. Tous nos grands sont passés par là. Nous contrôlons la recette quotidiennement et pouvons en faire tout ce qui nous plait mais nous risquons dans ce cas d’indisposer le chauffeur qui n’est pas souvent le propriétaire, et tel n’est pas notre objectif ». Cependant, l’âge minimum pour être apprenti n’a pas fait l’objet de fixation ; raison pour laquelle, des jeunes de moins de 12 ans ou 12 ans révolus envahissent le secteur du transport informel tout en sachant la tâche ardue qui les attend. Au cours de notre enquête de terrain, nous nous sommes intéressées sur la tranche d’âge des apprentis. Ainsi, la planche1 présentée ci-dessous donne une image sur les individus qui s’activent dans ce métier. Planche1 : Caractéristique des apprentis en fonction de leur âge Source : Awa FALL, Août 2015 166 La planche1 montre trois jeunes à âge nettement différencié : un enfant dont la tranche d’âge se situe entre 11 et 14 ans et deux jeunes à tranche d’âge se situant respectivement entre 20 et 25ans et 30 et 35ans. Cet état de fait dénote l’ouverture du secteur informel, laquelle offre l’opportunité à toute personne physique quel que soit l’âge d’en tirer profit. Les enfants- apprentis sont aujourd’hui en nombre important dans les véhicules informels. Il s’agit en général des enfants qui sont confiés par leurs parents à des chauffeurs par peur qu’ils ne versent dans la débauche après avoir quitté l’école ou des enfants qui assistent leurs pères conducteurs dans l’exercice ou ceux qui cherchent à alléger tant soit peu la précarité financière de la famille à travers les maigres recettes tirées de l’activité. Dans son exercice, l’apprenti est souvent appuyé par le rabatteur plus connu sous le terme local de « coxeur ».

Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
PREMIÈRE PARTIE : URBANISATION ET PROBLEMES DE TRANSPORT COLLECTIFÀ DAKAR
Chapitre 1 : Contexte du développement urbain
Chapitre 2 : Crise du transport collectif à Dakar
Conclusion partielle
DEUXIÈME PARTIE : SYSTEME DE TRANSPORT COLLECTIF INFORMEL DANS LA VILLE DE DAKAR
Chapitre 3 : Fonctionnement du système
Chapitre 4: Dérives du transport collectif informel
Conclusion partielle
TROISIÈME PARTIE : RÉGULATION DES TRANSPORTS COLLECTIFS INFORMELS A DAKAR
Chapitre 5 : Action de l’Etat dans le transport informel
Chapitre 6 : Limites de la réforme du transport informel
Chapitre 7: Perspectives d’amélioration de la mobilité à Dakar
Conclusion partielle
CONCLUSION GENERALE

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