L’ETRE ET SA VENUE AU JOUR

L’ETRE ET SA VENUE AU JOUR

Parvenus à la dernière étape de notre méditation et, dans le sanctuaire le plus intime de l’être lui-même à travers la riche contrée du langage comme désabritement, nous voici appelés à redécouvrir la tâche de la pensée. Redécouvrir la tâche de la pensée, ce n’est rien d’autre que « nous libérer de l’interprétation technique de la pensée dont les origines remontent jusqu’à Platon et Aristote »227, pour en venir à déterminer l’affaire propre de la pensée. « La pensée, dit Heidegger, est l’engagement par et pour la vérité de l’être, cet être dont l’histoire n’est jamais révolue, mais toujours en attente.»228 Cette attente doit advenir comme don. « Cette offrande, écrit Heidegger, consiste en ceci, que dans la pensée l’être les commentateurs, à sa suite, appellent le tournant (die Kehre) : la quête du sens de l’être, caractéristique de l’époque de Être et Temps, cède la place, à partir des années 1930, à une méditation sur la vérité de l’être. Avec le tournant, la pensée est en même temps pensée de l’être en tant qu’appartenant à l’être, elle est à l’écoute de l’être comme les penseurs initiaux qui furent penseurs et poètes de l’être parce que l’homme pour eux n’est ce qu’il est qu’en tant que diseur à l’écoute de l’être auquel il appartient, tant penser et dire sont don de l’être lui-même plutôt qu’une invention de l’homme. « Ce n’est pas questionner, dira Heidegger en 1957, qui est le geste propre de la pensée, mais : prêter l’oreille à la parole où se promet ce pensée ; moins de littérature et plus de soin donné à la lettre comme telle, selon l’invitation que nous adresse Heidegger, si nous voulons que la pensée recouvre la pauvreté féconde de son essence provisoire en rassemblant le langage dans son dire le plus simple ; si nous y consentons alors nous sera fait don de la pensée ,

L’éclaircie de l’être

L’homme est, de tous les étants, le seul engagé dans le destin de l’ek-sistence, c’est- à-dire capable de se tenir dans l’éclaircie de l’être. L’éclaircie renvoie ici à cette clairière ombragée seule capable de nous révéler et la terre et le ciel, et le jour et la nuit, et la présence et l’absence des choses claires ou obscures. À la question, comment l’être se rapporte t-il à l’ek-sistence, Heidegger répond : « L’être lui-même est le rapport en tant qu’Il porte à soi l’ek-sistence dans son essence existentiale, c’est-à-dire extatique, et la ramène à soi comme ce qui, au sein de l’étant, est le lieu où réside la vérité de l’être ». En toute clarté, cette expression signifie que l’être est traversé en son fond par le feu dévorant de l’ek-sistence et cette eksistence est en effet le temple de l’être. Ainsi, l’ek-sistence fait de l’être le destin de l’éclaircie. « Or cette éclaircie elle-même, dira Heidegger, est l’être »232. L’éclaircie est ici l’être parce qu’elle accorde la proximité à l’être. La proximité fait signe vers le lieu, le séjour ou l’habiter, les poètes et les penseurs matinaux de la question la plus digne, celle de l’être.

Le séjour ou l’habiter

Dans ce qui suit nous essayons de penser l’ « habiter » et le « séjour ». Une telle pensée concernant le séjour n’a pas la prétention de découvrir des idées de voyage, encore moins comment obtenir un document officiel permettant de sortir et d’entrer en Europe ou aux Etats-Unis. Cet essai de pensée ne présente aucunement le séjour du point de vue de la découverte et de l’évasion, mais il le poursuit pour le ramener au domaine auquel appartient tout ce qui est. Nous demandons : Que signifie le séjour ? Et que veut dire l’« habiter » ?

Pour répondre à la première question, il est utile que nous rappelions que l’être se dérobe à nous lorsque nous tentons de le dire expressément. Ce qui sans doute nous pousse inconsciemment à ne nous rapporter donc qu’à l’étant. Disons aussi que l’être avait en effet fait éclater l’essence de l’homme, notre essence. Ainsi, de par cet éclatement entendu au sens d’éclairage, nous appartenons à l’être tout en ne lui appartenant pas, car l’être se donne à nous en se soustrayant. En d’autres termes, nous séjournons, habitons, demeurons dans le domaine de l’être sans être autant directement admis en lui, tels des apatrides dans leur patrie la plus propre, si toutefois nous sommes en droit d’appeler ainsi notre propre essence. « Le séjour »

Ce séjour n’est-il pas qu’un étrange surplus à notre être-homme, lequel serait déterminé par ailleurs sans ambiguïté possible et définitivement assuré, et même capable de faire historiquement le décompte et la description de sa situation ? Ou bien le séjour dans l’être est-il bel et bien ce en quoi et à partir de quoi peuvent se décider chaque fois, et toujours différemment, le mode, le rang et l’originalité essentiels de notre humanité historiale ? S’il en était ainsi, nous resterions bien loin de la décision essentielle prise quant à nous-mêmes, tant que nous renions ce séjour dans l’être pour nous contenter d’inventorier des situations « spirituelles » et des « mentalités » dont l’humanité a témoigné.

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