LIMA UNE VILLE ILLÉGALE CONSOLIDÉE

LIMA UNE VILLE ILLÉGALE CONSOLIDÉE

Dans les années 1950, Lima voit sa population augmenter à plus de 5% par an ; à partir des années 1990, les taux de croissance se stabilisent autour de 2%. Lima est ainsi passée de 1,5 million d’habitants en 1955 à plus de 9 millions aujourd’hui sur 1 100 km² urbanisés (Durand 2010). La tolérance de l’État pour l’invasion des terres périphériques publiques et l’absence de programmes de logement formel ont encouragé une urbanisation horizontale et peu dense. L’expansion urbaine dans les cônes nord, sud et est de la ville a d’abord eu lieu sur les zones planes des vallées ou étendues désertiques, et depuis une vingtaine d’années sur les pentes des contreforts de la Cordillère et les dunes sableuses au sud de la ville (Carte 7). soutien étatique au processus d’urbanisation progressive sous le terme de self-help. Par la suite, De Soto s’est également inspiré du Pérou pour élaborer ses théories sur l’informalité, qui y ont ensuite été expérimentées en retour (1986; 2000). Les politiques péruviennes ont ainsi suscité un intérêt alors qu’elles détonnaient par rapport aux conceptions planificatrices dominantes et à la doxa moderniste (Riofrío 2009). Depuis, aux notables exceptions de Matos Mar (1984; 2012) et Calderón (1999; 2004; 2005; 2011), il est plus difficile de trouver de la littérature scientifique sur l’urbanisation irrégulière. La crise économique et politique des années 1990 a affaibli la recherche péruvienne (Durand 2010). Les études urbaines sont aujourd’hui davantage réalisées dans des ONGs de recherche-action, avec une approche disciplinaire plus sociologique et anthropologique que géographique (Riofrío 2009). En outre, les études contemporaines sur la ville portent principalement sur des questions de libéralisation des marchés immobiliers, d’insécurité, de mobilité et de transports, ou encore des espaces publics (Ludeña 2002; Mattos et al. 2011; Vega-Centeno 2004; 2013).

Pourtant, sorti de la crise économique et politique depuis le début des années 2000, le Pérou est entré dans une période de stabilité démocratique et de croissance économique (Jaramillo & Silva-Jauregui 2011), accompagnée d’importants changements sociaux et culturels (Plaza 2012). La vie culturelle liménienne et les mouvements civiques réapparaissent. Lima présente de ‘nouveaux visages’ qui commencent à être étudiés en termes de reconfiguration socioculturelle (Riofrío 2009). En parallèle, un nouveau discours sur la ville se structure petit à petit dans les médias et le débat public : la tension entre le centre traditionnel et les périphéries de migrants tend à disparaître pour laisser la place à une ville multiple, à l’identité renouvelée et dynamique sous l’influence des nouveaux liméniens. Le titre de l’ouvrage grand public Ciudad de los Reyes, de los Chávez, de los Quispe… (Arellano & Burgos 2010) illustre bien ce glissement : la ‘ville des rois’ est l’appellation historique de Lima en tant que capitale de l’empire espagnol, mais Reyes est également un nom propre populaire, tout comme Chávez et Quispe. La traduction spatiale et urbaine de ce renouveau économique, social et culturel dans les quartiers irréguliers n’a cependant pas encore réellement été étudiée. Afin de comprendre les dynamiques contemporaines de consolidation urbaine, le plus adéquat est de suivre la manière dont l’action publique s’est structurée : dans un premier temps, l’urbanisation irrégulière s’est imposée de manière massive et organisée (1), ce n’est qu’ensuite, en réaction, que des politiques urbaines – en lieu et place de planification – ont été échafaudées (2). Quant aux services urbains, ils ont dans ce processus original alternativement été des outils d’action publique et des secteurs à part suivant des logiques autonomes (3).

L’OCCUPATION-AUTOCONSTRUCTION COMME MODE DE FABRIQUE URBAINE

Loin d’être considérée comme une infraction, l’urbanisation irrégulière a provoqué les pouvoirs publics péruviens à réagir. Face à une demande sociale forte et organisée et dans l’incapacité de contrôler la croissance urbaine, l’État a toléré voire soutenu l’urbanisation irrégulière et les mouvements sociaux qui ont pris la main sur la fabrique urbaine. Dans les années 1940, les premières barriadas apparaissent autour du centre historique et du Rio Rίmac comme des annexes hébergeant une main-d’œuvre dépendante de l’activité de la zone centrale (Barreda & Ramirez Corzo 2004). Ces quartiers aujourd’hui centraux sont qualifiés de ‘taudis’ ; ce sont des zones denses, insalubres, au patrimoine architectural dégradé et vulnérables aux séismes (d’ Ercole & Sierra 2008; Robert & Sierra 2009). Leur situation est différente de celle l’urbanisation progressive caractéristique de Lima (Calderón 2005). Dans les années 1950, l’exode rural et la relative croissance économique alimentent la croissance démographique forte de Lima. En l’absence d’offre de logement bon marché, les migrants s’organisent pour occuper et développer les terrains disponibles en périphérie. Les invasions se font sur des terrains publics abondants et disponibles au nord et au sud de la ville. Les terres désertiques et montagneuses environnant Lima appartiennent par défaut à l’État péruvien, si ce n’est quelques terres agricoles le long des fleuves du Rίmac vers l’est et du Chillón au nord. N’ayant pas de projets de développement ni d’objectif de contrôle particulier sur ces terres et incapables de résister à la pression sociale des invasions, l’État les a laissées aux migrants. Ces terres un peu éloignées du centre suscitent moins de convoitise et ont moins de valeur que les quartiers centraux (Avellaneda 2008; Driant 1991; Sakay et al. 2011). En outre, ces terrains sont vastes, plats, facilement accessibles et constructibles.

 

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