L’implantation des congrégations catholiques latines au sein de la société égyptienne

L’implantation des congrégations catholiques latines au sein de la société égyptienne

Les congrégations religieuses catholiques latines implantées en Egypte sont dépendantes d’une autorité, l’Eglise romaine, dont la présence sur le sol égyptien soulève plusieurs problèmes. En analysant tout d’abord de près ce qui fait la spécificité de cette Eglise en Egypte, nous pourrons ensuite tenter de comprendre la situation de ces congrégations catholiques dans le paysage égyptien. La société égyptienne est majoritairement musulmane, mais de nombreux chrétiens de différentes confessions y sont aussi présents. Les religieux latins essaient donc d’adapter leur mode de vie et leurs actions à cet espace multiconfessionnel. 

Les catholiques latins en Egypte

Le paysage chrétien de l’Egypte aujourd’hui est celui d’une mosaïque d’Eglises. Treize Eglises chrétiennes sont représentées sur ce territoire. Tout d’abord, l’Eglise nationale, l’Eglise copte, divisée en une Eglise copte orthodoxe, une Eglise copte catholique, et une Eglise copte protestante. Etant la seule originaire de ce pays, elle est la plus importante d’Egypte, et ses fidèles représenteraient un peu moins de 6% de la population12. Ce chiffre fait ainsi de cette communauté « la plus importante, et de loin, des chrétientés d’Orient » (Valognes, 1994 : 234). On trouve ensuite de nombreuses petites Eglises, qui ont été formées par les étrangers vivant en Egypte : ainsi des Eglises grecques, arméniennes et syriennes (toutes divisées entre orthodoxes et catholiques), les Eglises maronite, chaldéenne, latine, et épiscopalienne. Ces Eglises ne représentent qu’une très petite partie des chrétiens d’Egypte. Nous allons nous attarder tout d’abord sur la présence de l’Eglise catholique latine en Egypte, ce qui nous permettra ensuite de comprendre la situation des congrégations catholiques qui lui sont rattachées. Ce chiffre est l’estimation la plus plausible, donné par Catherine Mayeur-Jaouen (2005 : 361). Il est très difficile actuellement d’obtenir des chiffres précis quant à la proportion de chrétiens en Egypte. En effet, l’Etat ne souhaite pas en publiant ces chiffres raviver certaines tensions entre chrétiens et musulmans. Voici ce que dit Jean-Marie Mayeur à propos de la contestation de ces chiffres par les coptes : « ces chiffres […] sont contestés depuis les années soixante-dix, pour des raisons politiques, par les élites coptes et les auteurs liés à la diaspora copte […]. Pour eux, il s’agit là d’une diffamation, et le nombre actuel des coptes serait de 7 à 8 millions, avec une proportion de coptes de l’ordre de 15%, voire plus, de la population égyptienne » (Mayeur, 2000 : 475/476).. L’expansion des missions catholiques en Egypte commence à partir du XVIème siècle, lorsque le pape Pie IV y envoie des jésuites, dans l’optique de créer une union entre l’Eglise copte et le Vatican. A partir de là, malgré certains aléas14, d’autres congrégations vont prendre le relai et s’efforcer de s’implanter durablement dans le pays. Le développement de la mission catholique d’une manière générale sera facilité par la création de la Congrégation de Propaganda Fide, en 1622, qui a permis d’unifier et de soutenir le travail missionnaire15. Il s’agissait sur le terrain égyptien de tenter de réunifier les deux Eglises, mais aussi d’essayer de convertir les musulmans au christianisme. Les efforts des missionnaires par rapport à l’union entre le Vatican et l’Eglise copte ont conduit celle-ci à se scinder en deux. La partie orthodoxe ne voulait pas renoncer à son identité et son autonomie. La partie catholique avait été attirée par la puissance de l’institution romaine16. Les nouvelles Eglises orientales catholiques ont transformé en partie leurs rites et liturgies sur le modèle latin. Mais l’histoire de l’Eglise latine est aussi liée à celle de l’impérialisme européen. C’est en profitant de la protection des puissances européennes17 envers la chrétienté orientale que cette Eglise, notamment à travers les ordres religieux, va s’implanter et se diffuser en Egypte. Elle fait aussi partie de ce que l’on pourrait appeler un impérialisme culturel, car c’est à travers les écoles tenues par ces congrégations que va se faire la diffusion d’une culture européenne (Abécassis, 1995 : 216 ; Bocquet, 2007 : 59). L’implantation de cette Eglise en Egypte ne va donc pas de soi, et n’a pas été acceptée facilement par les Egyptiens. Pour les musulmans, c’est une menace de prosélytisme chrétien, soutenu par une institution riche et puissante, et qui plus est au service de l’impérialisme européen. Pour les chrétiens, cela représente une atteinte à leurs pratiques, que l’Eglise latine cherche à unifier. Elle est aussi le symbole de cette présence européenne imposée, que leurs sentiments d’appartenance à la nation égyptienne ne peuvent tolérer. 13 C’est aussi le cas de l’Eglise épiscopalienne. 14 Les jésuites sont expulsés d’Egypte à la fin du XVIIIème siècle, avant d’y revenir en 1879. 15 Cette congrégation a été rebaptisée en 1982 par Jean-Paul II la Congrégation pour l’évangélisation des peuples. 16 La fondation de l’Eglise copte catholique date de 1895. 17 Il s’agit notamment du régime des Capitulations, et par la suite, de la protection de la Grande-Bretagne, de la fin du XIXème siècle jusqu’en 1922, date de l’indépendance égyptienne (Sharkey, 2005 : 46).De ce fait, pour parvenir à s’intégrer dans le paysage égyptien, l’Eglise latine a opté pour une voie moyenne : garder sa liturgie et ses rites latins, tout en « s’arabisant » le plus possible. De nombreuses messes sont dites en arabe, par un clergé latin, spécialement formé pour cela, à Rome18, ou dans des instituts spécialisés, au Caire. Cette caractéristique incite des responsables de cette Eglise à penser que celle-ci pourrait être « un pont entre l’Eglise d’Occident […] et celles d’Orient »19. C’est là cependant une situation plutôt délicate, qui oblige les membres de l’Eglise latine à une connaissance intime de ces deux ensembles, tout en ayant assez de recul pour garder un œil critique sur les deux. L’Eglise latine en Egypte est obligée de travailler avec l’Eglise copte catholique, car « l’Eglise latine n’existe pas officiellement », comme le disait le père Jean, un prêtre de la congrégation des trinitaires20. La situation de l’Eglise latine en Egypte est donc très particulière. Elle est représentée par un nonce apostolique21, mais c’est par l’intermédiaire des autorités ecclésiastiques de l’Eglise copte catholique que les religieux latins doivent passer lorsqu’ils souhaitent obtenir auprès de l’administration égyptienne un visa, un permis de construire, ou toute autre formalité de ce genre. Sœur Christiane, de la congrégation de NotreDame des Apôtres22, explique ainsi le cas de l’école dont sa congrégation s’occupe : « Nous sommes propriétaires de l’école, mais sous le patriarcat copte. […] C’est-àdire que d’abord c’est à nous, mais s’il y a un problème, automatiquement, on a une couverture de l’Eglise copte catholique ». Les congrégations latines en Egypte sont dépendantes de l’Eglise copte catholique. On peut donc se demander comment les religieux latins perçoivent leur dépendance vis-à-vis de cette Eglise locale, étant donné que leur vœu d’obéissance les place dans le même temps sous 18 A Rome se trouve l’Institut Pontifical d’Etudes Arabes et Islamiques (en italien, PISAI), qui dispense un enseignement intensif d’arabe et d’études islamiques classiques, et dont la direction est assurée par les Pères Blancs. 19 Cette citation est extraite d’un fascicule donné par le père Franck, un prêtre de la Société des Missions Africaines. Il s’intitule Rôle et mission de l’Eglise latine dans nos Eglises du Moyen-Orient, et a été écrit par le père jésuite Samir Khalil (Octobre 2000), p. 6. 20 L’ordre de la Sainte Trinité fut fondé en 1194 par Jean de Matha. Cet ordre est revenu en Egypte en 1998, dans le but de renouer avec ses anciennes traditions d’implantation dans les pays du Moyen-Orient (voir http://osstcairo.free.fr/presentation.html, consulté le 16/05/09). 21 Le nonce apostolique est l’ambassadeur du Vatican à l’étranger. En Egypte, et depuis février 2006, ce poste est assuré par Monseigneur Fitzgerald. La congrégation de Notre-Dame des Apôtres a été fondée par Augustin Planque en 1876 (Cf Echallier, 1995 ; et le site de la congrégation http://www.ndaegypte.org/spip.php?rubrique6 , consulté le 5/03/09). 15 l’autorité pontificale romaine. Le père Christian, jésuite, est enseignant dans le séminaire copte catholique de Maadi, un centre de formation pour le clergé : « Ma fonction officielle c’est d’être au séminaire copte catholique. […] En même temps, j’essaie d’être un peu une fenêtre ouverte au séminaire, et aussi de mettre en relation le séminaire avec des musulmans, et aussi des coptes orthodoxes. […] Et c’est là que je suis content à cause de mon rôle au séminaire, où les premiers responsables sont des coptes catholiques égyptiens. Et donc maintenant, c’est nous qui collaborons avec le clergé copte catholique égyptien ». Ce père hollandais, qui vit depuis plus de quarante ans en Egypte, a été formé puis ordonné selon le rite copte catholique. En plus de son rôle de prêtre et de religieux latin, il officie régulièrement à des messes coptes catholiques. Sa formation l’a conduit à devenir enseignant dans ce séminaire. Cette institution est dépendante de l’Eglise copte catholique, et il y forme des futurs prêtres coptes catholiques : « Actuellement tenu par les coptes-catholiques eux-mêmes, le grand séminaire de Maadi, lointain descendant de celui des jésuites, prépare au sacerdoce une soixantaine de séminaristes. […] On y observe le rite copte mais une messe latine par semaine y est célébrée. Le jeûne du carême est plus proche de celui des latins que de celui des orientaux. […] La majorité des professeurs, outre les coptes-catholiques eux-mêmes, sont des Européens, jésuites ou comboniens, ou des Américains appartenant à la congrégation des Maryknoll » (Mayeur, 1992 : 277). Nous pouvons donc constater ici une nouvelle forme de relation, entre l’Eglise copte catholique et les religieux latins. Historiquement, c’est l’action de ces derniers qui a conduit à la fondation de cette Eglise. Celle-ci a ensuite calqué quelques unes de ses pratiques sur celles de l’Eglise romaine. Or, à travers le parcours du père Christian, nous pouvons voir que désormais, des religieux latins s’intéressent aux pratiques coptes catholiques, et que certains vont même jusqu’à se faire ordonner dans ce rite. Le père Christian envisage donc cette nouvelle forme de relations entre ces deux Eglises comme une collaboration. En se faisant ordonner prêtre copte catholique, et en devenant enseignant dans leur séminaire, il se met au service de cette Eglise. En échange, il   estime que sa présence apporte quelque chose de nouveau, puisqu’il ouvre le séminaire à des musulmans et à des coptes orthodoxes. Cela pourrait ainsi signifier que pour lui, les coptes catholiques n’ont pas cet esprit d’ouverture que seul pouvait leur apporter quelqu’un de l’extérieur. Nous pouvons voir se dessiner ici une tendance des religieux étrangers, que nous développerons plus loin, à considérer qu’ils apportent une ouverture par rapport à l’islam, que les chrétiens égyptiens ne seraient pas prêts à envisager. De même, étant donné que les relations sont actuellement tendues entre l’Eglise copte orthodoxe et l’Eglise copte catholique, ils pensent qu’ils pourraient aussi œuvrer à rétablir de meilleures relations entre ces deux Eglises. D’autres pères se sont faits ordonnés selon le rite catholique latin, comme le père Jean. Ce père explique qu’il est devenu prêtre copte catholique parce que cette Eglise manque actuellement de prêtres. Pour lui, les congrégations sont présentes en Egypte essentiellement pour aider les chrétiens. C’est donc dans le but de soutenir cette Eglise23, en palliant à ce manque, qu’il a accepté cette ordination. Cependant, il raconte qu’il a mis très longtemps à obtenir l’autorisation du Vatican pour pouvoir officier selon ce rite. Selon lui, ce retard montre que Rome craint encore aujourd’hui d’être accusée de faire des tentatives de latinisation vis-à-vis des chrétiens orientaux. Cette hésitation montre combien l’histoire de la formation des Eglises uniates reste présente dans les mémoires, et incite le Vatican à être prudent par rapport à ces Eglises2. L’Eglise catholique latine en Egypte a aussi une situation particulière au sein de la catholicité. En effet, toutes les Eglises catholiques d’Egypte sont régies par le droit canon catholique oriental25, à l’exception de l’Eglise latine, qui reste sous l’égide du droit canon romain. Les latins ne constituent donc pas un rite oriental, à la différence des six autres Eglises catholiques présentes en Egypte. Les fidèles de cette Eglise en Egypte sont très peu nombreux, puisqu’ils représentent à peu près 7000 personnes.

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