L’usage des outils de gestion du time charter dans le marché du voyage charter

L’usage des outils de gestion du time charter dans le marché du voyage charter

Mener des opérations à termes sur le marché du fret

La financiarisation offre des possibilités de réduire le niveau d’incertitude qui prédomine sur un marché réputé volatil (Mac Kenzie et Milo 2003), ce qui est la situation du transport maritime. Revenir sur les raisons qui poussent les acteurs à souscrire des produits dérivés de fret va nous permettre de dévoiler un nouvel aspect de la segmentation du marché du courtage maritime au travers de deux points. Premièrement, nous montrerons que les courtiers d’affrètement maritime qui évoluent 296 dans des petits cabinets de courtage sont très éloignés de ces pratiques et éprouvent même une certaine aversion à l’égard du marché des dérivés. Deuxièmement, ces opérations de couverture reposent en grande partie sur le travail de courtiers spécialisés dans les dérivés de fret qui évoluent au sein des grands cabinets mondiaux de courtage maritime. 

Négocier puis couvrir le “deal”

Négocier des affaires sur un marché globalisé, tel que celui du transport maritime, c’est être soumis à un certain nombre de risques qui sont tous largement intériorisés par tous les intervenants de la chaîne de valeur. Afin de limiter au maximum leur portée, les acteurs déploient tout un ensemble de dispositifs, censés leur apporter une plus grande visibilité dans la conduite des transactions. Nous allons rapidement présenter les trois risques principaux qui entourent l’activité d’affrètement maritime. Dans les chapitres précédents, nous avons évoqué une première gestion des incertitudes au niveau micro, en montrant que les courtiers d’affrètement maritime assument une activité prudentielle lorsqu’ils permettent la contractualisation des clauses de la charte-partie. Ils réduisent ici le risque à deux niveaux principaux. Au premier niveau, en tant qu’intermédiaires engagés pour mener à bien une relation de service, ils servent de catalyseur. La conduite des transactions « en direct » engendrant un risque de compromission des relations d’affaires plus important. Ensuite, nous avons montré que leur présence est plébiscitée car elle opère comme une garantie de fiabilité à l’égard des parties qui sont amenées à contractualiser une prestation. Ainsi, le chargeur externalise la tâche de trouver un transporteur et les incertitudes qui y sont associées. En ce sens, on peut dire que le caractère prudentiel de l’activité de courtage constitue un premier élément de réduction des incertitudes et des risques. Au second niveau, se situe la logique proprement assurantielle qui structure les échanges au sein du transport maritime. Lors d’un voyage, l’armateur a l’obligation de contracter une assurance afin de palier tout ou partie des risques de la navigation en 297 haute mer, une avarie ou une collision par exemple. L’affréteur, lui aussi, de son côté, a également contracté une assurance afin de sécuriser le transbordement de sa marchandise. Au risque de retard ou d’accident du navire durant le voyage (ces éléments sont notifiés au sein de la charte-partie) peut s’ajouter une multitude d’autres facteurs (naturels, conjoncturels, etc.) ayant pour effet la fluctuation de l’offre et de la demande mondiale de transport. En effet, conduire des affaires sur un marché mondialisé du transport, c’est aussi être confronté en permanence à la volatilité de la valeur du fret. Par conséquent, les acteurs qui en ont les capacités financières, peuvent, s’ils le souhaitent, réduire en partie les incertitudes liées à cette volatilité en ayant recours à ce qui est traditionnellement appelé des opérations de couverture. Ce troisième élément s’inscrit dans une nouvelle logique : la financiarisation de l’activité de transport. Le recours au marché financier permet d’adopter une stratégie de gestion des risques qui prend couramment la forme de produits dérivés. Ce dernier élément échappe totalement aux missions exercées par les courtiers qui exercent au sein des petits cabinets, alors qu’une logique différente est à l’œuvre dans les grands cabinets mondiaux. Nous avons ici une excellente illustration d’une nouvelle segmentation de l’activité de courtage selon la taille de l’entreprise. Les entretiens ont révélé une réelle divergence entre les courtiers à l’égard de l’utilité des marchés financiers et de leur capacité à être un recours en ce sens. Nombre d’entre eux ont fait ressortir une très forte aversion à l’égard du monde de la finance. Ceci est très certainement dû au fait que les courtiers d’affrètement maritime, au sein des petites structures, se perçoivent davantage comme des acteurs du monde physique, proches du milieu maritime et de la navigation, que de la sphère financière et dématérialisée. Ce ressenti est d’ailleurs très explicite dans deux entretiens menés auprès de courtiers d’affrètement de vrac sec. Le champ lexical employé met en lumière l’aspect péjoratif que les acteurs associent au monde de la finance, au sein de leurs activités.

Réaliser des opérations de couverture à l’aide d’un outil de  gestion

A la manière de ce qui se fait déjà largement sur le marché à termes des matières premières, les acteurs du transport maritime peuvent également opter pour une opération de couverture réalisée sur les marchés financiers (Chevalier 2019b) dont le but est de réduire les risques de volatilité du fret. On parle alors de souscription à un produit financier « dérivé ». Dérivé, car c’est un contrat dont la valeur est « dérivée » c’est-à-dire, qu’elle a subi une déclinaison financière particulière à un prix et dans une durée donnée. On peut distinguer trois grandes familles de produits dérivés (Jégourel 2017, p. 7) : les contrats d’échanges ou « swaps », les contrats à termes, appelés aussi « futures » et enfin, les options115. Yves Jégourel précise, par la suite, que les opérations à terme, mieux connues sous l’emploi de l’adverbe anglais « forward », peuvent être considérées comme des produits dérivés, sans obéir parfaitement à la définition de ces derniers, qui stipule que ce type de produit repose sur un échange de contrat alors qu’une opération à terme ne porte que sur l’actif lui-même.Dans cette optique, lors des quelques entretiens que j’ai pu conduire sur le sujet auprès de courtiers spécialisés dans ce domaine, il est apparu que la nature des produits dérivés proposés se rapproche davantage des contrats à terme. Les courtiers spécialisés en dérivés de fret proposent des accords de fret à terme, appelés « Forward Freight Agreements » (FFA) en anglais. « Les FFA sont des swaps équivalent futures, les plus tradés sont sur le marché des vraquiers Cape Size et Panamax. » Courtier en dérivés de fret, entretien réalisé le 28/04/2020. L’entremêlement de plusieurs logiques financières dans leur structure a été détaillé au cours des entretiens avec les spécialistes. Toutefois, par souci de clarté pour le lecteur, nous considérons que les « FFA » ont valeur de contrat à terme. Nous n’avons pas, ici, pour but d’enrichir un débat de spécialistes ; en revanche, nous nous situons clairement dans l’analyse d’une opération à terme particulière qui vise, notamment, à offrir aux transporteurs qui le souhaitent, un mécanisme financier qui a pour vocation de permettre une gestion du risque de volatilité du prix du transport, sans pour autant engager une contrepartie physique à la transaction. Afin de mieux cerner ce risque de volatilité, il convient brièvement de présenter quelques agrégats macroéconomiques de nature à déstabiliser le marché de l’affrètement maritime. Nous en discernons trois principaux : tout d’abord, l’état actuel et à venir de la flotte mondiale. En effet, les analystes de fret confrontent en permanence les carnets de commande dans les chantiers navals avec les navires mis en démolition afin d’avoir une représentation modélisée de l’offre de transport. Dans un second temps, ils tentent de planifier les futurs besoins en cargaisons en fonction des variables accumulées durant l’année précédente et des prévisions de croissance affichées par les pays. Dans mes entretiens, un analyste de fret me faisait remarquer que l’annonce du treizième plan quinquennal chinois d’investissement qui doit couvrir la période 2016-2020, constitue un indicateur de premier plan dans les prévisions de transport de fret. En effet, un investissement massif des autorités chinoises va nécessairement conduire à une hausse significative de la demande de transport, en acier et en minerai de fer. 

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